jeudi 31 octobre 2013

L'écot-otage

Après la bataille de l'écotaxe, nous assistons à la querelle de l'écotage. L'écot-otage est l'impôt de la terreur. L'Etat ne mange pas de ce pain-là. Sa diplomatie suffit. Version officielle, ritournelle de la tractation en gants blancs. L'exigence de transparence est une chansonnette politicienne. L'opacité prévaut au Quai d'Orsay.
Les otages font la grimace sur le tarmac. Les ministres paradent. Le président palabre. Le quatuor libéré courbe la nuque. L'autorité pérore. Elle sollicite leur "expression". Mot déplacé. Cécité jobarde du chef de l'Etat. Les blablateurs se conduisent comme des écornifleurs. Le mutisme des otages dévoile l'odieux parasitisme. Ces hommes tristes sont désormais les détenus des ministres.

mercredi 30 octobre 2013

L'âme d'une anagramme

L'Education Sentimentale annonce la vie parisienne de la grande saga proustienne. Gustave, premier de cordée, tend l'échelle à Marcel. J'aimerais décoder Flaubert, le nez en l'air, déchiffrer l'arrière-pensée des noms propres.
Arnoux est l'anagramme de Rouen, orthographié Rouan. S'ajoute l'inconnue des équations, l'anonyme des jeux de raison. Marie est un nom précis qui brouille les lettres du verbe aimer.
Autrement dit, Marie Arnoux décompose les signes de la ville natale de Gustave. Avec une faute de voyelle, a au lieu d'e. Facétie du forçat de Croisset.
Dans Frédéric, il y a écrire. Il y a même décrire. Il y a F comme Flaubert. Bref, Frédéric, c'est Gustave, baptisé par lui-même. L'amour se cache dans Moreau, s'y imprime au féminin. Amour(e): l'autre mot de Moreau.
Flaubert fait ses préparatifs. Il peaufine ses énigmes. Il loge son âme dans l'anagramme. Marie Arnoux et Frédéric Moreau trimbalent la vie de Gustave. A dos de jeux de mots. Les deux protagonistes sont matière à virtuosité d'artiste. J'en dévoile la teneur en douleur : Aimer, Rouen, Amour, Ecrire, Flaubert.

lundi 28 octobre 2013

Cinquante-sept loups

Je touche à tout. A ce livre bleu noirci de longues généalogies. Je tombe sur Christian, gentilhomme casse-cou, tueur de cinquante-sept loups. Je m'arrête au palmarès d'un chasseur d'espèce. Je referme le livre aux armoiries comme on range un fusil. L'homme est mort, il y a cent un ans. Ses loups sont entrés dans ma vie.
Je tords un Folio, écorne une page, griffonne sur Frédéric. J'imagine les joues de Madame Arnoux. "Je suis un homme moyen, plus une exigence". Je note la phrase hasardée d'un journal. Déterrée d'un cahier de Camus.
Les arbres dodelinent de la tête, en signe de dénégation. Ils dérivent sur l'asphalte, quémandent une grâce. On coffre les mauvais coureurs dans une voiture-balai.
Je consulte la fenêtre et les saluts d'une tempête. Flaubert m'embrouille. Je rouvre le bouquin des filiations. Les hommes ont la passion de se dénommer. "Mémoires d'un fou", page 56: "Quoi ! - de la vanité, du bruit, du néant". 
L'iphone sonne. Mails tactiles. Cinquante-sept signes. Je mélange tout. Les mots et les loups.

