vendredi 30 avril 2010

Sainte Anne

On voit des fous, lents et muets, violents et langues déliées, nus et éperdus, prostrés sur un lit défait, en chiens de fusil. Ils quémandent une cigarette qu'on leur accorde sur leur bonne tête. Un ballet de blouses blanches tournoie autour des draps, neutralise l'errance d'une voix grondante, s'active à redresser l'erreur des corps.
L'aliéné et l'infirmier marchandent leur intégrité comme deux boutiquiers en tablier. Le fou s'apprivoise par le truchement du médicament. Il se révolte à mesure qu'on le domestique. Il saisit sa liberté, l'impose au silence létal de l'hôpital, joue son va-tout d'homme fou.
Ces corps de cristal sont des acteurs fulgurants, souverains de démesure, qui empoignent à pleine main leur condition. Ils relèguent les professionnels de la comédie dans leur petite cour de récréation. Ils sont incarcérés dans une hospitalité négociée à longueur de journée. La télévision les dévoile, avec l'obscénité de la pleine santé. Dans programme, il y a "âme". Arte a squatté les couloirs de Sainte Anne, parmi les ombres et les regards d'homme.

jeudi 29 avril 2010

Identité française ?

L'identité est passée à la trappe. On ne saura pas la fin du film. On ne saura pas, sacrénom, ce que c'est d'être français. On collectera seulement, ici et là, quelques bribes d'information.
Le Gaulois du temps présent, celui des lois sur la burqa, n'est pas polygame. Ils ont vérifié en haut lieu. Avec de pareilles données, on commençait bien le débat. La rhétorique de l'identité tournait rond. Mais M. Besson, le chef de mission, a baissé pavillon, censure l'opinion, n'organise plus de réunion de préfecture. On nous a volé un grand projet, chipé nos papiers d'identité enfin déchiffrés.

Menterie

Les hommes de pouvoir sont des menteurs. Gordon Brown injurie dans son for intérieur, micro ouvert, traite par dessus la jambe la brave électrice de son parti, amadouée par un sourire travailliste.
Les banquiers sont des menteurs, de fieffés dissimulateurs. Ils vivent sur un grand pied de leur mendicité dramatisée.
Les Grecs sont des menteurs. Ils ont maquillé leurs comptes, grimé leur profil de médaille.
Les volcans d'Islande sont des menteurs. Ils ont emmené en bateau tous les avions du Vieux Continent. Ils ont craché des sornettes dans la tête des chefs de bureau du ciel.
Freud est un menteur. Son biographe l'écrit sans peur, noir sur blanc. Bref, le marketing est l'école de la menterie ordinaire, l'institut de formation où se fabrique notre civilisation. Faute de grands songes à partager, l'actualité de ce temps se contente de petits mensonges.

mercredi 28 avril 2010

Silja line

Feu vert des grands manitous de l'air. Dans le ciel ouvert, les jets marchent comme sur des roulettes. Par l'oeilleton de l'avion, on suit les pointillés des territoires de la Baltique. Nuit noire à terre. Défile en auto l'écorce tigrée des bois de bouleaux.
Bleu de joie au réveil sur la joue du grand ciel. Viking le rouge est accosté face à Silja, gros bateau jumeau à bande azurée. Sonnerie du fils et clap de fête. Finie l'attente égarée, le tremblé d'un improbable récit. L'histoire commence au lieu précis des retrouvailles devant le plein soleil d'Helsinki.

vendredi 23 avril 2010

Visibilité

Visibilité. L'habileté de la visibilité. Occuper une certaine surface de spectacle, un volume médiatique. Notre bondissant président, sorte de "patte à ressort" de bande dessinée, ne se cache pas derrière son petit doigt. Il occupe à temps plein son carré de lumière, ses quarts d'heure cumulés de warholienne célébrité.
Il rabroue les petits malins qui pervertissent le code rituel du bain de foule et ses éclaboussures de main tendue. Or la visibilité rapetisse l'imagination, désenchante le rêve. Elle s'interdit la poésie de l'absence. Elle déboulonne même les statues. Depuis Hegel, relayé par de Gaulle, on sait qu'il n'est de grand homme pour son valet. Le retrait, la réserve, la pudeur, le manque sont des trucs de pouvoir auxquels Sarkozy dédaigne de consentir. Il vit sous la dépendance de la publicité, drogué de visibilité, adonné à l'obscénité de la scène.
Or Dieu lui-même, le roi des rois, s'exempte du monde. Il s'exclut du grand jour. Il tient sa gloire de son invisibilité. Il magnifie l'obscurité des pauvres. C'est une leçon de pouvoir.

