mardi 29 mai 2012

Muriel Cerf

Je dois à Muriel Cerf une émotion littéraire de longue durée. A vingt ans et des poussières, j'ai lu ce mince volume à couverture blanche et bleue, au nom d'auteur colorié de vert. C'était "Les rois et les voleurs", livre deuxième dans l'oeuvre de la romancière.
Sur les terres de la littérature, la jolie Muriel Cerf se sentait partout chez elle. "Comme les rois, les filles et les voleurs" dont Balzac évoque le même majestueux privilège dans "Splendeurs et misères des courtisanes".
J'ai regretté que la notice nécrologique du Monde ait tu l'existence de ce merveilleux petit livre au goût d'enfance.

lundi 28 mai 2012

Signé "Collectif"

L'auteur se noie dans le nombre. Les articles du Monde, dits de décryptage, sont fréquemment signés "Collectif". J'observe cette fâcheuse tendance à privilégier des textes de clameur solidaire au détriment de l'opinion d'une griffe solitaire.
Une prose à plusieurs plumes sent le tract ou la pétition. Elle se cantonne à l'expression d'un lobby organisé. J'y vois l'insensible dérive de l'écriture de presse.

dimanche 27 mai 2012

La regarder dormir

Je suis prisonnier de Proust. Pas moyen de m'échapper de sa phrase, de me défaire d'une lente habitude de plénitude. Je ne sais sortir d'un rare désir. Je grappille les lettres comme des miettes. Je traque le moindre recoin de bouquin. Je thésaurise le plus petit témoignage de plume de ses volumes disparates.
Je meurs d'envie de me remettre en selle avec Marcel. Je suis démangé de passion. Je tente à nouveau l'aventure. Relire La Recherche, "la regarder dormir", la laisser reposer dans ma peau, m'en désaltérer comme d'une majestueuse ivresse, m'en abreuver comme d'une liqueur de bonheur.

lundi 21 mai 2012

Le neuf

La mort sent le neuf dans ses lents corridors. Les sonneries griffent la paroi des songes. On s'aventure sur la piste des portes jaunes pompistes. Les bâtiments sont chiffrés, coloriés en vert pomme. La porte entrebâillée donne sur la nuit mauve. Les hommes sont les natures mortes d'un peintre anonyme. Grand nu couché de Nicolas de Staël.
La salle de bien jouxte la salle du mal. La fenêtre crible une cellule de mille coupures de lumière. Les gens du cru sont vêtus d'une blouse candide. Les autochtones besognent dans la blancheur de l'horreur ordinaire. On reconnaît "le Parisien" à ses habits criards, à sa dégaine vulgaire de touriste grégaire.

vendredi 18 mai 2012

Gaultier, pas du métier

Soixante-cinq ans, l'âge de Fabius et du Festival de Cannes. "Les professionnels de la profession" se ruent au gouvernement, se dispersent sur la Croisette, foulent un légendaire tapis rouge. Ils claquent des portières, gravissent des marches, bavardent sur les perrons.
Aurélie Filippetti est plus jolie que bien des starlettes dernier cri. Rayée des listes au conseil des ministres, la société civile s'est retranchée au jury du Festival. Jean Paul Gaultier, pas du métier, est un couturier amateur de toiles.

jeudi 17 mai 2012

Aubry et la fureur

Il y a peu, le leader du Front de gauche haranguait la foule avec la véhémence d'un roman de Faulkner: "Je suis le bruit et la fureur !".
Martine Aubry claque la porte. Elle se sent flouée. Pas de négociation possible "sur un ministère de je ne sais quoi". La maire de Lille ferraille de front avec Hollande. Sa présente colère ressuscite une critique majeure des primaires à l'endroit du président. Elle parlait alors sous le contrôle de sa grand-mère: "Quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup".
Bashung chantait "Martine boude". Martine voit des loups partout. Elle loupe sa fausse sortie de première secrétaire, rate sa fausse entrée au gouvernement. Tout faux.

