mardi 30 octobre 2012

Le rapport gaulois

C'est un rapport qui prend l'eau comme un navire marseillais. L'encre suinte de ses pages. Nul ne songe à colmater ses fuites.
En haut lieu, on pratique le désaveu. Il n'appartient pas à Gallois de faire la loi. Le pouvoir, son commanditaire, contribue au battage publicitaire.
Bref, le rapport gaulois suscite les querelles de chapelle. Il attise les batailles intestines. On guerroie sur le mot compétitivité de manière indisciplinée. Hollande peine à apaiser le chahut comme Vercingétorix jadis ses tribus.
Hors de Gaule, on ne sait pas lire les traités de compétitivité. On déferle sur les marchés.

lundi 29 octobre 2012

L'injuste "prix"

L'intolérance progresse avec la vieillesse. Je râle après l'éditorial du Monde. Mes yeux sont fixés sur la première page. Je pince le papier journal pour apaiser ma fureur.
Le texte évoque le groupe de rock Pussy Riot. Il relate ces propos de Vladimir Poutine, entachés de vandalisme orthographique: "Il est normal que le tribunal ait prix une telle décision...". Inutile de préciser que j'ai pris ce "prix" en pleine figure.
Je souffre peu ces fautes de malappris. A mon âge, je pardonne moins. L'injuste "prix" exerce une forme de violence. Je vieillis, blessé par l'écrit.

vendredi 26 octobre 2012

L'Evangile et le vélo

"Les premiers seront les derniers". La sainte écriture se fiche des hiérarchies, s'exprime sans fioritures. La parole d'Evangile devient communiqué des chefs cyclistes. Les premiers sont nécessairement "dopés". Il faut les rétrograder. L'injonction christique secoue le peloton, critique la bonne opinion.
Haro sur les héros du vélo. Ils introduisent le muscle "sale" dans le circuit des valeurs olympiques.
Le déclassement sanctionne les manquements au règlement. Il brouille l'entendement. "Les premiers seront les derniers". On rabaisse le caquet des trop bien coiffés, on requinque le moral des délaissés.
On se débarrasse des vedettes comme de vieilles chaussettes. Armstrong est expédié aux oubliettes. Car il s'est drogué de rivalité, goinfré de cupidité, empiffré de cachets absorbés en cachette. Les meilleurs sont rayés des palmarès. On se rit des tricheries par une nouvelle loterie: "Les derniers seront les premiers".

jeudi 25 octobre 2012

Amérique

Obama ressemble à Julien Clerc. Il jongle avec les mots et les micros. Il est policé, métissé, racé. Il est l'image rêvée d'une société.
Romney colle à l'Amérique étriquée. Il ravale l'intelligence au niveau du bon sens. Il trimbale ses valeurs provinciales dans une carrure conforme de banal cowboy.
Obama agace par excès de dignité. Romney plaît par défaut d'intellectualité. Au pays de l'extrême pauvreté, Romney débusque Obama de sa posture de "sainteté", de Nobel de la paix. La bataille d'isoloir se joue dans un mouchoir.

mercredi 24 octobre 2012

La rumeur des corps

La gymnaste marmonne ses ordres. Les élèves rampent sur des tapis de caoutchouc. Les corps obéissent avec gaucherie. On se roule, s'étire et se courbe. On asticote son squelette.
La sueur est aérée de l'extérieur. Elle suggère la communion musculaire. La béance des vitres témoigne du fracas de la ville.
On cale son séant, on déploie son buste, on fixe ses pieds. On épie l'autre, faute de bien saisir la teneur du clairon d'adjudant. Une musique sans âge se superpose à la rumeur des corps.
On lace ses souliers. Le parquet crisse. C'est fini. On sourit comme si on avait joui de la vie.

