jeudi 31 janvier 2013

Cassez pas le matériel !

Les paradis sont perdus. Les paradis sont toujours perdus d'avance. Il faut tirer un trait sur les causes désespérées quoique des fragments de gaieté trottent dans la tête.
Le jardinet des voluptés est rayé des projets. Car le jardin des merveilles est un soleil loin derrière qu'on a quitté pour l'hiver.
L'avenir fait ses dents à longueur de présent. A moins de mentir sur la marchandise, il situe les paradis dans son dos, hors des convoitises.
L'intime enclos de Mésopotamie est une curiosité d'histoire, une délicieuse vieillerie rangée dans un coin de mémoire. Je fonce tombeau ouvert sur l'autoroute à l'envers.
Les paradis ne sont pas d'ici. On ne les identifie que parce qu'on les fuit. On les égare toujours quelque part. Inutile de rebrousser chemin: ils n'appartiennent à aucun lendemain.
L'architecte empoigne la porte. "Cassez pas le matériel !". Je parle couramment ma langue paternelle. Je me souviens de mots qui ne sont pas les miens. L'ironie flirte avec l'acrimonie. L'architecte décontenancé ne sait sur quel pied danser. Il bredouille un petit murmure au voisinage du bruit d'ascenseur.

mercredi 30 janvier 2013

Jamais là

L'Europe s'est absentée de ses responsabilités. Elle se fiche de sa sécurité, ajourne ses dépenses de défense. Elle se complaît dans la paix, oublie qu'elle se conquiert. Elle a rayé de son agenda la question des guerres et des guérillas.
L'Europe s'endort dans son histoire d'opérette, bercée par de mièvres comptines et de pieux cantiques. De Gaulle disait de Giscard "qu'il ne savait pas que l'Histoire était tragique". Le Vieux Continent est fainéant dans un monde urgent. La désinvolture giscardienne se paie en nature.
Le test du Mali démasque une impéritie. L'Europe s'est provincialisée au point de s'éloigner du monde, de rejeter l'Afrique aux oubliettes, de ne pas voir à Bruxelles les sables du Sahel.
Nos peuples n'en mènent pas large outre mesure. Ils sont secoués par l'insécurité aux portes des cités. Elle s'ajoute à la précarité du porte-monnaie.
Dominique de Roux, dans un petit ouvrage sur le défunt général, définissait de Gaulle comme "l'homme qui est là". C'est précisément la faute professionnelle de Bruxelles. L'Europe fait autre chose, vaque à de vaines occupations, ferme boutique les dimanches historiques. Nos épiciers en chef ne reviennent pas de suite. Ils ont déserté les nations, traité après traité.
Avec la fin des frontières, l'Europe - tout aussi mortelle qu'une civilisation -  s'est condamnée à la poussière. Elle s'exclut de la compétition dans les grandes occasions. Elle a fui ses devoirs. Elle n'est jamais là.

Les joues rouges

C'est un acte d'amour que de courir sous la pluie, place Marcellin Berthelot. La salle est bondée. Les désoeuvrés questionnent une oeuvre sans en saisir le secret. Ils se coudoient dans l'amitié nombreuse d'une infériorité. La médiocrité bavarde supplée le défaut de courage.
Compagnon est un brave garçon. Un érudit, un type poli, un professeur de mièvreries. Son soulier glisse sur la paroi. Albertine luit à la cime des neiges assassines. Le pion de collège ne recueille qu'éboulis de courtoisie. Proust est une brûlure de littérature.
"J'appuie tendrement mes joues contre les belles joues de l'oreiller, qui pleines et fraîches sont comme les joues de notre enfance". La vie de Marcel s'arrête au goût des pommettes. Je voudrais relire la première page, retrouver la candeur d'un début d'historiette.

mardi 29 janvier 2013

Une guerre pour tous

La guerre le requinque. Nos pioupious sont à Tombouctou. La martialité sied à l'Elysée. Hollande s'arrondit. Le Mali le divertit d'une morne économie. Il sait la géographie du Sahel sur le bout des doigts. Il se drape dans sa cravate de travers. Sensible à l'amour du drapeau.
C'est une guerre pour tous, aux droits égaux de Gao à Bamako. On attend le fric. On attend l'armée d'Afrique. On attend l'Europe, la mariée qui s'est défilée. L'Europe ne fait jamais le job. C'est une guerre sans images racontée par de vieux sages. Les généraux des plateaux sont ses délégués syndicaux.
La France est une nation, Fleurange une brève passion, Aulnay un chahut d'ouvriers. Goodyear adresse ses meilleurs voeux de l'année dernière.
Le Mali est notre mondialisation. On y recrute du soldat qui crapahute. Hollande à la hausse pense à la croissance.