lundi 14 mai 2012

Autour du mot

J'inspecte l'intrigante dernière phrase. J'en vois l'écho d'une confidence. Aveu lâché, soigneusement voulu, elle octroie sa douce libéralité, elle imagine une posture de fausse complicité. Je tourne autour du mot. J'emmêle ma chaîne avec une persistance de chien de ferme. Je questionne l'arrondi des lettres qui me contrarie. On dirait des joues rouges. Je crains la musique à l'arme automatique. Je lis, à perte de lumière, sans saisir un traître mot. Je n'en mène pas large outre mesure. L'énigme est scellée dans sa flagrante évidence.

vendredi 11 mai 2012

C'est long

Nous sommes de plain-pied dans l'horreur. Le malheur matraque sa réalité d'oeil crevé. Sentiment d'obscénité de la santé.
Les gisants des lits miment "Le Cri" des peintures enlaidies. Ils rampent sur leurs coudes, tordent leur bouche dans une même nuit sonore. L'épouvante des yeux gèle le temps, taillade l'instant flagrant.
Visage labouré, troué comme une terre paysanne. La main est lente à désigner la bosse du crâne. Elle mesure le mal au millimètre. "C'est long". Dans un murmure de pudeur, un homme compte les heures.

jeudi 10 mai 2012

Le goudron et les plumes

Bayrou, allo ? T'es où ? Il n'y a plus d'abonné à ce numéro. Le roi des chasseurs a failli se désigner pour l'ajuster à bout portant. Bayrou est tirable comme un lapin. Les socialistes encense l'homme pour mieux fustiger son amateurisme politique. La vanité du Béarnais a eu raison d'un centre éclaté en mille morceaux. En moins d'une décennie, François le Gaspi a dilapidé l'héritage giscardien de la vieille UDF. François le Champi s'est rêvé champion. Il se réveille aujourd'hui en charpies. La droite lui réserve un châtiment approprié, celui des traîtres des albums de Lucky Luke: le goudron et les plumes.

La messagère

La chamaillerie des clés dans l'étui précède le crissement de métal d'un casier à lettres. L'enveloppe est cerclée de noir. Je sais l'identité de l'expéditrice. Je suis saisi d'un doute, d'un pincement de déception. L'adresse est tracée d'une écriture distincte. Le travail d'usine poignarde la plus intime émotion.
Je lis la face imprimée, impersonnelle comme la menace du ciel. J'observe, derrière, un rectangle manuscrit. Je suis pauvre depuis l'aurore. J'ai mendié, il y a près d'un demi-siècle, les sept phrases embrouillées de l'improbable courrier. J'ai le doigt sur la bouche. J'interroge la poignée de mots jetés à l'aventure d'un frivole bristol de deuil.

mardi 8 mai 2012

Lauren Bacall

Mon épaule heurte le mur. Les hasards s'égarent dans les souvenirs. Je hisse un corps, marche après marche, vers sa demeure. Son pied teste le sol, mesure la température du péril, se rétracte au premier embarras. Mon coude frotte la paroi, perfore le verre de la photographie. La figure d'actrice choie dans l'escalier. Lauren Bacall chute de haut. S'étiole un monde de visages pâles.
Librairie Delamain, sans Chardonne ni cognac. Palais Royal, Lauren Bacall. J'ouvre un gros volume de mémoires. Je tends la page blanche comme une joue. Elle trace son nom et mon prénom à l'encre noire. Je me souviens d'hier et même d'avant hier. Je n'ai pas vingt ans, déjà poussière. L'équilibre du corps n'additionne que des peurs. Je fends la brume anglaise, je longe à Londres le malaise de ses docks, je me rue la nuit vers la cinémathèque, je m'assieds dans le noir, je regarde Bacall.

