mardi 31 décembre 2013

Deuxième semaine

La fragilité du succès se mesure à la sueur nécessitée. Chirac et Mitterrand ont souvent et largement échoués avant d'endosser le costume de président. Giscard a peu souffert. Il était né coiffé d'un bicorne. Hollande et Sarkozy, plus besogneux, n'ont pas davantage été ajournés à leur première tentative élective. Les trois sont de brefs candidats. L'onction du peuple les fait chefs de la nation à leur coup d'essai.
L'histoire de l'actuelle République enseigne que le pouvoir se conserve mieux quand on le conquiert dans la difficulté. Mitterrand est un looser méritoire dont la finale victoire l'incitera à ne pas lâcher l'étendard. Chirac, ce "cheval sans jockey", est un has been sympathique, revenu du diable joli, pour siffler la coupe, décrocher la timbale, dans le temps additionnel. Il s'appropriera en maréchal un deuxième mandat.
Giscard, Hollande et Sarkozy n'ont jamais mordu la poussière. Ils sont moins cabossés sur le seuil de l'Elysée. Les trois heureux guerriers ont ciblé leur volonté avec une économie d'épicier. Ils n'ont pas mouillé leur chemise comme le Corrézien et le Charentais dont le maillot d'arrivée était à tordre.
Chirac et Mitterrand iront jusqu'au bout, rudes au mal, meilleurs à l'endurance. La chiennerie du scrutin est imprimée dans leur chair comme le matricule du destin. Giscard et Sarkozy ont raté le doublé, faute d'estomac. Pas assez couturés ni balafrés.
A caboter dans une douceur d'été, à cultiver un art un peu trop rondouillard du pouvoir, à se contenter de la même facilité, Hollande s'emploie à déserter son petit ouvrage. Comme le Sarkozy des Hauts de Seine, comme l'Auvergnat fort en thème, il s'interdit de revenir en deuxième semaine.




dimanche 29 décembre 2013

Peur des météores


Nicolas de Staël a cent ans. Sa peinture est une morsure qui dure. Il est mort, s’est débarrassé de son corps, l’a jeté par-dessus bord, un jour à Antibes, vue sur le port. Six décennies sans dessiner. 
C’est un centenaire qui se terre, sans esbroufe, un cri dans le désert qu’on étouffe. Staël est seul avec la merveille. Il s’est brûlé la cervelle avec des ciels rouges. Il s’est cassé la figure dans la peinture, en pleine nature. 
« J’ai besoin de cette fille pour m’abîmer ». Les lettres de Staël ont une violence d’origine, le sens et le son d’une détonation, la sauvagerie vitale d’une poésie.
Staël n’est pas fêté. L’Etat fait l’impasse. Il se rapetisse. Il a peur des météores. 

samedi 28 décembre 2013

Cassage d'os

Entre deux images, dans l'embrasure d'écran, je coince mon oeil. J'épingle au vol le gypaète barbu. L'oiseau briseur d'os étoile les hauts plateaux d'Ethiopie. Il tournoie dans l'air torride, plane sur les proies décharnées des roches sculptées du Tigray.
Le rapace ne repasse pas les plats. Il se tasse sur la carcasse. Les charognards désertent l'ouvrage. Vient le tour du grand vautour. Il ne festoie qu'à la fin. Il s'accommode des restes, des gros os qui luisent au soleil. Il crochète l'os, le dérobe à la terre, ajuste son vol à bonne hauteur, lâche le bout de squelette sur des hachoirs de pierre, pique sur les miettes dont il extrait la moelle.
Le cycle ensorcelle. M'ébahit la cérémonie du cassage d'os de l'oiseau technologue. D'Ethiopie, je ne connaissais qu'un vague poète de Charleville et d'ascétiques marathoniens. J'ajoute aujourd'hui le gypaète barbu des montagnes de Gheralta.

vendredi 27 décembre 2013

Le mot de l'année

Le mot "inversion" prête à confusion. On ne sait pas par quel bout le prendre. Au pied de la lettre, sans doute. Le président croit mordicus à l'inversion. Il a chaussé ses lunettes de Noël. Il voit les hausses comme des baisses. C'est un tempérament heureux. Son lorgnon invertit les courbes.
Inversion est le mot de l'année. Fini la comédie des extravertis, Sarkozy et la guitare de Carla Bruni. Les in(tro)vertis sont donnés en modèle au pays. Ayrault rentre dans sa coquille d'escargot. Hollande se planque par discrétion.
Au siècle dernier, Marcel Proust s'intéressait lui aussi à l'inversion, tout au long de sa grandiose narration. Le baron de Charlus est la figure emblématique de l'inverti. En ces temps datés, l'inversion désignait l'homosexualité.
Hollande, qui n'est pas flou, joue sur les mots avec un bonheur fou. Avec le mariage pour tous, le président travaille dans l'inversion. Il bouscule nos us et coutumes. Les invertis, style Charlus, sont repêchés pour la cérémonie des épousailles.
En maître artisan du dictionnaire, Hollande est un chef visionnaire, sans tabou, qui fait de l'inversion le totem de la nation.

dimanche 22 décembre 2013

L'avenir dure longtemps

L'année finit sans beauté. Ni grandeur. La chefferie sourit dans une lumière de féerie. Elle prie le peuple de patienter, le supplie de souffrir en silence jusqu'à l'apothéose de la productivité, jusqu'à l'épiphanie d'une croissance. La France stationne sur un trottoir déserté par l'Histoire.
On incarcère le travailleur dans un petit salaire, le chômeur dans une petite misère. L'Etat imposteur abuse du monopole de la terreur. Des acteurs de la rue, il exige un lourd tribut.
Le pays rétrécit au lavage des esprits. Nulle en calcul, la France recule. Foi de Pisa. Les médailles Fields nous illusionnent sur la compétitivité des lycées.
Les gens de médias et de Sénat aboient, défendent bec et ongles des niches fiscales cinq étoiles. Le microcosme s'exonère d'écot, n'acquitte l'impôt qu'avec des mots. La noblesse d'Etat jouit du privilège d'une loi scélérate.
Au nombre des années cotisées et des travaux effectués, les députés de nos contrées sont des pensionnés choyés. La jacquerie des corporations est un cri d'indignation, une révolte contre les marquis et malappris, la colère bleue des gueux. Guéant, Cahuzac ou Placé se font pincer. Car ils exigent davantage de bienfaits. Nos altesses appartiennent à une espèce qui ne rend pas la monnaie de sa pièce. L'exemplarité est une incivilité qui provoque l'hilarité.
Au micro du Crif, Hollande mime l'humour juif, blesse l'orgueil à vif de l'Algérie. La diplomatie du pays rougit des plaisanteries de garçon de bain d'un président de Rotary.
L'indice Insee n'est qu'un cap d'épicerie, jamais la destination d'une nation. La cécité économique dissuade toute vision politique. La gestion notariale est un idéal de vieux canton rural. La gauche gâche, la droite rate. L'avenir empire.
La renaissance viendra d'un surcroît de science. L'école dégringole. De Gaulle avait lu Bergson. Il tarde que le pays s'instruise, n'abandonne à personne le prestige de la raison.
L'année finit sans beauté. Ni grandeur. La démocratie ressemble à une ploutocratie. La République se résume au coup de menton des cyniques. La corruption est une addiction ordinaire des pouvoirs. La faillite des élites est couronnée du satisfecit des déficits.
La solitude d'un mort pèse sur la foule des cimetières. Le présent manque de temps.  Le courage est au bout du naufrage. Décembre 1944, de Gaulle tient la dragée haute à Staline, ne cède pas un pouce sur le sort de la Pologne. Il prévient le Kremlin que "l'avenir dure longtemps" (Mémoires de guerre/Le Salut, page 659, Bibliothèque de la Pléiade).
De même, l'Hölderlin des poèmes exhorte les soldats de première ligne: "Tout proche et difficile à saisir, le dieu ! Mais aux lieux du péril croît aussi ce qui sauve" ("Patmos"/Période des grands poèmes 1800-1806, page 867, Bibliothèque de la Pléiade, traduction Gustave Roud). Ni Hollande, ni Sarkozy ne sont aux fourneaux. Cette croissance-là s'apprivoise avec les dents de la chance.





samedi 21 décembre 2013

La jalousie

La Jalousie coule de source. Elle est originelle et pécheresse comme le film de Garrel et ses actrices. La beauté se dévêt de laids colifichets. La simplicité guérit la cécité. Par son économie de moyens, La Jalousie est un film racinien.
Garrel peint sa toile en noir et blanc. Il fuit depuis toujours l'art braillard de la couleur. La parole va de soi, les syllabes sont heureuses et les images soyeuses. C'est le jour et la nuit. La douceur se situe à une rue de la douleur.
La Jalousie de Proust finit sur un lit de mort de jeune homme. C'est la dernière nouvelle de Marcel, les pages les plus belles des Plaisirs et des Jours. L'écrivain sait ce que la mort rend vain. Il néantise la convoitise. René Girard tient son oiseau rare.
Charlotte, l'écolière sans collier, regarde par le trou de la serrure. C'est La Jalousie de Robbe-Grillet, ses volets en lamelles qui découpent les ciels, le jeu de cache-cache du voyeur qui épie. Charlotte voit son père comme une petite sotte.
Un père fixe la bouderie d'un fils, songe au récit du grand-père. Philippe, Louis, Maurice. On ajoute Mouglalis, les actrices. On touille la querelle de famille. Les vieux sont rangés des voitures au rayon Sénèque de leur bibliothèque.
La femme a froid, glisse un bras sous la hanche de son roi. Elle est casée, emmitouflée, dans la sonorité des pavés. Anna Mouglalis est une impératrice. Sa voix rauque est d'époque. Louis Garrel, nouveau Léaud, plus beau, moins intello, se rase en déclamant des mots. Il n'est qu'à peine réveillée, presque mal embouchée.
La mère abandonnée prépare le dîner. Soupe de carottes et mandarines. "Repas orange". Louis, Charlotte et Claudia se serrent, s'éloignent, se retrouvent comme les deux joues d'un accordéon. Claudia vole une sucette. Louis fronce un sourcil. Charlotte court vers la roulotte.
Mouglalis enfile son pardessus grumeleux. Elle parle de profil un dialecte guttural. Visage muet d'arrêt sur image. Deux avant-bras blancs, le canon noir d'un pistolet. On se rate, on se trompe sur la date. Le dos de Louis bascule, se retourne de biais, éteint la lampe de chevet.



vendredi 20 décembre 2013

Un séminariste sans joie

Ayrault mime les points de croissance avec ses petits poings serrés. Il boxe l'air avec ses maxillaires. Il est blême au milieu des problèmes. Il est carré dans un corps égaré. Il crispe un maigre sourire. C'est un politique couleur mastic à physionomie soviétique. Il vend son dévouement jusqu'à l'écoeurement.
Ayrault est blanc comme un linge. Il digère moyennement l'hiver. Il est dans de beaux draps. L'invité du journal télévisé est dans ses petits souliers. Il mouline ses petits bras à la cadence du blabla.
Flaubert a lu Fourier, Proudhon et Saint-Simon. Il croque les socialistes de l'époque: "Des séminaristes en goguette ou des caissiers en délire" (Lettre à Edma Roger des Genettes, été 1864, Tome III de la Correspondance, Bibliothèque de la Pléiade, page 402). Ayrault est un séminariste sans joie, un triste caissier de casino.

jeudi 19 décembre 2013

Une femme au Panthéon

Au loto du Panthéon, Régis Debray le guerillero coche la case jazz, abat l'atout coeur de Joséphine Baker.
Je milite pour un mythe. Je voterai pour une femme de papier. Madame Bovary est de chair immortelle. La femme de Charles n'a rien de très gaullien. C'est une amoureuse, une malheureuse, "un sang de paysanne", une sultane de Flaubert sur une terre de notaire.
J'incarcérerai la femme adultère à l'abri des pierres. Au Panthéon. C'est une grande révolutionnaire que cette carnassière de l'amour, brûlée par la sorcellerie d'un désir tout d'un cri. Elle jette sa rêverie infinie à la face d'une infime bourgeoisie.
La fiancée du piètre Léon mérite le Panthéon. Madame Bovary est transgenre, un peu Emma, beaucoup Flaubert. Transgenre comme le roman qui n'appartient à personne et ne ressemble à rien. Madame Bovary étincelle d'une beauté hermaphrodite. Son gîte est là-haut, rue Soufflot.