mardi 23 octobre 2012

Rejet des temps abrégés

Le travailleur du tertiaire numérique accomplit des besognes d'urgentiste. Il est posté, aux aguets, sur le qui-vive, telle une sentinelle de l'immédiateté, exercée à la seule réactivité.
Urgentiste. Pugiliste aussi. Car il boxe en contre, répond aux attaques, riposte du tac au tac, expédie des clics comme des uppercuts.
Le temps de la quotidienneté est pulvérisé comme des confettis de brièveté. Il est secoué de clics, au fil des cadences tactiles. Le travailleur travaille ailleurs. Il est embastillé dans un virtuel totalitaire. Il est soumis à la dictature du court terme. A la tyrannie de la brévissime échéance.
Le temps s'est rétréci après lavage de cerveau. A l'usine, au bureau, à domicile. Les travaux impatients ont modifié sa libre fantaisie.
A l'échelle d'une grande entreprise, l'unité de temps se nomme le "quarter". Dans les sphères d'argent, on se bat pour une pièce jaune. Le futur se résume au trimestre. Pas de visibilité au-delà. L'avenir est économe de son temps. Le cycle des quarters sans horizon se calque sur la ronde infernale des saisons. Le quarter impose sa terreur ordinaire.
En politique, le temps de la souveraineté a rapetissé de deux années. La frénésie du petit quinquennat nuit à la fixation d'un cap noble et solennel. Elle excite les candidats plus qu'elle ne fortifie l'esprit des lois.
L'actualité prime sur le temps éloigné. Elle obéit à l'immédiateté des médias. Elle sacrifie au rite de passage de "la petite phrase".
La réflexion dérive en réflexe, en action sous pression. La pensée courte est fille des temps abrégés. Or aujourd'hui, la société exprime un même rejet à leur endroit. "A long terme, on sera tous morts". On se souvient un peu trop de la facétieuse boutade de Keynes. Car à court terme, on ne se sent déjà pas très bien.

lundi 22 octobre 2012

Borloo, Plic et Ploc

La nouvelle chapelle de Borloo ressemble comme deux gouttes d'eau à la défunte Udf. C'était une machine de guerre giscardienne destinée à dépoussiérer la vieille droite gaullienne.
Giscard, c'était Plic. Chirac, c'était Ploc. Deux grands échalas sortis de l'Ena. Mitterrand, homme de gauche au passé très droitier, exploita la fratricide division au point de régner quatorze ans, record imbattable de l'actuelle république.
Borloo a décidé d'être le nouveau Ploc car Bayrou, Ploc en toc, a fait plouf. Sarkozy est l'héritier naturel de Plic. Mais deux challengers, Copé et Fillon, lui contestent sa couronne. Cette crise de légitimité à droite rappelle les velléités présidentielles de Barre au grand dam d'un Giscard ulcéré.

vendredi 19 octobre 2012

Canards boîteux

Jouyet est un banquier, un vrai. Qui ne prête qu'aux riches. Sans barguigner. Pas aux pauvres diables, rebaptisés "canards boîteux".  Jamais de la vie. Inutile de le tanner avec Florange.
Pas diplomate pour un sou, le banquier Jouyet. Pas très "diable boîteux", pas très Talleyrand, l'ami de coeur de Hollande.
Déjà que "redressement productif" était une appellation pas très contrôlée, voici désormais Montebourg affublé du titre enviable, moins technocratique, de "ministre des canards boîteux".

Un sanglot de cirque

Les feuilles collent aux semelles. La nuit bleuit le Grand Palais. Les baraquements d'une foire longent l'allée Marcel Proust. Dans ces halls éphémères, les toiles pétillent comme des lucioles.
Une foule se presse, s'entasse, se glisse dans un tunnel d'alvéoles. On se heurte à des dos, des sacoches ou des regards frontaux.
A droite, l'éclaboussure jaune d'un Lanskoy mouille l'oeil d'une jaillissante lumière. A gauche, les luxueuses "larmes d'un clown" composent d'élégantes douleurs enrubannées de couleurs. L'un vendu, l'autre pas. On s'égare dans les songes.
Un fragment de rouge, une lèvre de braise, l'esquisse d'une frayeur, l'amorce d'un petit jour, l'ébauche d'un sanglot de cirque, trouent les grands aplats noirs. La clarté s'échappe du corps enténébré.

jeudi 18 octobre 2012

L'art de geindre

On règle sa vie en mode plaintif. Doigt sur la touche. C'est la vibration privilégiée d'une petite civilisation chamailleuse. On ne se regarde dans la glace qu'avec les yeux du contentieux.
S'enseigne l'art de geindre. On crie sa plainte par écrit. On récrimine, on enquiquine. Jérémiades dont on se fiche comme de son premier i-pad.
A défaut de franchement sourire, on s'exerce à gémir. Lancinante sonnerie, sirène de midi, aux mêmes horaires d'usine. La plainte intervient dans un désert de joies défuntes. Pour un oui ou pour un non.
"On ne se laissera pas marcher sur les pieds !"confesse un cul-de-jatte.

