vendredi 26 février 2010

L'art d'être montagnard

Les Pays-Bas se distinguent à Vancouver. Les Bataves sont partis vers les cimes, la tulipe au fusil. Cette nation sans relief, au territoire plat, s'illustre dans les montagnes canadiennes. Elle devance au palmarès la France des Alpes, des Pyrénées, des Vosges et du Jura. Les médaillés néerlandais ont rêvé de sommet. Sur le plancher des vaches, au niveau de la mer, au comble du paradoxe, ils ont appris l'art d'être montagnard. Au pays du Gouda, il n'est rien d'impossible.

mercredi 24 février 2010

Fer rouge

Les quatre saisons ont fait le job, le tour de l'année. L'anniversaire remémore la joie d'une naissance. Les autres sont des imposteurs.
La mort d'un père a gravé sa date dans ma chair. Au fer rouge. C'est un anniversaire de calendrier zélé, un jour sans guérissure. Il revient sans rien. Il creuse les mains vides. L'anniversaire faussaire tourne le couteau dans la terre.

mardi 23 février 2010

La passante

Lire un livre de philosophie, phrase après phrase, dans la continuité de son tissage, est un exercice de salubrité spirituelle, une expérience de plénitude intellectuelle.
Jean-Luc Marion interroge la notion de don, la catégorie des phénomènes saturés d'intuition, l'événement inaugural de la paternité, l'éblouissement d'un sillage, l'émerveillement d'un passage.
Il se situe loin des échanges et des revanches, hors des prisons de la raison certaine, hors du cercle des objets sûrs de la science. Il dévoile au contraire l'intense qualité, la souveraineté des révélations inexorables, des aubes irrévocables, la majesté des présences fatales.
"Certitudes négatives" est un ouvrage qui dilate l'être à la dimension du don, de l'abandon et du pardon. "La Passante" de Baudelaire figure l'indéchiffrable objet du livre.

lundi 22 février 2010

Ils jouent

Ils sautent au plus haut, dévalent la montagne, serpentent au milieu des sapins, rayent la glace de leurs patins. Ils jouent, canon contre la joue, trouent la cible de fête foraine.
Ils jouent dans la cour de Vancouver, sous un ciel bleu de grande récré. Ils jouent dans un monde sérieux où la terre tremble, la mer gronde et l'homme tombe. Ils jouent pour l'octroi d'une médaille, pour la gloire d'un sacre inutile. Ils jouent à la guerre comme des gosses ignorants des vraies gravités meurtrières. Ils jouent pour un bon point, un tableau d'honneur, les félicitations du jury et le palmarès de la cérémonie des prix.
Les Jeux sont une école buissonnière taillée dans la neige. Ils réinventent les rituels surannés d'une méritocratie théâtralisée. Nos speakers nationaux crient leur chauvinisme à pleins micros. Ils voient des bleus partout franchir la ligne blanche en vainqueur. Ils commentent à tue-tête leur délire tricolore.

mercredi 17 février 2010

CV non daté

Le gouvernement freine la cadence sur les retraites. On donne du temps "mitterrandien" au temps des réformes. On exhorte les entreprises à garder leurs vieux salariés, un peu comme on parque les étudiants à l'université, faute d'emplois à leur proposer sur le marché du travail.
Les vieux ne veulent pas dételer, hantés par la perspective de pensions trop chiches. On tanne les entreprises pour qu'elles les recyclent, les reconvertissent à une meilleure productivité.
Les vieux font leur âge. Jogging, pommade de jouvence, diététique: rien n'y fait. Même rajeunis de manière disciplinaire, les vieux ne se requinquent pas comme ça. Ils persistent dans leur déclin. L'entreprise les reconnaît au premier coup d'oeil sous leur déguisement. Pour bien faire, les cohortes de seniors devraient postuler pour le maintien de leurs activités sous curriculum vitae anonyme et non daté.