mercredi 18 décembre 2013

Le goitreux des Alpes

Flaubert est impatient d'en découdre. Il a écrit Salammbô. Il repart de zéro. Il a des clous sur le cou. Il est vérolé, lit Renan et Michelet. C'est l'heure fatidique du roman parisien. Il est dans ses petits souliers. Dans quinze ans, il sera mort. La Chantepie sombre dans une religiosité impie, s'intoxique à la Bovary.
Flaubert confie ses peurs à la petite fille de sa jeune soeur. Flaubert échange quelques mots avec Caro, Carolo, Caroline, adresse à Liline ses plus belles lignes. Flaubert lui use les joues.
Il a besoin d'un peu d'entrain. Il a sur les bras un troisième quinquennat de forçat. L'Education Sentimentale fera mal. Comme un abcès, il le sait.
Flaubert bande ses yeux. Il a peur du labeur. Nul truc n'apaise le trac. Il ne ment pas comme un premier communiant. Il ignore se souvenir du geste d'écrire.
"Je me suis remis à travailler. Mais ça ne va pas du tout ! J'ai peur de n'avoir plus aucun talent et d'être devenu un pur crétin, un goitreux des Alpes" (Lettre à sa nièce Caroline, jeudi 14 avril 1864, Correspondance, Tome III, Bibliothèque de La Pléiade, page 388).

mardi 17 décembre 2013

Sauf à Bangui

L'enseignante du Louvre se rit des simagrées du général Bonaparte. Napoléon se regarde dans la glace de son hagiographe. Il franchit les Alpes, emmitouflé, à dos de mulet. David l'aide à se hisser, le peint en majesté sur un grand cheval cabré. Le barbouilleur d'Empire introduit la figure de César à son sacre de bazar.
Ingres crayonne l'homme en Christ pantocrator. Canova le sculpte en athlète olympien. Napoléon se soucie de sa personne. La tricherie fait partie de la stratégie. Elle pommade une réalité maussade.
Napoléon refait l'histoire sur la toile. Il se refait une beauté, contre vents et marées, en dépit des faits. Sarkozy gomme les bourrelets des photographies sur papier glacé. Hollande noircit ses cheveux vieillis. Sauf à Bangui où le gris s'est trahi.

lundi 16 décembre 2013

O'Toole

Peter O'Toole était sans doute fêlé comme un Irlandais, rythmé par la houle et l'alcool. Il partage avec Helmut Berger, prince d'Autriche, une persistante ambiguïté de l'extrême beauté.
La gueule d'O'Toole est pâle, hésite entre animal et minéral. L'homme aux yeux mauves collectionne les folies neuves. La paralysie du regard précède la brusquerie d'un traquenard. L'acteur se plaît à la ruade.
A l'Old Vic, conservatoire de brique, il pratique l'art cabochard des rois de l'histoire. J'ai frôlé son haleine rouge de petit matin londonien. J'avais l'âge de la rage.
C'était un film d'après-midi de pluie au casino d'une ville d'eaux. O'Toole endosse l'habit nazi du général Tanz. Il étrangle les prostituées d'une griffe millimétrée. Kessel coudoie les voyous, caresse les voyelles dans le sens du flou. Kessel est scénariste, ordonne les mots de "La nuit des généraux". O'Toole émeut la foule. Le maniaque du film de Litvak terrorise les habitués du ressac.

dimanche 15 décembre 2013

Szecessio

Budapest a de beaux restes, souriante et maussade, grise et indécise, derrière ses façades raides. Sa mémoire est d'Orient mais ses souvenirs sont allemands.
Nem ertem. J'aime à m'égarer dans la sonorité hongroise. Ferenc, Arpad et Joszef étanchent leur soif d'un vieux vin jaune. Szecessio est le mot qu'il faut. Il désigne l'art de rue d'une fin de siècle architecte.
Szecessio chante un matériau métis, mixte la géométrie, rythme les coloris de rotondes décaties. Les bulbes du Danube sont des baobabs de brique. La place Czervita est un débarras de marbre, un grand drap de pierres, une musique d'apparat. Ses vastes murs d'architecture sont impurs par nature.

samedi 7 décembre 2013

Justin, c'est Flaubert

Je suis triste car j'ai fini Madame Bovary. Je suis sonné par la vitalité d'Emma, sa vaillance sur le ring. Elle est dévorée d'un somptueux désir. La dame d'Yonville, à sang de paysanne, se jette à l'extrême bout du péril.
Une infime localité, médiocrement bourgeoise, enfante une femme brûlée, ficelée aux barbelés des ciels ardoise. Je ne distinguerai pas la Normande infidèle de Flaubert de la sublime Italienne, l'épouse trahie de La Peau Douce, le film de Truffaut.
Des deux rives de l'adultère, la femme se conduit en féroce guerrière. Elle ne fait pas de quartier. Elle n'endosse pas à moitié la véhémente querelle du sentiment.
Emma, c'est Flaubert. Tous les autres mentent, faute de grandiose attente. "Le plus médiocre libertin a rêvé des sultanes; chaque notaire porte en soi les débris d'un poète" (Madame Bovary, collection Pocket, page 401).
Non. Justin, c'est Flaubert. Justin, le petit commis du pharmacien, l'indicateur de destin. Justin, c'est Gustave à la plage, dans ce trou de bord de mer, sacrifiant l'ennui à la tyrannie du rien, à l'épiphanie du charme vénérien. Là, il voit Za. Apprivoise Elisa.
"Sur la fosse, entre les sapins, un enfant pleurait agenouillé" (page 466). Les sanglots de Justin tracent le nom de Flaubert au bas des couleurs du tableau, authentifient le signataire de l'ouvrage.


jeudi 5 décembre 2013

La dorure d'une idole

Tapage au trépas de Mandela. Barouf, esbroufe. Unanimité des pipeules, bavards comme des pies.
A l'heure où le sympathique jazzman de la fraternité humaine prenait congé des caméras, je lisais la passion Léon d'Emma Bovary.
Flaubert craint la première discordance, la moindre fausse note, dans le culte du dieu vivant. "Il ne faut pas toucher aux idoles: la dorure en reste aux mains" (page 391, collection Pocket).
De Gaulle, lecteur de Flaubert, prévenait ses thuriféraires: "Le prestige ne peut aller sans mystère, car on ne révère pas ce que l'on connaît trop bien. Tous les cultes ont leurs tabernacles et il n'y a pas de grand homme pour ses domestiques"(Le Fil de l'épée).

La réunion, la télévision

Le travail à plusieurs dure des heures. Il produit du temps mort. On baptise réunion un théâtre de chaises et de table, un fleuve de paroles frivoles. La réunion est une récréation, une oisiveté, un gros mensonge.
La pratique du travail en tas s'apparente à une sorte de yoga. Elle exhorte au désoeuvrement en bande. Cet empêchement de faire est une arme de guerre destinée à contrarier la productivité solitaire.
La réunion est le plus petit commun dénominateur de la rivalité ordinaire. Elle organise un surplace, installe une paresse nécessaire, jette un voile d'immobilité sur l'hostilité.
Plus tard, le soir. La télévision est la réunion de la maison. C'est un loisir facile visant à différer l'effort de faire. Elle dispense pareillement de la souffrance d'un savoir-faire. La télévision n'exige pas de formation. On abuse de la réunion, on se bourre de télévision, comme d'un stupéfiant. L'anesthésie est la meilleure stratégie d'évitement des douleurs de la vie.


mercredi 4 décembre 2013

Refonder, relire, revisiter

Le ministre veut refonder l'école. Recréer l'odeur de craie. Réinventer l'excellence. Restaurer la République des préaux. Repartir de zéro.
On refonde l'école comme on relit Proust. L'escroquerie intellectuelle se ramasse à la pelle. On va refaire la dictée sans faute. On saute le chapitre premier, on revisite ce qui n'a jamais été visité. Le ministre n'a jamais feuilleté La Recherche.
Les faux bâtisseurs se maquillent en reconstructeurs. Les amateurs d'esbroufe se disent relecteurs de Joyce. La République échappe à toute logique. N'avoir jamais lu n'interdit pas de relire.

mardi 3 décembre 2013

Hongroise

On a balayé les feuilles dentelées qui faisaient d'un trottoir violet une sorte de ciel étoilé. Un soleil d'hiver a rougi la pierre.
Je malaxe le Routard, accordéonise ses pages d'encre noire. J'imagine la Hongrie à ma fantaisie. J'invente Budapest en marge du texte. Juste un mot. Hongroise est un songe.
C'est une lueur de cheval hongre dans une pénombre villageoise. Je me rappelle les rondes enfiévrées du Psaume Rouge de Jancso.
Lauren Bacall m'a dédicacé son livre de cicatrices. C'était un jour d'automne, dans la librairie de Chardonne, la boutique Delamain des cognacs de Saintonge. Je me suis raconté une histoire de regard magyar. Sa mère était roumaine, son père polonais. Le diable est dans les détails d'Europe centrale.

lundi 2 décembre 2013

L'homme est une épaule

On a mendié l'accès des Amandiers. On s'est livré les premiers au sourire du portier. On a garé nos fessiers.
Pascal Greggory est une sorte de grizzli. Son bras menace l'infini. Sa nuque repose sur l'omoplate. La courbure indique une blessure de trottoir. La diction sonne comme une malédiction. Chéreau mâche ses mots, rumine une famine.
La Solitude est un monologue de rue, une apparence de roc fendu, une habitude de parler brut. La nuit précise l'indécise ressemblance des sosies. L'heure est aux corps qui s'empoignent.
Ils jettent des syllabes, du sable sur les plaies. Les mots sont des brûlures sur les os. L'homme est une épaule, un portique au manteau sans écho.
Ils se frôlent entre deux halls. Ils dansent sur une absence, tournoient dans l'embarras. Ils se ruent dessus, se rouent de coups, se rient de la cérémonie. La rudesse de Koltès est tassée dans un texte sans vieillesse.

samedi 30 novembre 2013

Banque de France

Koltès se lit d'une traite. Dans la solitude des champs de coton. J'en vérifie l'aptitude au temps long. Une heure à déclamer, en prévision des Amandiers, de la journée Chéreau, à prononcer des mots comme se poursuit le bréviaire d'un homme de presbytère.
Je récite Koltès. Je m'acclimate à sa phrase. D'une pièce, d'un seul tenant, elle se jette dans l'océan, dans le blanc d'avant. Elle dit une fatalité d'anthropologie. Une peur d'insecte tenaille le dealer du texte. Dans un monde de brutes, les demoiselles cassent la vaisselle, sont lauréates des pugilats.
Isaach de Bankolé est un acteur camerounais, l'Abad de Quai Ouest, dont la bouche est scellée. Avant les représentations, le comédien travaille sans rien, construit un corps sans bruit, habite une faillite, s'accoutume au défaut des mots.
L'entourage s'effraie. Le grand Nègre est hospitalisé à Sainte-Anne. "Moi j'ai tout de même passé une nuit là-bas. Ils ont ouvert le grand dortoir, c'était comme la Banque de France: portes blindées, larges comme ça".

jeudi 28 novembre 2013

Travailler du chapeau

Une enfance rurale m'enseigna le parler coloré des villages. Je suis sensible à l'éloquence du soi-disant bon sens. En nos hameaux, on ne se payait pas de mots. L'illuminé du clocher, en pays labouré, "travaillait du chapeau".
Selon une fédération de la prévention, la nation compte un million de travailleurs du melon. Varin fait partie de la confrérie. Varin de chez Peugeot bricolait du chapeau, taquinait de la retraite feutrée.
La raison l'a sauvée. Il recouvre ses esprits, à défaut de sa liasse de Monopoly. Varin renonce à porter le galurin. Le Medef en accusation n'appréciait pas son couvre-chef de fonction. Varin rebrousse chemin. Il vivra sa retraite nu-tête.

mercredi 27 novembre 2013

Galli-marre !

La modernité rétrécit la liberté, réduit le champ d'une minimale correction, amenuise le souci d'exactitude.
"Ca ne trompe pas". Je prends de la chevrotine dans la rétine. Le ça de Freud devient syllabe de cacao. Galli-marre ! Le véloce éditeur publie la correspondance de Chardonne et Morand sans disposer d'un matériel d'imprimerie précis, respectueux de la langue, de ses règles de courtoisie. Je me souviendrai longtemps de la page soixante-sept. Comme d'un guet-apens.
Le "c" cédille majuscule s'est égaré du clavier. La maison du bon vieux Gaston se conforme au vouloir péremptoire d'un ordinateur. Elle se moque du petit croc de boucher, emboité au "c" d'alphabet, que Chardonne trace à la diable. Elle se rit du manuscrit.
Le grossier grossiste déballe mal ses bibelots d'artiste. Il produit de la phrase comme de la betterave.