mercredi 17 octobre 2012

Le hasard et la nécessité

"Je ne suis pas Premier ministre par hasard". La confession d'Ayrault s'adresse à la nation. On n'est pas propulsé sur le perron de Matignon, au petit bonheur la chance. On n'est pas chef de la dette, à l'aveuglette. On n'est pas aux ordres de l'Elysée, sur un coup de dés.
Par "ministre", on entend "serviteur". Humble serviteur. Le suffixe "mini" rabaisse le caquet du mot. On n'est pas le premier des humbles serviteurs de l'Etat, par étourderie. On n'est pas le premier des fidèles partisans du président, par enchantement.
Sa loyauté l'a distingué d'Aubry, Fabius, Montebourg et autres Valls. D'où Ayrault, sorti premier du chapeau. Par nécessité. Au diable, le hasard !

Roja et triple A

Le style de la Roja n'a pas bougé d'un iota. L'Espagne ressasse son jeu de passes. La France se dépense dans le vide. On commence par le début: panique et but.
Lloris, parallèle à sa ligne, boxe la balle de Fabregas. On est sauvé par le portier. La prouesse de Lloris galvanise la petite bande française.
Deschamps trépigne, tape du poing, multiplie les coups de sang. Coaching de dingue. Iniesta sort. La hargne se mesure en coups de tête. Giroud troue les filets de Casillas. Le football d'Espagne perd son triple A. Egalité imparfaite des deux économies.

mardi 16 octobre 2012

Le malentendu d'un Nobel

Lauréate du prix Nobel de la paix, l'Europe est plébiscitée pour les vertus de son modèle. Le comité suédois dément le disgracieux avertissement de Donald Rumsfeld. Le Vieux Continent n'a pas fait son temps, son exemplarité mérite lauriers.
Je crains que pareille récompense ne soit le fruit d'un malentendu, d'une erreur de discernement. L'Europe a certes éradiqué la guerre de ses territoires. Au culte des patries s'est substituée la religion de l'économie. Les querelles de marchés ont remplacé les théâtres d'hostilités. On a cessé de se chamailler aux frontières. La paix en Europe est vécue comme une idée neuve.
Or cette bienheureuse concorde entre nations n'est pas réservée à notre seule communauté. En la matière, l'Europe n'est pionnière en rien. Les Amériques, septentrionale, centrale ou méridionale, ne guerroient plus entre elles depuis belle lurette. Les grands ensembles asiatiques - Chine, Inde, Japon - s'interdisent conflits et canonnades. A contrario, l'effervescente Afrique, et surtout le bouillant Moyen-Orient, souffrent de fragilités guerrières.
Les sages nordiques ont couronné l'Europe pour l'ensemble d'une oeuvre qu'ils n'ont lue qu'entre les lignes. Ils valorisent à l'excès son statut de bon élève de la paix.
L'Europe du traité de Rome ne trouve pas son identité dans le marbre d'une paix perpétuelle, mais dans la figure glacée du marché. Le libre-échange a créé l'Europe du dernier demi-siècle. Il a enrichi ses pays. Il a favorisé des décennies de prospérité comme nulle part ailleurs au monde.
L'ère des facilités matérielles s'achève. L'Europe non-guerrière s'est dégradée dangereusement en zone dépensière. La crise de la dette la touche en pleine tête. Un prurit de sécession, des démangeaisons de partitions se font jour en Belgique, en Espagne, au Royaume-Uni, voire en Italie. Les régions les plus fortunées se désolidarisent des contrées arriérées. Les égoïsmes prévalent sur les bons sentiments.
Or ces vastes mouvements d'autonomie ne s'observent pas qu'à l'échelle nationale. L'actuel cavalier seul de l'Allemagne, au niveau communautaire, appartient au même courant protestataire.

lundi 15 octobre 2012

Les pourquoiteurs

Ayrault le vertueux chapitre Peillon l'audacieux. Il gourmande un ministre qui préconise la dépénalisation du cannabis. Le chef du gouvernement précise qu'un détenteur de maroquin "n'est pas un commentateur". Point. Fin de l'ire du grognon locataire de Matignon.
En revanche, s'ils sont sommés de négliger le "comment", Ayrault et ses ministres sont tenus de s'intéresser au "pourquoi". Pourquoi la crise ? Pourquoi la précarité ? Pourquoi la désillusion ?. Le peuple les interroge. Noblesse de leur fonction oblige, les ministres ne sont pas des commentateurs mais des "pourquoiteurs".

