vendredi 31 juillet 2009

Sheila ou la classe moyenne

Même en crise, la publicité fonctionne à plein régime. Les images nous enjoignent de consommer corrects, de faire marcher droit l'économie. La société est modelée comme une pâte visqueuse de classe moyenne. La grosse classe moyenne est insérée, massée dans l'ascenseur social en panne de mobilité. Elle possède les mêmes biens de supermarché. Elle aspire aux mêmes désirs de prochaines marchandises exquises. Elle se jalouse comme jamais à cause de son uniformisation égalitariste. Cette société nivelée, querelleuse et contentieuse est faite de frères ennemis indifférenciés. Elle reproduit le schéma de conformité publicitaire. Elle obéit sans broncher à la police des marques et aux prescriptions des médias.
Aux extrémités, les nantis et les démunis pèsent peu. Ils amusent la galerie, pour ainsi dire. Atypiques de l'écart-type. Quantités négligeables. Virgules de sociologie. Sauf, bien sûr, coup de projecteur événementiel: Nicolas et Carla au Cap Nègre, les détenus traités en sous-hommes dans les prisons françaises. Mais rien à voir avec l'obésité croissante de la classe moyenne qui fait le gros du corps social et les embouteillages de périphérie urbaine. La classe moyenne est un peuple écouté. Le publicitaire lui adresse ses communiqués privilégiés. La ménagère pré-quinquagénaire fait figure de maîtresse d'école, d'enseignante-chef de classe moyenne. Elle arpente en profondeur les grandes surfaces. Difficile de rater sa cible: ce gros animal de classe moyenne occupe tous les rayons des magasins.
Patatras! Internet libère les têtes comme jadis Moulinex la femme. Il affranchit le consommateur qui se comporte de manière erratique, au gré de ses humeurs. Le consommateur regarde ce qu'il veut, où il veut, quand il veut. Il batifole dans les réseaux, zappe les programmes de télévision comme il effeuille un journal gratuit. La nouvelle indépendance d'esprit du consommateur déjoue les vieilles machineries publicitaires. Le nouveau consommateur lit Closer et Les Echos. Il s'adonne à des pratiques culturelles non-concordantes. Il se dédouble et se défausse. Il travestit son identité habituelle. Il n'appartient plus à ses déterminants sociologiques. Bref, il brouille les pistes. Le publicitaire doit désormais procéder au suivi de son emploi du temps, fait de zigzags de consommation. Il traque le parcours divers et ondoyant de la randonnée chaloupée et hasardeuse du consommateur émancipé.
De surcroît, la demande d'hier devient l'offre d'aujourd'hui. L'internaute bazarde ses vieux rossignols via eBay, s'initie aux délices du petit commerce familial en ligne. Il éditorialise à mort sur son petit blog intime. Il produit de manière autarcique: son contenu, sa fiction, ses rêves. Il télécharge à droite à gauche, agrège des bouts de textes et vidéo, bricole du petit média personnel personnel et artisanal. Tous les nombrils du Web sont désormais en ligne. Au grand dam des vieux médias - qui improvisent à la va-vite des ripostes Web 2.0 - dont il périme le fonds de commerce ancestral. A première vue, ce nouveau mode d'expression tous azimuts s'inscrit en contradiction flagrante avec le magma indifférencié de la grosse classe moyenne consommante. D'un côté, le conformisme des idées imposées règne en potentat. De l'autre, le consommateur se délure, fait les quatre cent coups, se désencombre des vieux carcans prescripteurs. La logique élémentaire oblige d'y regarder à deux fois. La révolution numérique n'a pas généré la moindre rébellion intellectuelle. L'idéologie du plus plat conformisme social gouverne sans partage. Sheila revient d'ailleurs à la mode. "La petite fille de Français moyens" surfe sur la énième vague Internet.

jeudi 30 juillet 2009

Lire, ne pas lire

Impossible de lire. A fortiori, un bon livre. Inutile de lire. Les mots ne pèsent pas au contact du monde, au voisinage d'une chose. Il faudrait lire et ne pas lire. Tendre à pareille hésitation. Ressentir le présent, apprécier le donné d'un espace bigarré, éprouver l'offrande du temps mêlé. Fermer le méchant bouquin sans réveiller les démons. Déserter la phrase, contempler la vibration lumineuse. Arrêter, au sens cynégétique, comme le chien des forêts s'immobilise devant l'oiseau terré. Lire à voix basse le récit d'une fougère.

