jeudi 29 août 2013

Grandes bringues

Les éoliennes enlaidissent la vie, la rendent vilaines. L'oeil se cogne à ces cigognes sans vergogne. Ces gigantesques insectes parasitent la ligne d'infini, la ligne de fuite vers la rêverie.
Où qu'on aille, elles cheminent en bande sur la crête du soleil. Ces moulins siffleurs sont des prédateurs de splendeur. On les maçonne sur l'horizon comme des ronds-points d'agglomération. Nos paysages d'antan sont surpeuplés de ces grandes bringues à bras ballants. On souhaite leur casse et le bonheur des ferrailleurs. Vaut mieux des loups carnassiers que ces bidules à vent mauvais.

La blouse du père fouettard

"La France est prête à punir". La posture du maître d'école tient lieu de politique internationale. L'arme chimique est vécue comme une tricherie d'examen pratiquée par le régime de Syrie. Au coin. Bonnet d'âne. Zéro pointé. Bachar, deux heures de colle.
Le monde n'est pas une classe composée de professeurs et de disciples. La rentrée scolaire a déteint sur le vocabulaire d'un président démangé d'exercer un magistère. Le chef de nos terroirs endosse la blouse du père fouettard.
La politique du coup de règle sur les doigts s'exonère de la légitimité du droit. Elle ne se recommande que du privilège d'autorité. Pareille enflure de comportement fragilise le subtil travail de diplomatie.

mercredi 28 août 2013

Les chocolats de Guéret

Les cloches de l'église de Bonnat carillonnent une joie brouillonne dans le ciel creusois. La forêt limousine habite un lieu sans âme qui vive. Elle est diverse en ses verts téméraires. Un peuple d'arbres pavoise le long du macadam indécis qui mène à Guéret.
La ville de Jouhandeau, la cité de Michon, se signale par ses seuls loubards de mascarade et sa haute maison jaune, penchée, un peu malade, sur la grand-place ensoleillée. Guéret se tait, garde ses mots dans ses grimoires.
Jouhandeau a sa rue. A Marcel, la ville a préféré Paul. Le père boucher se prénommait Pierre. Guéret est cloîtrée dans son secret. La pizzeria où nous dînons sert un café de roi, étoilé de quatre chocolats.

mardi 20 août 2013

Flaubert et "les humanitaires"

Comme si l'autocar s'était arrêté au lieudit "Elysée", site apprécié des guides. La chefferie politique voyage en meute. La bande de ministres s'est éparpillée sur le gravier du palais, a salué du menton les marches du perron. Ils visitent l'avenir. Récitent par coeur une note de service sur le bonheur. Les joues de Moscovici sont rouges. Le soleil est sa honte. Hollande, mentor et tour-operator, ramasse les cahiers de vacances. Au conseil des ministres, entre chiens de faïences et blabla, Malraux dessinait des chats.
C'est la rentrée. Je conseille la lecture écolière d'un admirable épistolier: Gustave Flaubert, homme de labeur. C'est le 22 avril 1853. Il est minuit passé. Sa Bovary l'ennuie à périr. Il griffonne des mots à Louise Colet, s'abandonne à la lucidité. Le grand Gustave parle des parlementaires et des "humanitaires", des Cahuzac à jeter dans le même sac.
"Qu'ils commencent par payer leurs dettes avant de prêcher la charité, par être seulement honnêtes avant de vouloir être vertueux". C'est la rentrée. On sent l'odeur de préau. Je serais maître d'école, je tracerais au tableau les mots d'un pareil idiot.

lundi 19 août 2013

Les yeux au ciel

Arc de lumière. Soir de veillée télé. Les savants causent aux quasars. Dans Arte, il y a raté. Derrière l'apparence d'anagramme, je décèle une rareté.
Poussière d'éther, l'homme finit en terre. La géologie raconte l'histoire d'un bipède sur le globe. L'astronomie s'extasie d'un infini récit. Dans l'intervalle, l'homme trimbale sa mélancolie. L'homme est un météore qui ignore son aurore.
Au dernier racontar, l'écorce de terre n'est qu'un bout de torse du ciel. L'homme mort donne son corps à la peur. Il est l'homme d'une chair milliardaire en atomes. Ces sacrifices de précipice raniment les torches aztèques, réveillent les étoiles ouvrières.
La vie cruelle du ciel se lit à la jumelle. Nous rebroussons chemin, vagabondons vers l'aurore, à rebours du lendemain. Nous observons le chton d'origine, le bleu de premier abîme. Les soleils meurent en costume régional, géante rouge ou naine blanche. Le bal des étoiles s'achève en délire cannibale.
L'espace rapace est saturé de cadavres. Les docteurs d'universel lèvent les yeux au ciel. Derrière leurs paupières sans sommeil, ils miment la bataille des soleils.