lundi 28 janvier 2013

Une vie après l'économie

Pauvreté, précarité. Chômer, travailler. Manger, se loger. L'économie totalise la vie. Rien n'échappe à son impérieuse nécessité. L'homme a rétréci au grand lavage des idéologies. Ni Marx. Ni Jésus. A l'horizon, point de révolution. Au diable les divinités verticales !. "L'homme ne va que devant lui, et il faut qu'il s'arrête" (Paul Claudel).
Le temps s'est arrêté. Il a trouvé son point d'intensité. Il s'est retranché dans une demeure intérieure. Car il n'est d'autre grand soir que l'aventure de soi.
L'homme du siècle siège dans un présent de sensation. Il est muré dans une matière éphémère. Rire et mourir. Il a peur de finir. L'au-delà lui passe au-dessus. C'est un soldat, fait comme un rat, qui songe au trépas.
L'économie a rapetissé l'avenir. Au salut des âmes, elle substitue la corvée du court terme. Le passé trahit les vieux pedigrees. Au travail, l'âge crée le dommage. Traîne les pieds dans une réalité de réactivité. L'économie guerrière ne tolère qu'une classe de trentenaires mercenaires.
Sans père, ni fils. Sans avenir, ni passé. L'économie squatte le présent. Jouit de ses avoirs. Récite la prière des fervents actionnaires. S'active sans perspective. L'économie décolore le corps des jeunes filles. Le futur n'a pas d'avenir. On n'a pas d'argent pour aller au bout du temps.
Aux instants brefs de coït capitaliste, de création express de richesses, la compétition exacerbe la volonté de démolition. Les crabes se pressent au portillon des palmarès. Se pincent à outrance dans une logique de performance. Les hommes se consument dans la flamme de l'âge. L'économie d'incendie se ravive des remuements de braise.
On coupe les temps morts. On abrège l'espace. On concasse. Le temps sculpteur ressemble aux compressions de César. On pratique le forage de soi. La cachette du for intérieur. L'intensité du ressenti figure l'ultime résistance à l'économie. C'est l'humour soviétique des temps communistes.
Y a-t-il une vie après l'économie ? Bizarrement oui. Une vie d'épiphanies. Un récit de fantaisie travaillé dans la chair. Un vertige, une illumination. Une vie faite d'éblouissements. Après la vie, il y a la majesté du plein ennui.

dimanche 27 janvier 2013

Anquetil et Gary

J'observe le crayonné d'une pluie sur un trottoir dominical. J'imagine Mozart pour éveiller l'espoir, pour remuer un sourire pâle. Les migraines sont des moitiés de haine.
Je tire les draps sur des souvenirs immédiats. Anquetil, années de Gaulle, fait du vélo à la Coppi, années Coty. Les champions se prennent la douleur dans les rayons. L'eau minérale est d'effet indésiré pour qui conquiert les cols des Pyrénées. C'est l'heure du seigneur. La montagne saigne des victoires de Cézanne.
Gary travaille en Romain. Il s'enrôle comme voltigeur d'un général. Il pleure à Colombey dans son costume d'aviateur. Pour l'amour d'une gueuse, il endosse une vareuse affectueuse. Il cache sa désillusion derrière un masque d'histrion. Le vieux Russe rafle un deuxième Goncourt sous un nom de bon secours. 
Anquetil est cassé sur sa machine chromée. Il est peigné au Petrol Hahn. Ahane comme un tennisman. Il gagne Paris/Nice et Bordeaux/Paris, sans pause champagne. Du soir provençal à la nuit aquitaine, il prolonge un fatal coup de pédales.
Gary se tue, faute de mieux avec l'écriture. Anquetil s'est tué à braver une popularité. Il pleut des hallebardes sur la margelle des arts.

