jeudi 27 novembre 2008

Terreur ordinaire

Nous nous battons contre des démons invisibles. Nous nous heurtons à des causes intouchables. Nous moulinons nos épées dans un air sans raison. La peur de l'ennemi grandit à proportion. Ils ont nom Ben Laden, "la main invisible" d'Adam Smith, les tsunamis et autres cyclones Gustav, les mouvements telluriques, le réchauffement climatique, les virus biologiques et les pandémies informatiques. Bref, nous vivons sous l'empire de la terreur ordinaire. On ne sait plus à quel saint se vouer. Dans l'urgence, on pare au plus pressé. Dans le cas de la tourmente financière, si les Bourses s'affolent, si les foules épargnantes perdent le nord, le mimétisme de la panique ravive et accélère les effets du mal. René Girard et Michel Serres ont récemment publié des ouvrages aux échos d'apocalypse: "Achever Clausewitz", "La Guerre Mondiale". Tous deux y parlent du temps nouveau de l'après-guerre, du terrorisme ambiant qui s'introduit partout, hors champ de bataille, hors la loi, impénétrable au droit. On peut se demander si les titres infectieux d'une finance malade ne sont pas les sauvages attentats kamikazes d'un capitalisme de la table rase.

mercredi 26 novembre 2008

Hunger

On se retrouve dans une salle obscure. Mondaine inanité. Avant-première d'Hunger, film fêté par les voyeurs de Croisette. Une oeuvre d'art choisit son heure. Le samedi soir, je ne suis pas réveillé. J'ai raté le début sans déplaisir. Assis en bout de strapontin, j'ai vu l'image et entendu le métal. Le cinéma exhibe sa force monstre. La violence nue scande la danse des corps. L'homme y souffre d'un mal animal. La terreur se terre dans l'erreur. Une spiritualité de la brutalité imprègne les silhouettes hallucinées. Il pleut des coups dans les cellules. Les torses faméliques des révoltés d'Irlande sont exposés comme des banderoles de chair. Le cri donne à la viande sa stridence déchiquetée. Le renoncement à la faim libère du fracas des instincts. Je voile mes yeux. J'ai peur des jeux de lumière. Hunger fait courir un danger. Ma volonté rebrousse chemin. Je sors cabossé.

Eclats d'obus

Les morts dehors ne se signalent pas à l'attention des regards distraits. Le bois de Vincennes est une banlieue végétale où de pauvres hères se mêlent aux fougères. On marche sur des éclats d'obus, des corps au rebut datant de la dernière horreur économique. Les distances sont incommensurables dans les cités de proximité. Les maraudeurs sont de braves gens qui balancent des mots et dispensent des soins. Les hommes gisent à côté de leurs technologies. Au pays de la fracture humaine, les pauvres diables sont numériquement supérieurs. Ils crèvent à la belle étoile dans un silence de statistique. La mort ne fait pas son âge dans un monde où règnent les puissances du mail.  

mardi 25 novembre 2008

Retenue

Avec la faillite de l'enseignement, les petits maîtres du parti de Jaurès ne savent plus très bien compter. Ils font des fautes d'addition et des erreurs de division. On n'est pas sûr non plus qu'ils sachent lire couramment. Même écrites dans un charabia de circonstances, les doctrines des uns et des autres se distinguent mal entre elles. Sans les fondamentaux de l'école primaire - la lecture et le calcul -, ces nouveaux ignares de la République trouvent désormais leur légitimité à l'heure de la récréation. La franche rigolade est émaillée de féroces pugilats. On s'en donne à coeur joie. Les filles se tirent les cheveux. Oeil pour oeil, dent pour dent. La loi du talion tient lieu de code d'honneur. Le peuple proviseur songe à distribuer des retenues.

lundi 24 novembre 2008

Le courage de Gracq

Gracq veille une morte, soigne une soeur gâteuse. A parcourir l'étonnant journal de Jean de Malestroit, se dessine la figure d'un Gracq pleinement aristocrate. Cet homme fait face à la misère des jours, aux chagrins du destin, sans se départir du juste mépris des artifices. L'ami des volumes non massicotés se réjouit du visage de noblesse brute dévoilée au fil des pages. Julien Gracq sait qu'il n'a pas laissé dépérir la fleur de son talent. Certes, l'homme est un pieux travailleur, mais sans faiblesse pour l'au-delà des songeurs. "Il a le courage d'être heureux". A Nora, la maîtresse inconnue, il manifeste un admirable amour. Sur son lit d'agonisante, il recueille le cri christique, presse ses lèvres sur sa bouche purulente. Gracq se donne entier au corps défait, comme il s'est livré à la littérature, à l'étrangère de Liberté Grande. Le courage de Gracq impose le respect qui sied à l'exemplaire unique. 