dimanche 27 octobre 2013

Un Tour à la Walkowiak

Hollande, au style très quatrième république, ressuscite la figure de Walkowiak. Le président normal a conquis la timbale élyséenne comme le cycliste oublié s'est octroyé le maillot jaune, au milieu des années cinquante. Lauréat du Tour, dès la première participation, Roger Walkowiak n'a jamais confirmé son coup d'éclat. Il a réintégré le peloton, puis l'anonymat de Montluçon. François Hollande, au terme d'un mandat, pourrait rejoindre la rue Cambon.
François Hollande prend mal la lumière. Il est banal à la manoeuvre. On ressent un vide, un manque d'incarnation, une panne de présence, un déficit d'autorité. Son défaut de popularité résulte d'un excès de normalité. Walkowiak avait bénéficié des gracieusetés de la destinée. Il s'intercalait entre Anquetil et Bobet. Après le bouquet d'arrivée, il s'endormit sur ses lauriers. Il fit fausse route, quitta le vélo, ne construisit rien de pérenne avec la petite reine.
Hollande a enfourché le vélo de De Gaulle. Il touche à peine les pédales. Il a joui du forfait de DSK et de la méforme de Sarkozy. L'un a préféré la noce au sacerdoce. L'autre a été hué durant toute la course. Coup de chance. Mais aujourd'hui l'impôt à tout prix est au bout du coup de pot.
Au début, Hollande récupère le bonus du Mali. Il cible une poignée de terroristes, sonne l'hallali, retrouve ses joues de trompettiste. Il succombe à l'ivresse du feu. Il engrange de la sympathie. Il confie son bonheur au pays: "C'est le plus beau jour de ma vie".
La population partage peu l'émotion. Elle goûte moyennement le forcing fiscal. Hollande taxe à tout bout de champ. Le gouvernement souffre d'une addiction au prélèvement. L'impôt est ressenti dans son étymologie. Le mot voisine avec imposteur, pour qui le collecte. Hollande appauvrit les gens du pays. Hollande, percepteur de la République, nous joue un Tour mineur, à la Walkowiak.
Comme l'obscur pédaleur, il risque de finir patron de bar à La Chapelaude, capitaine de menthe à l'eau à la buvette de la Cour des Comptes.

vendredi 25 octobre 2013

Larrain, leçon un

Larrain renonce à la mastication. Au ressassement des mêmes tourments. L'homme qui regarde ne mâche pas un chewing-gum. Il goûte une joie. Il fuit le spectacle, il guette un miracle. Il n'imagine rien, pas d'histoire, ne trace aucun chemin, ne cède à nul espoir.
Larrain va au vent, derrière les paravents. Il est fouetté par les embruns du matin. Il ne décolle pas sa joue du soleil, des conseils des grands ciels. La splendeur est au bout d'une lenteur. L'inaction veille au mûrissement des passions.
Il se clochardise à cause des marchandises. Larrain s'accoude au parapet, extrait un fragment de soi de son artisanat minier. Il vagabonde en son intime réalité. A l'image de l'enfant, la photographie naît d'un moment d'égarement.

