mercredi 31 décembre 2008

Richard le kiosquier

Richard est kiosquier au coin de la rue des Mathurins. Il observe la marche du monde. Il guette la course des hommes derrière son étal de papier. Les décennies au grand air ont blanchi sa chevelure en bataille. Qu'il vente, qu'il pleuve, qu'il neige, il est posté dans sa minuscule cahute. Il habite une frêle guérite tapissée d'imprimés. De bonne heure, il trie sa cargaison de magazines, enjambe les cartons, compose pour la journée sa masure de lectures. Richard accueille matin, midi et soir, les mêmes mendiants des nouvelles. Il garde les lieux, regarde les cieux, sourit aux gens de peu.

An gnangnan

"Aux tiens et à tes proches". Les miens. Mes mains. Je ne possède rien. A peine un corps précaire, une carcasse fragile. M'appartient-il vraiment ce squelette ambulant ? Quel mépris de malappris que ces injonctions de bonheur postal "aux miens et à mes proches" ? Horreur du sentiment qui ment, bêtement, gentiment. Nouvel an de l'âne. On se fiche de l'an gnangnan comme de l'an quarante.

mardi 30 décembre 2008

L'année d'après

Que l'année d'après soit métissée de félicités, qu'elle soit belle et sans mail, pleine de de joyeux chahuts et de menus bonheurs impromptus, qu'elle recueille dans son compotier les fruits blessés de l'humanité !

lundi 29 décembre 2008

Gaza

La bande de Gaza panse ses blessures, s'étend sur des kilomètres de gaze. Tous les bains de sang sont des humiliations humaines. Les enragés des deux camps font parler les armes. Ils sont les ventriloques des machines de mort. Les uns s'expriment, aboient comme des roquettes. Les autres maîtrisent la langue inutile des missiles. Ces mots-là sont chargés d'un sens explosif qui éclate à la figure, qui fait vraiment mal. Ils déchiquettent les corps, pulvérisent les chairs, mutilent les enfants. C'est une langue étrangère qui fait grimacer les visages. Les peuples d'Israël et de Palestine s'échangent une terrifiante monnaie commune. Cette devise infernale se mesure en violence martiale. Il faut répudier le méchant patois des armes. Il est incompréhensible aux hommes. Il faut se parler avec le vent des mots. Avec le souffle de l'esprit. Avec le courage des seuls sages.

Grandes bestioles fauves

Le talent se taille au couteau de jardinier. Le talent se taille à triple vitesse quand il n'est pas soigné de mille délicatesses. Le désoeuvrement est un lent dépérissement. Le talent s'étiole comme la majesté sauvage des grandes bestioles fauves.

Le don des bidules

La cérémonie des cadeaux s'accomplit comme une expédition punitive, sous les clameurs du papier d'emballage. La violence contenue s'exprime par le truchement des fétiches échangés. L'image de soi circule dans le circuit des marchandises empaquetées. Le don des bidules est l'ébauche entravée d'une gloire personnelle. Le rituel est réglé pour la joie mécanique. Les généreux donateurs comparent leur volonté de puissance dans la bagarre des offrandes. Vite. Il ne faut pas traîner. On calque la cadence sur le tourbillon préalable du shopping effréné. On se regarde sourire dans le papier glacé des paquets. On exécute la figure imposée comme une formalité sociale. La magie des échanges escamote la morsure du ressentiment. Elle jette un grand rire bref sur le brasier des arrière-pensées.

dimanche 28 décembre 2008

La machine alligator

Dans le train qui glisse vers la nuit de Noël, j'observe le visage polygonal de l'étrangère à peau mate. L'image d'elle-même est doublée du son de sa voix. La langue de l'Espagnole évoque le trot des chevaux. Elle s'accorde à la lueur ardente des yeux. La fixité géométrique du regard s'est noyée dans le trou noir de l'ordinateur. Les yeux du désir se sont donnés à la machine alligator. 

mercredi 24 décembre 2008

Jésus

La naissance de Jésus contrarie la raison ordinaire. L'homme se cogne au mystère. La force de la vie se manifeste dans un décor de misère. L'enseignement de Bethléem est simple comme bonjour, affreusement difficile. Il change la nature du regard, le sens de l'horizon. La mort se situe dans notre dos. L'amour de Jésus est le message de bienvenue. La crèche pleine de chair conduit au tombeau vide. Le dimanche de Pâques s'identifie à la nuit de Noël. La joie relie ces deux visages de l'aurore. La raison est hors de ses gonds. Jésus nous invite à la pauvreté du coeur. L'errance de l'homme croise un chemin de terre, un sentier de lumière, un tracé de liberté.