Les yeux au ciel

On contemple une écorchure. Les tuyaux perdent leur sang. L'eau du plafond s'égoutte dans une poubelle de voirie. Il pleut au rez-de-chaussée.
La fuite fait fuir. L'alarme n'émeut pas le gendarme. Le pompier nous identifie comme des casse-pieds. Il est en panne d'échelle. On lève les yeux au ciel. L'inutile plombier coche les cases de son carnet à souches. On paie sans avoir la paix.
On communie autour d'une plaie. On compte les heures au regard d'une citerne d'éboueur. On ne peut violer le domicile au-dessus, en l'insouciante absence de son locataire. Au matin du dimanche, l'homme paraît à sa fenêtre, coupe l'eau de ses braillards sanitaires. On baisse la nuque.

mardi 26 novembre 2013

Sa figure de mauvais acteur

J'ai laissé Emma Bovary à son enfermement normand. Flaubert revient de suite. Il est momentanément dans l'escalier. Il a fini Carthage, le travail d'un quinquennat, tissé page après page. C'est un péplum crépusculaire qui satisfait son goût de l'Antiquité romaine. Il pressent le ratage. Salammbô a l'âge des Misérables d'Hugo.
Je saute un siècle. D'autres courriéristes sont en piste. Les lettres de Chardonne et Morand ressuscitent la vie d'artiste. C'est un gros pavé Gallimard qui pèse son pesant d'oxymores. Leur légèreté de feuilles volantes est d'un agrément précieux, sorte de politesse du soleil, à l'heure des adieux.
Déon annonce la couleur, abat d'emblée la carte Chardonne. Car le délicat esthète de La Frette remonte le moral, dilate l'orgueil du scribouilleur confidentiel: "Un écrivain aura du prestige s'il n'est pas lu, si on ne trouve ses livres nulle part, si on ne voit pas sa figure de mauvais acteur. C'est dans la nuit que l'on atteint à une notoriété respectée".
Je suis assailli de bonnes choses. Je suis rassasié de jolis mots. J'aime ce qu'écrit Pierre-Marc de Biasi, fin lettré de l'université. Ce flaubertien de métier préface un bel ouvrage érudit sur Pierre Michon, l'ouvrier diamantaire d'une même extase littéraire.

dimanche 24 novembre 2013

La papouille de diplomate

Ils pavoisent au petit matin. Négociations réussies sur l'uranium enrichi, du côté du Golfe Persique. Les diplomates sont aussi des primates.
Le succès affiché nécessite d'ostentatoires baisers. Bourrades dans le dos. Les diplomates se tapent sur l'omoplate. Convoitent les joues comme des tomates de Catherine Ashton. Les hommes à cravate se palpent l'avant-bras, se cajolent l'épaule.
Kerry surenchérit dans la papouille de diplomate. Il marque son territoire de chef. Il soigne son image, maintient la hiérarchie sur la photo des embrassades. Le public hexagonal identifie son régional de l'étape. Fabius est aux nues, au diapason de l'ambiance de réveillon.

Leur tonne de barbaque

Les Springboks sont forts comme des Turcs, pèsent leur tonne de barbaque. Nos fiers pioupious ne progressaient pas d'un pouce. Le jeu de mains était sans lendemain, haché menu par des géants venus de loin. Parra botta dans les nuées. Parra parait au plus pressé.
Un grillage de hauts pectoraux interdisait l'accès aux poteaux. Nos corps de guerriers se déchiquetaient sur les fils barbelés. Aucune escarmouche ne pouvait faire mouche.
La révolte de Papé conduisit au minime essai d'Huget. Faute d'espoir, il y a Dusautoir, méritoire devant l'Histoire. Le rugby des Bleus était tassé dans son petit jeu. La victoire était fermée de l'intérieur. Botha et les siens renvoient le Quinze de Saint-André à l'anonymat de ses insuccès.

vendredi 22 novembre 2013

Gracquien, livre deuxième

Je sens bien que je vais être dérangé. Flaubert fera tapisserie. Je me délecte à l'avance de leurs textes, des lettres décachetées entre Paul Morand et Jacques Chardonne. Vitesse de l'un, justesse de l'autre.
Les deux vieilles badernes éclairent ma lanterne. La verve épistolière date du temps des chaumières. Elle n'a pas survécu à la paresse d'essaimesse, à l'écriture de rue. J'ai la nostalgie du bien écrit.
Le visage de Charles Juliet, je l'ai guetté toute la journée au coin de l'écran carré. Juliet l'émacié est une terre labourée, une mince torche vive, une voix empêchée, à peu près muette. Sa longue patience casse la preste ambiance.
Je compulse l'un des tomes du Journal de Charles Juliet. "Avant d'avoir vingt-trois ans, je n'ai guère lu que quatre ou cinq livres. Le second que le hasard m'ait mis entre les mains a été Un Beau Ténébreux...Pendant des jours et des jours, je n'ai cessé de le relire...".
A distance d'âge, j'ai partagé cette émotion de feu, cette brûlure de l'imagination. Je suis gracquien, livre deuxième.


jeudi 21 novembre 2013

Une espèce d'éternuement

Flaubert se définit comme "l'homme des songeries". Il ressasse, frotte sa cervelle aux murs de sa cellule.  "Nous ne devons entrer dans la vie réelle que jusqu'au nombril. Laissons le mouvement dans la région des jambes". Il ne bougera pas d'un iota. Sauf par panique, idée fixe, brusquerie poétique.
A Croisset, il trifouille l'encrier et barbouille du papier. Il blasphème à tue-tête dans un gueuloir d'esthète. Le curé du patelin est un ignorantin, son Dieu bon enfant "une espèce d'éternuement". Sa joie vient du bourgeois. A regarder Achille, il sait qu'il met dans le mille.
On lit la phrase de sa boutique à doses homéopathiques. Posologie oblige. "J'écris fort lentement parce qu'un livre est pour moi une manière de vivre". A Maurice Schlesinger, il confie la mauvaise influence, la douteuse fréquentation d'Elisa. Il s'excuse auprès du mari d'une besogneuse fantaisie.

mercredi 20 novembre 2013

Les yeux d'une rousse

Il est un âge, une situation en carton, un temps de gabegie, où l'on s'enivre de vie comme d'une eau qui pétille.
En fin de course, quand se grippent les ressorts, on s'interroge sur l'envers du décor, on lit la mort aux trousses dans les yeux d'une rousse. On voit l'éternité dans de la flotte éventée. La vie s'amuse de petites ruses.

Xénophobie positive

Patriotisme de gradins. On veille aux frontières. Le stade est un champ de drapeaux tricolores. Les banderoles chauvines ne troublent guère les zélotes d'un esprit planétaire.
La Marseillaise est un cri de guerre, aux paroles de malaise, un chant de haine à la face de l'Ukraine. L'enthousiasme n'a pas d'état d'âme. La joute sportive s'apparente à une xénophobie positive.
Sakho montre les crocs. Mamadou est un buteur fou. La tribune présidentielle est au septième ciel. Hollande a bravé les sifflets. Il commente le match de la dernière chance. Il est qualifié pour d'autres périls.

mardi 19 novembre 2013

La fable de l'idéologie

Une vie de photographe. Arrêt sur image. Le tireur à baskets vertes a suspendu le cours d'un destin. Visages décomposés, coups de mentons d'une délégation de ministres au siège de Libération.
On bâcle une sympathie rapide à l'endroit de la victime. On s'appesantit sur des concepts. La liberté de l'information est menacée. Le quotidien soixante-huitard mérite une solidarité anti-salopards.
Moins emblématique dans l'inconscient progressiste, moins porteur des bonnes valeurs, le média BFM TV ne jouit pas des mêmes gâteries. Pas de discours solennel des édiles locaux, pas un mot.
On se tait comme si on enterrait Gérard de Villiers, romancier trop populaire. Le silence affiche ses préférences.
Le braqueur fou est prétexte à de pieuses déclamations. Le pouvoir fait les gros yeux. Il invente un péril pour mieux s'observer dans la glace. Il politise un fait divers, fabrique une frousse, exhorte au sursaut démocratique. L'idéologie se saisit de la fable jolie.
Je chasse le nuage de fumée. Je vois quoi ? Un repris de justice fait usage de son arme. La police est à ses trousses. Un homme hésite entre la vie et la mort.



lundi 18 novembre 2013

La chambre royale

J'aime les livres parce que j'ai peur des lèvres. Flaubert ne cause pas d'autre chose. En novembre 1859, il écrit ces mots à Amélie Bosquet: "Chacun de nous a dans le coeur une chambre royale. Je l'ai murée, mais elle n'est pas détruite".
Flaubert évente un secret, confie à la féministe les ressorts d'une fixité littéraire. Il est ensablé. Il n'a pas bougé de la plage. La marée haute n'ordonne pas de hâte. Flaubert est enterré face au Havre, à côté d'un regard.

dimanche 17 novembre 2013

A la condition d'une rançon

Les grands clubs d'Europe jouent des coudes, rivalisent de convoitise, cassent leur tirelire pour s'octroyer les bonnes grâces de Ribery le balafré, de Benzema l'endormi, de Nasri le malappris.
Ces virtuoses du ballon rond galvanisent les stades de Bavière ou de Castille, de Manchester ou du Piémont.
Avec un paletot bleu sur le dos, ils traînent sur les pelouses un majuscule ennui. Ces athlètes d'exception se fichent de la nation comme d'une guigne. L'honneur tricolore, ils s'en tamponnent le coquillard.
Les footballeurs d'élite sont des apatrides, des mercenaires cosmopolites. Ils sont citoyens du monde, squatters de paradis fiscaux, déracinés d'un terroir sans dollars.
Leur morale professionnelle leur interdit tout sentiment national. A trop vouloir abolir les frontières, on cesse d'être fier d'une terre. En quoi, ils diffèrent peu des patrons mondialistes dont le pays d'origine se provincialise. Comme ces fortunés de la société, ils sont moyennement policés, de moins en moins éduqués.
Les petits gars en culotte courte se sentent à l'étroit dans leur maillot mal tricoté. Evra et ses copains de tombola n'aiment guère le bénévolat. Ils ne libèrent leur jeu qu'à la condition d'une rançon.

vendredi 15 novembre 2013

A peine fardé sur la joue

La petite poire Guyot est une gaieté de la vie. C'est un fruit joli, à peine fardé sur la joue. La nature l'a doté d'un exquis postérieur. On la cueille par la taille. Sa chair désaltère comme une joie, sans loi ni désir.
La petite poire tournoie entre mes doigts. J'y plante les dents. J'aime son affectueuse fraîcheur de jeune fille toute simple.

Il était une forêt

Francis Hallé est le botaniste d'un monde de verticalité, l'ardent croisé des canopées. La forêt tropicale est une énigme langagière, un palimpseste végétal entre ciel et terre. Je sors du cinéma. Je ressens l'ivresse des cimes. L'homme premier est d'habitat forestier.
Le déchiffreur des vies arboricoles filme le récit collectif de seigneurs millénaires. Il jette mille informations, dévoile les secrets d'une société, révèle l'organisation des hauts végétaux.
Nos mots percent mal le mystère d'une langue d'arômes, d'une communication odorante, d'un dialecte d'écorce. L'arbre lève ses branches vers le soleil, témoigne sa ferveur à la lumière. Il sous-traite la mobilité au règne animal pour se reproduire à distance, à l'écart des fatales concurrences.
Le film excite une convoitise. L'arbre est désir de connaissance. Il y a dix ans, Francis Hallé a rédigé un gros bouquin savant. C'est un beau plaidoyer, un mémoire à sa gloire, qu'il faut lire le doigt sur chaque mot.
L'arbre jouit d'une majesté. Il dispose d'une sorte d'éternité qui assied sa souveraineté. Hallé est le Champollion désigné des modes d'expression de la canopée. Le vieil homme est au commencement d'un savoir, applique la raison à de nouveaux territoires.

mercredi 13 novembre 2013

Le casseur de Sempé

Les grognons du terroir breton cassent des portiques, défoncent le palais du préfet, saccagent des radars.  Détruire est une langue régionale. La force convainc mieux que d'oiseux discours. L'acte troue la réalité quand la parole n'est que chantonnée sans autre effet.
Je me souviens d'un fou rire, d'un dessin du grand Sempé. Dîner bourgeois. Les convives bruissent de conversations futiles.
En bout de table, l'un d'entre eux veut parler pour de vrai, s'attaque au vacarme. Il peine à se faire entendre. Il perd patience. Il s'enroue. Il saisit son couteau d'argenterie, le cogne au verre de fine cristallerie. Le joli calice se fend en mille morceaux. Silence de mort.
Les notables se sont tus et regardent la rue. Les yeux du gouvernement se braquent sur le délinquant, considèrent le casseur comme un misérable intrus.