mercredi 14 août 2013

Yelena et Yarisley

Le sport exalte la beauté du corps. L'athlète sculpte une silhouette à l'ombre des défaites, en pur esthète. Yelena la gymnaste hisse un torse d'acrobate par dessus le précipice. Yelena la Slave en découd avec Yarisley la Latine. La Cubaine et la Russe voltigent dans l'arène comme des reines étoilées.
La pulpeuse Yarisley donne du fil à retordre à la svelte Yelena. La perche plie, catapulte un corps déconstruit. L'athlète tournoie au-dessus des lois, frôle du bras la barre en bois.
Yelena et Yarisley, deux petits noms aux i grecs d'origine, jettent leur corps de splendeur à la figure d'un milliard de voyeurs. Les deux ballerines ont dansé entre les lignes, pratiqué en trapézistes leur funambulesque discipline.

mardi 13 août 2013

Maison d'enfance

Autour de la cheminée, j'avance en terrain miné. La maison de jadis est tapissée d'explosifs. Au moindre mouvement éclate un sentiment. La plus petite déambulation provoque une émotion. La mémoire saigne quand elle se cogne à son histoire.
Chaque coin ou recoin, chaque couleur de nappe ou de rideau, chaque grincement d'armoire ou de parquet, est une plongée dans un passé ravivé. La maison d'hier est un champ de cultures vivrières. L'enfant y cultive les cinq sens.
La maison d'enfance est saturée de mémoire. C'est une prison faite de répétitions. A chaque pas sur le carreau écaillé de la salle à manger, la raison se sauve. Les mêmes impressions se jettent comme des fauves sur l'homme du retour aux lieux, pas très indemne, trop familier de son clocher.
Je m'assieds dans le salon dans le fauteuil du père. Je suis le nouveau roi d'une dynastie décatie. Devant la tapisserie, je me sens lui ressembler dans sa physionomie. J'ai besoin de sa bougonnerie et de ses partis pris. Je suis vissé au coussin de velours jaune, prisonnier d'un destin d'homme.
Je n'en bouge pas de peur de réveiller les démons. Derrière la vitre violette, le paysage inchangé me ramène à mon rond de serviette autour de la table. Quand on est petit, la maison se suffit. Au naturel. Sans fioritures de destination. Telle quelle. La maison n'est ni d'enfance, ni de vacances, ni de campagne. Elle ne maquille aucun mensonge.
C'est une prison d'ennui, la geôle des dimanches sans école, où la songerie est l'amie, la seule compagne avec qui partager l'infini. On ne sort jamais d'une maison d'enfance. Pas de remise de peine, ni de remise de joie. On y séjourne à perpétuité. On habite une salle d'attente.
C'est un bagne de campagne. Si d'aventure on le rasait au bulldozer, il deviendrait jardin secret derrière ses fils de fer, il rayonnerait de toutes les voluptés de la terre. Ci-gît la nostalgie. Sans maison d'enfance, sans prison dorée, la frivolité de l'absence n'est qu'une injuste étourderie du destin, un grand chagrin.
C'est la maison de la mémoire obligatoire. Assignée à résidence, la mémoire involontaire de Proust a perdu sa fraîcheur. Elle mâchouille un passé de retrouvailles, en volatilise l'aurore subtile. Le hasard se dérègle sans nécessité. Il dessine dans la tête les mêmes figures imaginaires. Autrement dit, les lieux d'une domesticité ont fabriqué une mémoire d'automaticité.
Je n'ai jamais vécu l'errance dans ma maison d'enfance car j'y ressens l'instant d'avance. Sortir d'une pareille loi, ce serait comme s'échapper de soi. Se jeter dans un autre désarroi.
La maison du premier âge est bourrée d'images. Son toit d'ardoise abrite mes petits films. L'espace ressasse, archive des bouts d'audace, stocke des fragments de joues rouges. Je ne peux pas me lever d'un bond du fauteuil du salon. Ma maison est déchiquetée comme un puzzle déjanté. Je me refuse au tour du propriétaire. Je ne sais pas stopper une hémorragie de souvenirs. A la première incartade, je peux sauter sur une mine.



