jeudi 30 mai 2013

Tennis de grâce, tennis tenace

Râlant Garros. Les joueuses en jupette ahanent comme des hommes de hache qui déforestent. La pluie fonce l'ocre de la terre. Monfils condescend au tennis. Avec agilité de tigre, vitesse et paresse, souplesse élastique, majesté de fauve unique. C'est un athlète qui plaît à l'esthète.
Benneteau prend l'eau, mouille son maillot plus qu'il ne faut. Concentre sa haine dans l'arène au point d'en pleurer comme une madeleine. Il s'émeut d'une vaillance de sauve-qui-peut.
Le tennis varie les délices. On passe d'un tennis de grâce à un tennis tenace. L'indolent talent de Monfils côtoie le coeur gros, dur au boulot, de Benneteau.

Un feulement animal

J'arpente le même trottoir piqueté de figures hallucinatoires. Des silhouettes abdominales se dévoilent dans une nuit pâle. Sur le banc vert, l'Espagnol s'est jeté, torse nu dans l'hiver. Je l'entends geindre, hurler comme une bête saignée. La fiole d'alcool embrase la solitude. Ses cris d'homme sont des flammes.
Le petit matin est fait de douleurs mal éteintes. Les semaines s'alignent comme des défaites. L'homme qui grogne et se tord est mort. Je le sais de Richard, le kiosquier où je vais. Le trottoir, où la pluie creuse une rigole, s'est vidé d'un feulement animal.
C'est une rue sans joie qui tue à côté de soi. C'est un livre, peut-être un missel, auquel manquerait une voyelle.

mercredi 29 mai 2013

L'antienne des anciennes

A l'entrée, je suis accueilli par une page d'accès à message d'épicerie. Je regrette le temps des hôtesses et des majorettes. L'hospitalité d'Internet manque de charme et de rondes pommettes. Nous jette sa bienvenue comme une réclame de rue.
J'ai rangé mon costume de lecteur de journal comme on remballe un fusil dans son étui d'armoire.
Fini les armes à feu. J'économise mes yeux. J'ai cessé d'apprécier les psaumes quotidiens des petits chants grégoriens.
L'antienne des anciennes, je doute désormais qu'elle me convienne. Rarissimes sont les nouvelles des hommes.

mardi 28 mai 2013

Les reines d'Amérique

Le lis de mer est un adorable roman, d'encre solaire. Dans le mince récit de Mandiargues, les paysannes de Sardaigne s'extasient devant les deux filles de la ville. Elles les nomment des "reines d'Amérique".
Ce réveil du passé crève l'abcès du malaise d'être. Je tiens un titre par la peau des mots.
J'aime m'illusionner d'avenir, rêver d'écrire "La regarder dormir", recueillir le titre égaré de La Prisonnière de Proust.
Reste Olga. L'actrice à risque, frontale, dont Resnais fixa l'impériale étrangeté, que Nabe et moi ne pouvons gommer de l'horizon.
Demain, je fêterai la sainte Olga. J'inviterai les reines d'Amérique. J'ajouterai Albertine. Je tâche d'écrire, de raviver la figure de trois passions, dans une même unité d'émotion.

lundi 27 mai 2013

Entre chien et loup

Je suis vautré devant le grand imagier. Je regarde la promenade du dimanche. J'observe la ruée des rues.  Le jour décline sur les Invalides. Je songe à Deleuze interrogeant la philosophie, "à cette heure, entre chien et loup, où l'on se méfie même de l'ami " (Qu'est-ce que la philosophie ?, Editions de Minuit, page 8).
Entre homme et femme, c'est en effet l'heure de la peur. L'identité n'est pas le genre de beauté de la société. Les sexes sont brouillés au motif d'une indivise espèce. L'homme est une nation sans frontières. La femme est une nature sans contours. Nature ou nation, elle et lui naissent d'elle.
En cet instant de flou, où le chien se fait loup, la naissance se tient droite, bombe le torse sur son socle d'invariance. Même si le même s'aime, au plus fort de l'indécision des genres, au détriment du choix de l'autre et de sa différence, la naissance reste l'événement souverain, le privilège d'un ventre féminin.
Certes, la société peut s'affranchir des liens du sang et revendiquer les droits de l'adoption. L'exemple chrétien de la Sainte Famille en est une illustration percutante. Joseph adopte Jésus.
En revanche, elle ne peut rien substituer à la naissance de chair, là où le christianisme abat la carte du mystère. Sans autre joker que la naissance de chair, la société est tributaire du seul pouvoir des mères.