mardi 16 février 2010

Un genre de grossièreté

Jadis le cinéma était un art pratiqué par des poètes de la couleur et de l'espace. Bresson, Pialat étaient des peintres sincères, des tortionnaires de la forme, des visionnaires de la toile dont les rêves impressionnaient, trouaient l'image.
Ce temps de la beauté animée appartient à la poussière des archives entassées, au musée des bibelots aimés. J'ai vu "l'héroïque biopic" gribouillé sur Gainsbourg. Châtiment du dimanche d'un très long métrage. C'est le puéril croquis d'un tâcheron, d'un bûcheron de la bande mal dessinée. Aucune image n'est respectée dans sa dignité. Aucune image n'est soignée, veillée comme la princesse des songes, la déesse endormie des salles de fantaisie. Boris Vian est déguisé en gras notaire. Ce récit poisseux, ce film infantile, cet assommant pensum mixte bons sentiments, boniments, peinture en bâtiment.
Laetitia Casta sort de l'eau souillée, comme une reine de l'été. Elle ensoleille la pellicule, cicatrise l'ennui, sauve sa peau d'actrice. C'est une Bardot très charnelle, moins sauvage et enjouée, voluptueuse à souhait. C'est l'exacte figure de cuir perchée sur la Harley-Davidson d'André Pieyre de Mandiargues.
On se demande bien pourquoi la radieuse Laetitia s'est fourvoyée dans ce genre de grossièreté, n'a pas laissé le film en plan s'enlaidir tout seul.

lundi 15 février 2010

Métal hurlant

Il est des images qui instruisent avec l'évidence d'une révélation, qui rappellent la fragilité ténue de l'homme, qui exhibent le banal éclat de la mort. Sur un anneau de vitesse olympique, un jeune champion de luge a percuté de plein fouet un pylône en métal. Métal hurlant d'une scène obscène, en boucle, qui s'est jouée déjà tant de fois devant nos yeux. Le corps est projeté hors du véhicule dans sa lumière de cadavre, tombeau ouvert.
Dans ce vertige de toupie, on observe, de face, plein écran, l'homme giflé par la matière inerte. C'est un mannequin sans vie, une chose inanimée, réduite à rien, au même destin muet que le meurtrier pilier. La fulgurance de la séquence fait voir l'humble condition humaine, sentir son extrême précarité, toucher son exacte limite. La mort tue net, proprement, dans un bref mouvement, comme un enfant se distrait avec cruauté, sans perception du mal.
La télévision, en plan fixe, montre l'homme dans son indigente finitude de chair. C'est une image de soi, du froid cadavre jamais loin, qui agrippe le regard. C'est un choc de rétine devant l'expéditif travail de routine, travail de bourreau, travail exécuté d'une traite.

jeudi 11 février 2010

Songe de Saintonge

La neige revient comme Jospin. A contretemps. Juste après la clôture des soldes. Les gros chandails ont déserté les boutiques. Ils ont été chassés des devantures par les chemisettes d'été. Invendables comme le bouquin de Lionel. La neige noircit dès qu'elle touche terre. La grisaille du ciel déteint sur la bouillasse du sol.
Jospin va rentrer à l'île de Ré, satisfait du travail accompli, son frivole ouvrage en tête de gondole dans les pieuses librairies. Par contre, la neige n'a pas de toit où se terrer, nulle racine charentaise où se ressourcer, ni origine insulaire à réactiver. La neige ne disparaît pas comme un songe de Saintonge. Pas moyen de s'en débarrasser, comme l'Amédée d'Ionesco ou le sparadrap du capitaine Haddock.

mercredi 10 février 2010

La noyade de la Grèce

La Grèce boit la tasse. La contrée marine prend l'eau. L'Europe temporise. Elle tarde à faire valoir ses devoirs de secouriste, rechigne à exprimer sa minimale solidarité. Le corporatisme de continent n'est plus ce qu'il était. Il est vrai que ses fondements grecs ne la rajeunissent pas. La vieille Europe se ressemble un peu plus tous les jours. A la voir grimacer en pleine tempête, on découvre qu'elle fait bien son âge avec ses 3 000 ans d'histoire bien sonnés.
Malgré les blancs de sa mémoire, elle aurait pourtant mauvaise grâce à abandonner la Grèce. Car à quoi servirait-il de s'unir si, à la première grande crise venue, les pays qui plongent ne sont pas repêchés ? La noyade de la Grèce consacrerait alors la formidable crise d'identité de l'Europe.

mardi 9 février 2010

L'arracheur

L'arracheur ne s'est pas dérobé. Il s'est exécuté. Au signal de sa voix, j'ai ouvert la bouche. Je ne l'ai refermé qu'avec son consentement, préalable à son contentement. L'homme qui plonge sa main dans ma bouche est satisfait de ce qu'il fait. Il tient ma dent comme un trophée. Il endort ma vigilance, neutralise ma sensibilité pour mieux la réveiller d'humeur mauvaise, longtemps après, dans la solitude des douleurs élancées.
J'absorbe des petites billes pour exorciser les taquineries de chair. Je crois que je suis ensorcelé par l'homme fier. Je crois que je suis possédé par les démons, les mauvais sorts jetés par l'arracheur.