La chair de Franca

J'aime et je n'aime pas. Ma détestation du cinéma de François Truffaut vient de sa quotidienneté petite bourgeoise, d'une psychologie surannée, d'une mièvrerie à l'image de la fade Claude Jade.
Et pourtant ! La Peau Douce est une pure merveille, un chef d'oeuvre absolu. Mal endormi dans un palace de Carthage, le coup de feu final de Franca m'a réveillé dans la nuit. Ces images de télévision ont hanté mon sommeil. J'ai vu des bribes d'un vieux film sans couleur. Elles ne m'ont pas quitté durant des années.
Hier, l'oisiveté du dimanche m'a conduit au geste machinal du cinéma volontaire. J'assiste au même tragique marivaudage sans perdre une parcelle de pellicule. Françoise Dorléac est rehaussée dans mon souvenir. Fraîcheur des premières caravelles, simplicité des balbutiements yéyé. La volcanique Italienne est sublime. La chair de Franca est pantelante d'une passion inexorable. Les sentiments ne se négocient qu'au fusil. Pierre et Nicole s'entortillent dans une pâle escapade à Reims. La symphonie des jouets est une musique d'enfant unique. Elle plante un poignard dans la gaieté de petite fille. Ratures est un nom de revue sur mesure. La vie ne tolère pas de biffure, aucun repentir de destin, se contente d'une seule prise. Le romancier est dans ses petits souliers. Le visage de Pierre est d'une blancheur de craie, conforme à son piètre désarroi. La femme trahie empoigne la crosse du superposé. Elle endosse sa tunique de tragédienne grecque. Au Val d'Isère, ce restaurant de l'Etoile, tristement disparu, sous la dictée du noir ressentiment, Franca surgit comme un cri. Touche au coeur à la première cartouche. 

jeudi 20 novembre 2008

Zéro zéro

Pas de but. Pas de danse non plus. Pas de but ultime. Ni grand dessein, ni visée supérieure. Objectif indéfini. Finalité confuse. Pas de but. Zéro d'inconduite. Pas foutus de jouer au foot. Henry est rayé comme un vieux disque gondolé. Ribéry rit bleu. Le lutin balafré erre sur la pelouse. Il a perdu le secret des trajectoires qui pétaradent. Toulalan joue sans tralala. L'Uruguay se rue sans excès. La Marseillaise n'est pas sifflée. Les joueurs sont conspués. Le zéro zéro est arrivé avec un grand lasso. On zappe de soulagement.

mercredi 19 novembre 2008

Un homme

Ils appartiennent à l'espèce humaine. Certains sont désignés par leur nom de famille. D'autres sont évoqués par un sobriquet. "Bob de Bellecour" ou "La Comtesse" font partie de ceux-là. La Croix de ce matin publie sur trois colonnes les noms de cent vingt neuf morts de la rue. Parmi eux, il y a des hommes sans identité. Ils figurent sur la liste sous l'appellation "un homme". On meurt dans la rue avec son seul visage, inconnu de l'entourage. La rue, jonchée de corps, est un champ de déshonneur.

mardi 18 novembre 2008

Le tombeau vide

Tôt ce matin, je lis quelque part ce nom depuis longtemps imprimé dans ma peau. Skiba. Henri Skiba, abandonné dans un trou de cervelle, s'est sauvé d'une mort mémorielle. Il est vivant dans ma tête comme il y a près d'un demi-siècle. Je suis plongé dans L'Equipe sur la banquette arrière de la voiture de papa. Je grignote les miettes orange du gros pain de quatre de la boulangère. Skiba, comme Savidan demain soir contre l'Uruguay, fut sélectionné sur le tard en équipe de France. Il est rare de figurer pour la première fois, à plus de trente ans, sur la liste des Bleus. Au foot comme ailleurs, la dernière chance de survie, de saisie d'un rab éphémère, réside dans l'aiguillon d'un neurone, résulte d'une improbable étincelle de magique analogie. Le tombeau vide de Skiba squatte ma mémoire. Merveilleuse anamnèse qui, sans crier gare, procède à sa résurrection.