vendredi 24 mai 2013

Frichti

J'époussète des bribes d'anamnèse. Je les cache dans des sacs aux quatre coins de la maison. Je ratisse mes souvenirs, confectionne des paquetages de mémoire comme un enfant contient la marée d'une main friable, construit sa victoire sur du sable.
Je cause aux choses. Je suspends mes tourments. Je planque mon barda sous un tapis d'avenir, à l'abri des jours pires. J'y grignote un frichti, tranche un fruit par étourderie.

Un vague anglais de boutiquier

Les députés de la nation ont voté la purification linguistique, les pleins pouvoirs à l'idiome d'Amérique. Un vague anglais de boutiquier est plébiscité à l'université. On imposera de parler à l'étranger des facultés dans une langue de colonisé, sans en maîtriser la sensibilité.
Travail bâclé. Baudelaire sera traduit du bulgare. Au motif d'attractivité, l'enseignement est abaissé. La qualité d'une leçon se mesure à la finesse de son expression.

jeudi 23 mai 2013

Richard

Devant la grosse échoppe de machines à café, le kiosque de Richard a bouclé ses volets. L'homme qui lisait, au milieu d'un tas de papier, a déserté son passé.
Un dernier dimanche, il s'est voûté dans sa cachette désordonnée. Avant d'abdiquer, il se recueillait. Il se retranchait dans une mémoire à fleur de trottoir. Il était pâle comme ses cheveux en nuage. Un mal, quelque chose de sale, assaillait l'homme du journal.
Il détourna ses yeux qu'il avait rouges, plus jamais bleus. Richard fuyait mon regard. Il se terrait dans sa réserve, se taisait dans son malaise.
J'ai vu Richard au travail, dès six heures de l'hiver, allumer sa loupiote, organiser sa cahute en esthète, s'établir aux premières loges d'un monde de brutes. Il bivouaquait sur l'asphalte violet, dévoué guichetier des nouvelles de l'humanité.
J'ai vu Richard verrouiller sa journée à l'heure où se distraient les employés désoeuvrés. Il confiait qu'il vieillissait, qu'il avait froid quelquefois, que les journaux avaient dit leur dernier mot.
Je n'ai jamais su tutoyer Richard, mon ami de hasard, en trente années à se sourire, à se satisfaire d'un même bonjour.

mardi 21 mai 2013

Il Gattopardo

Je me fiche des histoires, de leur sens obligatoire. M'en tamponne le coquillard. J'abandonne un récit qui chemine vers sa sortie. La série des causes me fait penser à autre chose.
J'aime l'épiphanie. Etre ébloui. Je regarde l'image au hasard. A sa naissance, sans autre connaissance. Je saisis les icônes, une à une. Au mépris du récit.
Je fixe mon vertige sur la photographie du film. Je suis aux premières loges. Je suis assis. Je me recueille devant la splendeur de Sicile, le métier théâtral de Visconti. Le décor se résume à des corps. A l'aurore. A la mort. Tautologie d'une seigneurie décatie. J'en apprécie les coloris précis, l'éthologie ou la chorégraphie, la composition d'exacte fantaisie.
C'est un cinéma désuet, qu'on range au musée, par manque de métier des prochains ouvriers. J'ai visité Le Guépard, encore une fois, pour me convaincre d'un inexorable départ.