Saut de l'ange

Lâcher prise. Laisser tomber. Choir dans le noir. Se jeter dans le vide. C'est la tentation des damnés de la terre qui peinent à s'en sortir. Ou bien le prodigieux coup de tête d'un aventurier.
De très haut, avec ce mépris qu'autorise la folie, il a foncé sur la planète comme dans un mur. A pieds joints.
Le vide est à l'espace ce que l'avenir est au temps. Une terra incognita, un champ d'attraction, l'horizon des songes. Cette expulsion à la vitesse du son est l'allégorie de la naissance de l'homme.
Elle réveille la mémoire de la première chute, du plongeon fatal dans l'humanité. Le saut de l'ange de Baumgartner ravive l'expérience initiale du bébé, sa sortie hallucinée de l'utérus nourricier.
Nous sommes bouche bée devant la prouesse vertigineuse d'un acrobate de notre destinée.

Tu prends le manche

Il me tendait les clés comme un chapelet: "Tu prends le manche". On s'engouffrait dans l'auto, libérés des contrariétés de société, dans un sentiment de paix, à l'écart des mots.
Nos sourires s'adressaient au pare-brise. J'avais l'âge de l'inutile vitesse. Il se plaisait à la première vieillesse. De la main, il indiquait le chemin. Il plissait les lèvres, acquiesçait du regard.
La voiture voisinait la nature. On sillonnait le canton dans la contemplation des maisons de religion.
J'expédiais mes yeux sur les choses comme on administre une fessée.  Il photographiait les nefs, tympans et vitraux. Il engrangeait la matière de ses précieux albums.

samedi 13 octobre 2012

Je t'embrasse faible

Je dépouille mon courrier. On y témoigne son amitié. Otons les spams, restent les états d'âme. Les mails s'écrivent avec du miel. La formule de politesse se mue en déclaration de tendresse.
J'exècre, comme il se doit, le bref "bisous", qui me chatouille le cou, m'impose sa signature affectueuse sur la joue. Les expéditeurs de mails se querellent sur son pluriel. "Bisoux" est parfois usité en écho nostalgique des lointains "cailloux", "hiboux", "genoux".
A défaut de "bisous(x)", on sait aussi se congratuler avec énergie. Le "je t'embrasse fort", imprimé en pleine figure, cloue le lecteur à son ordinateur. L'accolade épistolaire relève alors de l'épreuve musculaire. L'effusion lyrique s'apparente à une discipline olympique.
La violence du "je t'embrasse fort" coupe court au commentaire. Je t'embrasse fort et je m'en fous. Dernier mot. L'incident est clos.
Je rêve d'un mail ou d'un essaimesse qui par étourderie s'achèverait dans une exquise paresse: "Je t'embrasse faible".

jeudi 11 octobre 2012

La proie opéra

L'opéra est une cible à la mode. Gaiement vilipendée. L'obligatoire blockbuster à la française "Intouchables" s'en donnait à coeur joie. Du haut de sa confortable bien-pensance, il raillait l'opéra, ridiculisait la musique de chambre.
Jean Echenoz fait écho à pareil conformisme intellectuel. Son dernier livre accrédite le cliché culturel. On lit dans Le Monde une citation de l'ouvrage: "Peut-être n'est-il d'ailleurs pas bien utile non plus, ni très pertinent, de comparer la guerre à un opéra, d'autant moins quand on n'aime pas tellement l'opéra, même si comme lui c'est grandiose, emphatique, excessif, plein de longueurs pénibles, comme lui cela fait beaucoup de bruit et souvent, à la longue, c'est assez ennuyeux."
L'auteur de récits brefs s'autorise même d'être répétitif : "longueurs", "à la longue". Tout se passe aujourd'hui comme si au premier son d'opéra il fallait sortir son bazooka. Les opéras de Verdi, Mozart ou Wagner sont des proies faciles. Les quolibets de Jean Echenoz et les pitreries d'Omar Sy témoignent pour leur époque.

