mardi 30 mars 2010

Se coucher pour mourir

C'est un anniversaire sans fanfare qui ne jouit pas du prestige un peu niais du chiffre rond. C'est une date mal choisie, à deux doigts du commencement d'avril et des blagues obligatoires. On confondait son nom à sonorité de terroir avec celui d'un coureur cycliste rendu populaire par ses échecs. Poulidor ne gagna jamais la Grande Boucle. Il y a trente-six ans, Georges Pompidou succombait à ses souffrances, à son domicile, quai de Béthune.
A l'heure des constats effarés sur la désertification industrielle, il convient d'évoquer le juste projet pompidolien d'une France riche de ses usines, fabriques et manufactures. On reprocha au président moderniste son goût de la bagnole et sans doute aujourd'hui le blâmerait-on pour son addiction au tabac. On oublie qu'il créa, le premier, un ministère consacré à la protection de la nature et de l'environnement, et qu'il le confia au talentueux Robert Poujade.
Le successeur du général de Gaulle rénova l'économie d'un Etat jacobin soumis aux pesanteurs d'une longue tradition rurale. "Ce normalien qui savait écrire" géra les affaires du pays en homme de la terre, soucieux de rassembler son camp plutôt que de débaucher tel ou tel opportuniste de l'autre rive. Cet intellectuel, féru d'ambitions industrielles, régna au zénith des "Trente Glorieuses", proposa à la nation une poignée d'années de prospérité, calée entre Mai 68 et la crise pétrolière.
D'un septennat abrégé, on retiendra l'humanité érudite d'un président citant Eluard et l'intelligence de l'avenir d'un chef d'Etat, curieux du présent et des nouveaux talents. Chirac, Séguin, Balladur, Jobert - excusez du peu - se sont cordialement détestés au voisinage de cet amateur de peinture, fin connaisseur des arts, collectionneur de Nicolas de Staël.
Julien Gracq - dont on célèbre cette année le centenaire de la naissance - ne consentit à accepter les invitations élyséennes qu'au seul Georges Pompidou, son camarade de la rue d'Ulm. Ainsi, François Mitterrand, président fort pressant, bouquin de l'écrivain à la main sur les photos de presse, fut gentiment éconduit.
A vrai dire, Georges Pompidou exerça un rôle d'anti-héros, pacifiant la France après les grandes heures gaulliennnes. Il rédigea dans sa jeunesse une anthologie de la poésie française. Avant de mourir, il écrivit un livre assez énigmatique "Le noeud gordien", destiné à alerter les esprits sur les dangers du fanatisme et les périls des extrémismes, notamment de droite.
Son courage exemplaire des derniers mois cadrait avec cette parole forte d'un homme simple, rude au mal: "Dans ma famille, on ne se couche que pour mourir".

mercredi 17 mars 2010

Hiérarques réjouis

La gauche correcte, qui aspire à gouverner, s'est réunie autour d'une bonne table, des scores de scrutin plein la tête. La nuit blanche des tractations d'appareil a réveillé les larges sourires de contentement. Les partis frères ennemis, lassés des chamailles, se sont réconciliés au petit matin pour se distribuer les fauteuils. Cela faisait plaisir de voir le visage de Mme Aubry passer de l'ombrageux au radieux. Un air de fête égayait la marche en duo de M. Huchon et de Mme Duflot dans les rues de Paris.
Or ces mines satisfaites interrogent l'électeur. Le faiseur de roi, de potentat régional, qui glisse son bulletin dans l'urne, se demande à bon droit la raison d'un pareil ciel bleu. Car nul ne sait au juste sur quoi les projets des uns et des autres se sont accordés. Reste l'image de hiérarques réjouis, de futurs gagnants qui se frottent les mains, plein écran. L'électeur, d'ailleurs absent du scrutin à cinquante pour cent, semble exclu du festin. On se partage les postes d'abord. Puis, bouche cousue, on sourit devant les caméras.