jeudi 24 octobre 2013

Les photos de Sergio

J'avais tout faux sur la photo. Je la considérais de haut. J'en méprisais l'hypothétique paresse d'index. Sa lissité de papier glacé interdisait le travaillé d'artisanat. Je me sens mal avec le machinal.
Or j'ai révisé mes idées, changé de préjugé. Si Barthes et sa Chambre claire m'ont ouvert la tête et ôté ses oeillères, reste que la photo me déconcerte. Elle me touche peu. J'aimerais écarquiller les yeux. M'ennuie son découpage gratuit de la géographie.
La magie d'un art m'est révélée sur le tard. La photographie d'un maître du Chili a illuminé ma nuit. J'ai besoin de Larrain comme de pain. J'ai besoin de m'abreuver aux lumières de Valparaiso. J'ai besoin des petites filles du passage Bavestrello. Je regarde Santiago autrement qu'avec des mots. Sergio Larrain me tend la main, un miroir sur les premiers matins. L'homme de patience donne à la vue ses lettres d'évidence.
Larrain photographe s'est sauvé du monde bref. Il s'est retiré des hommes et de Magnum. Larrain fait le saut, fait écho à Rimbaud. Il fait d'un passe-temps matière à éblouissements.
Il prescrit à son neveu, Sebastian Donoso, des conseils pour les yeux, des secrets précieux: "Il faut partir à l'aventure, comme un voilier, toutes voiles dehors, aller à Valparaiso, aux îles Chiloe ou parcourir les rues toute la journée, errer, errer encore dans des endroits inconnus, s'asseoir contre un arbre lorsque l'on est fatigué, acheter une banane ou un peu de pain... c'est cela, prendre un train, aller dans un endroit qui t'attire et regarder, sortir du monde connu, pénétrer ce que tu n'as jamais vu, se laisser porter par l'envie, se déplacer beaucoup d'un endroit à l'autre, là où tu le sens...peu à peu tu vas rencontrer des choses. Et des images vont te parvenir, comme des apparitions, prends-les".
Fichée au bout d'une impasse de Montparnasse, la fondation Cartier-Bresson a tacheté ses douze murs de centaines de rectangles, de figures d'éternité. Les visiteurs se taisent. Ils dévisagent l'oeuvre d'un sage. Ils sont cueillis à la sortie, saisis par les silences du Chili. Ils se sentent sots devant les photos de Sergio.

mercredi 23 octobre 2013

Une vague affectueuse

Trou dans la correspondance du grand Gustave. Rien d'écrit entre le 24 août 1835 et le 24 mars 1837. Vingt mois d'absence. Temps mort où s'intercale la vision éclair d'Elisa Schlesinger.
Flaubert ne sait pas quoi faire de sa peau. Il joue avec les mots. Il a quinze ans, traîne à Trouville son ennui d'adolescent. La féerie d'une vision interrompt sa rêverie.
L'heureuse baigneuse surgit d'une vague affectueuse. Dans "affectueuse", il y a "tueuse". Le sort de Gustave est scellé. Flaubert est ensorcelé. Il sauve le manteau d'Elisa de la montée des eaux. Du coin de l'oeil, il toise Maurice, la moustache lisse de mari sans orgueil. "Il tient le milieu entre l'artiste et le commis voyageur" (Mémoires d'un fou). Flaubert possède l'art d'épingler le boutiquier défroqué.
Flaubert pose son épaule dans sa geôle. Il abandonne sa propre histoire à l'écritoire. Il est nié, prisonnier. De la beauté d'une phrase. De la beauté d'une femme dont les pas s'impriment sur le sable.
Vingt ans plus tard, Gustave observe une torpeur intacte. Il s'est muré dans l'immobilité. Il confesse un fiasco. Il cause à l'oreille d'Elisa. "Je me suis usé sur place, comme les chevaux qu'on dresse à l'écurie; ce qui leur casse les reins" (lettre du 20 octobre 1856).

mardi 22 octobre 2013

Une cathédrale autodidacte

J'aime la flânerie des librairies. Les étagères de papa sont une caverne d'Ali Baba. Ma main balaie les rangées de papier. Elle n'évente aucun de leurs secrets. Reliures à moisissures, livres à couleurs criardes. J'inspecte des étagères de volumes à poussière.
Des soldats de plomb, des poupées de faux folklore, des figurines de magazine. Ces bibelots sont les vitraux d'une cathédrale autodidacte. Ils renvoient la lumière d'un homme de la terre. Ma main rôde aux alentours. J'extrais les Souvenirs entomologiques de Jean-Henri Casimir Fabre, l'édition vieille d'un siècle, tachetée d'étoiles brunes. J'ai cueilli la fleur qui m'a souri. Elle s'accorde à ma songerie.

