jeudi 29 octobre 2009

Flaubert

Il est des livres qu'on tient serrés, à portée de soi, qu'on agrippe avec la gravité des doigts. Le "Flaubert" de Pierre-Marc de Biasi se lit sans hâte, à cadence d'écrivain, avec ratures dans les yeux. C'est un fruit qui se goûte, ligne après ligne, en communion suave avec Gustave. On relit comme on récrit, pour mieux aimer. Ce bloc de papier à couverture pâle enchante la première vieillesse du jour. Flaubert émeut, du haut de sa grande gueule. Il est l'ami qui lève le coude à la santé des contes de fée, à la santé du travail fait.

mardi 27 octobre 2009

La langue de ma mère

Yves Calvi étrenne de nouvelles lunettes. "Mots croisés" réunit des personnalités politiques au parler vif sous l'oeil doctoral d'un philosophe qui ralentit son débit pour mieux articuler de solides truismes. Sus à la burqa qui interdit le face à face lévinassien, à visage découvert, droit dans les yeux de la République. Le ministre Besson veut que le peuple de France s'interroge sur l'identité nationale. Renan revient. Qu'est ce que le vouloir vivre ensemble ? Moscovici, comme tant d'autres avant lui, exhibe des papiers de bon immigré, sans terroir ni origine d'appellation contrôlée. Christine Boutin grogne. Le sondeur de service ne dit pas ce qu'on attend de lui. Il est catégorique: l'extrême droite ne progresse pas dans l'opinion. C'est quoi un Français ? Tour de table improbable. Le débat est lancé dans le pays. A grands coups de cymbales.
Voici ma version: je tiens mon existence de ma mère à qui je dois ma langue. Depuis, j'habite cette manière de parler et d'écrire. J'y suis chez moi. Je ne séjourne dans aucune autre contrée que la littérature française. Ailleurs, c'est l'étranger. "Que baragouins tout autour !" s'enfiévrait Céline. Pour le reste, les paysages d'ici et les gueules du coin sont de partout. Rien de bien français dans la Bretagne ou la Provence. On dirait l'Angleterre, on dirait l'Italie. Dernière chose: les politiciens de plateau s'arcboutent sur "la fierté d'être français". Absurde. On est fier ou pas, de sa conduite dans la vie. Pas d'être né du ventre de sa mère. Il est de salubrité publique de remettre "la fierté" à sa place.

vendredi 23 octobre 2009

Le président Jean

Les vieux tromblons de la politique lui susurrent à l'oreille qu'il a le temps d'être président. Le fils s'est donc sacrifié pour sauver la face du père. Désormais, au moindre hoquet de Jean, on réquisitionne Pujadas ou Ferrari, le JT d'une grande chaîne de télévision. Il est vrai que la famille Sarko se sent à l'aise sur les plateaux, peut-être un peu chez elle. Compte tenu de sa capacité à bien articuler de belles formules publicitaires, Jean ne restera pas longtemps sans fauteuil de président. Il y a bien un poste de président d'université qui devrait se libérer prochainement. Au nom de l'autonomie, Jean pourrait briguer pareil poste, tout à fait dans ses cordes. Le benjamin des Hauts de Seine jouit du talent et des parchemins nécessaires pour rafler le titre de "doyen de fac".

jeudi 22 octobre 2009

Le départ du papillon

Entre Concorde et Grand Palais, les galeries se dévoilent derrière de grands draps blêmes. La stridence des couleurs dissuade le regard. Le dessin grossier ou la référence photographique évacue un trop-plein d'expressivité. L'oeil glisse sur la toile cirée sans jamais pénétrer dans les entrailles d'une oeuvre. L'excès de visibilité tue la faculté de voir. Les yeux circulent sur la toile puisque il n'y a rien à voir. Pas moyen de trouer la surface.
Entre tignasses et obstruction des corps, l'inutile coudoie l'art fragile, côtoie l'art brutal. Lanskoy, frère de sang du grand Staël, a égaré deux toiles: un carré de couleurs sauvages, rouge de fièvre, peinture de peau scarifiée, annonciateur de Basquiat, un tableau pacifié de teintes entrelacées, bigarrures printanières à coloris Missoni, tourbillon préalable au "départ du papillon".
On retourne à la galerie Capazza. On ne dit mot au spectacle muet des sculptures de Jeanclos. C'est un art qui use de l'hypnose, qui révèle une sereine plénitude. Ces figures de terre natale ensorcellent comme un parfum d'essence orientale.