Casting de Pentecôte

Le bruit de fond est une rumeur d'horizon. Il empaquète la silhouette improbable du monde. J'identifie le chaos à son grésillement de tuyaux. Les corps surgissent d'une bande sonore.
Je m'acclimate aux criailleries d'automates. Pétarade rectiligne. S'y croisent les rails d'une même ferraille. Mimiques de bastringues machiniques, loi des voix, d'un réel sans voyelles. J'ai la tête concassée de fureurs métissées.
J'aimerais écrire l'histoire du vent, à coups de griffe de scooter. Le récit arbitraire d'un esprit malappris. J'imagine un casting de Pentecôte.

lundi 20 mai 2013

Sensation

Jouir de la beauté est un savoir-vivre, une saveur de brièveté, une sagesse d'éternité. Jouir d'un corps est un rire de dernière heure, l'écorchure incendiaire d'une parure de chair.
M'émeut la joie du feu. Rougeoient la sensation, sa loi d'exquise précision, son carquois d'expression des passions.

La Piscine

Il pleut des hallebardes. La pluie éponge les mauvais rêves. Maurice Ronet se hisse de la piscine. Roi détrôné. Echoué dans les parages de la beauté.
Il boit un verre de moyenne amitié. Harry se barre avec la nuit. L'acteur du Feu Follet s'est fourvoyé dans des clichés d'après-Mai. Lui reste un sourire de balafré, l'entaille d'oiseau sur la pommette. Une lèvre sans morsure et trop de dents trop pures.
Ronet s'est trompé de génération, mime les gestes de finition d'un homme sans décision. On dirait Lindon. L'homme à sourire cassé se jette dans l'eau froissée. La Piscine, comme nous, il s'en bassine. Delon joue avec ses pieds, avec la vie du noyé. Les quatre acteurs ont les yeux bleus. Les deux actrices, pas de cicatrices.
Trouville aux stores rouges: je me souviens, rue Pierre Bonnard, d'un tableau de Jacques Cauda.

vendredi 17 mai 2013

Le pestiféré de l'Elysée

La politique est une religion à risques. Elle s'interdit l'au-delà. Son paradis est ici. Mais pas maintenant. Hollande ajourne les lendemains qui chantent. Nous fait poireauter cent sept ans à la station récession.
L'embellie de la croissance est attendue comme jadis l'avénement du communisme. Aux prochaines jonquilles.
Les ministres assis ont écouté bouche bée le président debout dont le mot offensive sifflait dans les gencives.
Moi, j'ai tendu l'oreille à l'évocation d'un fait divers, école de la rue Cler. Le chef de la patrie s'est attendri sur les enfants meurtris, a témoigné aux personnels et parentèles une sympathie à front uni.
Ficelle politique que la corde sensible. La compassion du coeur sur la main ne mange pas de pain. Elle se tait sur le désespéré. Hollande, en bon professionnel, s'adresse aux cibles électorales. Sans doute le suicidé du hall d'école n'était-il pas digne du minimum syndical d'humanité.
Car le président ému ne dit mot sur le sort de l'homme qui se tue. Il fait l'impasse sur le désarroi d'un rebut de la société, pestiféré du discours de l'Elysée.

jeudi 16 mai 2013

Le journal

J'achète le journal. Pipi de chat. Une prose assez grise se hâte d'en finir avec le plaisir de lire. Je farfouille au rayon des livres de bricolage. J'interroge les agents de caisse. Rien aux objets trouvés parmi les papiers imprimés.
Le Figaro, La Croix. J'arpente leurs feuilles de grands magasins, à devantures de bouquins. Verres vides au banquet des lettrés. Le journal m'écorche les doigts. J'en sens l'odeur d'encre, à défaut de m'y voir dans sa glace. Staël s'est perdu dans la nature.