vendredi 25 janvier 2013

Le cachot de Mexico

L'avocat soigne sa trogne de malfrat. Mal rasé, couturé de cicatrices, on l'imagine embastillé dans une geôle désaffectée.
La gueule ni l'habit ne font le moine ou le bagnard. L'incarcérée, serrée de près par le patron du Quai d'Orsay, c'est une jeune femme survoltée. Pas le plaideur taiseux à bouille de baroudeur. C'est la blonde décomplexée aux grands yeux écarquillés.
Les années de détention ont contingenté son expression. Elle libère son vocabulaire. La belle et la bête squattent les antennes, malmènent l'audimat. On subodore l'arrière-pensée d'un beau récit, l'écriture éclair d'un best-seller, le tournage à train d'enfer d'un blockbuster.
Sylvie Testud serait Florence, mi-perverse, mi-ingénue. Cassel ou Bacri jouerait Berton, le mauvais garçon, terreur des prisons. Titre du scénario: "Le cachot de Mexico".

jeudi 24 janvier 2013

Les burettes

Brouhaha. Approche calculée du buffet. Je slalome entre les convives, au plus près des piquets. Dans les mains, je tiens les burettes de vin. Vin de Champagne. Entre pouce et index, s'apprécie l'arrondi des verres.
J'ai les doigts qui pétillent, démangés par l'envie. Je distribue les calices. Je décerne prix et accessit de soif. Sous la conduite des burettes, je débite des sornettes. Je jongle avec ma flûte. Main droite libre, je mime une brusque volubilité. Et zut ! L'étourdi liquide choit sur le tapis.
J'observe la trogne du parleur vis-à-vis qui se renfrogne. La jonglerie ratée n'a distrait que mon insouciance d'esprit. J'ai échoué à m'approprier la gaie virtuosité du petit vin étoilé.

mercredi 23 janvier 2013

Une moitié d'amitié

On commémore un grand corps malade. La chancelière et le président célèbrent l'embrassade gaullienne sur la joue d'Adenauer. Nos guerres sont des fléaux: on recommence à zéro. Depuis lors, nos deux nations ne jouent ensemble qu'à des jeux sans enjeu. Leur confraternité n'est qu'une moitié d'amitié, le rituel obligé d'un couple désaccordé, la figure imposée d'un duo dépareillé. On fait semblant d'aller de l'avant.
Les deux voisins s'apprécient peu, ne communiquent entre eux qu'en euros, parlent au-dessus de leurs peuples dans un vague américain de comptoir. Ils font chambre à part, guerre à part, finance à part, espérance à part.
A l'exception de la ville de Berlin, dont la modernité déjantée séduit les jeunes générations, les deux pays sécrètent un même ennui. Les deux nations cheminent sans passion dans un monde sans vision. Ces pays n'ont construit ensemble que des péripéties.
Leurs chantiers dérivent des traités. Rarement des marchés. Arte est une chaîne de télévision obscure, plantée à la marge des deux cultures. Arte est une erreur de création élitaire. Arte est fille d'artifice. Loin des peuples.
Faire avancer l'Europe. La tracter au moyen de ses deux nations percherons. Faire avancer le Vieux Continent. L'Europe est une denrée périssable. Avancée au forceps. Comme un fruit à date de consommation périmée.


mardi 22 janvier 2013

Un enfant sauvage

Photographie de lui. Je la regarde. Je la garde dans les yeux. Je la déchiffre mieux. M'impressionne le papier ocre. Mon père est un enfant. Comprenne qui pourra. J'imagine mal. Un enfant sauvage. Il interroge l'entourage. Hardiesse du front. Il mendie un signe du visage, de la main, de la nuit. Il est embringué.
Je suis agenouillé sur le tapis du salon. J'aligne des cartes sur la table en bois. C'est mon tableau de chasse. J'oriente mes yeux vers lui. Il est calé dans un fauteuil de velours jaune. C'est sa place. Autrement dit, beaucoup d'espace dans ma vie. Je quémande une confiance, un sourire, une invitation à bien mourir.

lundi 21 janvier 2013

Les bonhommes de sable

Blancheur à Paris. Noirceur au Mali. On cligne des yeux. Les mitrailleuses sont silencieuses. La mort ne laisse pas de traces sur la neige. Les drones planent sur les hommes. Rôdent les vautours sur les trottoirs. Les flocons sont des faucons.
On est en guerre. La misère semble se taire. Aucune neige n'ébruite les secrets du désert. On crible de balles les bonhommes de sable. Les enfants jouent aux soldats. Les mendiants sont couchés comme des combattants.