mardi 20 octobre 2009

Un mauvais rêve d'abeille

On ne sait pas très bien où on va. Certes, on met le cap sur les Régionales. Avant de foncer sur les Primaires et les Présidentielles. Autant d'escales indiscutables. Mais pour aller où ? On ignore vers quelle destination Nicolas Sarkozy nous achemine. De semaine en semaine, la répétition des discours pointillistes et des réformes ponctuelles brouille toute vision d'ensemble, installe une assez lassante monotonie politique. Le président ne réside nulle part, ne tient pas en place, s'active, s'échine, maigrit, durcit son regard. Il n'a toujours pas terminé son régime d'exercices, sa cure de "ruptures".
S'il ne manque pas de ressort, ce président est dénué de hauteur. Avec lui, on ne voit pas loin. Comme tout le monde, il a été percuté de plein fouet par la crise des subprimes. Au-delà du slogan implicite "Oui, je bosse", décliné à l'envi pour exhorter au travail les plus récalcitrants, le contenu du message présidentiel demeure mince. Le projet de faire de la France une ruche de labeur ne convainc pas d'instinct. Aucune volonté générale n'adhère à ce mauvais rêve d'abeille.
Nicolas Sarkozy appartient à la race des fins politiciens, dans la lignée de François Mitterrand. Son grand écart idéologique, de Martin Hirsch à Philippe de Villiers, son compagnonnage objectif avec Olivier Besancenot, rappellent les patientes manoeuvres du héros de Solutré. Il adore les gadgets, les ors et l'esbroufe, avec le même absolu mauvais goût que l'Auvergnat Giscard. Reste qu'il peine à se projeter au-delà de son ombre, au delà du "quarter" des comptes de résultat, réduisant son ambition politique à la gestion du très court terme. De Gaulle anticipait l'Histoire en reconnaissant la Chine, Pompidou réveillait l'ardeur industrielle du pays, Chirac regardait vers l'Est et le Sud, vers l'Asie et l'Afrique. Sarkozy semble pour l'instant se borner à de la gestuelle anecdotique. Il se fourvoie dans l'inessentiel, rétrécit l'horizon au localisme des Hauts de Seine.
Il est vrai qu'il n'est pas aidé. Aucune résistance nulle part. François Fillon fait tapisserie. L'opposition ne s'oppose qu'à elle-même. De temps en temps, le sémillant Copé risque une vacherie pour détendre l'atmosphère. Le vaniteux Bayrou se mire complaisamment dans la glace. Le théâtral Villepin passe des auditions au cours Simon.
Bref, le plafond politique est bas. Aucune lumière particulière n'est à attendre d'une Europe qui sourit dans le vide, d'un Barroso qui n'éblouit personne. On ne sait pas du tout où on va. A une certaine idée de la France, perdue après de Gaulle, s'ajoute une certaine idée de la fonction présidentielle, soldée sous Sarkozy.

La mort

La mort qui frappe en silence, de manière tacite, avec une précision muette, anéantit le miracle d'un visage, l'embrasement d'un sourire, la grâce d'un regard. Sur la pointe des pieds, elle cambriole les corps. Je ne dispose que d'un pâle outil de mélancolie pour retarder l'oubli. La mémoire recompose comme elle peut, ravive le feu d'une vie sous la forme atténuée du souvenir. Une image intérieure s'est fixée en arrière de la conscience, obligeant au recueillement, jusqu'à mon dernier souffle de vivant.

lundi 19 octobre 2009

Dimanche Douillet

Pas de viol, pas de guerre. Pas de commentaires de sociologue, ni d'exégèse de Kouchner. Pas de pendaison en prison, ni de suicide au travail. Journée sans stress. Journée sans pertes. Juste une petite grève ici ou là à se mettre sous la dent. Journée calme. Dimanche Douillet.

vendredi 16 octobre 2009

Villers l'hiver

On allait à Villers sur Mer, ces dimanches pluvieux d'hiver. On allait chercher nos oiseaux empaillés: bécasse, grive ou colvert. La route était grise, sauf le sourire de papa.
Je regarde la photo. Je vois papa sur le papier comme s'il était pareillement naturalisé. Je me résous mal à cette pensée d'Indien réducteur de têtes. A cette subordination forcée, au ricanement glacé de la reproduction morte.

jeudi 15 octobre 2009

Dans le blanc de la page

Quand je cherche un mot, une cadence, une sonorité de voyelles, je regarde dans le blanc de la page, je fixe le bleu de l'écran. Mes yeux vagabondent dans le vide. Je les retourne en moi-même comme une arme contre soi, en pleine tête. Les bouts de phrase sont des fragments de vertige. La danse des petits dessins hésite. Avant de s'agiter comme un beau diable.