Armstrong

Armstrong n'était pas si "strong" que cela. Il doutait de la force de ses jarrets. La tricherie est une ruse pour déjouer l'arbitraire des loteries. Car nulle justice ne se révèle dans la diversité des natures. Petits et grands sont embringués dans des querelles de hiérarchie, sont livrés à d'inégales empoignades. On ne conquiert l'Everest qu'à la faveur du mensonge ("Un héros", Félicité Herzog, Grasset). Le cycliste Armstrong se dope pour être à la hauteur, être apte à la bagarre d'asphalte.
Le tricheur veut gagner sans frayeur, à coup sûr. Il est en guerre. Il a des ennemis. Il veut vaincre. C'est pourquoi il procède à des trucages. Pour les besoins d'un palmarès, d'une gloire et de gros sous.
On triche à vélo, à l'école, au bureau. On établit une échelle des risques. On compare l'opprobre d'une délinquance à l'horreur d'un échec. La tricherie est fille d'initiative. C'est une décision, un calcul d'intérêt, qui rompt le bon ton des règles de société.

mercredi 10 octobre 2012

Tomate cerise

On s'habille. Dîner en ville. Courtoisie. On tend une bouteille, on serre des doigts. Les deux mains sont prises. On demeure debout à converser de la pluie, de l'appartement, du quartier épatant. On jette un oeil par la vitre. Jolie vue: c'est la rue.
Il sert à boire. Donne le signal de s'asseoir. Se tasse au bord du canapé. Elle l'imite un peu décentrée. On se cale dans nos fauteuils attitrés. L'horizon change. Je ne vois que des genoux, quatre carrés cagneux dans les yeux. Lumière oblique sur les visages.
Sur la table basse, deux bols blancs à denrées rouges. Je saisis une tomate cerise que j'avale, sa collerette verte comprise. On va parler maintenant. Jusqu'au générique des adieux, jusqu'aux embrassades d'avant minuit.

mardi 9 octobre 2012

Le bandit manchot

Récit bref qui flanque un malaise de monotonie. Ecrit d'avance comme rédige la providence. Ton tenu du convenu, teinté d'ironie pointue. Echenoz pose un même visage blême, couleur de livre Minuit, sur le même bout de nuit que tous les Céline de l'enfer. Va vite la mécanique clinique de grande guerre qui dévaste les chairs.
Taille de boîte de cartouches, l'opuscule se manipule avec retenue. Il sent la mort. Il pressent le sort des corps. Il jette sur papier le sort d'un quatuor d'hommes propulsé d'un ressort.
Se lit d'une traite, en roue libre, sans frottement, comme on vide un verre. Inutile d'essuyer ses lèvres. Sensation de lecture blanche. Impression de promenade du dimanche. Sentiment de guerre étrange. La page efface sa trace.
Je ne me souviens de rien. Sauf d'instants brefs. Echenoz peint l'effroi de la mort dans les yeux, fixe la nudité du dernier regard. Charles, hautain dans sa carlingue d'aviateur, en piqué fatal, s'écrase sur la douce bourgade de Jonchery-sur-Vesle, "dont les habitants s'appellent les Joncaviduliens".
Plus loin, le rescapé des tranchées, Arcenel, le boucher solitaire, "est parti faire un tour". Il suit sa rêverie, se balade à sa guise, chemine sans dessein, déserte sans savoir, est exécuté par ses frères d'armes.
Roman d'une bourgeoisie sans joie ni fantaisie où les manchots sont rois. Anthime, au bras volatilisé, joue sa partition gagnante, croule sous une fortune de souliers. Il donne à Blanche sa deuxième chance, un deuxième Charles. Jackpot d'un bandit manchot.

Journée blanche

Je mélange tout. Je déjeune chez Max, feuillette Echenoz. J'identifie une photo au Duomo de Lecce. Lis les Mémoires d'outretombe. Imagine Mila l'Iroquoise ou Blanche dans "14". "S'en aller à la vanvole". Chateaubriand use d'un mot dont Brassens raffole. Sortent de chez Max des notaires de villages soigneux de leur moustache.
Je note la parole de Denis Bruna sur l'abbaye romane. Apprécie Bernard, le Cistercien, iconoclaste en diable. Les styles se croisent, les désirs de ciel se mêlent. Les arts se chevauchent comme des plates-bandes de square.
Je tapote la joue d'une touche pour qu'on m'expédie Duby manu militari. Le vicomte breton, égaré en Pennsylvanie, contemple les femmes peintes, oublie la monarchie défunte.
Il pleut. Je bois du mauvais vin. Ma chaussette est mouillée. Journée blanche comme une marche d'endeuillés. Baverez bavasse à la télévision. Ressemble à son maître Aron. Il est tard. Je veux y croire, mais je n'atteindrai pas Drieu.