mardi 23 décembre 2008

La chasse aux caténaires

Dans l'Essonne, de braves chasseurs ont épaulé et tiré sur des chevreuils volants. Raté. C'était des caténaires de chemins de fer. La SNCF devient un stand de foire pour amateurs de gros gibier ailé. Mais que fait donc la police verte ? Il faut interdire la chasse aux oiseaux-chevreuils. Dans le même temps, il convient de préserver les lignes aériennes de traction électrique du réseau ferroviaire, une espèce rare en voie de disparition.

lundi 22 décembre 2008

S-Aime-S

On ne distribue plus de tapes amicales, de gentilles bourrades dans le dos. On adresse des s-aime-s. Nadine n'a pas lésiné sur ses témoignages d'amitié à l'égard de Rama. Elle a la gâchette de texto rapide. En revanche, Julien regrette la tactilité pataude de Martine. La dactylo générale du PS s'est inscrite aux s-aime-s absents.

Touche pas

Le bel idéalisme de la jeunesse trotskyste de Julien Dray s'est égaré avec l'âge. "Touche pas à mon pote" était un slogan précurseur des temps de la diversité. Depuis lors, l'embourgeoisement d'éléphanteau de la rue de Solférino a fait son travail de sape. Le "Juju" des manifs lycéennes a changé de mot d'ordre: "Touche pas à mon pote-feuille".

vendredi 19 décembre 2008

Furieux

Je lis dans le journal ce bout de phrase de Maupassant: "l'éblouissement furieux de la lumière". L'écrivain désigne l'attraction du Sud, le magnétisme de la Méditerranée. L'adjectif  choisi s'accorde à la démesure des terres volcaniques. Le mot est juste au point de trouer la représentation. Le soleil imprime sur la page ses couleurs de violence. Le talent de Maupassant est cousu de lumière blanche. Ce petit mot sauvage est un geste d'autorité. Il suffit à imposer  la souveraine nécessité du vrai. L'artiste voit les choses en italiques. Au fond, je n'ai jamais demandé qu'on me tienne informé. Je n'ai envie que de beauté.

Bonefaites !

Le verbe "bonefaire" ne s'emploie qu'à l'impératif, uniquement à la deuxième personne du pluriel. Il est usité en fin d'année. A pareille époque, les gens de connaissance se quittent en prononçant les deux syllabes sonores: "Bonefaites !". A vrai dire, nul n'en sait l'exacte signification. Certains prétendent qu'elles exhortent à bien faire. Ils se fondent sur une étymologie discutable. Je penche plutôt pour une origine laborieuse. "Bonefaites !" serait la forme contractée de l'expression: "C'est une bonne chose de faite !".

mercredi 17 décembre 2008

Le dos des hommes

Le dos des hommes est un mur de ghetto. Dans les rues d'hiver, il pèse des tonnes, multiplié à l'infini dans les files ambulantes. Il dissuade toute communication. Carré dans un cuir épais, il dresse la largeur de son veto en guise d'expression. Le dos des hommes est un front du refus. Sa géométrie sommaire fait écran, interdit l'accès au visage. C'est un écriteau de propriété privée, engoncé dans sa chair. Seul le poignard du traître pénètre la dure carapace de l'espèce. 

mardi 16 décembre 2008

Hommes et klaxons

Il est loin le temps où le général de Gaulle refusait d'être sonné comme un domestique par le cri strident du téléphone. Aujourd'hui, les hurlements machiniques nous rappellent à l'ordre, les miaulements d'ustensiles nous exhortent à l'obéissance. La dissonance des objets scande les heures de labeur. La cloche de la récréation des enfances d'autrefois s'est répandue dans les travaux journaliers les plus menus. Elle s'est métallisée, numérisée, intériorisée. Ces sirènes d'incendie nous réquisitionnent dans l'urgence. Les criailleries d'outils réclament une bienveillante attention, une disponibilité de laquais. Nous parlons couramment la langue des objets braillards. Notre corps se plie aux exigences de mille et une sonneries. La docilité au bruit définit le mode d'accès à la société désenchantée des hommes et des klaxons.   

Il pleut des milliards

Au Monoprix de la carambouille, on ne trouve rien à moins du milliard de dollars. Ces affairistes à la décontraction nonchalante cassent le moral des besogneux du bas peuple. Ils tuent le match, ridiculisent la foi démocratique. Les braves gens sont assommés par ces sommes astronomiques dilapidés. Ils restent interdits devant la gabegie et l'escroquerie. Il pleut des milliards dans des économies à climat réputé désertique. Les banques accumulent des pertes abyssales comme des erreurs d'étourderie. L'argent repousse comme du chiendent sur les terrains vagues du capitalisme. De telles exactions sont des provocations, pareilles à des cris de haine, des appels à l'émeute, des exhortations au déferlement des foules.