Entre deux pères

Identification d'une femme. Il y a trente ans. Maria Vittoria. Antonioni épingle des visages, comme des papillons, jusqu'au plafond. Il cherche la fille du film. L'histoire d'un regard suffit à l'incendie du récit.
Antonioni est emmuré dans ses photographies. Maria Vittoria. Mavi navigue entre deux pères: le cinéaste, l'homme aux longs doigts.
Antonioni l'apprivoise à moitié. Masseria d'hiver, couleur de cendre, s'y dessine la nuit latine. Virée auto dans un brouillard à couper au couteau. Mémoire d'une jeunesse à Ferrare.
Mavi s'échappe du film. Ruelle romaine. Théâtre à l'italienne. Représentation proustienne. L'actrice aux yeux noirs joue le soir, chevauche le jour. Christine Boisson est la doublure, une seconde nature, un deuxième visage.
Antonioni s'égare, fait fausse route, va quelque part. Venise indécise, entre elle et lui, entre parenthèses. Palais Gritti, sonnerie de hall. Profil diagonal. La petite Arabe balance entre deux espaces, se perd entre deux pères.
Antonioni regarde la photo des deux amants terroristes. Maria Vittoria a une figure d'attentat. Elle trimbale un visage de magazine, de une d'Herald Tribune. Antonioni piste une récidiviste.
Maria Vittoria loge à l'étage dans un anonymat de filles. Elle guette Antonioni. Lointaine comme une reine. La passion tourne autour du soleil, d'une étoile de science-fiction.
J'admire l'art du maître de Ferrare. J'ai besoin du grand coloriste italien.

mardi 12 novembre 2013

Voir beaucoup de ciel

Ce diable d'automne tarde à révéler sa vergogne. La nature voile ses joues rouges. L'avenir se cache pour mourir. Une loi gouverne l'écorce des doigts. Les feuilles luisent d'un sang vermeil.
Gustave se glisse dans le lit d'Eulalie. Il n'a pas vingt ans, mais envie d'embrasement. Flaubert a fui la Normandie. Il tente une escapade, se dérobe aux ciels gris. Le Midi l'éblouit. Hôtel Richelieu, rue de la Darse à Marseille. Il songe au "pays du soleil". Il cogne à la porte des dames Foucaud, échange quelques mots.
Eulalie fixe le souvenir d'Elisa. S'appellent pareil. La baigneuse de Trouville, Elisa Foucault, Schlesinger par raccroc. Gustave est la proie de maîtresses entêtantes. On sait des Goncourt que Flaubert confie sa chair à la belle marseillaise. Eulalie a deux fois dix-huit ans, de quoi ranimer l'enchantement d'un roman. A vingt-cinq, trente et quarante ans, Flaubert revient sur les lieux, toise les murs de l'hôtel Richelieu. Les deux foucades de Gustave sont inflammables à la première syllabe.
Flaubert s'instruit comme Godard. Il n'apprend que des éléments. A la Chantepie qui gémit de mélancolie, il écrit: "Votre médecin a raison, il faut voyager, voir beaucoup de ciel et beaucoup de mer" (Pléiade, La Correspondance, tome II, lettre du 30 mars 1857).

lundi 11 novembre 2013

Le film des Philippines

Le monde ne tient pas debout. Un typhon suffit à balayer ses maisons. Le Philippin manque de pain. Dans les décombres, l'homme, la femme, l'enfant interrogent leur ombre. Les morts d'Asie nourrissent des documentaires précis. La civilisation a des jambes d'allumette, des fondement en carton. C'est quoi ces parois de désarroi ?
Les yeux embrassent la bouillasse, considèrent ce qui se passe. La lèvre ourlée d'une fillette est une aile engluée dans le sable. Sur la joue s'y dessine un papillon de chair. L'horreur caracole sur l'échelle de Richter du malheur.
On zappe l'Asie. On oublie la sympathie. Les petits pas d'un homme d'Etat le mènent à Oyonnax. Il serre des mains. Il ne sert à rien. Je m'endors sur le film des Philippines.

dimanche 10 novembre 2013

Les poilus du jeu dru

Rugby rugueux. Les gars s'enterrent dans la bagarre. Clôturent les herbes d'un barbelé de corps. Vague de Blacks comme des claques de mer opaque.
Ces poilus du jeu dru sont des gentlemen, voyous de rue. Il y a malaise à céder un pouce de terre glaise. Ces torses d'écorce privilégient la force. Rare est la beauté dans une guerre de tranchées. La mêlée est un charnier vivant de corps pantelants.
On guette la prouesse d'une silhouette svelte, la libre étincelle de tête brûlée. L'époque est au sport de bloc. J'aime la muette humilité de Dusautoir, capitaine de grand soir. Se met en six, déchiquète l'ennemi.
Costauds devant, gaillards derrière, ils se ressemblent comme deux gouttes d'eau. Ils s'interdisent l'anomalie. Ils ont jeté la fantaisie du rugby aux orties. La reddition aux picaillons en a pourri le style, gâté l'esprit d'épopée.

samedi 9 novembre 2013

Bêtise de l'homme

Madame Taubira s'est faite injuriée par une fillette. L'invective, dans la bouche de l'enfant, traduit une antipathie, un sentiment d'hostilité.
Traiter l'homme d'animal est signe d'animosité. Dans le bestiaire des insultes ordinaires, figure "chienne" souvent proférée à l'endroit de la femme adultère. L'homme aux excès sexuels est taxé de "porc". Jadis, l'adversaire idéologique était qualifié de "hyène". On décernait même des brevets de "hyène dactylographe". Les maoïstes appréciaient  volontiers "tigre de papier".
Aujourd'hui on déconsidère l'enfant dès lors qu'on l'exhorte à cesser ses "bêtises" ou d'arrêter ses "singeries".
Bref, le mot "guenon" salit la dignité de Madame Taubira. Or l'homme et le singe sont assez semblables. Foi de paléoantropologue. Dans "Qu'est-ce que l'humain ?" (Le Pommier, 2003), Pascal Picq, maître de conférences au Collège de France, écrit: "La famille des hominidés se compose des grands singes africains: gorilles, chimpanzés, bonobos et hommes".
Dans une déclaration récente au Canada, il précisait: "L'homme fait partie de l'ordre des primates, et plus particulièrement d'une grosse partie des primates qu'on appelle les singes. L'homme ne descend pas du singe, nous sommes des singes".
Inutile de monter sur ses grands chevaux. On parle de racisme à tort et à travers. Est raciste celui qui prétend que la couleur de peau hiérarchise la condition humaine. Est raciste celui qui dénie l'égalité de dignité des hommes, selon qu'ils soient de chair pâle ou foncée. Le racisme distingue une sous-humanité, au seul motif d'une peau teintée, blanchie, différenciée. A ne pas confondre avec la banale invective.


vendredi 8 novembre 2013

Lisez pour vivre

Mademoiselle Leroyer de Chantepie est la lectrice éblouie de Madame Bovary. Dans son trou perdu d'Anjou, Flaubert lui fait un bien fou. C'est une vieille fille, mal instruite, frappée d'acédie, qui écrit sa reconnaissance à Gustave, l'ouvrier du manuscrit.
Gustave a trente-six ans. La Chantepie cinquante-sept. Le forcené de Croisset noircit des pages attentionnées qui lui sont destinées. Flaubert lui répond pour de vrai, quand il a une minute, en homme de métier. On songe à De Gaulle causant à Le Clézio, trouvant les mots qui font écho.
Il s'agit de lire. Sacré bonsoir ! "Plaisir divin" selon Proust. Debord, hors spectacle, a bien vu la société, ses ostentatoires temps morts. Il usa ses yeux sur les feuillets d'un autre siècle. "Pour savoir écrire, il faut avoir lu, et pour savoir lire, il faut savoir vivre".
Flaubert est au chevet de la petite châtelaine. Flaubert, toubib de La Chantepie, prescrit un alcool à réveiller les morts. Il pratique la médecine différemment d'Achille. L'idiot de la famille fait sa tambouille à sa guise.
"Lisez Montaigne, lisez lentement, posément ! Il vous calmera. Et n'écoutez pas les gens qui parlent de son égoïsme. Vous l'aimerez, vous verrez. Mais ne lisez pas, comme les enfants lisent, pour vous amuser, ni comme les ambitieux lisent, pour vous instruire. Non. Lisez pour vivre" (Pléiade, Correspondance, tome II, page 731, lettre du 6 juin 1857).

jeudi 7 novembre 2013

L'haltérophile d'un peuple

Novembre est un mois gaullien. Un général gothique d'une lointaine république, l'haltérophile d'un peuple qu'il portait à bout de bras, s'est écroulé en vieux soldat.
Il vécut quatre jeunesses, quatre fois vingt ans, dans le mouvement des renaissances, dans la résistance au bon sens, au voisinage des prouesses.
Il reconnut la Chine comme la passante prioritaire du coin de rue planétaire. Un demi-siècle après, on bricole dans l'à peu près, on détricote un somptueux passé. A rebours des marchands de présent, des publicitaires d'éphémère, l'homme récalcitrant savait que "l'avenir dure longtemps".
Althusser nomma ses mémoires d'étrangleur du mot du général visionnaire. Marxistes, gaullistes: sur la même piste. Entre les deux, rien, disait Malraux. Un néant de gouvernement.

mercredi 6 novembre 2013

Le parti des burettes

Il a discipliné sa tignasse argentée. Il est habillé pour les caméras. Il est rieur pour deux. Il est confus, désordonné, gouailleur à toute heure. C'est un copain de bistrot, partageur de petits bonheurs, amateur d'ivresse et de paresse.
Borloo griffonne sur la table un projet bâclé comme Picasso dessinait d'un trait sur une nappe de café. Il y croit sur le moment, moyennement, pas vraiment. A d'autres voisins de table, il barbouillera d'autres figures, en géomètre de fantaisie.
Borloo est un alliage joyeux, fait d'une humanité burinée à la Carmet et d'obscurités langagières à la Rocard.
A côté, Bayrou est empêtré dans son corps. Il est planté là, comme un grand gars de la terre, cravaté pour la messe. Son visage est fixe dans une posture de bélier. Il est obsédé par l'Elysée malgré ses échecs répétés. Il se calque sur Mitterrand, le président qui l'ensorcèle, qu'il vénère en disciple provincial. Il est sensible à la flatterie, très centré sur sa destinée.
Entre une gauche qui gâche et une droite qui rate, il fait l'équilibriste. C'est un fildefériste amateur, un acrobate suicidaire qui a dégringolé à force de se pencher toujours du même côté. Bayrou est cousu de bosses. Il est rafistolé à l'hôpital Borloo.
Les deux compères, comme Bouvard et Pécuchet, se retrouvent par hasard, non pas boulevard Bourdon, mais sur le trottoir de leurs ambitions. Il y en a une de trop. Ils sourient comme des premiers communiants, pieux comme des novices, avant de s'entre-dévorer pour un même calice.
Le centrisme est une passion triste. Il préconise la modération. Il se trompe d'exaltation. De Gaulle raillait la tiédeur du centre avec des mots d'orfèvre: "Ce sont des enfants de choeur qui auraient bu les burettes". Bayrou est resté rouge de ses premières audaces. Borloo, c'est plus compliqué. Il a mangé à tous les râteliers de l'économie de marché. Il ratisse large les jardins du capitalisme.
Bayrou est un agrégé madré, fier de maîtriser l'alphabet. Il est très content d'avoir déterré un mot nouveau: "sécession". Trouvaille de Béarnais. Il colle à l'actualité de la nation. Le peuple est irrédentiste, coupé de sa représentation notabiliaire, nationaliste pour deux. Le mot "sécession" définit le climat émeutier du pays, la fronde des corporations.
Les deux hommes s'observent déjà en chiens de faïence. Borloo pince le poignet de Bayrou. Il veut parler à son tour. Il lui faut surenchérir. Gommer la bonne impression de "sécession". Il trouve "le plan B". Le conglomérat Borloo/Bayrou, c'est le plan B à la crise, au marasme, à la défaite cuisante de notre économie.
Le scoutisme centriste nous inflige un triste blabla. Pour finalement tirer à hue et à dia, à l'approche du grand match présidentiel. Le nouveau parti des "burettes" s'entête à l'optimisme comme une musique de supérette. Je retourne à mes fourneaux. Le Candidat, comédie politique, est sur la table de cuisine. Flaubert n'attend pas.