lundi 21 octobre 2013

Le méfait du prince

Le bon plaisir est la tentation des monarques. Hollande, démangé par le prurit de la "générosité", ouvre grand le "sanctuaire" de l'école à Léonarda l'illégale. Il méprise la loi que sa police, "sans discernement", a scrupuleusement respectée.
Dans sa grande bonté d'homme d'Elysée, il se fiche de la légalité comme de son premier devoir d'exemplarité. Le président normal se conduit mal. C'est un président moyen, un calculateur politicien, qui additionne les contraires et divise par deux. Or la fin ne justifie pas les moyennes. Le berger du palais se noie dans le verre d'eau d'une majorité égayée. L'odieuse générosité du prince est une forme de lâcheté, l'ultime coquetterie d'une "gauche pieuse".
Le bon abbé François abandonne la loi à Leonarda, la brunette écolière, qui ne mâche pas ses mots, qui ne demande que ça: "C'est moi qui vais faire la loi". La jeune fille saisit la balle au bond de l'autorité moribonde. Elle n'a pas froid aux yeux.
Hollande parle à la jeunesse. Le chef de l'Etat exhorte Leonarda à la fugue. Il se soucie comme d'une guigne de sa minorité. Hollande cause en orfèvre des choses de la famille.
Dans le même temps, l'Etat laïc réhabilite le sacré en sa République écornée. L'école est classée sanctuaire au patrimoine des grands mots, sur le modèle des église, mosquée ou synagogue. L'école est la religion de la nation. Les policiers sont interdits de croyance. Les gens d'armes n'ont pas de belles âmes. Il est légitime qu'on les discrimine.
Il appartient au gentil vizir de se ressaisir. Car on ne bâtit ni l'école ni le sentiment national sur des synthèses molles. La loi ne peut être reniée au motif de souhaits particuliers. Le méfait d'un prince l'entaille d'un frivole coup de canif. L'imposture se révèle derrière la médiocre posture.
L'impéritie et l'empathie sont des auxiliaires de fantaisie. Seuls commandent les intérêts du pays. La péripétie Leonarda illustre les failles d'un président béat. A mesure qu'il retrouve ses joues de trompettiste, l'homme s'épuise à l'équilibrisme. L'arbitrage flasque tourne à la mascarade. Le hollandisme s'apparente à l'opportunisme du plus banal des centrismes. La contorsion ne suffit pas à calmer la colère d'une nation. A ses heures, le peuple sait être dur.

jeudi 17 octobre 2013

Mésaventure

Les comédiens s'amusent avec des rires et des soupirs. Ils jouent la gaudriole ou Claudel. Au Conservatoire, on ne s'embarrasse pas d'histoire. Ludmila Mikaël a tatoué nos mémoires.
Partage de midi ne souffre pas une moitié de poésie. Manque le rouge à l'encre de Chine. La blondeur d'Ysé messied à sa beauté. La blondeur d'Ysé est une faute de français.
Sterenn Guirriec ôte au texte sa couleur d'incendie. Mesa garde sa voix dans sa gorge. Il déclame son tourment, à deux doigts du crissement. Amalric ressemble à l'enfer, torse nu d'homme d'affaires.
La pièce s'achève en Genèse. M'agace les dents le surlignage d'Adam. J'aime l'idée d'océan au milieu du bateau.

mercredi 16 octobre 2013

Un cri de vaincu

Flaubert ne fait pas grand mystère du ressort de son travail littéraire. Il veut séduire par la phrase. Faire luire sa griffe. Etre aimé en majesté. Il forge l'outil, le destine au souvenir de Marie. Maria ou Elisa.
A l'âge du Christ, il écrit sans hâte. Il est offusqué par Louise, blessé par sa cécité. L'épistolière rate sa sortie. Flaubert met les points sur les i. Flaubert voit clair dans ses chimères. A la Maria de ses mémoires, il obéit en soldat.
"Tu as bafoué devant moi, le dernier soir, et bafoué comme une bourgeoise, mon pauvre rêve de quinze ans en l'accusant encore une fois de n'être pas intelligent ! N'as-tu rien compris à tout ce que j'écris ? N'as-tu pas vu que toute l'ironie dont j'assaille le sentiment dans mes oeuvres, n'était qu'un cri de vaincu, à moins que ce ne soit un chant de victoire ?" (Lettre à Louise Colet, 25 février 1854).
Flaubert voit rouge. Flaubert se souvient. Il s'est fait galérien par fidélité à la grandeur du "rien".