Pas bon wagon

On quitte l'été comme un paradis. On chute dans la rigueur. On sait l'horizon borné par un front sans lumière. On cache son corps engoncé du regard de la misère. La nuit d'hiver pince la chair. On a été raflé, poussé dans un pas bon wagon. Les rêves sont trop loin. Pas moyen de sauter du train saisonnier.

mercredi 14 octobre 2009

Jean sans Peur

Il appartient à la génération iPod. Il brigue la présidence de l'EPAD. Il est le fils du premier magistrat de France. Il ne doute de rien, n'a pas froid aux yeux. Le jeune Sarko travaille plus - 12 heures par jour - pour gagner plus, rapporter gros. Mais ailleurs qu'à l'université où les années ne passent pas vite. Les caciques de la politique voient d'un mauvais oeil ce fier pistonné, tendance UMPère. Haro sur le blondinet ! Notre Jean sans Peur de Neuilly, duc des Hauts de Seine, a vocation à se faire assassiner. Dans notre doux royaume, les querelles d'héritage sont vieilles comme la Guerre de Cent Ans.

mardi 13 octobre 2009

Suicide au travail

On meurt de tout. De stress comme dans un centre d'appel, de chagrin comme Roland Barthes, de substances "médicamentueuses" comme les actuels dieux du stade. Frank Vandenbroucke n'a pas survécu au dopage ordinaire du sport de haut niveau. Le champion belge ne s'est pas réveillé du mauvais rêve de la gloire. Ce métier de chien exige des remèdes de cheval. La bagarre pour les places nécessite de doubler les cadences. A vélo, les hommes se suicident à petits feux. Forçat de la route est un travail trop dur. Les cimetières cyclistes ne se situent pas seulement dans les ravins des Alpes. La compétition extrême s'achève aussi dans la solitude d'une chambre d'hôtel sénégalaise. Les coureurs se pendent rarement, se jettent encore moins des ponts. Ils se tuent parfois au fusil de chasse comme Luis Ocana. Ils peuvent dériver sur l'asphalte dès les premiers lacets du Ventoux et périr dans un fossé comme Tom Simpson. Ils peuvent mourir dans un lit à Rimini, d'une mort qui n'est pas belle, comme Marco Pantani. Frank Vandenbroucke est tombé de vélo. Au prochain Tour de France, il y aura foule dans les cols pour applaudir les coureurs. Avec le temps, on observe que pareil enthousiasme est une sorte d'hallali, un lynchage collectif à retardement.

lundi 12 octobre 2009

Les mots du père

Fixer sur le papier les mots d'une vie d'homme, c'est sauver un idiome, préserver une langue de la mort de son locuteur. Devoir de mémoire des mots du père. Ecrire sous la dictée du regard d'une photo, d'un souvenir, d'un visage dans la tête. Retrouver la voix. Reconstituer le chant des phonèmes. Ré-entendre la parole, le commandement de l'homme d'un même sang.

vendredi 9 octobre 2009

Les remblais de sable

Chaque génération fait son temps. Les classes d'âge se succèdent dans la monotonie et le fracas de l'histoire. Une génération s'identifie par ses souvenirs de jeunesse. Elle se désigne par sa mémoire partagée. A l'heure fatale d'être doublée par la vague renaissante, elle s'agrippe à des remblais de sable. La génération 68 s'est habituée au confort intellectuel et à "l'extase matérielle" des années de prospérité. Elle ne lâche pas facilement le pouvoir convoité à l'âge d'homme, défendu mordicus en fin de course. Elle est encordée à la société de consommation. Elle convertit sa vieillesse en privilège. La génération qui suit n'a pas d'histoire. C'est notre Amérique, ardente et fervente.
La bleusaille est riche de sa virginité mémorielle et du jaillissement spirituel de ses neurones. Elle est intouchée par les préjugés du passé. Elle voit l'avenir comme une page blanche à noircir, un récit d'aventure à écrire. La jeune classe qui sonne aux portes ne demande qu'à exercer des talents qu'elle ignore. Bien sûr, elle se cogne la tête, elle se heurte au mur d'une culture obsolète. Nos galopins d'enfants vont leur chemin, forcent les verrous du vieux monde avaricieux. Bientôt, les vieux tromblons grisonnants seront rangés des voitures. On interrompra à temps les métiers bégayés des plus chevronnés.
Autrement dit, la guerre des générations n'a même pas lieu d'être. Les seniors, pâles seigneurs d'un domaine qui ne leur est plus réservé, sont à un moment donné complètement dépassés par les événements. Ils sont distancés dès les premiers lacets, quand la pente d'une nouvelle intelligence des choses se raidit inexorablement. La génération qui vient fait table rase de l'ancien sans même y songer. Jean-Christophe Averty, le malicieux réalisateur des mémorables "Raisins verts", aimait à observer: "Les enfants, ça pousse. Les enfants, ça pousse par derrière". En effet, l'actuelle génération arc-boutée au passé, bardée de vérités surannées et de théories chevrotantes, est destinée à tomber à l'eau. Depuis que le monde est monde, il appartient à la bleusaille d'en construire un meilleur, délivré du malheur.