mardi 5 novembre 2013

Cioran mon tablier

La cérémonie des prix est morte d'une balle perdue. Victime collatérale de l'idéologie post-Général. Méfait de Mai. L'école jeta le discrédit sur la fête annuelle du mérite, voila sa honte des compétitions studieuses.
Mon père riait qu'on réservât l'exclusivité des croix d'honneur aux vieillards grabataires. Les grandes personnes raffolent des petits honneurs. Elles s'échangent les médailles comme l'hostie pailletée d'une gloire. Les enfants à la maison sont interdits de décoration. Ils ont mieux à faire avec leurs leçons que de jouer avec des bouts de ficelle.
Les prix littéraires ont gardé leur régularité saisonnière. Ils s'organisent autour d'une bouffonnerie: un frichti tonitruant, le raout chez Drouant. Les jurés de prix manquent de précocité dans le regard. La reconnaissance tardive entache le geste d'un élan insultant. Un Renaudot, de seconde zone, s'est prononcé pour Matzneff, l'autochtone. Il y a trente ans, au même âge, Cioran déclina le prix Morand.


lundi 4 novembre 2013

Nique ton portique

Ils sont coiffés de rouge. Folklore d'Armor. Nique ton portique. Il crachine à Carhaix. Grande marée. Quimper gagne. Méli-mélo. Malo-Mali.
Deux tués, hors portique. Deux tués, exécutés de près. Deux tués d'Afrique. Perron de l'Elysée. Foulé de ministres et valets. L'heure est grave du ballet des graviers.
Jacquerie au pays. Tuerie au Mali. Le président est sur les dents. On rapatrie deux corps. Un dimanche de tiré. Cinq portiques de cramés.

jeudi 31 octobre 2013

L'écot-otage

Après la bataille de l'écotaxe, nous assistons à la querelle de l'écotage. L'écot-otage est l'impôt de la terreur. L'Etat ne mange pas de ce pain-là. Sa diplomatie suffit. Version officielle, ritournelle de la tractation en gants blancs. L'exigence de transparence est une chansonnette politicienne. L'opacité prévaut au Quai d'Orsay.
Les otages font la grimace sur le tarmac. Les ministres paradent. Le président palabre. Le quatuor libéré courbe la nuque. L'autorité pérore. Elle sollicite leur "expression". Mot déplacé. Cécité jobarde du chef de l'Etat. Les blablateurs se conduisent comme des écornifleurs. Le mutisme des otages dévoile l'odieux parasitisme. Ces hommes tristes sont désormais les détenus des ministres.

mercredi 30 octobre 2013

L'âme d'une anagramme

L'Education Sentimentale annonce la vie parisienne de la grande saga proustienne. Gustave, premier de cordée, tend l'échelle à Marcel. J'aimerais décoder Flaubert, le nez en l'air, déchiffrer l'arrière-pensée des noms propres.
Arnoux est l'anagramme de Rouen, orthographié Rouan. S'ajoute l'inconnue des équations, l'anonyme des jeux de raison. Marie est un nom précis qui brouille les lettres du verbe aimer.
Autrement dit, Marie Arnoux décompose les signes de la ville natale de Gustave. Avec une faute de voyelle, a au lieu d'e. Facétie du forçat de Croisset.
Dans Frédéric, il y a écrire. Il y a même décrire. Il y a F comme Flaubert. Bref, Frédéric, c'est Gustave, baptisé par lui-même. L'amour se cache dans Moreau, s'y imprime au féminin. Amour(e): l'autre mot de Moreau.
Flaubert fait ses préparatifs. Il peaufine ses énigmes. Il loge son âme dans l'anagramme. Marie Arnoux et Frédéric Moreau trimbalent la vie de Gustave. A dos de jeux de mots. Les deux protagonistes sont matière à virtuosité d'artiste. J'en dévoile la teneur en douleur : Aimer, Rouen, Amour, Ecrire, Flaubert.

lundi 28 octobre 2013

Cinquante-sept loups

Je touche à tout. A ce livre bleu noirci de longues généalogies. Je tombe sur Christian, gentilhomme casse-cou, tueur de cinquante-sept loups. Je m'arrête au palmarès d'un chasseur d'espèce. Je referme le livre aux armoiries comme on range un fusil. L'homme est mort, il y a cent un ans. Ses loups sont entrés dans ma vie.
Je tords un Folio, écorne une page, griffonne sur Frédéric. J'imagine les joues de Madame Arnoux. "Je suis un homme moyen, plus une exigence". Je note la phrase hasardée d'un journal. Déterrée d'un cahier de Camus.
Les arbres dodelinent de la tête, en signe de dénégation. Ils dérivent sur l'asphalte, quémandent une grâce. On coffre les mauvais coureurs dans une voiture-balai.
Je consulte la fenêtre et les saluts d'une tempête. Flaubert m'embrouille. Je rouvre le bouquin des filiations. Les hommes ont la passion de se dénommer. "Mémoires d'un fou", page 56: "Quoi ! - de la vanité, du bruit, du néant". 
L'iphone sonne. Mails tactiles. Cinquante-sept signes. Je mélange tout. Les mots et les loups.

dimanche 27 octobre 2013

Un Tour à la Walkowiak

Hollande, au style très quatrième république, ressuscite la figure de Walkowiak. Le président normal a conquis la timbale élyséenne comme le cycliste oublié s'est octroyé le maillot jaune, au milieu des années cinquante. Lauréat du Tour, dès la première participation, Roger Walkowiak n'a jamais confirmé son coup d'éclat. Il a réintégré le peloton, puis l'anonymat de Montluçon. François Hollande, au terme d'un mandat, pourrait rejoindre la rue Cambon.
François Hollande prend mal la lumière. Il est banal à la manoeuvre. On ressent un vide, un manque d'incarnation, une panne de présence, un déficit d'autorité. Son défaut de popularité résulte d'un excès de normalité. Walkowiak avait bénéficié des gracieusetés de la destinée. Il s'intercalait entre Anquetil et Bobet. Après le bouquet d'arrivée, il s'endormit sur ses lauriers. Il fit fausse route, quitta le vélo, ne construisit rien de pérenne avec la petite reine.
Hollande a enfourché le vélo de De Gaulle. Il touche à peine les pédales. Il a joui du forfait de DSK et de la méforme de Sarkozy. L'un a préféré la noce au sacerdoce. L'autre a été hué durant toute la course. Coup de chance. Mais aujourd'hui l'impôt à tout prix est au bout du coup de pot.
Au début, Hollande récupère le bonus du Mali. Il cible une poignée de terroristes, sonne l'hallali, retrouve ses joues de trompettiste. Il succombe à l'ivresse du feu. Il engrange de la sympathie. Il confie son bonheur au pays: "C'est le plus beau jour de ma vie".
La population partage peu l'émotion. Elle goûte moyennement le forcing fiscal. Hollande taxe à tout bout de champ. Le gouvernement souffre d'une addiction au prélèvement. L'impôt est ressenti dans son étymologie. Le mot voisine avec imposteur, pour qui le collecte. Hollande appauvrit les gens du pays. Hollande, percepteur de la République, nous joue un Tour mineur, à la Walkowiak.
Comme l'obscur pédaleur, il risque de finir patron de bar à La Chapelaude, capitaine de menthe à l'eau à la buvette de la Cour des Comptes.

vendredi 25 octobre 2013

Larrain, leçon un

Larrain renonce à la mastication. Au ressassement des mêmes tourments. L'homme qui regarde ne mâche pas un chewing-gum. Il goûte une joie. Il fuit le spectacle, il guette un miracle. Il n'imagine rien, pas d'histoire, ne trace aucun chemin, ne cède à nul espoir.
Larrain va au vent, derrière les paravents. Il est fouetté par les embruns du matin. Il ne décolle pas sa joue du soleil, des conseils des grands ciels. La splendeur est au bout d'une lenteur. L'inaction veille au mûrissement des passions.
Il se clochardise à cause des marchandises. Larrain s'accoude au parapet, extrait un fragment de soi de son artisanat minier. Il vagabonde en son intime réalité. A l'image de l'enfant, la photographie naît d'un moment d'égarement.

jeudi 24 octobre 2013

Les photos de Sergio

J'avais tout faux sur la photo. Je la considérais de haut. J'en méprisais l'hypothétique paresse d'index. Sa lissité de papier glacé interdisait le travaillé d'artisanat. Je me sens mal avec le machinal.
Or j'ai révisé mes idées, changé de préjugé. Si Barthes et sa Chambre claire m'ont ouvert la tête et ôté ses oeillères, reste que la photo me déconcerte. Elle me touche peu. J'aimerais écarquiller les yeux. M'ennuie son découpage gratuit de la géographie.
La magie d'un art m'est révélée sur le tard. La photographie d'un maître du Chili a illuminé ma nuit. J'ai besoin de Larrain comme de pain. J'ai besoin de m'abreuver aux lumières de Valparaiso. J'ai besoin des petites filles du passage Bavestrello. Je regarde Santiago autrement qu'avec des mots. Sergio Larrain me tend la main, un miroir sur les premiers matins. L'homme de patience donne à la vue ses lettres d'évidence.
Larrain photographe s'est sauvé du monde bref. Il s'est retiré des hommes et de Magnum. Larrain fait le saut, fait écho à Rimbaud. Il fait d'un passe-temps matière à éblouissements.
Il prescrit à son neveu, Sebastian Donoso, des conseils pour les yeux, des secrets précieux: "Il faut partir à l'aventure, comme un voilier, toutes voiles dehors, aller à Valparaiso, aux îles Chiloe ou parcourir les rues toute la journée, errer, errer encore dans des endroits inconnus, s'asseoir contre un arbre lorsque l'on est fatigué, acheter une banane ou un peu de pain... c'est cela, prendre un train, aller dans un endroit qui t'attire et regarder, sortir du monde connu, pénétrer ce que tu n'as jamais vu, se laisser porter par l'envie, se déplacer beaucoup d'un endroit à l'autre, là où tu le sens...peu à peu tu vas rencontrer des choses. Et des images vont te parvenir, comme des apparitions, prends-les".
Fichée au bout d'une impasse de Montparnasse, la fondation Cartier-Bresson a tacheté ses douze murs de centaines de rectangles, de figures d'éternité. Les visiteurs se taisent. Ils dévisagent l'oeuvre d'un sage. Ils sont cueillis à la sortie, saisis par les silences du Chili. Ils se sentent sots devant les photos de Sergio.

mercredi 23 octobre 2013

Une vague affectueuse

Trou dans la correspondance du grand Gustave. Rien d'écrit entre le 24 août 1835 et le 24 mars 1837. Vingt mois d'absence. Temps mort où s'intercale la vision éclair d'Elisa Schlesinger.
Flaubert ne sait pas quoi faire de sa peau. Il joue avec les mots. Il a quinze ans, traîne à Trouville son ennui d'adolescent. La féerie d'une vision interrompt sa rêverie.
L'heureuse baigneuse surgit d'une vague affectueuse. Dans "affectueuse", il y a "tueuse". Le sort de Gustave est scellé. Flaubert est ensorcelé. Il sauve le manteau d'Elisa de la montée des eaux. Du coin de l'oeil, il toise Maurice, la moustache lisse de mari sans orgueil. "Il tient le milieu entre l'artiste et le commis voyageur" (Mémoires d'un fou). Flaubert possède l'art d'épingler le boutiquier défroqué.
Flaubert pose son épaule dans sa geôle. Il abandonne sa propre histoire à l'écritoire. Il est nié, prisonnier. De la beauté d'une phrase. De la beauté d'une femme dont les pas s'impriment sur le sable.
Vingt ans plus tard, Gustave observe une torpeur intacte. Il s'est muré dans l'immobilité. Il confesse un fiasco. Il cause à l'oreille d'Elisa. "Je me suis usé sur place, comme les chevaux qu'on dresse à l'écurie; ce qui leur casse les reins" (lettre du 20 octobre 1856).

mardi 22 octobre 2013

Une cathédrale autodidacte

J'aime la flânerie des librairies. Les étagères de papa sont une caverne d'Ali Baba. Ma main balaie les rangées de papier. Elle n'évente aucun de leurs secrets. Reliures à moisissures, livres à couleurs criardes. J'inspecte des étagères de volumes à poussière.
Des soldats de plomb, des poupées de faux folklore, des figurines de magazine. Ces bibelots sont les vitraux d'une cathédrale autodidacte. Ils renvoient la lumière d'un homme de la terre. Ma main rôde aux alentours. J'extrais les Souvenirs entomologiques de Jean-Henri Casimir Fabre, l'édition vieille d'un siècle, tachetée d'étoiles brunes. J'ai cueilli la fleur qui m'a souri. Elle s'accorde à ma songerie.