lundi 12 août 2013

Aveu pieux

J'aime l'épiphanie, l'apparition sans raison, l'éblouissement du cri. Mes mots d'école disent l'envol d'un oiseau. Traduisent un claquement d'ailes. Expriment un froissement de broussailles.
J'aime cette variété de beauté, sorte d'enluminure de la nature. J'aime cette brève sensation, ce clignotement du présent. Je traque l'illumination comme un guetteur de son et lumière. Cette beauté-là comble par surcroît.
Je fuis la mécanique des raisons. M'assomme l'enchaînement des causes et des effets. Il est cousu de fil blanc. La dynamique des progrès m'enquiquine. Egare mon regard. J'en fais l'aveu pieux: j'aime l'avènement miraculeux. J'en déchiquète la chair fulgurante.


vendredi 9 août 2013

Costantino Carisi

A Ortigia, chaloupe enivrée sur la mer Ionienne, je m'emmêle dans les ruelles. Il est midi. Je tournoie à l'ombre des palais. J'emberlificote les tracés conseillés. Je sais les ruses de Syracuse.
Les mots me viennent au Palazzo Bellomo, à deux pas du Duomo, derrière la trouée de la piazza. Antonello da Messina est la star des arts de Sicile. "L'Annonciation". Un rouge anecdotique à l'arrière plan de la toile.
Je progresse dans l'énigme. La peinture jaillit. Costantino Carisi jette ses velours orangés dans la bagarre des yeux dessillés. Sa toile maniérée flamboie dans la pénombre du palais. Le peintre de Noto est mort en 1790, à soixante-treize ans. A l'âge de Karen Black, l'actrice de "Five Easy Pieces". C'est dans tous les journaux ce matin. Vénéneuse comédienne au strabisme entêtant.
Carisi m'émerveille aujourd'hui. J'ai le désir de m'instruire, de collecter des indices, de regarder d'autres toiles, de toucher des reliques. Carisi est inconnu au bataillon. Wikipedia fait faux bond. Niet Internet. No future pour le peintre de Noto.
J'ai sa couleur dans la tête, un orange inflammable au premier regard. M'obsède Carisi, peintre d'improbable renommée.


mercredi 7 août 2013

A Guy Dupré

J'ai la nostalgie d'un temps où la flânerie s'armait d'un fusil, où l'homme était posté derrière un rectangle de paille, où les ciels d'octobre étaient la patrie des perdrix.
De retour de Sicile, j'empoigne la gibecière postale qui empaquète les deux petites bêtes. De retour de Sicile, j'éconduis les enveloppes sans désir. J'extrais vos deux ouvrages à mots jumeaux. Dédicaces attentionnées.
"Madérisée" est le mot juste. La cérémonie du vin de Porto ne remue pas que des mots. Elle exhorte à la mémoire d'un père.

mardi 6 août 2013

Patrick

Patrick a toujours fait des blagues. La dernière ne fait pas rire. Ce pince-sans rire s'est fait pincer par la police des maladies. La mort frappe en premier ceux qui savent en rire.
Il aimait jouer. Tennis, bridge, comédie. Le fantaisiste cachait en artiste sa figure triste, sa moue des mauvais jours. De l'esprit d'enfance, il avait gardé une certaine fulgurance. Pas de quartier, ni de tiédeur. Mais du coeur et du panache. Au jeu de raquette, il abrégeait l'échange sans tambour ni trompette, tout à trac: ça passe ou ça casse.
Quand son père est mort, il interrogea les pierres: "Qui désormais éteindra les lumières du salon ?".
Fini de rire. Nous sommes seuls aujourd'hui. Qui parlera foot avec moi ? Qui dira dans un fou rire deux ou trois mots d'après banquet jetés sur le papier ?
Nous n'avions pas dix ans. Avec d'autres, nous jouâmes à cache-cache petit signe. Souvenirs de ronces et de genoux qui saignent. Sur la pelouse de Neuville, nous shootions, nous dribblions, nous vivions avec un petit ballon pour horizon.
A La Plagne ou L'Escalet, dans les neiges ou sur les sables, ses gags et sa désinvolture préfiguraient l'univers des Bronzés. Aujourd'hui, le monde est moins drôle. Il manque d'humour et de sensibilité.