Essaimesses

Les essaimesses ruent dans les brancards, contestent le droit d'aînesse de la vieille langue française. Les mots des jeunes gens s'écrivent au plus vite. La restitution brute des sons est privilégiée au détriment des conventions de l'orthographe. C'est une langue déliée. On assemble les syllabes comme on le sent. Je peine à croire que les correcteurs du baccalauréat pratiquent la langue essaimesse avec autant de délicatesse que les candidats. C'est un nouveau métier de déchiffreur, de nouvelles vocations à la Champollion qu'il convient de susciter.

lundi 17 novembre 2008

Je dangereux

Les mains se serrent, les joues se tendent, les yeux s'évitent. A Reims, vieille ville de foot, les socialistes n'ont pas pratiqué un rugby champagne. Les baisers de papabile étaient empoisonnés, les placages à retardement. La vertu éculée de solidarité est un thème d'homélie enflammée, jamais un exemple à montrer. Fâchée avec les actes, la gauche qui gâche s'en donne à coeur joie avec les mots. Dans "socialiste", il y a liste. Liste préférentielle d'egos, liste de présidentiables, liste de vieilles lunes et de lieux communs, liste d'accrédités et d'infréquentables, liste d'anathèmes et d'incantations, liste de mariages avortés. 
En revanche, dans le même vocable, on peine à trouver la société. L'étiquette sociale a détourné l'ivresse du flacon. "Social" est une marque, un emblème de gens qui s'aiment, un caprice de dame patronnesse qui ne tient pas ses promesses. Le "nous" est évacué au profit d'un pluriel de "je". Nouvel ego de majesté. Je dangereux.

jeudi 13 novembre 2008

Corps échoués

La nuit est jaune d'une lumière épaisse. Les premiers sons du jour éveillent les vagabonds. Ils jonchent le luisant macadam comme des feuilles d'automne. Sans ramdam, les pauvres se déplument en novembre. Un lent ballet s'ébauche entre cartons et bêtes ébouriffées. Les estafettes foncent dans l'aurore. Les hommes couchés du trottoir, emmitouflés dans une couverture, se sont rangés des voitures. Aux yeux des passants propulsés, les corps échoués sont des sacs de pommes de terre. La disette des regards marque la défaite des premiers phares.

mercredi 12 novembre 2008

Josef et Louis

Par bien des côtés, l'allure digne et réservée de Josef Radzinger évoque la noble simplicité d'un écrivain, entièrement dévoué à son art, comme Louis Poirier. L'un et l'autre ont su se préserver du tumulte des vanités. Ils ont fendu les foules d'un pas précautionneux. Le destin les a couronnés au point d'éblouir leur visage. Le premier s'est désigné pour conduire l'Eglise. Le second s'est forgé un nom antique qui sonne comme une marque de fabrique. Gracq. 
Josef et Louis ont cheminé dans le siècle sans concéder quoi que ce soit à l'authenticité de leur vocation. Avec espièglerie, ils se sont déguisés en pape des fidèles et pontife des poètes. Ils ont endossé la bure de comédie sans jamais se départir d'une bienveillante solennité. La littérature voisinait avec Dieu sur cette terre, et on ne le savait pas.  

Sardaigne

Je songe aux citronniers de Pula et au dancing de la Marquise. En vain, comme un écrivain. Je revois la maison de joie de Sinistria. Nous enfourchons le dos tiède d'une vague affectueuse. Je revois ton chignon noir dans l'ovale d'un fichu de paysanne. Tu reposes sur ma joue, le derrière en bataille.

mardi 11 novembre 2008

Les vandales de Vendée

L'infini des mers échauffe l'imagination du poète solitaire. La vaste beauté des sables exalte les songeries du voyant à semelles de vent. Aujourd'hui, le colloque intime entre un corps et l'abîme est contrarié par des populations d'insectes batailleurs. Les compétiteurs de ramdam impriment leurs initiales sur les eaux et les terres jaunes. Vendée Globe et Paris/Dakar sont des banderoles de quinzaine commerciale, de dérisoires mouchoirs qui s'agitent sur les mers et les déserts. Ces jeunes chiens lâchés sur les flots, encagés dans des autos, se mesurent entre eux. Tout à leurs jeux de crocs, ils manquent la majesté des choses. Les vandales de Vendée font des tours de périphérique en pleine nature féérique.