Problèmes de peau

La combinaison du nageur est interdite de piscine. La cabine de bronzage fait courir un grave péril de santé publique. Le corps de l'homme, qui s'ébat dans l'eau, nécessite une parure appropriée, s'il veut se mesurer au verdict officiel du chronomètre. Cette fameuse deuxième peau de l'homme poisson s'apparente à une burqah des compétitions nautiques. Or elle n'est pas souhaitée. En haut lieu, au sommet de l'Etat, dans les instances dirigeantes, dans les sphères où décident les gros pardessus.
Aux dernières nouvelles, la burqah ne serait portée que par une poignée de femmes musulmanes, moins d'un millier sur le sol national. La combinaison de polyuréthane n'habille qu'une petite caste d'athlètes aquatiques, une aristocratie de champions des couloirs de piscine. En revanche, la cabine, où l'on bronze un corps allongé, attire une large population.
Avoir bonne mine en plein hiver relève du délice transgressif. C'est un avantage comparatif sur le voisin de palier ou le collègue de bureau. Le marché de la brune séduction expose à un éclairage trop brutal. Il surfe sur la vague d'un corps objet qui réclame un luxe d'attentions. Aux dires de la communauté savante, le fétichisme du corps cuivré réveille le démon du mal, le dieu malfaisant du cancer. Le ramdam autour de la burqah d'Afghanistan et le barouf autour de la combinaison nautique masquent un vrai scandale des problèmes de peau. Les entreprises de bronzage effréné créent une situation d'insécurité sanitaire. Il ne faut plus seulement souffrir pour être belle (ou beau) mais résolument risquer sa peau.
C'est pourquoi noircir du papier, rédiger un texte de loi pour mieux réglementer, voire interdire les échoppes de ces marchands de rêve, me semble de salubrité publique. La réflexion, même estivale, mérite une matière plus consistante que l'actuel débat sur les costumes de bain.

mardi 28 juillet 2009

Jamais le dimanche

Le corps lâche. A trop vouloir tirer sur la corde, elle rompt. L'activisme bafoue les valeurs de développement durable. La frénésie tourne le dos à l'éthique d'une croissance maîtrisée. Le président trottine sans se soucier outre mesure d'une santé qu'il abîme. Il en fait trop à l'instar d'une civilisation qui se fourvoie dans l'excès. Le culte de la quantité masque l'impasse sur la qualité. Au four et au moulin, le président s'expose au malaise de La Lanterne. Il érode son capital physique à l'image d'un pays endetté jusqu'au cou. Le petit accroc cardiaque le rappelle à la fragilité des hommes. Dieu lui-même s'est imposé la discipline du repos, au septième jour de la Création. Le président travaille le dimanche. Il court dans les sous-bois. Il défie la volonté divine. Il exhorte même la nation entière à lui emboîter le pas, à ne pas souffler le jour du Seigneur.
L'opposition politique a saisi le conseil constitutionnel pour qu'il statue sur la validité de pareille provocation. Elle craint que le malaise présidentiel ne touche les travailleurs dominicaux. L'imitation du prince peut faire des ravages dans le peuple. Elle est de nature à torpiller la productivité. A l'heure où l'épidémie de grippe A nécessite un vaste plan gouvernemental, il est inutile de favoriser la pathologie du surmenage.
Sainte Marthe est célébrée le 29 juillet. C'est une sainte incomprise, malmenée, contestée. Elle fait figure de contre-exemple. En effet, l'Evangile de Luc attire l'attention des lecteurs sur la contemplation fervente de Marie au détriment de l'agitation inquiète de Marthe. Il y est dit, qu'entre les deux soeurs de Béthanie, Marie a choisi la meilleure part.
Pour les esprits modernes, le rayonnement intérieur de Marie est vite considéré comme une paralysie de l'action. L'utilitarisme primaire l'associe volontiers au vice de la paresse et au fléau du parasitisme. Marie l'inactive vit aux crochets des autres. Elle est souverainement détachée des contingences matérielles. J'ai pourtant la faiblesse de penser que ce texte chrétien des origines s'applique au monde laïc d'aujourd'hui.