jeudi 8 octobre 2009

Les deux Mitterrand

J'ignore si "La mauvaise vie" relève d'un genre littéraire intimiste, du registre des confessions ou de l'exercice autobiographique. En revanche, je me souviens qu'un oncle de la famille, qu'on appelait précisément "Tonton", plagiait allègrement Rimbaud en prétendant vouloir "changer la vie". Rien de moins.
Le patronyme Mitterrand oblige à un même questionnement de la vie. C'est un nom qui sent le soufre, qui fleure les secrets de province, qui flirte avec l'interdit, qu'on associe même passagèrement à Vichy. Les deux Mitterrand des médias revendiquent le moment d'égarement, le renoncement assumé aux bons sentiments. Chez l'un et l'autre, on observe un même plaisir très bourgeois à s'encanailler, une même dilection de fils de famille à casser les codes de convenance.
C'est cette volonté d'épater le bourgeois, de sortir de l'académisme de leur classe, qui semble les conduire à pareilles frasques morales. On sait que la rupture plaît en haut lieu. Sarkozy n'est pas insensible à ces gentillettes rébellions de salon.

mercredi 7 octobre 2009

Rouge d'Italie

Je me souviens du rouge d'Italie, des ocres éclatants sur la pierre des palais, du Christ défait, déglingué, dégingandé de Cimabue, du somptueux Pontormo chiesa Santa Felicita. Je me souviens du rose maniériste d'une madone florentine, de l'incendie du ciel de la chapelle Brancacci, du regard arrêté de Filippino Lippi.
Je me souviens du rouge d'Italie, d'un sublime Chianti classico "Bindi Sergardi", d'une huile Balzini qui enchantait le goût du pain. Je me souviens d'un pieux verre d'Americano. Il était gai comme un trait tiré, rieur comme l'éphémère saveur du bonheur, terrestre comme la figure d'un père.

vendredi 2 octobre 2009

Têtu comme un cumul

Les militants socialistes votent, fraudent, bourrent les urnes. Ils sont contents du résultat. Pas de recomptage des bulletins en vue, ni de commission de récolement pour arbitrer. Les primaires seront ouvertes et les mandats politiques contingentés. Pourtant les barons locaux n'aiment pas les courants d'air et la limitation des privilèges. Les socialistes d'en haut n'apprécient guère la libre opinion de la base. Les féodaux du parti vont ruer dans les brancards. Bref, il n'y a pas de raison qu'on en finisse avec les guéguerres intestines. Les faits sont têtus comme un cumul.

jeudi 1 octobre 2009

Le sang d'une joggeuse

On ne peut pas accepter sans broncher qu'un individu, reconnu comme dangereux, ne soit pas placé hors d'état de nuire à la société. L'acte de récidive traduit la défaillance du système judiciaire. La future victime est jetée en pâture, soumise au caprice démoniaque du criminel, hâtivement libéré. Elle est offerte en sacrifice au dieu de l'irresponsabilité. Cette jeune femme qui courait dans les bois a été condamnée à mourir. Ligotée à un arbre puis étranglée, sans autre forme de jugement. La justice a son sang sur la conscience comme le meurtrier a son ADN sur ses doigts.
C'est pourquoi la société agressée est en droit de pousser un cri de révolte. Car la récidive d'un ancien détenu témoigne non seulement de la faillite des institutions judiciaires, mais révèle aussi l'insécurité publique qu'elles favorisent. A vrai dire, le droit des victimes ne semble pas peser bien lourd. Cet infléchissement de la balance, au détriment des victimes, appelle la raison judiciaire à se ressaisir. Il convient que l'équilibre soit restauré, que l'arbitraire de l'horreur ne soit pas risqué au mépris de la vie des futures proies. Il est légitime que la société se protège. Il est confié à la justice le soin de dire le droit et de châtier les coupables. Or le sang de pareil crime fait déborder le vase de l'injustice.