mardi 15 octobre 2013

L'espièglerie d'un seigneur

Ils aiment de la vie son goût de comédie. Ils jouent dehors, dedans, à la buvette, sous les fenêtres. La fraîcheur de Dumas nous enchante. Ces mousquetaires d'Asnières sont libres comme l'air.
Avec pareille bande de malappris, nous sommes en bonne compagnie. Le rythme échevelé sied à leur genre de beauté. Ils rapiècent le texte d'exercices burlesques, griffonnent des parenthèses bouffonnes. Le bloc Dumas tient le choc. Il résiste à cet exquis chahut.
Le roi Louis Treizième est le nom de théâtre d'Antoine Reinartz. Le joyeux galopin s'approprie la couronne avec un délicieux entrain. Brille dans son oeil moqueur l'espièglerie d'un seigneur.

lundi 14 octobre 2013

Les Roms de la mer

Nos yeux s'usent sur les noyés de Lampedusa. Ils dévisagent la mort à longueur d'images. Le roi est nu, l'effroi continue. La mortelle débandade est un sujet de dérobade.
Nos yeux errent sur le sauve-qui-peut d'une misère. L'Afrique fuit vers le fric. Nos yeux imbéciles s'ouvrent au rouge exil d'un rivage de Sicile. Ces hommes volontaires sont des Roms de la mer.
La compassion est sèche comme une panne d'émotion. Bruxelles dépêche son préposé au gestuel. Les corps sont pêle-mêle. Bruxelles excelle à expédier des mails.
Lampedusa essuie ses larmes de carte postale. Chéreau, la Reine Margot. Nos yeux sont éblouis des cadavres de Saint-Barthélémy.

dimanche 13 octobre 2013

La volupté

Nanterre-La Folie. L'université a fleuri dans les taudis. Baudrillard professe, enseigne Bataille aux marmousets d'Auteuil. Nanterre la Chinoise répugne à la veulerie bourgeoise.
Baudrillard bavarde, cause aux oreilles louis-philippardes. La petite salle dans les nuages est assaillie d'une jeunesse à chair pâle. On boit des cafés au pied des escaliers. S'écaillent aux murs les graffitis des mômes, les fresques décaties de frasques démenties. Les révoltés se sont rangés dans les tiroirs d'une société.
La sociologie réunit les plus jolies filles du pays. Baudrillard est une sorte de prélat goguenard. L'embonpoint trahit le désenchantement. Baudrillard ironise sur la marchandise. Le sexe est une convoitise qui bariole à l'envi les journées presque grises. Baudrillard jette un regard de nostalgie sur le feu des envies. Il hésite. Le mot qu'il a en tête est obsolète. Volupté. Syllabes clandestines à faire rougir un traître.
Il remue le mot comme un cadavre théorique, s'encanaille sur sa dépouille. La volupté pratique une trouée dans l'université des enragés. Baudrillard enfourche sa vieille Alfa, nous laisse sans joie. On se débrouillera.
Marx et Mao regardent le mot dans un silence de mort. En pleine saison de conte de fée, la volupté fait sensation, salle Raymond Aron. Je lâche l'époque et ses paltoquets pour Flaubert et son perroquet.