lundi 8 février 2010

Bourvil

André Bourvil est un acteur oublié, monstre sacré des dernières heures d'un monde rural où la besogne des champs sculptait alors des trognes hors du temps. De rares cinéastes - Melville, Mocky, Oury - l'ont apprécié à hauteur de son immense talent.
C'est un comédien, aussi terre à terre que lunaire, un grand benêt dégingandé au sourire sans espoir, un aimable plaisantin qui traque le tragique du quotidien. Il est bouleversant de tendresse, déchirant de gentillesse.
C'est une grande tête de la campagne un peu rougeaude, au vaste front dégarni, au même nez cassé que Georges Wilson, mêlant bon sens et coup de sang, dans un lent phrasé de paysan normand. C'est une silhouette qui penche, qui tangue par maladresse, qui doute par poésie.
Je revois pour l'énième fois "Le Corniaud" dimanche soir sur TF1. L'oeil bleu de Bourvil stoppe net les mimiques écarlates de Louis de Funès, hors norme lui aussi. A y regarder de près, Bourvil était bourré de chefs d'oeuvre dans les yeux. Il est mort, il y a quarante ans, sans avoir pu donner au cinéma toute la mesure de sa générosité.

vendredi 5 février 2010

Un pacte avec le diable

Les Etats, c'est-à-dire les citoyens, sont prisonniers des banques. Fauteurs de troubles économiques et sociaux, les établissements financiers ont imposé leur loi - la maximisation effrénée de leurs profits - à tous les gouvernements du monde capitaliste.
En réalité, la grosse crise des deux dernières années révèle le rapport de forces entre les Etats et le système bancaire qui régit les économies libérales. Les Etats démocratiques n'administrent les peuples que par le truchement d'une complicité bancaire sollicitée. Les autorités politiques doivent, par hypothèse et métier, satisfaire les attentes de l'opinion publique et répondre en premier lieu à l'exigence de prospérité. Faute de résultats probants en la matière, les électeurs sanctionnent les gouvernements en place. L'assentiment de l'opinion est corrélé à l'impératif d'un niveau de vie décent, à l'accès à la consommation des biens de première nécessité, aussi bien en termes de besoin, de désir et de lien social.
Or, depuis au moins deux décennies, le partage de la valeur entre capital et travail n'a cessé de s'infléchir au détriment des salariés.Un capitalisme dur de propriétaires a fragilisé les positions économiques du monde du travail. La paupérisation croissante et le déclassement social ont provoqué l'emballement du système de crédit, favorisé par les pouvoirs publics.
En effet, le fol endettement des ménages mesurait la volonté des Etats d'acheter la paix sociale auprès des banques. Au sens du Medef, le crédit illimité "a fluidifié les relations" entre l'Etat et ses pauvres administrés. C'est pourquoi les établissements financiers se sont octroyés la part du lion lors des dépenses publiques de relance, preuves tangibles de leur formidable pouvoir d'intimidation - la ruine des épargnants -, d'influence et de coercition sur les Etats. Aux gouvernements aux abois, ils dictent leurs conditions financières, à savoir la restauration au plus haut de leur niveau d'enrichissement.
Autrement dit, le pouvoir politique est désormais subordonné au bon vouloir des banques. Nous vivons une phase du capitalisme où la faiblesse de la demande, en termes de pouvoir d'achat, nécessite la démission des Etats, et partant de la souveraineté politique, au profit du seul système bancaire, pourvoyeur d'une sorte de fausse monnaie - qu'on appellera l'hyper crédit - et pacificateur de tensions sociales à court terme. Au prix d'une paupérisation différée qui est inscrite, noir sur blanc, dans les vertiges du surendettement.
D'une certaine manière, les banques jouent le rôle de Ford, au début du siècle dernier, qui cédait sur les salaires pour mieux vendre ses automobiles. Reste que l'engrenage infernal de la dette insolvable, cause de crise à l'échelle planétaire, a finalement empoisonné les économies au lieu de guérir les souffrances sociales.
La seule stratégie du gain immédiat a fait mentir la parole bancaire. Elle a exacerbé le délitement du corps social, aggravé la précarité, étendu le champ de la pauvreté. Dès lors, le pacte tacite conclu entre l'Etat et les banques a échoué sur toute la ligne. Il sera d'ailleurs évalué au regard des prochains scores électoraux. Car tout se passe comme si l'Etat avait perdu son âme - et le contact avec le peuple - en s'alliant avec le diable. On sait que le prince des ténèbres, le grand sachem des cupidités, est bien l'unique maître du monde. Bref, tout laisse à penser que le système bancaire coiffe aujourd'hui le pouvoir des Etats. Il les regarde de haut et les traite en valets.