Les yeux revolver

La femme à la burqa a des yeux revolver. Elle a enseveli son corps dans un drap funèbre. Elle est morte au regard d'autrui. Son voile est fendu d'une mince meurtrière, d'où ses deux yeux sentinelle guettent la lumière du soleil. Ce corps château-fort est retranché du monde des visages à découvert. Il est masqué dans la cité. Il nie le face à face de la reconnaissance, de la confiance, de la plus simple des relations humaines. Il se mure dans le murmure intérieur, dans un drapé privé. Il se rétracte dans une posture de contre-attaque.
La femme à la burqa s'exonère du premier geste éthique d'un visage exposé, d'une tête identifiée dans la faiblesse et l'humilité de sa nudité. Emmanuel Lévinas nous enseigne l'enjeu moral, la signification anthropologique de ce visage-là: "Tu ne tueras pas".
La femme à la burqa rompt ce pacte minimal des hommes entre eux, fragilise une société qui craint la violence comme la peste. Si la femme à la burqa consent à dévoiler l'ovale de son visage, elle renonce au soupçon de ses yeux revolver.

lundi 19 avril 2010

Eloge de l'auto

En ces temps d'écologie totalitaire et de tyrannie de la verdure, le coup de cendres d'un petit volcan d'Islande a suffi à requinquer le secteur fragilisé de l'automobile. La pollution du ciel a donné un coup de fouet à l'industrie du pot d'échappement. Nos avions sont désailés et nos rails entravés. Reste la bagnole et son sympathique panache de fumée. Les loueurs de voiture sont sur un petit nuage.
L'auto est une idée neuve, réhabilitée par les cheminots apathiques et l'éruption volcanique. L'automobiliste, dépouillé de ses oripeaux de chauffard et de prédateur, retrouve sa dignité d'homme libre.

vendredi 16 avril 2010

Vulcain l'Islandais

C'est un enfant qui joue qui décide du cours du monde. C'est un roi sans divertissement qui s'amuse avec des riens, qui agite quelques cendres. C'est un volcan d'Islande qui nous tire la langue. Il crache de la braise, jette ses raclures dans l'azur. Il vomit les restes enterrés de l'histoire de l'humanité. C'est un cracheur de feu, un personnage de La Strada, un énergumène de foire qui délie ses fers, un ancêtre éructant qui fait pleuvoir ses vieilles dents.
C'est Vulcain le terroriste qui exprime sa nature en mangeant sa progéniture. Il fiche la frousse à nos avions, ronge l'os de leurs carlingues. Ben Laden, l'invisible ennemi, ne serait-il qu'un volcan mal endormi qui se réveille à l'instant ?.
Vulcain l'Islandais a fait peur aux moteurs de l'avion de 7h40. J'ai imprimé mon billet électronique, place réservée 20 C. Les chefs de Roissy ont annulé le vol d'Helsinki de peur qu'il ne dégringole. Sur les images de tous écrans, on voit un gros champignon, aux relents atomiques, qui dérive sur la passive Europe. Vulcain l'Islandais sait dessiner des nuages à grosses joues. Il fait des moustaches sur le ciel des avions. C'est Vulcain l'Islandais, avec sa trogne des mauvais jours, qui commande la manoeuvre.

jeudi 15 avril 2010

Les bords du maire

Réhabiliter le vélo aux abords de l'eau, la "petite reine" le long de la Seine, la flânerie sur les berges de Paris. Substituer le piéton mobile à l'automobile. Attirer le passant et son coquillage cellulaire à l'oreille. Le laisser imaginer le bruit de la mer, l'autoriser à vagabonder dans des lieux bondés. Faire du fleuve une attraction marchande, un parc à thèmes à l'usage des bourgeois bohèmes. Le border d'une grande Promenade des Anglais avec des joggers à jugulaire, pleins de fils autour du cou.
Inventer le lien social fleuve. Le promeneur sera à demeure le long du golfe clair. Il actionnera sa machine à désennuyer, son petit portable rectangulaire, son bidule domestique qu'il sort tous les dimanches de la semaine. Cela fera du bien de se parler.

mercredi 14 avril 2010

Economique ou soigné ?