lundi 27 juillet 2009

Les bâtons dans les genoux

Le piéton n'a rien d'un fauve de cirque. C'est juste un animal de compagnie un peu peureux. C'est une machinerie de chair qui arpente la ville. C'est un bidule étrange qui marche. Le piéton s'expose à tous les coups: klaxon de chauffards à tout bout de champ, carlingues emballées propulsées sur son passage, pitons d'acier venimeux en bordure de trottoir.
La lutte contre le fléau de la bagnole totalitaire aboutit à de lourdes brimades pour la piétaille des petits matins de grisaille. Les trottoirs sont devenus des réduits minuscules, des passerelles lilliputiennes, piquetées de terrifiants plots de fonte. Manière forte - oui - pour nous dresser. On nous met des bâtons dans les genoux. Les dociles piétons sont expropriés des lieux officiels de marche. Au motif pervers d'interdire aux 4x4 de squatter les trottoirs. Les haies de plots phalliques sont des chiens de garde qui ne mordillent pas les chevilles. Le piéton peine à slalomer parmi ces dents de la terre. Empêché de circuler sur son mince ruban de bitume, le piéton est évacué de sa ligne. Il nage où il peut. Il trotte sur la voie maudite des bolides et des cycles, faute de meilleur accueil ailleurs. Au feu rouge, lorsque le petit singe vert s'allume, ses frères sapiens, de chair et d'os, sont terrorisés par les engins vrombissants des seigneurs motorisés. Les cyclistes s'en donnent aussi à coeur joie. Ils foncent dans le tas de chair piétonne. Ils répugnent à freiner comme ils rechignent à l'effort. Paris est un coupe-gorge, un coupe-jarret, un terrain de chasse où les piétons sont tirés comme des lapins. Paris n'a plus besoin de ces frêles silhouettes à la Giacometti. L'homme qui marche est un délinquant virtuel, un déviant qui s'ignore. A Los Angeles, l'homme sans voiture est coffré vite fait.
La ville est trop petite pour la laisser au libre accès du piéton. Il faut l'exclure de la cité, lui interdire de se promener, les bras ballants. L'été multiplie les touristes gêneurs. Ils empoisonnent la vie des camions de déménagement, des gros engins de chantier, des estafettes de livraison, des autobus brûleurs de feux rouges. Le pâle piéton n'est plus aux normes de la mégalopole. Il enquiquine le monde des machines. Il détraque la civilisation du moteur. Il faut sanctuariser le centre-ville, en faire une zone exclusivement motorisée.

jeudi 23 juillet 2009

La politique d'ouverture

Les socialistes redécouvrent les vertus du travail. Martine Aubry retrousse ses manches. Tout se passe comme si Nicolas Sarkozy imposait sa loi au parti socialiste. Désormais, l'astreinte au travail est érigée en dogme intangible. Le moment est plaisant pour sonner le tocsin du turbin.
A l'heure du farniente et des plages émollientes, la patronne du PS exhorte le siens à travailler d'arrache-pied. Il est loin le bon vieux temps des semaines écourtées et de la libération sociale des RTT. Rue de Solferino, la direction en a maintenant sa claque des 35 heures. Les ténors et les petites mains du parti sont prévenus: il faut rogner dare-dare sur les loisirs. Finies les réunions stériles et les bavardages venimeux. Voilà un parti, en pleine errance, qui se sublime par un appel historique au surcroît de travail. La politique d'ouverture du président de la République est en passe de réussir, sans doute au-delà de ses espérances.