Claire

Les premières lignes de Claire ont la netteté du cristal. Elles font l'effet d'un seul jet. On s'en veut de progresser trop vite, de dilapider pareil flacon d'eau fraîche. On referme le livre comme on bande ses yeux pour garder intacte l'acuité du plaisir. S'interdire l'accès d'un livre pour mieux y succomber ensuite, à l'heure dite, à l'instant du désir impérieux. La paume est posée sur la page cartonnée comme sur la joue rouge d'une fiancée. 

lundi 15 décembre 2008

Oumpapah

Je fais mes emplettes de Noël dans une librairie qui ignore l'alphabet des lettres. Nulle trace de Drieu au voisinage de Duras. Les rayons éclairent mal le client. Il y manquent des bougies. Mais j'ai envie de la phrase de Chardonne. Sur le champ. Comme de la saveur du caramel cône explosion, ce délice des glaces de jadis. Je tombe sur un mince volume des "Cahiers Rouges", le roman Claire. Je cherche Oumpapah. Je ne trouve que Gaston. Papa sera privé du majestueux Peau-Rouge.

Fric-frac

La cupidité des hommes n'a de limites que l'infini du ciel. L'escroquerie d'un col très blanc, l'ancien patron du Nasdaq, illustre les ravages de pareille maladie. La soif inextinguible d'argent témoigne de l'état de dépendance d'un nanti de Wall Street. Le commun des mortels est toujours surpris par l'âpreté au gain des nababs, aussi tremblants à palper des billets qu'un modeste ouvrier touchant son premier salaire. Bref, l'argent est une drogue dure qui affecte les privilégiés de la terre. Il convient de mettre en oeuvre un plan sanitaire visant à les désintoxiquer, à les débarrasser de leurs violentes pulsions de fric-frac. On n'est même pas sûr que la prison, mille fois légitimes, soit une bonne thérapie. L'intempérance financière nécessite une diététique appropriée. L'obésité en milliards de dollars est une affection contagieuse, assez malaisée à soigner.

jeudi 11 décembre 2008

Le dieu Pan

La Grèce est en feu. Les flammes dans la cité se substituent aux incendies de l'été. Athènes s'embrase. Les émeutes répondent au meurtre. Pan. Alexis est mort d'une balle de police. Les forces de l'ordre provoquent la pandémie du désordre. Le peuple grec exprime sa colère dans la rue. La violence bégaie. La panique est reine au pays du dieu Pan. Alexis est le "subprime" qui fait déborder le vase.  

mercredi 10 décembre 2008

Fer rouge

Werner Herzog est à Beaubourg. On voit ses films. Je me souviens d'un dimanche glacial à Düsseldorf. Dans ma chambre d'étudiant, je regarde la télévision. Je suis ébloui par le spectacle. Werner Herzog, alors sauteur à skis, filme les gestes de son métier à risques. Ces grands oiseaux humains qui planent sur la neige n'ont pas quitté ma mémoire. Le cinéaste communique par l'image l'étourdissant vertige, fait ressentir au plus près cette plongée vers l'abîme des grands brûlés de la spatule. Ces aventuriers sont des forcenés inguérissables qui gravissent l'échelle du monde, recommencent la genèse du vol, redécouvrent l'aurore du premier bond, s'élancent dans le vide comme des fous de Dieu. Ce sont des anges en combinaison de cosmonautes. Werner Herzog percute en pleine figure la sauvage beauté d'un monde grandeur nature. Il ne recolle pas les morceaux, les fragments de poésie. Sa pellicule est une sorte de fer rouge. 

