jeudi 30 avril 2009

Grandes peurs

Les grandes peurs reviennent. La grippe mexicaine ressuscite le spectre de l'ennemi invisible. Ben Laden semble bien loin. La main invisible du marché accomplit son travail de sape. Les corps sont menacés comme les emplois. Nul ne voit le visage des périls. La mobilité des hommes est entravée. La maladie et l'économie les épinglent comme des papillons. 
Reste la grande marche du premier mai qui assure la pérennité du monde. Marie-Ségolène défile à Niort. Le coupable est trouvé. Il ne se voile pas la face. Il est même très voyant. Sarkozy est un adversaire en or, calé dans le viseur des protestataires:  visible, en vue, trop visible.

lundi 27 avril 2009

Inconduite

Ils conduisent la grève en état d'ivresse. Ils la reconduisent en excès de vitesse. Les universités sont en arrêt-maladie. Les médecins du travail distribuent des certificats de complaisance, des journées de repos sans fondement. Les universités vivent dans le culte de la pathologie. Or la santé intellectuelle de la jeunesse exige qu'on l'exerce à l'étude, qu'on l'aguerrisse au travail. Le couperet des grèves est une guillotine, un outil de terreur qui brise l'échine des travailleurs anonymes. On mesure mal les dégâts, la gabegie, l'injustice de pareille inconduite.

D'un oeil

Je pense à l'homme qui n'est mort que d'un oeil. Il vit dans ma mémoire. Il est dans la terre et dans ma tête. Il resurgit du néant au moindre événement. Il vole dans le temps, ressuscite au gré des tourments, reparaît au hasard des regards. Il est l'ange gardien qui chemine à côté, qui scelle mon destin de fils égaré.

vendredi 24 avril 2009

Plan d'urgence

Les mots s'usent. On abuse de leur résistance à conserver un sens. Après une longue période de disette, le mot "plan" est réhabilité. Il est même galvaudé. Le terme d'urgence lui est fréquemment accolé. Les plans d'urgence se bousculent au portillon. Au point de perdre de leur force d'intimidation, de leur vertu mobilisatrice. On est blasé par la rituelle exhortation au branle-bas de combat. A l'instar de la publicité, les plans sont ciblés: aujourd'hui les jeunes, demain les vieux, après-demain les très vieux. On s'interroge à bon droit sur la seule magie des mots. Les mots nous cachent des choses. Ils ont cessé de les désigner. Ils s'affranchissent de toute réalité pour mieux marteler des slogans langagiers.

jeudi 23 avril 2009

Malus

Les patrons s'octroient des gâteries d'industrie, d'extravagantes récompenses. Ils s'arrogent de stupéfiants bonus au grand dam d'affreux olibrius qui pratiquent le malus de la séquestration. A l'heure où les prisons sont pleines à craquer, les travailleurs en colère improvisent de nouveaux lieux d'incarcération où s'entassent les délinquants d'un management qui ment. La justice du coup de sang se substituent à la règle de droit. Elle châtie les possédants en confisquant leur liberté chérie. L'argent ruisselle dans l'escarcelle des hiérarques du CAC. La piétaille des précaires n'a que ses petits poings pour boxer son destin. La violence est un réflexe d'auto-défense, un cri de révolte dans un monde sans décence.  

mardi 21 avril 2009

Pardon

Le concours de pardons est de saison. La repentance dérive en posture de convenance. La démocratie exhibe ses manières policées. On devient courtois pour deux. On se mortifie pour ses ennemis. La bienséance de l'excuse annule le mot de travers du rival. La repentance vient de loin. Mea culpa au sujet de l'empire colonial. Mea culpa au sujet de la traite des Noirs. Mea culpa au sujet de la Saint Barthélémy et des Croisades. Mea culpa au sujet des mauvais choix de l'Histoire.
Le vent du pardon souffle aussi sur Marie-Ségolène. Saint Louis rendait la justice sous un chêne. Les conseillers de Marie-Ségolène devraient lui suggérer de pardonner, sinon la rose au poing, du moins le chabichou du Poitou en bandoulière. 

lundi 20 avril 2009

Chirac à Taroudant

Chirac à Taroudant s'expose au soleil rayonnant. Il fait la planche. Il s'est noyé dans l'anonymat du luxe bourgeois. Il ne s'excuse de rien, ne demande pardon à personne. Pas même aux besogneux politiciens qui sont actuellement au charbon. Il ne rougit pas de son score ahurissant dans les baromètres de popularité. Il savoure les sondages avec la délectation d'un vieux sage, pas mécontent du tout de damer le pion à la bleusaille. Chirac reste impénétrable comme un fragment d'Héraclite. C'est un bloc d'étrangeté, cuirassé d'un excès de familiarité. On le croit creux: il est rare.
Depuis deux ans, Chirac a débarrassé le plancher. Pas un mot. Pas de commentaires. Pas de mémoires. Pas encore. On ne lira pourtant jamais les arrières pensées du prompteur. On ne déchiffrera pas son bouleversant regard d'égaré. Chirac trimbale un visage de vieil acteur d'Hollywood. Il ne se regarde plus sourire sur les affiches. C'est une détestation de soi qui lui colle au destin comme une cicatrice intérieure.
Or Chirac tarde à s'estomper dans nos souvenirs. Il squatte encore une zone obscure de notre tête. Il s'installe dans notre histoire. L'homme des foucades au Stade de France et des ruades en Israël ne lâchera rien sur son mystère. On n'est pas près de comprendre ce savoir-faire d'improbable homme de la terre, de paysan ministériel à patois mécanique, de technocrate à mallette au know how péquenot. On ne trouve pas ce genre d'énergumène sous le sabot d'un cheval. Son vieux peuple a cravaché pour rattraper sa bévue. Chirac est un fauve politique à développement durable. Il a faim des mêmes horizons qu'hier, des voluptés d'Asie et des fraternités d'Afrique. Il restera comme le seul résistant d'Occident à la folie du grand satan.
Sa fêlure est à lire dans l'admiration sans bornes vouée à son père de sang. Chirac est un fils unique dont la seule boussole est un père magnifié. Il n'arrivera jamais à sa cheville. Aucune preuve ne suffit à ses yeux. L'introuvable Chirac loge sans doute quelque part par là, dans les parages d'un père inatteignable.