vendredi 18 janvier 2013

La guerre du désert

La grande rixe du désert est née d'un affront terroriste. L'armée d'Alger mate dans le sang les pirates des sables. Le bruit et la fureur strient le silence des dunes. L'horizontalité des corps suspend la parole de mort.
On ne sait rien. On imagine un démentiel tumulte sous des ciels sublimes. Au-delà des mots, il y a les soldats du Mali. Nos hommes rivalisent de bravoure. Ils ont peur de périr.
Car la question du mourir distord les conditions du corps-à-corps. L'islamiste ne craint pas les gouffres. Il est envoûté par un vertige de néant. Allah jacta est. Il brûle sa vie par les deux bouts du fusil. Il se jette à la mort, au plus fort de sa gloire. Il y acquiert l'éternité d'une sainteté.
Peu importe le nombre des combattants. Nos bidasses craignent pour leur tas d'os. Le devoir national motive moins qu'un ciel sacrificiel. La guerre du désert oppose la ferveur à la peur, la religion à la nation. C'est pas gagné.

jeudi 17 janvier 2013

La blouse d'urgentiste

Honni soit qui Mali pense. Hollande fait écho à la peur de Bamako. Il endosse la blouse d'urgentiste face aux islamistes. Les capitales du Vieux Continent n'expédient que des petits mots affectueux pour le nouvel an. Ils présentent à nos soldats leurs meilleurs voeux.
Mourir pour le Mali n'exalte guère une Europe désunie. Le changement, c'est maintenant. Nous bougeons nos chars. Demain sera trop tard. Le Mali révèle l'impéritie de nos amis.
Les combattants français parent au plus pressé. La guerre est une porte vers l'enfer. Les représailles mûrissent au soleil. Le conflit s'étend à l'Algérie. On nomme otage la monnaie d'échange de pareil engrenage.
Hollande imprime sa volonté de ne pas flancher. Il crie dans le désert. Solitude du gardien de but au moment du pénalty. Le portier tricolore se remémore les mots de Peter Handke.
N'a-t-il pas plongé trop tôt ? Cédant au complexe d'une prétendue mollesse.

mercredi 16 janvier 2013

Travail, famille, nation

La nation était la terre des familles où naissaient les rejetons des lignées. Les aléas de la géographie et les fracas politiques en définissaient les contours stabilisés. La paix fixait des frontières d'enjeu guerrier.
Ce campement de groupes humains liés par le sang, au même parler venu des mères, partageait une sorte de sentiment. National, patriotique, clanique. Il s'enrichissait de la liberté d'adopter, accueillait des étrangers, franchisseurs de limites, échappés d'autres sédentarités. La nation métissée prospérait de ses sangs mêlés.
Le mode de production et d'échange économique s'est développé au point d'exiger une mobilité généralisée de la société. Les techniques de communication ont périmé les frontières, provincialisé la nation. Vu d'avion, le monde fait bloc, boule de solidarité. La culture se calque sur une nature sans couture.
D'où les adieux de Depardieu. Le citoyen du monde s'exile du clocher où il est né. Nous sommes des Depardieu sans feu ni lieu. L'indistinction des nations brouille les couleurs, la palette chromatique de la ronde mappemonde. On n'y voit plus que du bleu. "La terre est bleue comme une orange". Eluard, en poète cosmonaute, identifie la seule citoyenneté qui vaille.
La famille miniaturise la nation. Les aléas de la vie et le fracas des passions en altèrent la solidité. Le lien sentimental a fragilisé les vieilles unions patrimoniales. La famille est fendue comme les murs d'une demeure. La famille s'éparpille. La tapisserie s'effiloche. On ne sait recoudre les trous de mémoire. La famille se recompose à l'infini, persévère dans le fiasco.
Corps obsolète, la famille ballotte comme une marionnette victime de ses passions. "Le mariage pour tous" la ramasse à la petite cuiller, moribonde, les deux pieds dans la tombe. Papa et maman ont fait leur temps. Ce nouvel agrégat élargit le concept traditionnel de la famille, un peu comme l'union européenne supplée au désamour de la nation.
"L'inverti" selon Proust se convertit au mariage de bourgeoisie. La marge annexe la page. Guigne les conforts de l'institution. "Les chevaliers de la manchette" - la plaisante expression figure dans Les Confessions de Rousseau (Pléiade, page 69) - revendiquent le droit d'adopter garçonnets et fillettes. Visent une respectabilité de chefs de famille.
S'aimer, s'aimer soi-même, cela n'est jamais qu'aimer pareil. La vie vient de sexes indivis. On abandonne leur partition comme on se libère d'une nation. Le brouillage des paysages sexués fait écho au gommage des territoires à drapeaux. La confusion des genres s'apparente à la fin des nations. On n'y voit plus que du même.
Il n'y a qu'un seul métier. Orfèvre. Tous les autres travaux sont des courbures d'imposteurs. Le travail s'est détaché de l'élaboré. Travail détravaillé comme on dit café décaféiné. Le travail fatigue parce qu'il ennuie. On ne donne plus de travail car il n'est pas très donnable. On ne l'octroie qu'au Chinois. A la machine par surcroît.
La mort du travail, créateur de merveilles, inaugure le règne des besognes sans vergogne et des labeurs sans honneur. Mélasse de masse. On n'y voit plus que du toc. On n'y voit plus que du low cost. Monde morne et monotone, sans travail, sans famille, sans "patrie". Exit les grigris d'Emmanuel Berl. Notre quotidien, fait de mauvais pain, s'abreuve des anti-discours de Pétain.