mardi 21 juillet 2009

Les loups de Solferino

Tatie Martine en fait des tartines. A l'adresse du bouillant Valls, le fiston récalcitrant, elle brandit la menace de l'excommunication. Les éléphants du temps jadis se transforment en loups hurlant. Jack, Julien, Arnaud raillent à l'envi la cheftaine d'un parti de haines recuites. Du haut de son magistère, BHL tire en sniper sur l'ambulance. Chez les socialistes, l'ensemble se dilue dans les parties. Cette formation démocrate, amie des exclus et solidaire des précaires, se déchire entre frères ennemis. Derrière la vie publique et ses promesses de justice, se cachent les détestations de notables qui s'observent en chiens de faïences.
Valls, qui manque de notoriété, s'affiche comme l'une des stars de l'été. Martine Aubry, depuis l'enthousiasme fugitif des trente-cinq heures, semble avoir cent ans. Changer de nom ? Le centre s'y essaie périodiquement. Sans grand succès. L'emballage ne suffit pas à masquer les outrages de l'âge. Car le PS, mouvement d'intellectuels, recruteur de profs, pèche par manque d'idées générales. On comprendrait mieux qu'un parti de petits patrons poujadistes soit en froid avec les concepts. Or la rue de Solferino regorge d'universitaires, de gens très instruits, qui oublient de se lever tôt le matin pour rédiger un programme politique crédible. Cela fait près d'une décennie que cela dure. Une certaine arrogance intellectuelle vis-à-vis d'une droite "inculte" a gelé la pensée socialiste.
Au travail et au peuple ! Voilà le cap que les orphelins de Mitterrand doivent impérieusement viser. En période de grand chambardement idéologique, les chefs naturels se désigneront d'eux-mêmes, n'en déplaise à la stricte démocratie statutaire. Faute de quoi, les loups de Solferino s'entre-dévoreront encore longtemps, se délectant en charognards de viandes mortes peu ragoûtantes.

lundi 20 juillet 2009

L'armoire à fusils

J'ai touché les canons comme les longs museaux d'une meute. Chaque fusil était calé dans son entaille. J'ai soulevé, un à un, les armes de chasse, leur dur menton dans ma paume, comme soutenues hors de l'eau. Le seize superposé était son préféré, l'outil virtuose des coups de longueur. J'ai refermé l'armoire fidèle des fusils parallèles. Ils sommeillaient dans la poussière. Ils ne dormaient que d'un oeil, en transparence derrière la vitre.

Conquistador

Dans conquistador, il y a Contador. Nous sommes dans la grande tradition du Tour de France. La montagne ne ment pas, départage l'Espagnol du Luxembourgeois. La course revient aux fondamentaux d'antan. Gaul et Bahamontès sont aujourd'hui supplantés par Schleck et Contador. Andy les coeurs ! Le peloton a le bonjour d'Alberto. Dans la montée sur Verbier, Contador se débarrassa de l'ombre d'Amstrong, à sa première tentative, sans avoir à y revenir. L'homme en danseuse traça sa ligne d'espérance. Avec majesté, il se déhancha, appuya sans retenue sur les pédales, creusa l'écart mètre après mètre. Il se fraya un chemin parmi les hordes de badauds. Derrière, la débandade était socialiste. Les coureurs s'égrenaient sur l'asphalte comme les billes d'un chapelet. Nul besoin d'invoquer Jaurès. Il appartenait à chacun des camps de sauver sa peau. D'arriver en haut sans perdre son âme.