Le parti d'en sourire

Les conclaves socialistes sont très embrouillés. Les papabile manquent de charité chrétienne. Ils cachent leur détestation derrière des textes abscons. La tyrannie des motions anime l'interne démocratie. La fumée du verdict tarde à sortir. Cela signifie qu'on hésite à brûler le vieux parti.
Marie-Ségolène manque de formation théologique mais pas d'aplomb politique. Les couleurs vives de ses parures la distinguent de la grisaille d'appareil. PS ou le Parti d'en Sourire. 

lundi 10 novembre 2008

Mémoire courte

La mémoire des tranchées et le souvenir de la saignée de 14/18 justifient le doux repos du bobo.
La der des der est finie depuis belle lurette. Les derniers témoins - une poignée - hurlent encore leur horreur de la guerre. Le maussade 11 novembre est un prétexte à week-end prolongé. Cet absurde jour de relâche n'évoque en rien la bravoure de la bleusaille. Il autorise la kermesse commerciale, la ruée sur les routes et la veulerie hédoniste. Notre mémoire traîne en longueur. Les tueries de l'histoire sont monnaie courante. Il convient d'abréger nos souvenirs. Une mémoire courte suffit. Le spectacle des charniers continue en temps réel sur la terre.

dimanche 9 novembre 2008

Sénat noir

A deux jours du souvenir des tranchées, le calendrier nous rappelle la mort de de Gaulle. La victoire d'Obama produit des effets d'opinion tout à fait détestables. A commencer par une attitude de dénigrement - c'est le mot juste, sans jeu de vocabulaire - et d'auto-flagellation destinée à fustiger une prétendue arriération nationale en matière raciale. Or il y a cinquante ans, et pendant près d'une décennie (1959-1968), Gaston Monnerville - qui ne partageait pas la même couleur de peau que Gérard Larcher - occupa le fauteuil de président de la Haute Assemblée. A ce titre, la constitution lui attribuait le rang de deuxième magistrat de France, juste derrière le chef de l'Etat, mais devant le premier ministre. A se demander si la brillante période gaullienne - Monnerville était alors violemment anti-gaulliste - ne se situe pas résolument devant nous. Sénat noir d'avant la Maison blanche.

vendredi 7 novembre 2008

La popote socialiste

Les zélés socialistes français noircissent du papier avec de vieilles idées. 
A la rivalité des laborieuses "motions", Ségolène Royal ajoute l'éclat du concours de beauté. Elle privilégie le visible au détriment du lisible.  
Comme la fleur emblématique de son gentil parti, elle s'épanouit à la lumière. Nouvelle cantinière en chef, il lui appartient d'épicer la popote socialiste. Pour ce faire, il lui faut multiplier les tractations d'arrière-cuisine. Tambouille familiale, plats traditionnels: l'enseigne PS affiche sa carte habituelle de produits du terroir. Pas de fantaisie Obama au menu,  mais la permanence en plat du jour du cassoulet républicain.

jeudi 6 novembre 2008

Les loups

Le peintre Lanskoy travaillait en dévorant des sandwiches. Nicolas de Staël, concentré sur sa tâche, n'aurait pu imaginer pareille trivialité. Les fulgurances picturales des deux amis nécessitaient un type d'autorité très dissemblable. Les deux hommes se comprenaient à mi-mot. Les mêmes rêves de Russie circulaient dans leur corps. Très proches l'un de l'autre, quasi siamois dans leur for intérieur, la commune véhémence des deux artistes s'exprimait sous des jours différents. 
L'éthologie humaine, fondée sur l'intimité des gestes et la géométrie des postures, ne renseigne pas sur les derniers ressorts d'un esprit volcanique. La peinture est une fuite recommencée, hors de portée, une tentative de ruse destinée à contrarier les loups.  

Tête de gondole

L'Amérique exporte sa joie comme jadis ses westerns. Le triomphe d'Obama déplace les lignes, fait bouger les frontières. Le monde entier consomme la nouvelle star en amateur de blockbusters hollywoodiens. 
Bien distribué sur les étagères, à portée de regard de la ménagère planétaire, Obama est une tête de gondole en or. Derrière le bonheur mécanique des foules, au-delà du rêve américain retapé aux couleurs de la diversité, perce la dureté des temps, se devine la mélancolie des jours. L'Amérique a besoin de croire à un meilleur destin, d'évacuer le quotidien, de penser à autre chose qu'au lendemain. Elle veut croire avec l'énergie du désespoir.
L'Amérique matérialiste tourne le dos au réalisme. Elle s'entiche d'un gendre idéal universel. Un vent de romantisme s'est égaré dans un monde de brutes. Or il n'est pas sûr que le brillant sujet d'Harvard s'y reconnaisse tout à fait. Barack Obama sait les limites de sa seule bonne mine. Il sait que le désarroi l'a fait roi.