Ceinture

L'Allemagne exporte, se porte comme un charme. Les Allemands se serrent la ceinture par crainte de la déconfiture. L'Allemagne s'appuie sur des syndicats forts et représentatifs. La France importe, additionne des pertes. Les Français de tous âges redoutent le chômage. La France est caractérisée par des syndicats faibles et peu représentatifs.
Dans notre fier et beau pays, on écarquille les yeux devant la situation allemande. On est sidéré que notre voisin d'outre-Rhin ait pu conduire une politique de déflation salariale sans dommages majeurs. A moins de stigmatiser l'impéritie de nos élites, on peine à comprendre pareille contre-performance.

lundi 15 mars 2010

Ferrat le Rouge

C'était une voix. Une voix de paix, de fermeté, d'éternité. Rien qu'une voix. C'est rien: une voix. Un souffle, un vent éphémère, une tache sonore, une hallucination de l'oreille. Ferrat, presque Ferré, mais avec un "a", voyelle inaugurale.
Je me souviens des années yéyé, d'un grand type émacié, à pardessus mastic qui actionnait un juke-box et s'écoutait chanter. Dans un bar tabac, dans un film de Godard. Quand Ferrat chantait, je pensais à la mer, au large, au ciel bleu, à la noblesse d'un idéal. Car Ferrat, c'est grand, affectueux comme des bras ouverts, comme les lèvres de Giacometti.
Ferrat témoigne par la consistance de son chant. Aragon, pas loin. Il prend la beauté par la taille. La rime de Ferrat nous émeut comme une ride au coin de l'oeil. C'est du chanté cousu. Une joliesse rugueuse du cri ouvragé, du poème ouvrier. Avec le ciel pour vaste confidence, Ferrat n'a pas bougé d'un iota. C'était un beau chanteur au timbre protecteur. Il avait cette vraie sympathie pour les mystères de la vie, une humanité rouge comme le sang. Rouge-gorge incendiaire, voix solaire des banlieues sans couleur.
Je me souviens du camarade de jeu, des joues en feu, du prince des prières simples. Ferrat, à la voix de majesté, à la voix écarquillée: "Camarade, entre cerise et grenade".

Un destin à la Giscard

Entre une droite qui rate et une gauche qui gâche, il y avait un boulevard pour l'abstention. C'est fait. Mission accomplie. Les Bartleby de l'abstention ont triomphé. Ils ont boudé les urnes, histoire d'administrer une leçon aux "professionnels de la profession". Les ténors de la politique ont crié, harangué, invectivé dans le désert des régions.
La droite caporalisée, aux électeurs démoralisés, s'est trompée de sujet. Les électeurs bien portants ont peur pour leur emploi, rognent sur leurs achats, craignent le déclassement. Les autres sont englués dans la précarité. On pense au mot de Lao-Tseu: "Quand les gros sont maigres, il y a longtemps que les maigres sont morts".
C'est pourquoi la gauche jouit de l'effet d'aubaine, surfe sur le retentissant fiasco de Sarkozy. Cela suffit à la faire virer largement en tête. Sans pour autant la requinquer au point de lui donner le souffle d'un projet ou l'élan d'un grand dessein. Reste que le rejet de Sarkozy a provoqué de facto un semblant d'union de la gauche. Les turbulents écolos se substituent aux communistes disciplinés. C'est une union mal cousue, un peu pagailleuse, assez attrape-tout pour recruter les phalanges en déroute du Modem et certains protestataires néo-communistes parmi les plus opportunistes.
A droite, on demeure arc-bouté sur les idées dépassées de la dernière campagne présidentielle. La débâcle régionale sonne l'heure des premières trahisons. Sarkozy est en train de calquer son destin sur celui de Giscard.

mardi 9 mars 2010

La bille numérotée

La démocratie, espace de liberté, génère sa propre dérision, produit le déni de sa respectabilité. La société du spectacle compte désormais les candidats aux élections parmi ses histrions. Ils distraient la cité comme les chevaux de course ou les billets de loterie.
L'actuelle idée des jeux de paris sur l'issue des urnes s'accomplit dans le droit fil de la dérive ludique de la vie politique. La tête de liste à large sourire est ravalée au rang de case à cocher ou de bille numérotée. Faute de pain à distribuer, la République s'approprie les jeux du cirque.Le décervelage citoyen est le stade ultime du rituel politique.