Une santé sans péché

L'interdiction de fumer dans les estaminets, bars et salles de café, suscite des vocations de sheriffs, de justiciers roquets, de redresseurs de torts au triomphe trop sonore. Cette mesure punitive invite à la délation ordinaire, à la bonne action citoyenne. Au fond, tout se passe comme si la chimère du "tabagisme passif" était assez bonne fille pour doter les grands prescripteurs d'hygiène morale d'un argument en or massif. C'est une fable cousue de fil blanc. Car l'enjeu ultime de pareil matraquage liberticide est de recruter des petits caporaux anti-Marlboro, bardés de vérités d'almanach, d'enrôler des censeurs au grand coeur, drogués d'ordre moral, de fabriquer de sobres menteurs, apôtres d'une santé sans péché. La pudibonderie sanitaire dégage un arrière-goût de moisi. L'actuel nettoyage éthique se débarrasse des derniers restes d'humanité.

mardi 9 décembre 2008

Buren que j'aime

Les colonnes zébrées du plasticien Daniel Buren animent joyeusement le site majestueux du Palais-Royal. Les enfants sautillent d'un cylindre à l'autre comme une nuée d'oiseaux voltigent dans les branchages. L'artiste iconoclaste a cassé la solennité du lieu. Ces volumes que l'esprit d'enfance s'approprie comme un terrain de jeu évoquent la fraîcheur d'une pluie de confettis blanc et noir. La beauté classique s'est enrichie d'un voisinage de troncs coupés, de crayons taillés, à striures de code-barres. Daniel Buren donne au jardin une hospitalité nouvelle, une allure de jeu de marelle, le pépiement allègre des insouciances juvéniles. 
J'ignore si l'oeuvre de Buren est en péril, faute des soins nécessaires à sa riante pérennité. Je sais par contre qu'elle enchante les promeneurs aux abords de la place Colette, qu'elle fait pétiller l'air du temps, qu'elle agrémente la dérive vagabonde des marcheurs du dimanche. A côté de la réussite de Buren, la lourdingue pyramide de Pei fichée dans la cour du Louvre est une griffure inutile sur le visage de Paris. On dirait une soucoupe volante atterrie en catastrophe sur le parvis d'une civilisation ennemie.

lundi 8 décembre 2008

Mandiargues

Mandiargues va avoir cent ans au milieu des petites bêtes. Je le lis pour de vrai de manière si rare. Mandiargues m'a saisi par le coude dans les ruelles de Barcelone. J'ai senti que La Marge était écrit au plus près des bruits, lumières, odeurs de la ville. La nuit catalane se dévoilait à la cadence des pages. Il faut s'aider de la voix pour mesurer la juste couleur d'une phrase, apprécier le timbrage exact des voyelles. Mandiargues enivre comme un vin à morsures mauves. La nouvelle est un sprint au soleil où les mots se déplient comme des foulées de prince. Rodogune est une fille du front de mer qui repose en guerrière au voisinage des sauvageries les plus rouges. Rodogune est une songerie mal éteinte, une sorte de beauté intacte qui cogne au visage. Le lecteur est un boxeur dans les cordes qui se rassasie de splendeur.

Miss PS

On le savait depuis des lustres que les filles étaient les premières de la classe, que les garçons chahutaient ou souffraient d'un poil dans la main. Presque le même jour, on a tressé des lauriers, décerné des couronnes à des femmes méritantes. Miss PS et Miss France ont squatté notre imaginaire. La belle Chloé s'est débarrassée de ses dauphines pendant que Martine distançait Ségolène d'un cheveu. Bref, les femmes trustent les bons points. Les voix des hommes les départagent. Ces braves garçons un peu lourdauds regardent le match, arbitrent la querelle des filles. Martine est émue par le sort de la vaincue. Elle lui tend la main comme à une noyée. Ségolène gare sa joue, craint le baiser empoisonné. Les filles parodient les vieux sketches des garçons -  la chamaillerie Jospin/Fabius en terminale quand elles découvraient toutes deux  le latin en sixième, les crasses Villepin/Sarkozy du bahut d'en face, les escarmouches préparatoires Copé/Bertrand, la guignolade Chirac/Balladur, les guéguerres Giscard/Chirac et Mitterrand/Rocard du siècle dernier. Martine et Ségolène veulent être premières toutes seules. Et dans toutes les disciplines, du parti et du pays. Elles font juste l'impasse sur le prix de bonne camaraderie, matière à faible coefficient, voire facultative comme à l'Ena. 

jeudi 4 décembre 2008

Manivelle

Mon automobile peine à conserver son emploi. Sa carlingue grisonnante la destine à la retraite. On me fait miroiter de l'or pour que que je me débarrasse d'un tas de tôles irréprochables. Misérable époque. Ma douce auto n'a pas besoin de se refaire la peau. Je refuse qu'on la dégraisse. L'Etat voyou pratique un chantage sans vergogne en brandissant une prime à la casse au motif de dépanner la crise. Une voiture s'apprivoise. Il convient de lui parler correctement. Il est même parfaitement indélicat de lui rappeler son âge. Le premier vandale qui s'ingénierait à vouloir la démolir s'expose à des retours de manivelle.