lundi 14 janvier 2013

Finir au Havre

"Loin du parler français, je meurs". L'écrivain du Voyage n'a pas la bougeotte. Il réside en sa langue. Ce propos testamentaire a pour destinataire Albert Paraz. Au théâtre de l'Oeuvre, un comédien artisan s'approprie le texte célinien, éructe du Bardamu.
On est ému par la délicatesse de phrase. On tend l'oreille. On se délecte de somptuosités pareilles. Balmer nous embarque. On décolle de terre. Céline volontaire à la guerre. Céline condamné à l'enfer. Céline aux colonies. Céline et Lola. Céline et Molly. Céline sans le sou dans "la ville debout". Céline toubib à la Garenne-Clichy.
On feuillette les albums de Ferdinand. C'est Tintin au pays du pétrin. Tintin ballon: Ferdinand en sait long sur la misère, les chienneries et la mort. Molly la douce almée, une féerie par erreur, illumine les beaux draps. Bardamu déconne avec sa songerie d'infini.
La jeunesse sent l'automne. C'est "l'entrain de la vieillesse". Dans sa soixantaine brève, Céline parla d'en finir. La mutité devant la majesté. S'asseoir devant le soir. Regarder les bateaux. "Finir au Havre".
Balmer joue la crapule avec scrupule. Manquent la fièvre et le phrasé raffiné. Céline se lit chez soi, hors jeu, sans effet de mâchoire, comme un recueil de noires prières.

dimanche 13 janvier 2013

Un bruit de bouchon

Dans le dîner en ville, je suis gêné par la lumière. Je redoute la stratégie de l'éclat destinée à fuir l'ennui. Décor vitaminé. Ambiance de dents jaunes, rires à caries, haleine de mandarine pourrie. Conversation de mains moites et bon ton du salon. Je rêve de graillon.
On mâche ses mots comme une viande avariée. Cas d'école du vêtement qui colle. Un bruit de bouchon éveille du songe creux. Le temps frappe à la tempe.
Je patiente cent sept ans dans une salle de ramdam. Clignotent les orbites de la dame de maison. Sa nuque penche à droite, pivote et coulisse comme une machine d'usine. J'ai l'impression d'être sous l'eau, à distance des couteaux, sans saisir un mot. Je bois la tasse.

vendredi 11 janvier 2013

Un rêve déçu

"On appelle aujourd'hui révolutionnaire un protestataire qui se regarde protester". Le mot est du dernier Malraux. Il se moquait des émeutiers du mois de mai.
Dans les campagnes au loin, on tousse à cause du "machin pour tous". Les provinciaux montent à la capitale comme les damoiseaux enfourchent leur cheval. On a réservé son billet pour la randonnée des pavés. On pratique le tourisme obligatoire des revendications déambulatoires.
La famille mobilise. Les cortèges euphorisent. Les révolutionnaires dégainent leurs cimeterres. Ils ont la passion de l'institution. Ils ont fait le voyage. Pas pour rien. Par le train. Pour le bien et les bambins. On chahute dans les rues pour sauver une vieillerie d'autrefois: le mariage chenu. Sans doute un rêve déçu.