Les idées du parti socialiste sont traditionnellement taxées d'angélisme par la droite. Malgré ses stocks de professeurs en magasin, le parti de Jaurès serait toujours fâché avec l'économie.
Martine Aubry, impatiente de fabriquer un projet, a sorti de son chapeau un mot nouveau destiné à moderniser le lexique de la rue de Solferino: "Care", soin ou sollicitude en langue du pays.
Il est vrai que "la société du soin" est une formule simple, faute d'être claire, qui devrait plaire à l'opinion. Elle touche l'imaginaire collectif. En effet, tout célibataire s'est un jour ou l'autre résigné à franchir le seuil d'une blanchisserie. Il a posé son linge sur le comptoir. La dame du pressing l'a questionné droit dans les yeux: "Economique ou soigné ?".
Le parti socialiste souhaite tordre le cou à l'économique, vite fait, low cost et bas de gamme, au nom d'un nouveau monde à bâtir, luxueux, plus soigné, mieux repassé.

La vie moderne

Ils sont encore jeunes, jouissent d'une bonne situation. Ils ont travaillé dur pour se constituer au fil des années un petit pécule pour leur retraite. Lui, appartient déjà au monde des seniors. Dans deux ans, il aura 57 ans. Il lui faudra choisir: s'arrêter ou continuer, si son employeur ne lui signifie pas son congé. Et allez donc retrouver un job à cet âge canonique !
Stoppé net dans son élan, il lui faudra vivre pleinement une retraite anticipée, courir tous les matins dans les bois sans trop forcer l'été au soleil. Ou bien poursuivre sa tâche, s'acquitter d'honorables besognes, exercer un métier qu'il aime. C'est juste un calcul à faire sur le montant de sa pension future. Il faut qu'il y voie clair sur le nombre de ses trimestres.
Elle, perçoit des droits d'auteur. C'est une artiste à statut précaire. La retraite est une idée lointaine pour les authentiques créateurs. Lui, il s'est confié récemment sur CBS pour évoquer la vie avec elle. "Ils se serrent les coudes". Propos pudique d'un homme qui sait que beaucoup d'autres se serrent la ceinture. Les gens heureux font des jaloux, sécrètent les ragots, attisent les commérages. Lui bon prince, admet que "cela fait partie de la vie moderne".

lundi 12 avril 2010

Le rouleur sans peur

Ils sont fous ces cyclistes, ces cinglés du pavé qui bataillent dans le vent du Nord et la grimace des corps. Il était attendu au coin du bois après son attaque de la trouée d'Arrenberg, huit jours auparavant. Tout à coup, sur la route rectiligne, entre champs verts et ciel gris, l'homme rouge des pavés a fusé. Après l'étourdissante cavalcade du Tour des Flandres, Fabian Cancellara a récidivé comme un malfrat sur Paris-Roubaix.
Une heure durant, le dos courbé sur sa machine, le rouleur sans peur a maintenu à distance la meute des poursuivants. Pas question qu'on lui mordille les jarrets. A l'arrivée, écroulé de fatigue, le champion suisse n'a pas lâché le moindre mot au micro vagabond du speaker. Rien à dire, juste reprendre son souffle et ses esprits, s'en tenir aux premiers gestes. Le blond Helvète a ôté son casque de pistard et jeté un regard bref, noyé d'émotion, à l'indiscrète caméra.
On sentait que l'athlète seul mesurait la dimension de son propre courage. L'oeil de France 2 ne faisait pas de tri dans ses images, filmait dans la routine, peinait à se hisser au-delà du témoignage de rétine.