mercredi 5 novembre 2008

Yannick Obama

La politique devient une affaire de peau. Dans la confusion des idées, le corps électoral se fie à la couleur du corps. Ce sentiment d'appartenance est détestable. Il défigure la liberté. La connivence des apparences est un péché contre l'esprit. Les goûts et les couleurs ne s'embrigadent pas. La raison doit tordre le cou au caprice d'une fausse identité, à la préférence des yeux bleus ou des cheveux crépus. 
En France, on dénonce volontiers l'absence d'un Obama tricolore sur la scène politique. C'est négligé la popularité de Yannick Noah, métis médiatique, successeur de l'abbé Pierre au palmarès des personnalités les plus appréciées. Ses mots aigres à l'endroit de Sarkozy indiquent qu'il situe son avenir sur le terrain politique.  

mardi 4 novembre 2008

Le baisemain de Jacques

Les images d'archives témoignent de la cérémonie des bonjours. Chirac excelle dans l'art du baisemain. Il a beaucoup d'entraînement. Il raffine l'exercice. Il se délecte à l'avance, au son d'une portière, au bruit de gravier, annonciateurs d'une proie, d'une chancelière en fonction ou d'une première dame de tel ou tel royaume. A l'affût sur la marche du perron, il savoure l'instant à venir. Chirac s'appproche avec facilité. Il sait où il va. Il n'improvise pas. Il s'acquitte à merveille de cette fausse prise de judo. Il exécute un geste suranné qui lui sied comme un gant. Pas de bras tordu. Ni grimace, ni gêne maladroite. Chirac accomplit en virtuose le rituel de l'accueil. Il crée d'entrée la sympathie. Il s'invente majordome d'une galanterie incongrue. Chirac hausse ses joues et sort ses dents. Il jubile. Sa longue silhouette un peu cabossée se prête toujours admirablement au jeu. Le grand fauve du palais a gardé sa posture d'hobereau de la République, sa souplesse de vieille noblesse mimée. Il lève la main de sa cavalière comme un verre à sa santé. A sa stupeur d'être là. En habit de président comme au premier jour de septennat. Chirac est ahurissant. Il possède le métier d'un Montand au music-hall. Il tient les doigts de sa visiteuse endimanchée jusqu'à ses lèvres présidentielles. Chirac cueille une marguerite, souffle sur les pétales d'une fleur des champs. Chirac signifie avec son corps d'escogriffe.Il joue de sa carcasse comme d'un instrument de musique. Assez sûr de lui, de ses effets, sans risquer le moindre couac avec ses vieux os. Ce geste intime de sa Chiraquie intérieure est une magistrale esquive. Il envoie promener l'ennuyeux protocole. Il chasse les mouches du cortège officiel. Chirac est alors à son meilleur. Au sommet. Touchant de simplicité. Beau dans son costume comme un vrai président.

lundi 3 novembre 2008

Point de côté

Dimanche ferroviaire. Le train bourdonne, siffle, brinquebale, grésille, hoquette. Je me suis mis sur mon trente-et-un neuronal. C'est un matin d'aventure. Je ressens la fraîcheur du rasage sur la peau. Ouvrage à couverture polaire. Dans Minuit, il y a Inuit. J'ouvre le dernier Echenoz avec cérémonie. Je risque le faux départ avant d'appareiller. Je suis de la génération Jazy. Zatopek est un dieu de la cendrée.
Nostalgie du beau "Ravel", lu d'une traite. Les miles d'Emile me laissent froid. Très vite, j'ai un point de côté. Je stoppe l'athlète tchèque. Je pratique le fractionné. Je me résous à la petite dose. Si Jean Echenoz possède toujours l'art de la ligne svelte, nul enchantement ne se produit. Page après page, je sombre dans une douce somnolence avant de me réveiller au prix d'un laborieux effort. Je lis à l'arraché. Cette histoire de pointes me laisse désappointé. Je finis le maigre volume dans l'amertume. Je songe à la quatrième place de Jazy à Tokyo. Solitude du lecteur à l'instant du récit achevé, d'un pan de rêve écroulé.