lundi 30 septembre 2013

Lettre à un fils

J'étais en Sicile. Maman m'a appris que ta mère était morte. D'elles, nous tenons, nous détenons une part du mystère, l'accès à cette vie éphémère.
Les jours d'après nous appartiennent bien peu.  Ils sont vides. Vidés de leur éternité. Limités au leurre de la mémoire.
"Les fils ne savent pas que leurs mères sont mortelles". Demain se regarde dans les yeux d'un nouveau matin. Ton compagnon de tennis, du Highgate de jadis, pense à ta peine, à ton courage de fils. Je t'embrasse, vieux camarade.

lundi 9 septembre 2013

La fable de la laïcité

Liberté, égalité, fraternité. Peillon rajoute laïcité. Il rafistole l'école. On lit l'Evangile selon Peillon. "La République est "indivisible, laïque, démocratique et sociale". Les deux derniers épithètes sont des redites, la resucée d'égalité et fraternité.
La charte se tait sur la liberté. C'est une valeur démodée. La République est indivisible. Sauf dans les cités cloîtrées, aux quartiers morcelés de communautés recroquevillées. Peillon décloisonne au clairon.
La République est sociale. Mais pas économique. Généreuse, mais pas avaricieuse. Redistributive avant d'être active.
La laïcité est une fable qu'on raconte aux écoliers en guise de morale. Le calendrier républicain exalte la sainteté des figures de la chrétienté. Jour après jour. Les congés citoyens se calquent sur les grands rituels chrétiens: Noël, Pâques, Pentecôte. Nul croisé des règles de laïcité ne suspecte pareille légitimité.
Les commentateurs de Tour de France s'extasient au micro des splendeurs architecturales du christianisme national. La laïcité, bonne fille, appartient au blabla des discoureurs de vertu.

samedi 7 septembre 2013

Elisa Schlesinger

Août 1853: Trouville est le lieu des retrouvailles avec une brûlure d'entrailles. Flaubert séjourne dans la bourgeoise bourgade. Il ressasse, repasse son "cours d'histoire intime". Il triture sa plaie comme on égrène un chapelet.
Il se sauve des griffes du lion, s'invente une distraction. Il écrit à Louise et à Louis, ne parle que de lui. Il ne se rappelle que d'elle. Elisa est le seul tourment, le grand blanc de sa correspondance.
Il pleut des hallebardes sur la plage de ses premières audaces. Flaubert traîne un ennui pérenne, observe le bain des dames. A Bouilhet, il confesse une affection burlesque: "Embrasse-toi de ma part". Il corrige la lourde prose de Louise.
A Croisset, le 25 juin, il démasquait un vice d'artiste: "Je voudrais faire des livres où il n'y eût qu'à écrire des phrases (si l'on peut dire cela), comme pour vivre il n'y a qu'à respirer de l'air. Ce qui m'embête, ce sont les malices de plan, les combinaisons d'effets, tous les calculs du dessous...".
La phrase de Flaubert est le visage littéraire d'Elisa Schlesinger. Elle taille une suavité, cisèle une volupté. Il travaille au cassage de gueule de Gustave. Il besogne, cogne sur sa détestable trogne. La phrase est sa figure de style.


jeudi 5 septembre 2013

Attente ou attentat

On ne résiste pas à la tentation de paraphraser Claudel: "L'attente, il y a des salles pour cela". A Saint- Petersbourg, le concert des nations fait salon. On attend la croissance, une coalition, Godot. La France poireaute en économie, en stratégie. Elle stationne à la case Syrie.
L'attente est une posture de repli qui maquille l'indécision en observation. L'attente précède l'attentat. On passe aux missiles, à la trouée du réel.
La réflexion d'intellectuel est démangée par l'action de colonel. L'image d'horreur à l'heure du potage motive les coeurs, dope l'ardeur des meilleurs. Avec ses petits bras pleins de volonté guerrière, le chef des armées tricolores gesticule ses bons sentiments. Punir Bachar. Le maintenir au pouvoir.
Poutine négocie l'horreur, son veto à prix d'or. L'anagramme d'Onu, c'est nou(s). Sans s, au singulier. Comme Hollande, notre capitaine de pédalo, dont Obama peine à prononcer le nom.

mercredi 4 septembre 2013

La jeune fille et la mort

La femme s'obstine à la vie, s'agrippe au vide. L'homme cède au vertige, lâche la cordée. L'homme dévisse en bon fils. Les statistiques observent les visages comme des moyennes. Elles crayonnent une courbe des décès. Elles confirment la psychologie des sexes. La femme vit plus vieille, meurt à pas d'heure.
Aucune sociologie n'explique sa longévité, fille de la ténacité. La physiologie n'instruit pas davantage. La femme se donne peu la mort à comparaison de l'homme. Elle se cramponne à la vie jusqu'à son dernier pli.
La femme force le destin, n'abandonne pas son bien. Elle presse son sac et ses années contre son corps cassé, méprise la menace du temps, dédaigne l'outrage de malfrat. La jeune fille regarde la mort, lui donne du fil à retordre.

mardi 3 septembre 2013

Les touches d'un piano

Au café bar du Loir, les paysans tatoués boivent un verre de Jasnières. Mariage au château du fils à monsieur le comte. Les rois d'Amérique ont débarqué dans le patelin, costumés pour la noce et le féroce potlatch.
Au château de l'écriteau, l'herbe est tachetée de tables blanches. On dirait les touches d'un piano. Pétillent les vins, les jeunes filles et les bribes de causerie. On gravit le grand escalier. On jette une tête: l'admirable crucifix de Buraglio, haut dans la géométrie d'ici, beau comme un bonjour d'oiseau.
On dégringole les dalles. Double panneau couleur de mégot. Tableau fracturé en deux hosties, courbure de cruauté d'un corps ensommeillé. Malherbe : c'est un père, c'est un peintre qui regarde Apolline comme il parle de son fils. La regarder dormir. Albertine est emmitouflée dans son secret. La dormeuse est une prisonnière proustienne.
Sumo des végétaux, le platane cinq fois centenaires ponctue la calligraphie d'une charmille taillée au ciseau. M'arrête un chat camouflé dans l'herbe. Les petits pages du mariage sont vêtus de culottes bouffantes. L'habit écarlate sied à leurs joues rouges. Une musique d'Europe orientale se mêle au vent des conversations familiales.