vendredi 9 avril 2010

La nuit du numérique

Nous sommes à la merci des écrans. Miniature ou géant. Musique sur ordinateur, jeux sur console, images sur téléviseur, écrits sur tablette. Le monde des origines se retranche derrière des écrans d'usine. La nature s'éloigne insensiblement de nous. Les choses de la géographie sont tenues à distance. Le réel est désormais parqué dans son ghetto analogique.
Car les écrans qui protègent du réel tel quel, de son bruit de fond sans signification, nous restituent un écho atténué: des visions et des sons. La nuit du numérique enveloppe l'univers, tombe sur le monde comme une frontière infranchissable.
Hollywood fabrique nos hallucinations. Le divertissement colorie nos écrans sans référent. La création du monde - sujet de notre ancienne contemplation - est supplantée par la récréation permanente, le chahut obligatoire de mille et une productions de substitution.
A l'aube d'un numérique à développement durable, la nature - polluée, humiliée, défigurée - est ignorée comme une vieillerie démodée, une survivance analogique. C'est le temps idolâtre des génies du lieu, le culte des apparitions instantanées, la célébration d'un rite polythéiste à la portée du premier clic.

jeudi 8 avril 2010

La rumeur

Les rôles sont distribués. Rachida Dati, au profil de chipie, est le cerveau du complot. L'ancienne garde des sceaux évente le secret, ébruite la rumeur. Faux. Archifaux. Les démentis pleuvent. Carla, la première dame du pays, vole au secours de Rachida, l'Européenne en plein spleen. " Elle reste tout à fait notre amie".
Biolay, un chanteur couvert de lauriers, porte plainte, à l'écart des micros. Une certaine presse fautive s'excuse auprès du prince, attribue l'erreur à un journaliste du dimanche. Charon, communicateur de profession, Herzog, pilier des prétoires, tempêtent, tonnent, fulminent contre une odieuse tentative de déstabilisation.
Rumeur pour rumeur, on dit même qu'une enquête policière aurait été diligentée. Mais l'actualité heureuse reprend ses droits. La seule et bonne nouvelle qui compte, c'est celle-ci: Il n'y a pas le moindre nuage entre Carla, Nicolas et Rachida. Il a fallu tout ce ramdam pour arriver à cette information qui réjouit les chaumières. La présumée candidate à la mairie de Paris figure parmi les amis - "tout à fait" - du couple élyséen. Rachida ne peut pas rêver de meilleurs gardes du corps.

L'ange gardien

L'acrobate du stade a déployé ses ailes, détourné la tête de Wendel, d'une claquette victorieuse de la paume. L'ange gardien des Rhodaniens a douché les espoirs des rouges Aquitains. Le ballon de Diarra fit frémir le poteau du grand Hugo. Le portier tricolore était battu. On songe à Gordon Banks, à Lev Yachine. On rêve d'une finale avec Lloris, seul sur sa ligne, face au diablotin argentin, au génie enfantin de Messi.

mardi 6 avril 2010

Pédophobe

Le mot "pédophile" désigne mal son objet. Il dit le contraire de ce qu'il prétend définir. L'opinion courante veut qu'il qualifie toute personne abusant sexuellement un enfant. Or il saute aux yeux qu'un tel individu n'aime pas les enfants. Il les méprise au point d'exploiter leur fragilité et de profiter de leur vulnérabilité.
C'est pourquoi il conviendrait de renoncer au terme de pédophile pour lui substituer celui de "pédophobe". Le violeur d'enfants maltraite ceux-là parmi les hommes qui ne parlent pas, au sens latin d'"infans". D'où ce lourd silence sur les crimes de l'enfance.

jeudi 1 avril 2010

SécUSA

Le président français s'est exprimé librement, presque vulgairement, devant un parterre d'étudiants américains. Il a usé de grosses ficelles. Il a raillé la tardive refonte du système de santé avalisé par Washington.
Dans le même sourire, un rien goguenard, sur le ton badin d'une indélicate plaisanterie, Nicolas Sarkozy, brouillé avec les chiffres, s'est prévalu d'un modèle français vieux de "cinquante ans". A ma connaissance, qui est celle de tous, la Sécurité Sociale date de 1945. A moins que l'actuel président s'imagine encore en 1995 et se prenne pour Jacques Chirac.