lundi 21 octobre 2013

Le méfait du prince

Le bon plaisir est la tentation des monarques. Hollande, démangé par le prurit de la "générosité", ouvre grand le "sanctuaire" de l'école à Léonarda l'illégale. Il méprise la loi que sa police, "sans discernement", a scrupuleusement respectée.
Dans sa grande bonté d'homme d'Elysée, il se fiche de la légalité comme de son premier devoir d'exemplarité. Le président normal se conduit mal. C'est un président moyen, un calculateur politicien, qui additionne les contraires et divise par deux. Or la fin ne justifie pas les moyennes. Le berger du palais se noie dans le verre d'eau d'une majorité égayée. L'odieuse générosité du prince est une forme de lâcheté, l'ultime coquetterie d'une "gauche pieuse".
Le bon abbé François abandonne la loi à Leonarda, la brunette écolière, qui ne mâche pas ses mots, qui ne demande que ça: "C'est moi qui vais faire la loi". La jeune fille saisit la balle au bond de l'autorité moribonde. Elle n'a pas froid aux yeux.
Hollande parle à la jeunesse. Le chef de l'Etat exhorte Leonarda à la fugue. Il se soucie comme d'une guigne de sa minorité. Hollande cause en orfèvre des choses de la famille.
Dans le même temps, l'Etat laïc réhabilite le sacré en sa République écornée. L'école est classée sanctuaire au patrimoine des grands mots, sur le modèle des église, mosquée ou synagogue. L'école est la religion de la nation. Les policiers sont interdits de croyance. Les gens d'armes n'ont pas de belles âmes. Il est légitime qu'on les discrimine.
Il appartient au gentil vizir de se ressaisir. Car on ne bâtit ni l'école ni le sentiment national sur des synthèses molles. La loi ne peut être reniée au motif de souhaits particuliers. Le méfait d'un prince l'entaille d'un frivole coup de canif. L'imposture se révèle derrière la médiocre posture.
L'impéritie et l'empathie sont des auxiliaires de fantaisie. Seuls commandent les intérêts du pays. La péripétie Leonarda illustre les failles d'un président béat. A mesure qu'il retrouve ses joues de trompettiste, l'homme s'épuise à l'équilibrisme. L'arbitrage flasque tourne à la mascarade. Le hollandisme s'apparente à l'opportunisme du plus banal des centrismes. La contorsion ne suffit pas à calmer la colère d'une nation. A ses heures, le peuple sait être dur.

jeudi 17 octobre 2013

Mésaventure

Les comédiens s'amusent avec des rires et des soupirs. Ils jouent la gaudriole ou Claudel. Au Conservatoire, on ne s'embarrasse pas d'histoire. Ludmila Mikaël a tatoué nos mémoires.
Partage de midi ne souffre pas une moitié de poésie. Manque le rouge à l'encre de Chine. La blondeur d'Ysé messied à sa beauté. La blondeur d'Ysé est une faute de français.
Sterenn Guirriec ôte au texte sa couleur d'incendie. Mesa garde sa voix dans sa gorge. Il déclame son tourment, à deux doigts du crissement. Amalric ressemble à l'enfer, torse nu d'homme d'affaires.
La pièce s'achève en Genèse. M'agace les dents le surlignage d'Adam. J'aime l'idée d'océan au milieu du bateau.

mercredi 16 octobre 2013

Un cri de vaincu

Flaubert ne fait pas grand mystère du ressort de son travail littéraire. Il veut séduire par la phrase. Faire luire sa griffe. Etre aimé en majesté. Il forge l'outil, le destine au souvenir de Marie. Maria ou Elisa.
A l'âge du Christ, il écrit sans hâte. Il est offusqué par Louise, blessé par sa cécité. L'épistolière rate sa sortie. Flaubert met les points sur les i. Flaubert voit clair dans ses chimères. A la Maria de ses mémoires, il obéit en soldat.
"Tu as bafoué devant moi, le dernier soir, et bafoué comme une bourgeoise, mon pauvre rêve de quinze ans en l'accusant encore une fois de n'être pas intelligent ! N'as-tu rien compris à tout ce que j'écris ? N'as-tu pas vu que toute l'ironie dont j'assaille le sentiment dans mes oeuvres, n'était qu'un cri de vaincu, à moins que ce ne soit un chant de victoire ?" (Lettre à Louise Colet, 25 février 1854).
Flaubert voit rouge. Flaubert se souvient. Il s'est fait galérien par fidélité à la grandeur du "rien".

mardi 15 octobre 2013

L'espièglerie d'un seigneur

Ils aiment de la vie son goût de comédie. Ils jouent dehors, dedans, à la buvette, sous les fenêtres. La fraîcheur de Dumas nous enchante. Ces mousquetaires d'Asnières sont libres comme l'air.
Avec pareille bande de malappris, nous sommes en bonne compagnie. Le rythme échevelé sied à leur genre de beauté. Ils rapiècent le texte d'exercices burlesques, griffonnent des parenthèses bouffonnes. Le bloc Dumas tient le choc. Il résiste à cet exquis chahut.
Le roi Louis Treizième est le nom de théâtre d'Antoine Reinartz. Le joyeux galopin s'approprie la couronne avec un délicieux entrain. Brille dans son oeil moqueur l'espièglerie d'un seigneur.

lundi 14 octobre 2013

Les Roms de la mer

Nos yeux s'usent sur les noyés de Lampedusa. Ils dévisagent la mort à longueur d'images. Le roi est nu, l'effroi continue. La mortelle débandade est un sujet de dérobade.
Nos yeux errent sur le sauve-qui-peut d'une misère. L'Afrique fuit vers le fric. Nos yeux imbéciles s'ouvrent au rouge exil d'un rivage de Sicile. Ces hommes volontaires sont des Roms de la mer.
La compassion est sèche comme une panne d'émotion. Bruxelles dépêche son préposé au gestuel. Les corps sont pêle-mêle. Bruxelles excelle à expédier des mails.
Lampedusa essuie ses larmes de carte postale. Chéreau, la Reine Margot. Nos yeux sont éblouis des cadavres de Saint-Barthélémy.

dimanche 13 octobre 2013

La volupté

Nanterre-La Folie. L'université a fleuri dans les taudis. Baudrillard professe, enseigne Bataille aux marmousets d'Auteuil. Nanterre la Chinoise répugne à la veulerie bourgeoise.
Baudrillard bavarde, cause aux oreilles louis-philippardes. La petite salle dans les nuages est assaillie d'une jeunesse à chair pâle. On boit des cafés au pied des escaliers. S'écaillent aux murs les graffitis des mômes, les fresques décaties de frasques démenties. Les révoltés se sont rangés dans les tiroirs d'une société.
La sociologie réunit les plus jolies filles du pays. Baudrillard est une sorte de prélat goguenard. L'embonpoint trahit le désenchantement. Baudrillard ironise sur la marchandise. Le sexe est une convoitise qui bariole à l'envi les journées presque grises. Baudrillard jette un regard de nostalgie sur le feu des envies. Il hésite. Le mot qu'il a en tête est obsolète. Volupté. Syllabes clandestines à faire rougir un traître.
Il remue le mot comme un cadavre théorique, s'encanaille sur sa dépouille. La volupté pratique une trouée dans l'université des enragés. Baudrillard enfourche sa vieille Alfa, nous laisse sans joie. On se débrouillera.
Marx et Mao regardent le mot dans un silence de mort. En pleine saison de conte de fée, la volupté fait sensation, salle Raymond Aron. Je lâche l'époque et ses paltoquets pour Flaubert et son perroquet.

vendredi 11 octobre 2013

Le sang du paysan

Le paysan ressemble au pays. L'homme crotté de boue est endetté jusqu'au cou. Il est ballotté par les vents, baladé par les banques. Le paysan se ronge les sangs, s'ouvre les veines le cas échéant.
La paysannerie a été rayée de la carte de géographie. La paysannerie est sortie du cadre de la sociologie. Les paysans ont été déportés vers la cité.
Il est à terre, l'homme de la terre. L'homme de la terre nourricière se sustente avec un lance-pierres. Ses labours d'automne sont des pages testamentaires. Le paysan des moissons souffre de la déconsidération de la nation.
A regarder ses malheurs, le paysan passe un mauvais quart d'heure. Il fume une dernière cigarette. Il extrait de sa cartouchière le plomb nécessaire. La ronde des saisons est un horizon de pendaison.
Le paysan n'est qu'à moitié citoyen. Michel Serres le disait naguère. Les gens de la cité se sont appropriés la citoyenneté. Le mot suffit, laisse parler son origine. Il discrimine la nature. Le paysan, loin des villes, n'est qu'à demi citoyen. Son étrangeté l'interdit de cité.
Le paysan sait son infériorité de sang. On le lui fait sentir. Les gens des bourgs, les bourgeois, bobos et autres rois, méprisent sa pauvreté, le traitent en demeuré. La paysannerie est une vieillerie, précisément restée à demeure. Les rescapés des bouseux retournent l'épée contre eux. "Se détruire", disent-ils.

mercredi 9 octobre 2013

Fabius et Juppé

On les croyait rangés des voitures. Ils étaient nés coiffés pour une grande destinée. La calvitie les préservait de l'impéritie. Une arrogance un peu voyante contraria leurs espérances.
Ils étaient les mieux instruits du pays, étudièrent rue d'Ulm et rue des Saints-Pères. Juppé caracole en tête des indices de popularité. Fabius se plaît à l'excès au Quai d'Orsay, se rappelle au bon souvenir de l'avenir.
Ils seront septuagénaires au prochain scrutin élyséen. Ils ont déjà assez raté leur tour. Ils savent, depuis l'école, que l'intelligence isole. Ils souffrent de leur supériorité. Ils se désolent de la médiocrité et du manque de métier.
Juppé s'est sacrifié pour Chirac, président opaque. Favori de Mitterrand, Fabius fut précocement détesté de ses amis. Ils exercèrent l'actuelle fonction d'Ayrault avec un autre brio. Ils appartiennent à un temps où la quête d'un grand mandat national exigeait le drapé d'un style.
Sarkozy a liquidé ce genre de parure, s'est débarrassé de la manière. Hollande n'est pas un président de paille mais un gouvernant passe-muraille.
Fabius et Juppé serait au rebut dans le privé, trop vieux pour les marchés. En politique, la figure d'autorité obéit à des modes cycliques. J'imagine Fabius et Juppé, vieux percherons de l'élection, rehausser le blason de la nation, réhabiliter le bien parler oratoire, s'affronter sur un projet de civilisation. Je rêve à l'envers de l'histoire.

mardi 8 octobre 2013

Pavillon Proust

J'ai vingt ans. Peut-être moins. Je suis courbé sur mon cahier. Je noircis du papier comme un écolier précis. C'est une posture, devenue nature, dont je ne sais pas me défaire.
Je traîne mes textes et ma jeunesse dans des quartiers sans joie. Un professeur d'anglais lit "Les maîtres", une nouvelle que j'ai écrite dont la vedette est une Aston-Martin.
Hier je farfouillais dans mes livres. Pas moyen de mettre la main sur "L'Idiot de la Famille". Je tombe sur un texte fluet, "Lettre à mon mari mort" de Claire Coleman. Je l'ai acheté, il y a dix ans, les yeux fermés. Je l'ouvre aujourd'hui.
John Coleman-Holmès confie en passant, chuchote en souffrant: "Il y a des années-lumière entre un malade et un bien portant". Cet Américain à peau rose est le premier lecteur de mes petits papiers. Il a connu Maritain, m'envoie Notre-Dame en carte postale, me complimente sans tiédeur.
Claire raconte un cancer atroce au Pavillon Proust. "Toi intellectuel new-yorkais à la Woody Allen, extraverti, original, hilarant, bavard et vite éméché...tu me disais: le but de ma vie est d'être uni à la Sainte Trinité".
John Coleman-Holmès, de trente ans mon aîné, m'a tendu le premier une main dans le noir et un miroir pour me voir.

lundi 7 octobre 2013

J'entre en réunion

Blanc sonore du téléphone. Fin de partie comme une prise d'habit. "Je te quitte, j'entre en réunion". Mon oreille a flanché. "Je te quitte, j'entre en religion". Le timbre de la voix est d'une bête aux abois. Un seigneur exerce sa terreur.
Je réentends dans ma tête cette phrase lancée à la sauvette. Je me sens inutile dans l'urgence du péril. Grésille un téléphone. Un homme est mort. J'en recueille les derniers mots. "Je te quitte, j'entre en réunion". Il s'est jeté dans le vide.
Je songe au grand Antonioni. Séquence finale d"Un corps couvert de boue". Irène Jacob marche vite dans les rues d'Aix-en-Provence. Elle gravit l'escalier qui conduit à sa chambre. Vincent Perez l'a suivie jusqu'à sa porte. La jeune fille se retourne par courtoisie, met les points sur les i. La joie rosit ses joues. "Demain j'entre au couvent".