jeudi 10 janvier 2013

Masculin/Féminin

Il y a brouillerie entre eux, elle et lui, depuis la nuit des temps, dès l'aube d'une bizarrerie, d'une nudité valant genre de beauté.
Il et elle s'apprivoisent sans bien saisir l'étrangeté de l'attraction. Tournoient deux mondes aimantés par l'énigme d'une loi.
Le mariage pour tous brouille la distinction des sexes, légitime l'embrouillamini des unions intimes de mairie. "Masculin/Féminin" évoque de vieux temps godardiens. Masculin/Féminin, césure de nature, recoud ses liens par la culture.
La société gomme le sexué. On se mariera entre gens de même genre. Droit des sexes entre soi. Pourquoi pas. L'anthropologie se tait sur le bien-fondé de pareilles compagnies. Ne se prononce aucunement sur le chambardement des filiations.
Elle ne jette un regard de désaveu que sur la seule union incestueuse. Intouchable tabou. D'où la sottise d'expression "mariage pour tous".

mercredi 9 janvier 2013

Sorte de Brassens

J'aime bien Régis Debray. Il y a de la chair dans sa phrase. J'apprécie sa posture de vieille baderne désillusionnée, sa moustache de guerillero décati. Sorte de Brassens, sans l'anarchie, fidèle à d'autres nostalgies.
Après Proust et Chateaubriand, je tombe de haut. Gadin. Soleil dans les grandes largeurs. Je quitte les crêtes pour l'historiette. Debray range son atelier, a retrouvé des papiers, rassemble croquis et textes de causeries.
M'émeut l'écrivain du souvenir gaullien et de la mémoire gracquienne. Il traite Nourissier avec justice. Réhabilite Gary. Et puis l'oubli. Car c'est écrit ainsi. Avec un soin manoeuvrier qui sied à la publicité.

dimanche 6 janvier 2013

Poutine et Raspoutine

Son bedon se cale mal sous l'arête de la table. Raspoutine, pochette claire et col ouvert, se répand sur la banquette. L'ogre est rassasié. Le bougre est choyé par Poutine. L'air de fête grossit sa silhouette. Gégé trinque à la santé des Tchétchènes.
Poutine et Raspoutine pactisent comme deux maquignons. Vodka et Dom Perignon. Raspoutine, Obélix, Depardieu. Le gros homme flasque ne manque pas d'identités. Il croule sous le fardeau de ses premiers rôles.
A Sotchi, Gégé est scotché. Depardieu a besoin qu'on soit affectueux. Il est sensible aux égards du tsar. Il touche l'épaule de Poutine. C'est la Russie, la grande Russie. Il l'embrasse sur la bouche. Gégé le Tondu est sauvé comme Boudu. Des eaux, des autres, des griffes d'Ayrault.

samedi 5 janvier 2013

A défaut d'ironie

Point d'ironie. Pointe de chagrin. J'ai perdu un bout de mon corps comme on perd le Nord. L'ironie est un plat qui se mange entre amis. Mes compagnons de tablée ont déserté la conversation. Je reste avec un rond de serviette.
J'ai enterré mes amis d'ironie. Visages livides de dernière heure. Verre vide. Je bariole sur la nappe le croquis d'une nostalgie. J'ai de la bouteille et je compte les cadavres.
Point d'ironie. Parti d'ici. J'hérite de sales sensations comme d'une déforestation. Je jardine un carré de souvenirs. Je ratisse le gravier des jours pires.
Je ne pèse pas lourd. Poids de cendres. Je sens la brûlure du tas d'ironie. Je balance l'urne absurde. Terminus d'un trajet d'autobus. Je n'entends plus les grands rires. A défaut d'ironie, la vie trie ses grigris.