Les bons sentiments

Les bons sentiments se ruent à la surface des visages. Ils chassent en bande sur les territoires du sourire. Ils badigeonnent l'oeil borgne d'une lueur d'enfant de choeur. Ils nettoient les regards d'arrière-pensées de cupidité.
La duplicité est un métier de simagrées. Ces hommes masqués sont chevillés à de juvéniles intérêts. Ils remuent les mots de l'amitié pour mieux ruser avec la minimale loyauté. Je me suis lassé des artifices de comédie, de l'improbable camaraderie des signataires de traité. Je vomis les sentiments les meilleurs des parapheurs de contrat.

mercredi 15 mai 2013

Mon amour de Flaubert

J'ai l'âge des dernières stupeurs, des grandes largeurs, l'âge de mourir à n'importe quelle heure. Je dégringole vers l'enfance.  J'ai désormais carte blanche. Je vieillis à ma fantaisie. Autrement dit, je laisse libre cours à mon amour de Flaubert.

Penaud avec mes mots

J'aime la librairie Tschann, docte échoppe à parures érudites. Son pieux silence évacue le bruit de rue. Il veille au repos des ouvrages. On s'y cadenasse à l'abri de Montparnasse.
Attraction fatale des étals. Envie de graviter autour des présentoirs comme on rôde au quartier des prostituées. Détailler la marchandise, aiguiser sa convoitise. Tenir un livre entre ses doigts comme on égrène un chapelet.
J'imagine à partir d'une phrase ultime. Ma songerie slalome entre les volumes. Je reconstitue la pile comme un gosse rafistole une figure de sable.
A la caisse, j'observe l'album Cendrars de Gallimard. Je tends mon petit bouquin rouquin. Je bredouille un boniment marchand, d'apprenti colporteur, d'auteur à la sauvette. Mes yeux ont quitté la gueule de boxeur de Cendrars. J'assiste au courroux de la blonde libraire. Je suis aux premières loges. Elle me jette un regard noir, desserre la mâchoire: "Trop de livres, pas le temps".
Je médite un peu la devise du lieu. Je me souviens du recueil des lettres de Nicolas de Staël, couverture blanche, enrobé de papier froissé. Là sur l'étagère, c'était hier. Je l'ai récité dans la splendeur des Pouilles, à l'heure où plus rien ne ment, à l'instant où le soleil meurt dans son sang.
Je remballe l'indésirable. Vendeur calamiteux, détestable véhèrepaix. Penaud avec mes mots.

mardi 14 mai 2013

La Tour Eiffel

La Tour Eiffel, dans le dos de l'invité de Claire Chazal, derrière les policiers gladiateurs des échauffourées du Trocadéro, à l'arrière-plan du trophée levé des footballeurs.
La Tour Eiffel figure sur la carte postale. Le photographe l'exige à proximité des champions. Le pognon en revendique l'horizon.
Flaubert, rabat-joie de métier, se serait délecté à pareil spectacle de petite guerre: "De toute la politique, il n'y a qu'une chose que je comprenne, c'est l'émeute" (Lettre à Louise Colet, 7 août 1846). Il a vingt-cinq ans, l'âge des joueurs et des casseurs.
Pas sûr que nos princes saisissent bien la portée des inconduites du Trocadéro. L'art de la bagarre les laisse froids. La querelle de chiffonniers touche à la seule responsabilité du méfait. Le préfet accable la Tour Eiffel, ce vulgaire bout de ferraille. Elle plastronne sur toutes les images. Flagrant délit. La Tour Eiffel est menottée.

lundi 13 mai 2013

Technologie de Picsou

Petitesse d'essaimesse. Pingrerie de l'écrit. Je compte mes mots. J'en soustrais la subtilité. Je bâcle un communiqué grossier, un texte avaricieux.
C'est un courrier sans générosité dont j'ai contracté l'objet. Je flatte une concision qui s'abîme en torsion, une sobriété qui se perd en crispation épicière. Technologie de Picsou.