jeudi 16 avril 2009

Demos

Dans la cour de récré, les copains m'appelaient "Demauss" sans savoir que cela voulait dire "peuple" en grec. Notre aire de jeu figurait une sorte de démocratie idéale.

mercredi 15 avril 2009

La station Europe est fermée

Le parlementaire européen est une variété politique mal connue de l'opinion publique. Par éclipses, il sollicite les suffrages des électeurs de son pays. Il est exilé en Alsace. Il est délocalisé à Strasbourg. Il siège dans un coin de l'Hexagone. La géographie est une discipline rayée de l'agenda communautaire. Il est vrai qu'on la répute fauteuse de troubles, qu'on lui impute nos guerres fratricides. D'un même élan amnésique, l'Europe s'est affranchie de l'histoire: elle s'exonère de ses devoirs de mémoire en gommant la part chrétienne de ses racines. 
Décennie après décennie, les militants de la cause européenne nous rabâchent ses vertus pacifiques, ses ressorts économiques, ses nécessités stratégiques. Au bilan, l'Europe s'est dotée d'une monnaie. Si les marchandises s'échangent, les peuples s'évitent. L'Europe n'a pas de mots pour dire son unité. Comble de la vassalité, elle emprunte le parler américain pour exprimer sa vague identité. Autrement dit, elle s'entend sur l'argent, elle se désaccorde sur la langue.
L'Europe échoue à nous préserver de la guerre économique. Les intérêts divergent d'un côté de la Manche à l'autre, d'une rive du Rhin à l'autre, d'un versant des Pyrénées ou des Alpes à l'autre. Nos voisins de palier ne sont pas forcément des amis. Ils demeurent précisément des "autres", des étrangers, situés au-delà de barrières physiques. Finies les querelles de bornage d'un temps paysan. Reste les conflits de compétitivité sur les marchés. A Londres, je me sens au bout du monde, au Finistère de la planète. La citoyenneté européenne est une vue de l'esprit, une idée sans vision, un concept sans chair. Le projet de l'Europe est venu trop tôt: il a dérouté les bonnes volontés du droit chemin de la planète. Le monde est notre lien social d'origine, notre appartenance primitive à la nature, notre seule identité commune. Aucun sous-continent ne peut rivaliser avec la légitimité première du monde. Si la richesse individuelle se résume à un corps, le bien collectif le plus précieux s'identifie au monde. Nous n'avons qu'un monde. "Aussi unique pour nous que la vie pour chacun de nous. A le perdre, nous nous perdons tous ensemble. Rendant désuètes les guerres anciennes, y compris l'apocalypse, le risque final du Monde rassemble l'humanité." (Michel Serres, "La Guerre mondiale", page 173, Editions Le Pommier). Le philosophe nous rappelle au devoir du moment. Les hommes ne font plus corps qu'autour de leur Terre. Par gros temps planétaire, ils s'agrègent, se fédèrent, s'unissent. Par la force des choses, on assiste à la naissance d'une volonté mondiale commune. 
Bref, l'Europe se trompe d'échelle. Elle joue petit bras. Au demeurant, elle mime mal l'Oncle Sam. Ses élites baragouinent un rudimentaire parler d'affaires exporté d'Amérique. L'Europe bute sur son unité. L'Amérique l'exhorte à s'agrandir, à s'élargir, à s'épaissir. A accueillir la lointaine Turquie de tradition musulmane.  L'idée européenne se distend dans l'espace, stationne interminablement dans le temps. Elle s'enfonce, les deux pieds liés, dans une totale dépendance. L'Amérique méprise "le petit cap asiatique", regarde vers les grands territoires d'Orient. Or l'heure est à un monde non fragmenté. A la planète nette de ses divisions continentales. Parallèlement, l'économie change de paradigme. La révolution numérique bouleverse la vieille industrie du divertissement (son, image, texte). Les modes de production et de distribution des biens culturels sont réinventés. La révolution énergétique chamboule la donne de l'industrie des transports. La révolution climatique impose une nouvelle éthique des comportements. A cet égard, le souci du climat nous enjoint de reconsidérer la géographie comme une spécialité reine, au carrefour des sciences. D'une manière générale, les révolutions scientifiques n'ont pas fini de remodeler la vie des hommes. Dès lors, ces ruptures à répétition, par vagues successives, exigent une table ronde de discussion à la dimension du monde. Il faut un gouvernement uni de la Terre, une sorte de "front républicain" des grandes nations des cinq continents, pour penser le monde en mouvement. C'est pourquoi les G20 de demain renverront les petits scrutins européens - et leurs enjeux parlementaires lilliputiens - au musée des vieilleries départementales, au rayon des bibelots et meubles anciens. La station Europe est fermée: tout le monde descend.