vendredi 4 octobre 2013

Grand Palais

Staël aurait cent ans. Braque est mort il y a cinquante ans. "Braque le patron" - le mot est de Paulhan -  est de retour à la maison. Ses toiles ornent le Grand Palais.
A première vue, la peinture de Braque est faite de bric et de broc. A ses obsèques, Malraux touche juste: "Dans son atelier, qui n'avait pas connu d'autre passion que la peinture, la gloire était entrée à l'écart, sans déranger une couleur, une ligne, ni même un meuble".
Le thème de l'atelier est le journal intime de Braque, un carnet de croquis de haut artisanat, sa mémoire vive d'artiste.
Sans le sou. Jeannine Guillou s'est sacrifiée. Les privations de la guerre ont eu raison de sa santé précaire. Dans une lettre admirable à sa mère, Nicolas de Staël évoque l'enterrement de Jeannine Guillou, épouse et peintre. "Le 4 mars après l'avoir habillée de tout ce qu'elle aimait porter nous avons fermé le cercueil, son fils et moi, devant la petite Anne et le plus grand des peintres vivants de ce monde".
Braque a soixante-trois ans. Il ôte sa casquette, se décoiffe devant le corps. On pense au fulgurant tableau de Courbet "La toilette de la morte", égaré quelque part en Amérique, admiré de Staël et de Braque. On s'embrouille entre la vie et la peinture.
Il neige au cimetière de Montrouge. Une rangée de nez rouges se penche sur le trou. Georges Braque et Nicolas de Staël ne font qu'un.

jeudi 3 octobre 2013

Sur papier muet

Je hume le parfum des droits couloirs de la rue d'Ulm. Une salle au sous-sol. Femmes à cheveux bleus. L'une s'assied dans un fauteuil rouge désir, lit à voix haute un texte de plaisir. L'autre debout est cantonnée au commentaire.
Parterre bigarré de jeunes filles élastiques, de minces garçons lunatiques. Catherine Hiégel remue sa vieille chevelure de lionne. La comédienne use d'une moue d'ivrognesse. Elle bouscule la règle du chuchotement épistolaire. C'est une conversation sur papier muet.
On est charmé par le délié d'une langue. Madame de Sévigné fait sienne une gaieté mozartienne, une liberté aérienne. Elle enjolive le silence de rubans d'insolence. La grâce est un masque sur ses yeux baignés de larmes. "Ma douleur serait bien médiocre si je pouvais vous la dépeindre". Je pense à Gracq, au mot de Breton: "Je veux qu'on se taise quand on cesse de ressentir".

mardi 1 octobre 2013

Dimanche et lundi

Le travail fait tache sur la beauté du monde. La fable d'un Dieu travailleur, qui donne un coup de collier six jours d'affilée, avant de s'asseoir sur le bas-côté, est une invention productiviste, la confection sommaire d'un moteur de l'histoire.
Dieu se distrait avec de la pâte à modeler. Il joue dans son coin. On ne l'entend pas. Il bricole sa Genèse avec paresse, sans doute un peu d'ivresse. Il n'en finit pas de parfaire son ouvrage. Sa création d'enfant dure depuis cent sept ans. On ne réussit pas une étoile avec du travail. D'une côte d'Adam, Dieu fait une jeune fille un peu espiègle. Il se divertit avec des bouts de ficelle.
Dieu est sérieux. Davantage qu'un pape. Dieu s'interdit le travail. Merveille oblige. Le travail est une taquinerie du diable. Le travailleur est un forcené de la peur, un possédé du démon, l'otage de patrons menteurs.
Dieu sait que le travail enlaidit nos lundis. Or le diable nous l'impose jusqu'au samedi. L'économie nous fourvoie dans sa loi de mesquinerie. Le travail égare les regards. Dimanche et lundi, il convient d'interdire le travail comme on se prive d'en parler à la table de gens bien élevés.


lundi 30 septembre 2013

Lettre à un fils

J'étais en Sicile. Maman m'a appris que ta mère était morte. D'elles, nous tenons, nous détenons une part du mystère, l'accès à cette vie éphémère.
Les jours d'après nous appartiennent bien peu.  Ils sont vides. Vidés de leur éternité. Limités au leurre de la mémoire.
"Les fils ne savent pas que leurs mères sont mortelles". Demain se regarde dans les yeux d'un nouveau matin. Ton compagnon de tennis, du Highgate de jadis, pense à ta peine, à ton courage de fils. Je t'embrasse, vieux camarade.

lundi 9 septembre 2013

La fable de la laïcité

Liberté, égalité, fraternité. Peillon rajoute laïcité. Il rafistole l'école. On lit l'Evangile selon Peillon. "La République est "indivisible, laïque, démocratique et sociale". Les deux derniers épithètes sont des redites, la resucée d'égalité et fraternité.
La charte se tait sur la liberté. C'est une valeur démodée. La République est indivisible. Sauf dans les cités cloîtrées, aux quartiers morcelés de communautés recroquevillées. Peillon décloisonne au clairon.
La République est sociale. Mais pas économique. Généreuse, mais pas avaricieuse. Redistributive avant d'être active.
La laïcité est une fable qu'on raconte aux écoliers en guise de morale. Le calendrier républicain exalte la sainteté des figures de la chrétienté. Jour après jour. Les congés citoyens se calquent sur les grands rituels chrétiens: Noël, Pâques, Pentecôte. Nul croisé des règles de laïcité ne suspecte pareille légitimité.
Les commentateurs de Tour de France s'extasient au micro des splendeurs architecturales du christianisme national. La laïcité, bonne fille, appartient au blabla des discoureurs de vertu.

samedi 7 septembre 2013

Elisa Schlesinger

Août 1853: Trouville est le lieu des retrouvailles avec une brûlure d'entrailles. Flaubert séjourne dans la bourgeoise bourgade. Il ressasse, repasse son "cours d'histoire intime". Il triture sa plaie comme on égrène un chapelet.
Il se sauve des griffes du lion, s'invente une distraction. Il écrit à Louise et à Louis, ne parle que de lui. Il ne se rappelle que d'elle. Elisa est le seul tourment, le grand blanc de sa correspondance.
Il pleut des hallebardes sur la plage de ses premières audaces. Flaubert traîne un ennui pérenne, observe le bain des dames. A Bouilhet, il confesse une affection burlesque: "Embrasse-toi de ma part". Il corrige la lourde prose de Louise.
A Croisset, le 25 juin, il démasquait un vice d'artiste: "Je voudrais faire des livres où il n'y eût qu'à écrire des phrases (si l'on peut dire cela), comme pour vivre il n'y a qu'à respirer de l'air. Ce qui m'embête, ce sont les malices de plan, les combinaisons d'effets, tous les calculs du dessous...".
La phrase de Flaubert est le visage littéraire d'Elisa Schlesinger. Elle taille une suavité, cisèle une volupté. Il travaille au cassage de gueule de Gustave. Il besogne, cogne sur sa détestable trogne. La phrase est sa figure de style.


jeudi 5 septembre 2013

Attente ou attentat

On ne résiste pas à la tentation de paraphraser Claudel: "L'attente, il y a des salles pour cela". A Saint- Petersbourg, le concert des nations fait salon. On attend la croissance, une coalition, Godot. La France poireaute en économie, en stratégie. Elle stationne à la case Syrie.
L'attente est une posture de repli qui maquille l'indécision en observation. L'attente précède l'attentat. On passe aux missiles, à la trouée du réel.
La réflexion d'intellectuel est démangée par l'action de colonel. L'image d'horreur à l'heure du potage motive les coeurs, dope l'ardeur des meilleurs. Avec ses petits bras pleins de volonté guerrière, le chef des armées tricolores gesticule ses bons sentiments. Punir Bachar. Le maintenir au pouvoir.
Poutine négocie l'horreur, son veto à prix d'or. L'anagramme d'Onu, c'est nou(s). Sans s, au singulier. Comme Hollande, notre capitaine de pédalo, dont Obama peine à prononcer le nom.

mercredi 4 septembre 2013

La jeune fille et la mort

La femme s'obstine à la vie, s'agrippe au vide. L'homme cède au vertige, lâche la cordée. L'homme dévisse en bon fils. Les statistiques observent les visages comme des moyennes. Elles crayonnent une courbe des décès. Elles confirment la psychologie des sexes. La femme vit plus vieille, meurt à pas d'heure.
Aucune sociologie n'explique sa longévité, fille de la ténacité. La physiologie n'instruit pas davantage. La femme se donne peu la mort à comparaison de l'homme. Elle se cramponne à la vie jusqu'à son dernier pli.
La femme force le destin, n'abandonne pas son bien. Elle presse son sac et ses années contre son corps cassé, méprise la menace du temps, dédaigne l'outrage de malfrat. La jeune fille regarde la mort, lui donne du fil à retordre.

mardi 3 septembre 2013

Les touches d'un piano

Au café bar du Loir, les paysans tatoués boivent un verre de Jasnières. Mariage au château du fils à monsieur le comte. Les rois d'Amérique ont débarqué dans le patelin, costumés pour la noce et le féroce potlatch.
Au château de l'écriteau, l'herbe est tachetée de tables blanches. On dirait les touches d'un piano. Pétillent les vins, les jeunes filles et les bribes de causerie. On gravit le grand escalier. On jette une tête: l'admirable crucifix de Buraglio, haut dans la géométrie d'ici, beau comme un bonjour d'oiseau.
On dégringole les dalles. Double panneau couleur de mégot. Tableau fracturé en deux hosties, courbure de cruauté d'un corps ensommeillé. Malherbe : c'est un père, c'est un peintre qui regarde Apolline comme il parle de son fils. La regarder dormir. Albertine est emmitouflée dans son secret. La dormeuse est une prisonnière proustienne.
Sumo des végétaux, le platane cinq fois centenaires ponctue la calligraphie d'une charmille taillée au ciseau. M'arrête un chat camouflé dans l'herbe. Les petits pages du mariage sont vêtus de culottes bouffantes. L'habit écarlate sied à leurs joues rouges. Une musique d'Europe orientale se mêle au vent des conversations familiales.

jeudi 29 août 2013

Grandes bringues

Les éoliennes enlaidissent la vie, la rendent vilaines. L'oeil se cogne à ces cigognes sans vergogne. Ces gigantesques insectes parasitent la ligne d'infini, la ligne de fuite vers la rêverie.
Où qu'on aille, elles cheminent en bande sur la crête du soleil. Ces moulins siffleurs sont des prédateurs de splendeur. On les maçonne sur l'horizon comme des ronds-points d'agglomération. Nos paysages d'antan sont surpeuplés de ces grandes bringues à bras ballants. On souhaite leur casse et le bonheur des ferrailleurs. Vaut mieux des loups carnassiers que ces bidules à vent mauvais.

La blouse du père fouettard

"La France est prête à punir". La posture du maître d'école tient lieu de politique internationale. L'arme chimique est vécue comme une tricherie d'examen pratiquée par le régime de Syrie. Au coin. Bonnet d'âne. Zéro pointé. Bachar, deux heures de colle.
Le monde n'est pas une classe composée de professeurs et de disciples. La rentrée scolaire a déteint sur le vocabulaire d'un président démangé d'exercer un magistère. Le chef de nos terroirs endosse la blouse du père fouettard.
La politique du coup de règle sur les doigts s'exonère de la légitimité du droit. Elle ne se recommande que du privilège d'autorité. Pareille enflure de comportement fragilise le subtil travail de diplomatie.

mercredi 28 août 2013

Les chocolats de Guéret

Les cloches de l'église de Bonnat carillonnent une joie brouillonne dans le ciel creusois. La forêt limousine habite un lieu sans âme qui vive. Elle est diverse en ses verts téméraires. Un peuple d'arbres pavoise le long du macadam indécis qui mène à Guéret.
La ville de Jouhandeau, la cité de Michon, se signale par ses seuls loubards de mascarade et sa haute maison jaune, penchée, un peu malade, sur la grand-place ensoleillée. Guéret se tait, garde ses mots dans ses grimoires.
Jouhandeau a sa rue. A Marcel, la ville a préféré Paul. Le père boucher se prénommait Pierre. Guéret est cloîtrée dans son secret. La pizzeria où nous dînons sert un café de roi, étoilé de quatre chocolats.

mardi 20 août 2013

Flaubert et "les humanitaires"

Comme si l'autocar s'était arrêté au lieudit "Elysée", site apprécié des guides. La chefferie politique voyage en meute. La bande de ministres s'est éparpillée sur le gravier du palais, a salué du menton les marches du perron. Ils visitent l'avenir. Récitent par coeur une note de service sur le bonheur. Les joues de Moscovici sont rouges. Le soleil est sa honte. Hollande, mentor et tour-operator, ramasse les cahiers de vacances. Au conseil des ministres, entre chiens de faïences et blabla, Malraux dessinait des chats.
C'est la rentrée. Je conseille la lecture écolière d'un admirable épistolier: Gustave Flaubert, homme de labeur. C'est le 22 avril 1853. Il est minuit passé. Sa Bovary l'ennuie à périr. Il griffonne des mots à Louise Colet, s'abandonne à la lucidité. Le grand Gustave parle des parlementaires et des "humanitaires", des Cahuzac à jeter dans le même sac.
"Qu'ils commencent par payer leurs dettes avant de prêcher la charité, par être seulement honnêtes avant de vouloir être vertueux". C'est la rentrée. On sent l'odeur de préau. Je serais maître d'école, je tracerais au tableau les mots d'un pareil idiot.