lundi 8 octobre 2012

La dette et le mandat

Panade, mouise, pétrin. Merde. Les mots affluent pour désigner la crise. Nous sommes plongés dedans. A notre corps défendant. Nos déboires ont une histoire. Nous traînons des dettes depuis belle lurette. Nous n'avons plus le sou depuis Pompidou. Nous vivons sans broncher au crochet des marchés. Qu'est-ce que la dette ? Un budget insatisfait qui se plaît au déséquilibre. Pourquoi donc, sacré bonsoir ? Parce que la dépense est souveraine en régime d'opinion.
La démocratie est fille de panier percé. Car elle exige de ses chefs qu'ils séduisent le peuple, qu'ils répondent à ses voeux, qu'ils promettent monts et merveilles. Contrairement à la croyance commune, les promesses d'élus sont tenues. Pour une raison simple: le deuxième mandat.
La campagne électorale plante le décor. On serre des mains. C'est le temps inaugural de la démagogie. Suit l'exercice du pouvoir, les tiraillements stratégiques du premier mandat. Gérer ou dépenser ? Se colleter à la réalité épicière ou s'échapper dans l'imaginaire. A mesure qu'un deuxième mandat précise sa possibilité, l'accomplissement des ruineuses promesses redevient d'actualité. On contentera l'électorat dans l'espoir de garder sa couronne de roi.
Autrement dit, la gestion dispendieuse est subordonnée à l'exercice d'un deuxième mandat. La perspective de réélection est fauteuse de gabegie. La dette résulte de l'entêtement du pouvoir, du désir de durer au sommet, de la volonté de se maintenir dans les ors des palais.
Nous sommes endettés jusqu'au cou. Depuis Pompidou, je l'ai dit. Auvergnat hostile aux assignats. La dépendance à la dépense n'est pas créatrice de croissance. Mais d'une certaine aisance hallucinatoire. Elle accoutume au mensonge. Le peuple s'illusionne. Il s'étourdit de ses crédits. Dépenser nuit grave. Dépenser tue. La théorie économique nous enfume depuis des décennies. On s'entête à la dette. Eradiquer le mal suppose de supprimer le détestable deuxième mandat.

dimanche 7 octobre 2012

Lot de trois

Brun, blond, chauve: Modiano, Echenoz, Quignard. Tiercé des libraires. Trio du loto littéraire. Gagnants dans un fauteuil au palmarès des bonnes feuilles.
La télévision élit roi ce lot de trois. Ils se coudoient devant l'arbitre des élégances poétiques. L'animateur de France Cinq instruit des enjeux de la quinzaine commerciale: les trois lascars sont les meilleurs conteurs du royaume.
Ni Modiano, ni Echenoz, ni Quignard ne se lèvent d'un bond à pareille évocation. Ils apprécient le satisfecit. Ils sourient de manière un peu niaise comme les invités des plateaux qu'on se repasse un peu trop. Ils acceptent le sceptre d'une postérité préemptée.
Modiano fait son numéro coutumier de bègue inspiré. Echenoz le mime à la perfection, mais sans les mains dans le vide à chasser les mots et démons qui désordonnent et inachèvent. Il tient son guidon et la parole crispée du bon ton. Quignard fait cavalier seul. Quignard est bavard selon les normes du parleur. Ses yeux bleus trouent la quiétude des songe-creux. Il ne se souvient plus très bien. On est loin du sens commun.
L'émission du jeudi est destinée à vendre du papier, de la notoriété, du temps retrouvé. Ni une, ni deux: j'achète "Quatorze". Echenoz a bredouillé des mots délicats sur l'ivrognerie des soldats. Je m'exalte sur la gueule de bois des gueules cassées. Les trois lauréats des magazines se dévisagent du coin de la paupière. On sent une commune tendresse pour la bouteille.

vendredi 5 octobre 2012

Les épaulettes

Sarkozy, c'étaient les talonnettes. Valls, ce sont les épaulettes. Hollande fend la foule avec une lenteur d'évêque. On a l'impression qu'il discerne mal l'horizon, qu'il marche à tâtons dans son champ de vision.
Montebourg distribue les coups de menton. Peillon est satisfait de sa personne. C'est un maître d'école qui se pousse du col. Moscovici est un habile teneur de caisse. Fabius garde ses distances, soigne sa hauteur patricienne. Cahuzac teste ses médications, s'exerce, ou plutôt exerce au budget.
Chateaubriand, pair de France, était une langue de vipère. Il fustigeait "les ministres qui tombaient de la médiocrité dans l'importance".