vendredi 10 mai 2013

Il y a du Tonton dans Pépère

Pépère s'exerce au pédalo, été comme hiver. Il cabote en bord de mer sous surveillance de la chancelière, sauf à lui faire des taquineries et prendre le large vers le Mali.
Pépère s'enlise dans le désert. Le Pépère de la nation embourbe ses militaires dans une guerre de religion.
Il chausse des lunettes de chef-lieu. Les binocles de Pépère ne l'autorisent qu'à voir de près: une paluche à serrer, une bise à claquer, un courrier à signer, un discours à prononcer, un journal à feuilleter.
Depuis des décennies, le match s'éternise entre une droite qui rate et une gauche qui gâche. Pépère boxe sans cap. Il longe les rochers. Suit le dentelé des côtes françaises. Car Pépère préfère la petite mer, s'agripper à ses jupes. Voit l'horizon de manière oblique.
L'opinion des cantons, des électeurs de l'ancien Tonton, s'inquiète des problèmes de vision du bon Pépère. Or elle a tout faux, se trompe de profession, confond mystique et politique.
Pépère est un politicien subtil qui prend la pluie sans battement de cils. Il godille immobile, slalome au ralenti. Pépère d'ailleurs grossit, faute d'exercices moteurs. Pas de cap, pas de vision. Pépère s'adapte aux circonstances, renvoie les doctrines en cuisine, ne s'embarrasse pas les yeux d'un grand dessein creux. Aime ou n'aime pas les riches. Les abhorre quand il fait beau, les adore quand il fait gris. Selon le calendrier, au gré du vent saisonnier.
Pépère, à l'instar d'un vulgaire Sarko, ne songe qu'à conserver son magot, à thésauriser ses pouvoirs, au maximum de ce qu'on peut faire. Pépère se voit le plus longtemps Pépère. Bref, Pépère a de l'appétit pour deux mandats.
Même impopulaire, Pépère règne à gauche, sans rival déclaré. Il régnera mieux en rognant les ailes des plus habiles de sa famille. Rabaissera à son heure le caquet de Valls et la morgue de Montebourg. Sans rien faire, Pépère jouit des errements d'une droite atomisée, sans chefferie légitime.
Reste un gros os : alphabétiser l'ouvrier aux subtilités du Pépère. Sans quoi, il votera de travers pour la blonde héritière. Ou gardera son bulletin à l'écart du scrutin. Assurément, il y a du Tonton dans Pépère.

jeudi 9 mai 2013

Mes soldats

Je me penche sur des rectangles de papier blanc. Je consulte un vieux carnet où j'ai griffonné des adresses. J'en déchiffre la graphie dont la trace a pâli. J'écris des noms de rue sur des enveloppes perdues.
J'ouvre le livre rouge à sa page de départ. Je taille des mots précis, en fignole le ressenti, m'applique au dessin des voyelles. La pile paroissiale s'amenuise, dégringole d'un étage. Un petit soleil en zèbre l'incarnat. Je me défais de mes soldats.
Je bénis un à un les chefs de maquis. Une dernière fois, je tapote leur joue rouge. J'absous les textes déserteurs désormais à merci d'une sacoche de facteur.

mercredi 8 mai 2013

Le petit traître

Il n'aime pas mon accueil. Remue les cils, fait le difficile. Je suis inhospitalier d'instinct, de nature, peut-être de métier.
Il a besoin de picaillons, demande une sorte de pardon dont me déplaît le son. Je le traite en petit traître, brin de paille de la valetaille, prestataire d'une médiocre colère.
Il ment comme un tripatouilleur de dents. Il hausse le menton pour se figurer l'horizon. Je le fais tourbillonner comme dans les jeux de guigne et d'yeux bandés. Je l'assieds devant l'encrier.
Je lui dicte les mots qu'il faut. Il signe d'un griffonnage plein d'écume et de rage.
L'oiseau de malheur, triste sieur de travaux d'intérieur, songe à déguerpir. Je suis démangé par l'envie d'outrager son postérieur.