lundi 8 mars 2010

Ils sont passés au salon

Au salon de l'agriculture, on caresse des encolures. Au salon des promesses, on serre des mains d'ancêtres, on bise les joues de la jeunesse. A la fin des fins, le chef de l'Etat s'attable avec les hiérarques des syndicats. Il lève son verre à la santé des fermiers. C'est le dernier pour la route. La réunion de clôture est un ring de complaisance sous caméra de surveillance.
Sarkozy est un boxeur qui cogne dur. A coups sûrs. L'agriculteur encaisse, ne compte pas ses heures. Le président montre ses dents. Les hommes de syndicats mettent de l'eau dans leur vin. Ils rivalisent de civilité, jouent les utilités, frisent la servilité. La rébellion de l'agriculture se termine en queue de poisson, le doigt sur la couture du pantalon. Il y a longtemps que les chefs des grasses organisations sont passés au salon.

vendredi 5 mars 2010

Marxisme tendance Sarko

Avec ses petits bras, l'Etat retrousse ses manches. Le président Sarkozy court à la rescousse de l'industrie française. Libéral décomplexé un jour, colbertiste convaincu un autre jour, le premier magistrat de France réhabilite l'assistanat d'Etat. On s'imaginait à tort que l'âge planificateur du ministère de l'industrie était définitivement révolu.
Car la panne de croissance dope les accents dirigistes du discours politique. L'Etat a décidé de confisquer le thème des usines, réputées jadis polluantes, à contre-courant des lendemains qui chantent de l'économie immatérielle, à rebours des slogans incantatoires de la révolution numérique.
Question pour demeurer champion: Va-t-on subventionner l'industrie sur le décalque du modèle agricole ? A quand la fixation de prix administrés au sortir des usines ?
Dès le début de la crise économique, on a observé le retour fracassant de Keynes dans la conduite politique des nations libérales. Aujourd'hui, le président Sarkozy met les bouchées doubles. A son souhait de refonder le capitalisme, il ajoute un retour à l'étatisation rampante du secteur industriel. On connaissait le marxisme tendance Groucho. Voici venu le temps d'un drôle de marxisme tendance Sarko.

jeudi 4 mars 2010

Raymond ou comment s'en débarrasser

Le pays de la Belle de Cadix a joué à la passe à dix. L'Espagne a dansé le football sans un regard pour une France, laideron du ballon, qui valait peau de balle.
Sans les mains, notre équipe joue encore plus vilain. Les voleurs d'Irlande ont confirmé leur piètre valeur. Julien Gracq écrit dans ses carnets: "Entre le quelconque et l'excellent, la distance est stellaire".
Amédée Domenech fut un magistral pilier du Quinze de France. Notre Raymond du ballon rond, doctrinaire d'un jeu cadavérique, n'est à comparer qu'à l'Amédée d'Ionesco. La pièce s'intitule: "Amédée ou comment s'en débarrasser". La solidarité de patronyme voudrait que Raymond devance l'appel, qu'il déguerpisse au plus vite.

mardi 2 mars 2010

Centenaire Gracq

Les livres à pensées dispersées de Julien Gracq - une demi-douzaine - consentent à cette politesse de vous laisser errer parmi l'éventail des pages. On ouvre le volume au petit bonheur. La main sent le grain cartonné comme l'écho lointain d'une paume. L'auteur nous invite au libre désordre de la lecture, nous convie au délicieux vagabondage littéraire.
Chaque phrase est vêtue d'une parure absolue, d'un habit définitif. Elle est une oeuvre sculptée, en plein présent, sans avant ni lendemain. La phrase qui suit est un autre roman. Le livre entier est un chapelet égrené, phrase après phrase, où se récite l'artisanale prière.
On range les précieux opuscules par couleur d'arc-en-ciel. On saisit l'ouvrage par la tranche ocre, entre l'olive et l'azur. On touche du doigt la jolie facture de la maison Corti.