jeudi 16 juillet 2009

La lune

C'était hier, quarante années derrière. Ma grand-mère vivait ses dernières heures, nous faisait un petit signe de la main. Nous étions désoeuvrés, dans l'insouciance de l'été, face à la Méditerranée. Maman était remontée, par le premier avion, au chevet d'une mourante. Sur la terrasse de la villa, dans la tiédeur du soir, nous observions le ciel. La lune éclairait la mer. Les eaux luisaient d'arrière-pensées. On imaginait Armstrong enjamber le sol lunaire.
Vacances bourgeoises d'un temps de "trente glorieuses". La prospérité des coeurs s'accordait au diagnostic économique de Jean Fourastié. Maman n'était pas là. Aujourd'hui, c'est papa qui s'est absenté. La compagnie de la lune n'a pas comblé notre solitude. La technologie de l'espace a matérialisé le délire des poètes.
A l'époque, le Figaro Littéraire publiait les meilleures copies du Concours Général. Mon voisin de classe, Oriot, s'extasiait à son pupitre: "Il en faut des calculs pour aller sur la lune !". A seize ans, les carottes étaient cuites. Nos regards étaient dressés vers l'infini. Internet, en pareil instant, nous aurait paru d'avance obsolète.

Maillot morose

Tour d'ennui. On tourne en rond. L'histoire manque d'imagination. Le récit radote. On s'empoigne pour un maillot morose. L'audace est en roue libre. Au départ, on jette sur l'asphalte une poignée de volontaires, en éclaireurs du peloton. Ces braves garçons justifient le rituel des pointages.
Ils s'échinent à faire illusion. Ils sont avalés dans les faubourgs, à proximité de la banderole d'arrivée. Le gros des troupes retarde à l'envi le plaisir de la jonction. Le peloton est un gros chat mal réveillé qui se joue des petites souris échappées. La course ne s'anime que dans les derniers hectomètres. Les sprinters montrent le bout de leur nez, idéalement calés dans le sillage d'un gregario. Sauf erreur de logiciel, le classement de l'étape est un secret de Polichinelle: Premier Cavendish.

mercredi 15 juillet 2009

Le rejet du style

Nicolas Sarkozy est au four et au moulin, à l'Elysée et à Matignon, en Europe et en France. Il s'exprime sur tous les sujets. Il mobilise l'attention et capte les regards. Il est réactif à l'événement. Il ne s'embarrasse pas d'un corps de doctrine. Il s'est formé à l'école du self-service idéologique: un jour libéral, un autre étatiste, un jour mondialiste, un autre protectionniste. Il pioche sur les comptoirs au gré des circonstances. Son programme de campagne présidentielle a volé en éclats avec la crise. Le capitalisme lui a joué un vilain tour à tel point qu'il a envisagé, sans rire, de le refonder. On attend. La réforme est le coeur de métier de la factory Sarkozy. C'est un produit vendu comme des petits pains à l'opinion publique. Le président lance des chantiers tous azimuts, dans tous les sens, comme un joueur de loto achète une multiplicité de billets. "Pour gagner, il faut jouer", nous rappelle opportunément La Française des Jeux. Jouer à tire-larigot, réformer à tout bout de champ, maximisent les chances de succès. Sur le tas d'initiatives lancées, la statistique prête main-forte. Une ou deux grandes réformes et quelques réformettes d'appoint émergeront fatalement de ce vaste champ de communication un peu tonitruant. La règle du jeu est fixé par le chef de l'Etat: il sera jugé sur ses résultats.
Reste l'homme. "Le style, c'est l'homme" écrivait Buffon. Sarkozy laisse perplexe car le mot même de "style" lui est parfaitement étranger. Il est brouillon, approximatif. Son personnage est une caricature de dessin animé. Il bouge à plein d'images seconde. Il agite un corps de petite taille, sorte de mécanique qui s'emballe à la moindre contrariété. Ses postures de tribune rappellent les emportements saccadés du comédien Louis de Funès. Il peaufine sa communication mais néglige le style. Tout se passe comme si le style, la parure d'un gestuel ou d'une pensée, était de nature à stopper la frénésie de son activisme. A moins que ce ne soit l'inverse: le style se sauve tout de suite au voisinage de la gesticulation. Sarkozy est utilitariste: comme "La Princesse de Clèves", le style ne sert à rien qui ne soit productif dans l'immédiat. En ce sens, le président privilégie le court terme comme n'importe quel actionnaire d'entreprise financière. Il est sans doute lui-même ambitieux - beaucoup -, vaniteux - un peu -, opportuniste en diable. Il saisit toutes les balles de l'actualité au bond. Il aime avoir le dernier mot, pareil au jeune homme qui cherche à s'affirmer. Avoir le dernier mot, certainement. Mais avoir sa phrase, c'est une autre paire de manches. Avoir sa phrase, c'est posséder une écriture de soi qui se reconnaisse dans le moindre détail, une manière d'être inimitable. Avoir sa phrase, Nicolas Sarkozy semble s'en désintéresser royalement. Il s'en tamponne le coquillard. Sa vision du monde procède d'une démarche de camionneur. Le "rentre dedans" est la philosophie ultime du sarkozysme. Jouer des coudes, être sur la photo à côté d'Obama, s'écrier "casse-toi, pauvre con" sont autant d'illustrations d'une monumentale volonté qui écrase tout sur son passage. A commencer - et c'est dommage - par le grain de beauté du style.