lundi 6 mai 2013

Italie, Normandie

Le ciel d'ici m'expédie dans mes rêveries. Je soigne ma mélancolie par les songes d'Italie. Revoir le Basilicata, les eaux rêveuses de Maratea. Boire un verre de spritz en attendant la nuit. Sentir les légers picotis d'une ivresse repentie.
Je soigne mes regards par le désir de Flaubert. Derrière une Normandie de pluie se dresse un colosse de terre maudite. J'adore le grand gars des labours. Sa joie de paltoquet, de bourgeois défroqué.
J'ambitionne à mes heures de crayonner sur son bout de nez, de colorier sa figure de forcené, de tacheter de mots sa face de bourreau. L'ermite intermittent ne rêve que de bon temps, de passions vénériennes, d'escapades eurasiennes. Je lis l'épistolier. J'ai des titres. "La cicatrice du brave" ne date pas d'hier.

vendredi 3 mai 2013

Douze moi(s), président

L'ego se déclare comme une feuille d'impôt. Hollande candidat soliloqua son idéal du moi dans l'aveu déconcertant d'un sentiment puissant: "Moi, président, je".
La confession de télévision révéla la dimension des prétentions. Le bonhomme Hollande imposait sa première personne du singulier, à la criée. Tirade du nombril.
La théâtralité d'un ego débridé, démultiplié, comme s'il en pleuvait sur l'opinion, exprimait une volonté de mots. Le pouvoir ne se limite pas au gueuloir d'un vouloir.
Après causerie, Hollande bricola une politique à sa fantaisie. Avec un stylo, une gomme et des post-it. François rédigea sa profession de foi mille fois. "Moi, président, je". Il apprivoisait la pensée magique. On songe au petit roman de Radiguet, Le bal du comte d'Orgel, à sa phrase finale: "Et maintenant, Mahaut, dormez, je le veux !". Hollande regarde l'avenir en fakir. Il applique aux choses la pratique de l'hypnose. Il s'imagine dompteur de serpents et des intérêts allemands.
Or la réalité est chez elle, à demeure dans la crise quotidienne. "On est chez nous" clame-t-elle dans un élan de gaillardise à relents xénophobes. La réalité s'est toujours sentie libre, presque sans gêne, rebelle à la péroraison.
Hollande répète les gestes, souffle les trois mots: "Moi, président, je". La réalité au galop ne s'appréhende pas au petit lasso. "Moi, président, je". La formule tournoie dans les airs comme un appel éphémère. Hollande cède à son embonpoint, va son petit bonhomme de chemin. Il remplit son mandat comme un quinquennat de desiderata.
Hollande, on s'en entiche. Puis on s'en fiche. Sarkozy, bonimenteur de génie, l'a fourgué au pays. Vendu état neuf. Au bluff. Narcisse est à l'Elysée. Il dénombre ses nombrils, se contemple dans le miroir du temps: "Douze moi(s), président".

jeudi 2 mai 2013

Le bar de Godard

La nature a fracturé sa serrure. J'ai vidé ma tête d'un souci d'esthète, vieux de trois décennies. Je regarde le film. Les mots clairsemés se sont rembobinés. Bon Albert a recueilli le petit bois de prière, conservé le fagot pour les mois d'hiver.
Je suis le psautier d'un texte rouge expédié par postier. C'est un format paroissial qui tend sa nuque à l'infidèle. Je lis les mots du délit, les minces fragments du récit. L'ouvrage d'Aubrac sort de fabrique.
En ce matin féroce, j'actionne le juke-box. Je vois Ferrat, à côté de sa voix, s'écoutant content, dans un bar de Godard. Je touche la page comme on frôle un  rivage.