L'armoire à fusils

Un fusil est un ami qui dort sur votre joue. Il sent le bois, l'huile et l'acier, parfois la poudre. L'armoire à fusils est une sorte d'écurie où chaque arme repose dans sa stalle.
C'est un butin planqué, au bout d'un long destin, qui - privé d'un maître - se laisse dépouiller. Le "superposé", aussi précieux que disgracieux, enchanta mes rêveries de ses coups de longueur. Je ne le vois pas sur l'étagère. Je vois la perdrix morte de l'allée des tilleuls.
Reste l'adorable "vingt-huit", léger comme une plume, délicatement orné de ses chiens sculptés. Il tua le faisan de mes treize ans, ajusté sans broncher dans le jardin potager. Il y a le "seize" que je n'aime que parce que c'est le mien. J'observe les deux "vingt" de papa. Le platiné et l'autre écaillé. J'appréciais le petit "vingt" à la passée des grives. Pas de "douze" car papa trouvait non avenu ce fusil de battue. Trop lourd à son gré. L'art de papa s'apparentait à la phrase de Céline.
Le gibier s'étalait par rangées sur le gravier. Je me souvenais du partage des tableaux de chasse. Or c'est déjà l'heure de la distribution des armes.

mardi 2 octobre 2012

Ecole du Louvre

C'est un théâtre dans la nuit, un amphithéâtre qui rompt avec la fureur de la rue de Rivoli. Les travées sont bondées de jeunes filles pressées, de vieilles femmes studieuses, de vieux hommes figés.
Le parleur est retranché dans l'ombre, barricadé à l'extrêmité gauche de l'estrade. Il s'est volontairement décentré comme on s'efface au passage d'une altesse, d'une image, d'une sainte figure de pédagogie.
Il parle bas, articule long, détache les syllabes de sa phrase. Il tâche de se défaire d'un mauvais roi, de contrarier le bégaiement de sa voix.
Il fouaille, dissèque les entrailles de l'abbaye romane. Il use d'une parole descriptive qui fuit le concept, introduit au transept. On scarifie nos cahiers à la lueur de pupitres écaillés. Les séants se tordent d'inconfort.
L'érudit a fini son récit. Une pluie d'applaudissements ponctue la causerie avant l'échappée mécanique vers la rue.

lundi 1 octobre 2012

Il a quel âge, Bayrou ?

"Il n'y a que les faibles qui craignent la compétition". Bayrou hausse le niveau de son université. Il recycle la vieille fable capitaliste du renard libre dans un poulailler libre. Bayrou s'excentre dans le registre d'une morale à deux balles.
Le grand sachem du Modem s'exerce à la maxime assassine. Or l'homme qui cause ainsi distord la vérité des choses. Il amalgame le faible et le doux. Car ce sont les doux, eux-seuls, qui esquivent la compétition, la fuient comme la peste, par éthique de conviction.
Ils savent que la concurrence n'attise que la violence, que la rivalité ne produit que l'inimitié. Autrement dit, Bayrou le matamore se pose en petit caïd de cour de récréation. Il agite ses petits bras, montre à Borloo ses biscotos. Il a quel âge, Bayrou ?.

Le pain

J'achète mon pain à la première heure. La boulangerie sourit seule dans la nuit. Verticales comme des fusils en émoi, les baguettes se mêlent, pareilles dans leurs corbeilles aux flèches des carquois.
La ronde marchande me tend une moitié enrubannée de papier. J'en sens le chaud dans ma paume. Je me débarrasse de petites pièces malades, jaunies d'économie.
J'ai peur que l'aurore ne refroidisse un fugitif délice. Je hâte le pas. L'ascenseur me hisse à l'étage. Je sors de la cage. Je me jette sur le pain, les narines tachetées de farine.