lundi 19 août 2013

Les yeux au ciel

Arc de lumière. Soir de veillée télé. Les savants causent aux quasars. Dans Arte, il y a raté. Derrière l'apparence d'anagramme, je décèle une rareté.
Poussière d'éther, l'homme finit en terre. La géologie raconte l'histoire d'un bipède sur le globe. L'astronomie s'extasie d'un infini récit. Dans l'intervalle, l'homme trimbale sa mélancolie. L'homme est un météore qui ignore son aurore.
Au dernier racontar, l'écorce de terre n'est qu'un bout de torse du ciel. L'homme mort donne son corps à la peur. Il est l'homme d'une chair milliardaire en atomes. Ces sacrifices de précipice raniment les torches aztèques, réveillent les étoiles ouvrières.
La vie cruelle du ciel se lit à la jumelle. Nous rebroussons chemin, vagabondons vers l'aurore, à rebours du lendemain. Nous observons le chton d'origine, le bleu de premier abîme. Les soleils meurent en costume régional, géante rouge ou naine blanche. Le bal des étoiles s'achève en délire cannibale.
L'espace rapace est saturé de cadavres. Les docteurs d'universel lèvent les yeux au ciel. Derrière leurs paupières sans sommeil, ils miment la bataille des soleils.

mercredi 14 août 2013

Yelena et Yarisley

Le sport exalte la beauté du corps. L'athlète sculpte une silhouette à l'ombre des défaites, en pur esthète. Yelena la gymnaste hisse un torse d'acrobate par dessus le précipice. Yelena la Slave en découd avec Yarisley la Latine. La Cubaine et la Russe voltigent dans l'arène comme des reines étoilées.
La pulpeuse Yarisley donne du fil à retordre à la svelte Yelena. La perche plie, catapulte un corps déconstruit. L'athlète tournoie au-dessus des lois, frôle du bras la barre en bois.
Yelena et Yarisley, deux petits noms aux i grecs d'origine, jettent leur corps de splendeur à la figure d'un milliard de voyeurs. Les deux ballerines ont dansé entre les lignes, pratiqué en trapézistes leur funambulesque discipline.

mardi 13 août 2013

Maison d'enfance

Autour de la cheminée, j'avance en terrain miné. La maison de jadis est tapissée d'explosifs. Au moindre mouvement éclate un sentiment. La plus petite déambulation provoque une émotion. La mémoire saigne quand elle se cogne à son histoire.
Chaque coin ou recoin, chaque couleur de nappe ou de rideau, chaque grincement d'armoire ou de parquet, est une plongée dans un passé ravivé. La maison d'hier est un champ de cultures vivrières. L'enfant y cultive les cinq sens.
La maison d'enfance est saturée de mémoire. C'est une prison faite de répétitions. A chaque pas sur le carreau écaillé de la salle à manger, la raison se sauve. Les mêmes impressions se jettent comme des fauves sur l'homme du retour aux lieux, pas très indemne, trop familier de son clocher.
Je m'assieds dans le salon dans le fauteuil du père. Je suis le nouveau roi d'une dynastie décatie. Devant la tapisserie, je me sens lui ressembler dans sa physionomie. J'ai besoin de sa bougonnerie et de ses partis pris. Je suis vissé au coussin de velours jaune, prisonnier d'un destin d'homme.
Je n'en bouge pas de peur de réveiller les démons. Derrière la vitre violette, le paysage inchangé me ramène à mon rond de serviette autour de la table. Quand on est petit, la maison se suffit. Au naturel. Sans fioritures de destination. Telle quelle. La maison n'est ni d'enfance, ni de vacances, ni de campagne. Elle ne maquille aucun mensonge.
C'est une prison d'ennui, la geôle des dimanches sans école, où la songerie est l'amie, la seule compagne avec qui partager l'infini. On ne sort jamais d'une maison d'enfance. Pas de remise de peine, ni de remise de joie. On y séjourne à perpétuité. On habite une salle d'attente.
C'est un bagne de campagne. Si d'aventure on le rasait au bulldozer, il deviendrait jardin secret derrière ses fils de fer, il rayonnerait de toutes les voluptés de la terre. Ci-gît la nostalgie. Sans maison d'enfance, sans prison dorée, la frivolité de l'absence n'est qu'une injuste étourderie du destin, un grand chagrin.
C'est la maison de la mémoire obligatoire. Assignée à résidence, la mémoire involontaire de Proust a perdu sa fraîcheur. Elle mâchouille un passé de retrouvailles, en volatilise l'aurore subtile. Le hasard se dérègle sans nécessité. Il dessine dans la tête les mêmes figures imaginaires. Autrement dit, les lieux d'une domesticité ont fabriqué une mémoire d'automaticité.
Je n'ai jamais vécu l'errance dans ma maison d'enfance car j'y ressens l'instant d'avance. Sortir d'une pareille loi, ce serait comme s'échapper de soi. Se jeter dans un autre désarroi.
La maison du premier âge est bourrée d'images. Son toit d'ardoise abrite mes petits films. L'espace ressasse, archive des bouts d'audace, stocke des fragments de joues rouges. Je ne peux pas me lever d'un bond du fauteuil du salon. Ma maison est déchiquetée comme un puzzle déjanté. Je me refuse au tour du propriétaire. Je ne sais pas stopper une hémorragie de souvenirs. A la première incartade, je peux sauter sur une mine.



lundi 12 août 2013

Aveu pieux

J'aime l'épiphanie, l'apparition sans raison, l'éblouissement du cri. Mes mots d'école disent l'envol d'un oiseau. Traduisent un claquement d'ailes. Expriment un froissement de broussailles.
J'aime cette variété de beauté, sorte d'enluminure de la nature. J'aime cette brève sensation, ce clignotement du présent. Je traque l'illumination comme un guetteur de son et lumière. Cette beauté-là comble par surcroît.
Je fuis la mécanique des raisons. M'assomme l'enchaînement des causes et des effets. Il est cousu de fil blanc. La dynamique des progrès m'enquiquine. Egare mon regard. J'en fais l'aveu pieux: j'aime l'avènement miraculeux. J'en déchiquète la chair fulgurante.


vendredi 9 août 2013

Costantino Carisi

A Ortigia, chaloupe enivrée sur la mer Ionienne, je m'emmêle dans les ruelles. Il est midi. Je tournoie à l'ombre des palais. J'emberlificote les tracés conseillés. Je sais les ruses de Syracuse.
Les mots me viennent au Palazzo Bellomo, à deux pas du Duomo, derrière la trouée de la piazza. Antonello da Messina est la star des arts de Sicile. "L'Annonciation". Un rouge anecdotique à l'arrière plan de la toile.
Je progresse dans l'énigme. La peinture jaillit. Costantino Carisi jette ses velours orangés dans la bagarre des yeux dessillés. Sa toile maniérée flamboie dans la pénombre du palais. Le peintre de Noto est mort en 1790, à soixante-treize ans. A l'âge de Karen Black, l'actrice de "Five Easy Pieces". C'est dans tous les journaux ce matin. Vénéneuse comédienne au strabisme entêtant.
Carisi m'émerveille aujourd'hui. J'ai le désir de m'instruire, de collecter des indices, de regarder d'autres toiles, de toucher des reliques. Carisi est inconnu au bataillon. Wikipedia fait faux bond. Niet Internet. No future pour le peintre de Noto.
J'ai sa couleur dans la tête, un orange inflammable au premier regard. M'obsède Carisi, peintre d'improbable renommée.


mercredi 7 août 2013

A Guy Dupré

J'ai la nostalgie d'un temps où la flânerie s'armait d'un fusil, où l'homme était posté derrière un rectangle de paille, où les ciels d'octobre étaient la patrie des perdrix.
De retour de Sicile, j'empoigne la gibecière postale qui empaquète les deux petites bêtes. De retour de Sicile, j'éconduis les enveloppes sans désir. J'extrais vos deux ouvrages à mots jumeaux. Dédicaces attentionnées.
"Madérisée" est le mot juste. La cérémonie du vin de Porto ne remue pas que des mots. Elle exhorte à la mémoire d'un père.

mardi 6 août 2013

Patrick

Patrick a toujours fait des blagues. La dernière ne fait pas rire. Ce pince-sans rire s'est fait pincer par la police des maladies. La mort frappe en premier ceux qui savent en rire.
Il aimait jouer. Tennis, bridge, comédie. Le fantaisiste cachait en artiste sa figure triste, sa moue des mauvais jours. De l'esprit d'enfance, il avait gardé une certaine fulgurance. Pas de quartier, ni de tiédeur. Mais du coeur et du panache. Au jeu de raquette, il abrégeait l'échange sans tambour ni trompette, tout à trac: ça passe ou ça casse.
Quand son père est mort, il interrogea les pierres: "Qui désormais éteindra les lumières du salon ?".
Fini de rire. Nous sommes seuls aujourd'hui. Qui parlera foot avec moi ? Qui dira dans un fou rire deux ou trois mots d'après banquet jetés sur le papier ?
Nous n'avions pas dix ans. Avec d'autres, nous jouâmes à cache-cache petit signe. Souvenirs de ronces et de genoux qui saignent. Sur la pelouse de Neuville, nous shootions, nous dribblions, nous vivions avec un petit ballon pour horizon.
A La Plagne ou L'Escalet, dans les neiges ou sur les sables, ses gags et sa désinvolture préfiguraient l'univers des Bronzés. Aujourd'hui, le monde est moins drôle. Il manque d'humour et de sensibilité.


vendredi 5 juillet 2013

Le cerisier

Le cerisier rougeoie. Une jardinière s'ébroue sur l'échelle de bois. La vergogne illumine les petits fruits de convoitise. Hélène jette ses doigts dans un feuillage écarlate. On dirait qu'elle tapote la pommette d'une fillette.
Au pays des ciels ardoise, la jardinière toise l'arbre de compagnie. L'été se mesure en quantités de compotier. La cérémonie des cerises évoque une oraison de saison, une prière à voix basse, une toile précise de Balthus.

jeudi 4 juillet 2013

Z'Ayrault de conduite

La môme Batho est débarquée du radeau des écolos. Vogue la Batho ! La chouchoute de Marie-Ségolène - c'était hier - a les joues roses d'une scoute, un caractère d'apprentie guerrière.
Z'Ayrault de conduite. Hollande l'enguirlande. Une femme virée, zéro de retrouvée. Batho est butée. Les femmes sont des ânes. Ont-elles une âme ? La fine Delphine n'en démord pas. Veut se confesser à la presse.
Moche de limoger. Maître Hollande congédie Delphine comme une petite bonne. Solférino n'essuie pas de sanglots. Il fallait un routier qui colle à l'asphalte. Martin du Gers sort des cartons. Le rieur bourgeois du terroir n'est pas un bleu. Malgré la couleur de son costume et les reflets de ses cheveux.

Chien d'arrêt

Ma main de parchemin se refuse au dessin. Elle s'abstient de toute fin. Elle est éblouie par la candeur du papier. Elle cogite, s'interroge sur la hâte.
L'index courbe une phalange sur un pouce, bravement idiot, à figure de madone. Je presse une touche, Bach tente une fugue. Je sonne la musique comme un domestique.
La feuille est une proie qu'on cueille d'un doigt. C'est une peau de première communiante. J'hésite à noircir par peur du pire. Le songe d'un doigt est une rêverie de chien d'arrêt.

mercredi 3 juillet 2013

Transparence et grandes oreilles

L'époque aime le dévoilement des corps, l'éventement des secrets, l'affichage de l'intimité. La République n'est vertueuse qu'à la condition d'une laborieuse transparence. La vérité voisine la nudité. Le devoir d'open space s'impose aux bons esprits.
La société se félicite de n'avoir rien à cacher. On s'étonne de l'émotion causée par les espions d'Amérique. Nos livres sont ouverts. La parole est publique. En démocratie, la transparence délivre des cachotteries de tous acabits. Elle nous préserve du mensonge d'Etat. Elle interdit le camouflage, supprime les exactions de bandes organisées.
Notre République exemplaire se fiche des espions d'Amérique comme d'une guigne. La transparence se joue des grandes oreilles, tombées depuis longtemps en déshérence.