mercredi 3 décembre 2008

Vie et mort du senior

Reste à régler, en ce début de vingt-et-unième siècle, la question sociale, quasi humanitaire, de ces troupeaux de vieux sans avenir. Ces pauvres hères n'ont vraiment plus rien pour plaire. Leur pathétique mémoire récite un vieux disque, tourne en rond entre deux roupillons. Elle les adosse au passé. Avant les prouesses de la médecine, les vieux tromblons survivants des fléaux étaient considérés comme des dieux peu nombreux. On les honorait comme des guerriers intouchables. Or le succès des nouveaux rebouteux a multiplié les stocks de vieux au point d'en déprécier la valeur. On a découvert le pot aux roses: le grand sorcier ridé n'était qu'un imposteur. Depuis lors, on se débarrasse du senior comme d'un poids mort.

mardi 2 décembre 2008

Dimanche

Le travail communique son ennui à vouloir se situer au centre des conversations. Le dimanche est un jour comme les autres. Tous les jours sont d'un même gris comme les chats dans la nuit. Seules les saisons varient. L'été exhibe une identité que l'hiver serait en mal de revendiquer. Le partage des saisons établit la diversité. En revanche, n'importe quel dimanche de novembre ressemble comme deux gouttes d'eau à un lundi de Toussaint. Les dimanches sont des lundis qui s'ignorent. La différenciation des jours est une facilité d'agenda. A vouloir s'arc-bouter sur la prétendue singularité du dimanche, on croirait presque qu'elle résulte d'une invention de la nature. Car l'idéal est de travailler de bon coeur, à bon escient, au bon moment. Faute de quoi, on s'expose au labeur qui enquiquine, on se risque à la tâche assommante. Il est des bonheurs au travail qui se goûtent dès l'aurore, un dimanche de juillet, allez savoir pourquoi. 

Aguerri

Un président yankee confesse son ignorance guerrière. Il n'était pas très aguerri à l'instant de meurtrir la Mésopotamie. Harvard est loin d'être une école de guerre. Les universités forment des tueurs de temps de paix, notamment des traders. Bref, le président sortant ne disposait que d'un bagage militaire rudimentaire. A vrai dire, le fier Texan peut se consoler en songeant aux braves civils irakiens qui partageaient en la matière un même amateurisme. Les foules bombardées de Bagdad étaient aussi peu préparées à la guerre que l'homme fort de la Maison Blanche. Est ce bien raisonnable de jouer aux gendarmes et aux voleurs sans en connaître les règles ? Aucun garnement de cour de récréation ne s'y risquerait.

Face à face

Boulevard Haussmann, une foule rieuse écarquille les yeux devant les vitrines de Noël. Les enfants sont juchés sur les épaules des pères. Les mères serrent fort les menottes. La joie pétille d'un éclat neuf. De l'autre côté de la chaussée, sur le macadam rival, les lumières des riches boutiques sont éteintes. La nuit estompe les formes visibles de l'indigence. Les hommes sont couchés dans des pelisses incertaines et des constructions de carton. Le quartier ombre boude la fête. Visages du dimanche et trognes à faire la manche croisent leurs regards absents. Face à face improbable. Frontière infranchissable entre le sourire de contentement et le rictus de dénuement. 

lundi 1 décembre 2008

Picotement d'ortie

Le corps absorbe la totalité de la conscience. Il est ressenti comme un picotement d'ortie. Le malade est divisé, fourchu comme un diable. L'enveloppe charnelle n'est plus ajustée aux mesures de la quiétude biologique. La vie des organes est ballottée comme sous l'effet d'une roue voilée. La fièvre sensibilise au soi. Elle creuse la demeure du for intérieur. Le corps se carre dans un retrait instinctif du monde. C'est un adieu aux paillettes du dehors, à l'étrangeté de l'autre, à l'ivresse des choses. Le corps se recroqueville de la nuque aux chevilles. Il attend que le temps du mal s'en aille, s'épuise dans sa durée. Il est la proie désignée d'un prédateur masqué. L'espace du corps se contracte à mesure que le temps se déploie. La prégnance du mal cogne à la porte du corps, réveille la conscience, uniformise la déplaisante sensation. La vie subit la loi d'un temps qui vibre dans les tempes. La route du malade est pavée de gravillons brûlants, d'interminables instants qui sont chauffés au soleil de la solitude. L'homme est couché comme un mot dessiné, immobilisé sur le sable. Aucun lointain, aucune songerie ne brillent dans ses yeux. Il est ligoté aux minutes circulaires du présent.