Barbarie allemande

Cimetière juif saturé de deuils où les tombes parlent de "barbarie allemande", où la mort des hommes interroge la terreur panique des vivants. On chemine en silence, au seul son des souliers sur un sol couleur de craie, derrière le fourgon haut d'épaule, à carrure de refus.
La grisaille voile les regards, enveloppe la lumière d'hiver, dissuade la prière. C'est l'uniforme dont on revêt les morts. Les dalles de granit sont des coffres de banque. On y stocke les yeux de la tête et les squelettes. La vie qui fuit, qu'on enfouit, ne garde que le gris.
J'imagine des stèles à ton de paille, des catafalques orangés, des statuaires bariolés de rouges incendiaires, des tombes zébrés de terre de Sienne.
J'ai jeté une petite cuillerée de sable dans le trou noir où dorment les blonds cercueils.

jeudi 4 février 2010

La photo

Les photos des vivants me font peur. Les visages sur les images sont des têtes de mort, les corps sont des cadavres aux yeux ouverts. Les portraits à liseré sont des faire-part de décès. La photo saisit le vif, stoppe l'élan, neutralise l'être de sang, nettoie la trace du moi. L'arrêt sur image est une coupure de courant, une panne d'humanité.

mercredi 3 février 2010

La liste

Longtemps, la ménagère a joui du privilège exclusif de faire des listes. Elle griffonnait sur un bout de papier jaune les courses pour la maison. De peur d'oublier quelque chose en flânant dans les boutiques de victuailles.
A l'approche des Régionales, les partis politiques constituent pareillement des listes en prenant soin de ne froisser personne. Mission impossible. Dans son Poitou expérimental, Ségolène Royal a enrôlé sur sa liste les gens du Modem au grand dam d'anciens titulaires socialistes. Dans le midi languedocien, le shopping électoral nécessite la formation de deux listes, la locale et la nationale, la pure et l'impure. Du côté sarkozyste, les petits partis d'appoint ont squatté les bonnes places au détriment de l'UMP.
A vrai dire, on ne peut pas enfourner tout le monde dans une liste. D'où les risques d'inimitié et les dommages collatéraux du ressentiment. La formation des listes est une fabrique de traîtres en puissance. A la maison, les yaourts oubliés du post-it provoquent la grogne des enfants. Dans la cité, on se partage le gâteau et on se distribue les fromages. Les retoqués de la liste mangent la soupe à la grimace. Avant de sortir les poignards.

mardi 2 février 2010

Une justice de classe

L'idée de faire varier le curseur de la sanction pénale suivant la classe d'âge du délinquant instruit sur l'état d'esprit du ministre de l'intérieur. Brice Hortefeux préconise une mesure - aggraver la peine du justiciable à proportion de l'âge de la victime - qui s'inscrit dans l'étroite logique de segmentation de la société.
A cet égard, on peut d'ailleurs légitimement s'interroger sur l'influence détestable des publicitaires et stratèges en communication qui gravitent dans les allées du pouvoir. Leurs réflexes de métier déteignent sur les décisions politiques. En effet, tout se passe comme si les membres du gouvernement évaluaient le corps social en termes de cible visée. Or la République est indivise. La notion de citoyen n'est pas superposable au modèle du consommateur. Elle s'affranchit du statut réducteur d'opérateur économique ou d'agent socio-démographique.
Toute typologie, par tranche d'âge, nie d'emblée l'égalité républicaine destinée à transcender les mille et une particularités de la société. Toute justice de classe d'âge dérivera nécessairement vers l'arbitraire. Dès lors, il est temps que la politique se réapproprie une idée de la citoyenneté, débarrassée des oripeaux consuméristes qui dénaturent aujourd'hui son action.

lundi 1 février 2010

Serge

Le champagne touche à la brièveté de l'instant. Il se boit avec désespoir comme on s'abandonne à l'oubli. C'est le gai compagnon des dernières volontés. Je me souviens de Serge, petit loup des steppes, d'un oeil clair noyé parmi les étoiles d'un verre de Billecart-Salmon. Il aimait le rosé du Hyatt et le risotto du Conti. Il savait que la volupté est un plaisir canaille qui se prend par la taille. Qu'elle voisine avec les lumières éphémères de la terre dans un ultime panache de vanité.