La chambre morte

Jadis l'audace était la marque d'une jeunesse. Avec une rage soixante-huitarde, le vieux de Gaulle ordonna la bastonnade du Sénat. Il n'en pinçait pas pour les notables de province. L'assemblée des aînés lui tînt la dragée haute. Le référendum capota. De Gaulle en fut pour sa pomme. Exit le Général.
Quarante-quatre ans après, un Sénat grassouillet croise désoeuvré au large de la République. Les badernes des cantons paressent à l'ombre d'un palais. Ils s'attablent et commissionnent. Font des ronds dans les lois.
Le Sénat s'entête au privilège de l'âge. L'étiquette est rose. D'un vieux rose d'automne. Les sénateurs sont des gardiens de square, des vieillards pensionnés par bonté d'Etat. L'institution feutrée n'a pas d'utilité flagrante. L'assemblée dispose d'un budget démesuré, géré en toute opacité.
Le Sénat est une chambre bavarde, privée du dernier mot. Sa jactance ne prête pas à conséquence. C'est un salon à peine républicain, semi-démocratique, qui n'oeuvre qu'à la conservation de sa vanité. Il faut se souvenir des dernières volontés gaulliennes.
La dureté des temps impose de s'en défaire. Par décence. Séance tenante. Crise oblige, il faut se débarrasser de l'inutile et dispendieuse chambre morte.

vendredi 4 janvier 2013

Les minables

Dans la famille des nationalités, Depardieu demande la Russie, la sainte mère Russie. Afflelou aime Hollande et le chabichou du Poitou au point de vouloir rouler à gauche. Il pioche la carte du Royaume Uni. Il voit les côtes à la jumelle. Jarre est sur le départ. Destination Piccadilly Circus. Le lunettier et le luthier veulent améliorer leur anglais.
Arnault se paie le luxe du Benelux. Il impose sa griffe sur les portions de frites. Bardot se tâte. Quitterait Saint-Tropez pour Saint-Petersbourg. Moi je penche pour la Méditerranée, je choisis l'Italie. J'adore le prosecco.
Le monde est un village. Avec ses ruelles pleines de charme. La nation n'est plus qu'une citoyenneté d'adoption. On décide d'une patrie comme de ses amis. La nationalité n'est qu'une question d'affinités. L'exil volontaire traduit l'amour d'une terre. Il gomme le hasard d'être né quelque part. Vivement la mobilité tant exaltée ! Vivement l'escapade à forfait illimité ! C'est la liberté à l'échelle de l'humanité.
Les minables se rebiffent. Exigent le respect. Se sauvent à l'étranger. Cherchent l'hospitalité des contrées policées.

Il n'y a qu'un métier

La nuit épaisse goudronne les rêves. On s'englue dans le chahut d'une rue. Jour sans ciel qui colle à la semelle. Jour sans gloire qui serre la mâchoire. Blafards sont les boulevards. Il est tard pour aller quelque part.
Le Santeuil de Proust vient d'ailleurs, sort d'une page de Rancé. Ce moine rapide, "petit sapajou", motive en dix lignes le crayonné d'une Recherche. La Vie de Rancé, du pape de la Trappe, c'est quatre livres brefs, quatre récits digressifs. Cousu, décousu. "Il écrivait à la diable pour l'immortalité". Chateaubriand se regarde dans la glace quand il songe à Saint-Simon.
Il est nez à nez avec le néant. Fasciné par le rien. Il dit du traité de Rancé: "C'est toujours dur, mais admirablement exprimé". L'exercice du trappiste est une promenade de sainteté.
Chateaubriand voit le vide comme Saint-Simon voit Fénelon:"Il fallait effort pour cesser de le regarder". A soixante-quinze ans, il trie dans sa vie, jette le bois mort.
Rien ne sert de remuer les lèvres. Il n'y a qu'un métier. Orfèvre. Tous les autres labeurs sont des courbures d'imposteurs.

jeudi 3 janvier 2013

L'apprenti mécanicien

Texte terne d'un chef de gouvernement en berne. Manque d'allant, manque d'élan. La France, fille fougueuse d'une histoire tumultueuse, n'est pas séduite par une politique couleur mastic. Elle n'est pas la fiancée d'un projet rapetissé.
De Gaulle savait d'emblée lui parler: "Ce qu'il y a, en moi, d'affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs..."(Mémoires de guerre, page 1, Plon, 1954). Crise oblige, de Gaulle courtise, idéalise la France.
Ayrault l'évoque en géomètre. "La France n'est pas un problème, la France est la solution". Souffle court d'un pâle discours. Il cite un président bonhomme. La princesse gaullienne a fait long feu. Elle n'aimante plus guère les désirs d'une puissance moyenne. Très moyenne. Ayrault trouve tout. La nation du soldat inconnu s'apparente à une équation résolue. S'éloigne la passion d'un général un peu fêlé.
La France d'Ayrault n'est ni rebelle, ni charnelle. C'est la vulgaire boîte à outils d'un apprenti mécanicien.