Perdrix

J'aime la simplicité romane de la perdrix grise.

lundi 1 mars 2010

Vie de province

Les campagnes électorales abusent de la rumeur, du mensonge et de l'invective. L'actuel exercice de style s'applique au gouvernement de la chose publique régionale. Les débats locaux, s'il y en a, privilégient les querelles minimalistes et les enjeux de peu.
La campagne suinte d'ennui. La vie de province est à périr d'ennui. La consultation de mars ressuscite le regard de mépris d'un Paris des lumières, cette vieille critique jacobine - qu'on croyait éculée - d'une monotonie persistante des campagnes. Il ne s'y passe rien. Une campagne à la campagne élève à la puissance l'étirement interminable du temps des régions. L'homme politique du cru est un régional d'étape qui gère sa clientèle comme un portefeuille de bonnes actions. La prime au sortant rémunère son capital de plate sympathie. Il ne s'y passe donc rien dans cette fichue campagne.
A l'exception d'un coup de gueule de potentat, ici ou là, de saillies haineuses, voire racistes, nettement trop fréquentes. Car l'expression libre des papabile de clocher se résume à un déluge de truismes, à de suspects raccourcis sous couvert de bon sens, à d'indigentes plaisanteries de garçon de bain. La démocratie a bon dos. Elle s'abstient d'intervenir dans les contenus. Elle veille seulement à la régularité du scrutin. A cette panne de l'intelligence s'ajoutent les rigueurs de l'hiver qui confortent la passivité naturelle du villageois.
"Madame Bovary" et sa Normandie pluvieuse, ses notables, ses adultères, sa "bêtise à front de taureau" dont Flaubert se délectait, ont franchi les siècles sans prendre beaucoup de rides.
Bref, la Région n'enthousiasme pas plus les foules que l'Europe. C'est un découpage d'administration qui reste pour beaucoup une énigme indéchiffrable. L'électeur s'emmêle dans les listes, perd son latin dans le mode de scrutin. On dirait l'Europe. Non pas la lointaine à Bruxelles, mais celle du voisinage avec ses querelles de bornage. Le duo Sarkozy/Besson s'est essouflé à fabriquer de toutes pièces un drôle de débat, bourré d'artifices et d'arrière-pensées sur l'identité nationale. Mais l'appartenance régionale ne va pas davantage de soi. A tous les échelons politiques, qu'ils soient local, national ou communautaire -, le flou identitaire prévaut. Le destin collectif régional se déploie dans une vie quotidienne dénuée de grand dessein. La panne de projet sécrétera à terme, au-delà du long enquiquinement des saisons, une posture réfractaire des électeurs, à la Bartleby, le héros de Melville. Après l'exode du siècle dernier, la désertion politique guette les campagnes.

Apocalypse

Les menaces nous encerclent. Du ciel et de la terre, nous viennent les périls. Une certaine fièvre tellurique, la colère bleue des océans et la folie furieuse des vents miment la démesure guerrière des hommes. Dans les Caraïbes, au Chili, en Vendée ou ailleurs, les bourrasques de la nature désolent les territoires, meurtrissent les populations, anéantissent leurs ouvrages.
Le savoir des hommes abdique devant le déchaînement des éléments. L'homme de la rue - souvent - évoque la fin des temps. L'homme d'université - parfois -, à l'instar de René Girard, procède à une relecture de l'Apocalypse de Saint Jean ("Achever Clausewitz", Carnets Nord, 2007), y vérifie les concordances avec la modernité.
Les soubresauts de notre petite Terre brouillent les repères de la raison. La complexité des phénomènes naturels brise le consensus scientifique. La raison se cogne à sa définition. La prière des rescapés d'Haïti est psalmodiée comme un réflexe de survie.
Jamais l'alliance de la raison et de la foi, soumise à la méditation de chacun, à l'initiative de Karol Wojtyla et de Josef Radzinger, n'est apparue aussi universelle, aussi proche des préoccupations des hommes de tous les continents, à quelque confession qu'ils appartiennent.