lundi 7 mai 2012

Respect

La province rit. Tulle est aux anges. Tutoie les étoiles. Hollande se fiche du centre. Il n'engrange que ses voix. Il a choisi la périphérie. Il ne quitte plus son stylo plume. Il biffe un adjectif, déplace une virgule, rature une phrase obscure. Hollande écrit sa première page de président. La Corrèze est abonnée aux destinées élyséennes.
Sarkozy soigne sa sortie. Il réagit au quart de tour. Il n'est pas si triste. Il échoue de peu. Le lutteur invétéré confesse qu'il a fait de son mieux. On le sent presque libéré. Il n'est pas écrabouillé.
La victoire manque de gaieté, peut-être de netteté. L'insuccès est absorbé d'un trait, sans gros chagrin particulier. Les couteaux s'aiguisent en coulisse. Loin des excès de liesse, la langue de bois emprunte ses règles à la politesse. On s'échange le mot "respect". Bref, on fait provisoirement la paix.

La brièveté d'un sourire

J'achève une merveilleuse aventure de lecture. Je me suis égaré dans une oeuvre somptueuse, perdu de vue dans une lumière oblique, retrouvé dans ses lignes venimeuses.
Je suis orphelin d'une magie. Le temps s'est arrêté au terme du septième volume. C'est le privilège, le sortilège d'une plume. A mesure que la phrase de Proust s'établissait en moi, je cédais prise, j'abandonnais son indécise identité. Les heures se relayaient au chevet du bonheur. Proust borde les draps de son oeuvre blanche. La Recherche est une mer d'huile, hachurée de soleils, agrémentée de striures canailles. C'est le bienfait d'une sainte nature, l'évidence des fées dans la littérature.
Je referme le capot des mots. J'immobilise la machinerie des sensations. Je laisse aller la nostalgie d'avoir fini. J'ai le sentiment qu'il m'appartient de préserver l'éblouissement du temps présent, la succulence de l'expérience.
Il était une fois le serment de ne pas relire, de ne pas récrire sur la mémoire, de ne pas toucher à la brièveté d'un sourire.  

jeudi 3 mai 2012

Moi je

Ils gravissent le dernier col, hors catégorie. Le temps des gregarios est clos. Pas d'équipiers pour les relayer. C'est l'heure du mano a mano. Les deux champions grimpent de front sur la chaussée. Hollande est calé sur sa bécane. Il monte au train. Sarkozy est courbé sur sa machine. Il progresse en danseuse. Deux styles de hargne: un rouleur coriace, un grimpeur opiniâtre. Les deux hommes s'invectivent jusqu'au sommet.
L'hostilité prévaut sur le plateau. Tout au long du pugilat, le "moi je" règne sans partage. Le peuple observe ses princes. La démocratie fait provisoirement tapisserie. Les deux candidats surenchérissent sur le volontarisme. On reste coi devant pareille hypertrophie du moi. Les deux matamores exorcisent une même peur. La première personne du singulier est une incantation guerrière. Elle théâtralise la posture de dur. A vouloir remuer ciel et terre, à vouloir trop prouver sa virilité, elle signale une vraie fragilité.

mardi 1 mai 2012

Si, Raimu

Montagne. Au-dessus, il n'y a rien, pas trace de vaurien. Le vide. Si, Raimu. Court pas les rues, Raimu. Il tue le match des émotions. Le puisatier de Pagnol s'assied sur l'image de cinéma, pose son canotier, impose une démarche chaloupée.
Amoretti parle la langue des rocailles. Elle se déploie sans loi, dans la majesté de l'été. La voix d'Amoretti cogne, gronde comme le monde, s'égrène comme un chapelet de vivante humanité.
Orson Welles: "Je veux voir Monsieur Raimu !". Il n'y en a qu'un s'époumone l'Américain. Raimu est mort sans qu'Hollywood ne le sache encore. Trop tard pour la fabrique à stars. Raimu joue la comédie hors catégorie. Il est flagrant jusqu'à la fin des temps.