Livre de chevet

Il est fini le temps où je hantais le rayon des bandes dessinées. Je gravitais autour des albums à mille coloris. Vers la fin, je recherchais les petits formats carrés des aventures de Tintin. Papa tenait bon le livre entre ses mains. Il s'agrippait au bastingage. La gueule ouverte de l'album le rassurait sur le cours des choses. La vie s'achève auprès d'un livre de chevet. Papa. J'entends ces deux syllabes redoublées comme un murmure.

mardi 7 juillet 2009

Grand emprunt

La France s'endette. L'Etat emprunte. Il ne sait pas très bien au juste pourquoi d'ailleurs. Nicolas l'a bien senti. Pour y voir plus clair, il a nommé deux vieux routiers de Matignon, Alain Juppé et Michel Rocard. Dans le secteur privé, on se casse la tête à trouver des clients, à faire rentrer de l'argent. En revanche, au niveau de l'Etat, on s'enquiquine à savoir le dépenser. Car l'Etat se donne toujours un budget. Reste à choisir dans quoi investir. Métier de chien ! Les migraines publiques font doucement sourire les créateurs de richesse, les entrepreneurs du privé.
Je me demande si on n'aurait pas dû procéder à l'envers. Lister les achats comme une ménagère. Sur un post-it jaune. Puis, ouvrir son porte-monnaie et compter les pièces. Au besoin, passer à la banque.
Non, la France est un grand pays. Un grand pays de grands desseins et de grands emprunts. C'est une donnée organique. Un grand emprunt situe le niveau de prestige de l'emprunteur. Quant à savoir comment employer les deniers prêtés, c'est un problème d'intendance, une question subalterne qu'il appartient à deux pré-retraités de la politique de régler.

lundi 6 juillet 2009

Qui tournera les pages ?

J'erre dans l'air tiède. Je longe une rue étroite, bordée des mêmes vélos. L'échoppe du libraire s'est reconvertie en auberge rapide. Je marche de mémoire. Un pied devant l'autre, je fais machine arrière. J'ai dans la tête beaucoup d'images du passé. Je me souviens des étagères de vieux ouvrages. Dans son imperméable mastic, Papa sourit. Il tourne les pages. Il a envie de lire, relire, relier. Il apprécie les illustrations. Aujourd'hui, l'obséquieux libraire a déguerpi. Je suis seul. Je suis le dernier rescapé d'un temps d'éternité. Je demande mon chemin. Qui tournera les pages ?