vendredi 11 octobre 2013

Le sang du paysan

Le paysan ressemble au pays. L'homme crotté de boue est endetté jusqu'au cou. Il est ballotté par les vents, baladé par les banques. Le paysan se ronge les sangs, s'ouvre les veines le cas échéant.
La paysannerie a été rayée de la carte de géographie. La paysannerie est sortie du cadre de la sociologie. Les paysans ont été déportés vers la cité.
Il est à terre, l'homme de la terre. L'homme de la terre nourricière se sustente avec un lance-pierres. Ses labours d'automne sont des pages testamentaires. Le paysan des moissons souffre de la déconsidération de la nation.
A regarder ses malheurs, le paysan passe un mauvais quart d'heure. Il fume une dernière cigarette. Il extrait de sa cartouchière le plomb nécessaire. La ronde des saisons est un horizon de pendaison.
Le paysan n'est qu'à moitié citoyen. Michel Serres le disait naguère. Les gens de la cité se sont appropriés la citoyenneté. Le mot suffit, laisse parler son origine. Il discrimine la nature. Le paysan, loin des villes, n'est qu'à demi citoyen. Son étrangeté l'interdit de cité.
Le paysan sait son infériorité de sang. On le lui fait sentir. Les gens des bourgs, les bourgeois, bobos et autres rois, méprisent sa pauvreté, le traitent en demeuré. La paysannerie est une vieillerie, précisément restée à demeure. Les rescapés des bouseux retournent l'épée contre eux. "Se détruire", disent-ils.

mercredi 9 octobre 2013

Fabius et Juppé

On les croyait rangés des voitures. Ils étaient nés coiffés pour une grande destinée. La calvitie les préservait de l'impéritie. Une arrogance un peu voyante contraria leurs espérances.
Ils étaient les mieux instruits du pays, étudièrent rue d'Ulm et rue des Saints-Pères. Juppé caracole en tête des indices de popularité. Fabius se plaît à l'excès au Quai d'Orsay, se rappelle au bon souvenir de l'avenir.
Ils seront septuagénaires au prochain scrutin élyséen. Ils ont déjà assez raté leur tour. Ils savent, depuis l'école, que l'intelligence isole. Ils souffrent de leur supériorité. Ils se désolent de la médiocrité et du manque de métier.
Juppé s'est sacrifié pour Chirac, président opaque. Favori de Mitterrand, Fabius fut précocement détesté de ses amis. Ils exercèrent l'actuelle fonction d'Ayrault avec un autre brio. Ils appartiennent à un temps où la quête d'un grand mandat national exigeait le drapé d'un style.
Sarkozy a liquidé ce genre de parure, s'est débarrassé de la manière. Hollande n'est pas un président de paille mais un gouvernant passe-muraille.
Fabius et Juppé serait au rebut dans le privé, trop vieux pour les marchés. En politique, la figure d'autorité obéit à des modes cycliques. J'imagine Fabius et Juppé, vieux percherons de l'élection, rehausser le blason de la nation, réhabiliter le bien parler oratoire, s'affronter sur un projet de civilisation. Je rêve à l'envers de l'histoire.

mardi 8 octobre 2013

Pavillon Proust

J'ai vingt ans. Peut-être moins. Je suis courbé sur mon cahier. Je noircis du papier comme un écolier précis. C'est une posture, devenue nature, dont je ne sais pas me défaire.
Je traîne mes textes et ma jeunesse dans des quartiers sans joie. Un professeur d'anglais lit "Les maîtres", une nouvelle que j'ai écrite dont la vedette est une Aston-Martin.
Hier je farfouillais dans mes livres. Pas moyen de mettre la main sur "L'Idiot de la Famille". Je tombe sur un texte fluet, "Lettre à mon mari mort" de Claire Coleman. Je l'ai acheté, il y a dix ans, les yeux fermés. Je l'ouvre aujourd'hui.
John Coleman-Holmès confie en passant, chuchote en souffrant: "Il y a des années-lumière entre un malade et un bien portant". Cet Américain à peau rose est le premier lecteur de mes petits papiers. Il a connu Maritain, m'envoie Notre-Dame en carte postale, me complimente sans tiédeur.
Claire raconte un cancer atroce au Pavillon Proust. "Toi intellectuel new-yorkais à la Woody Allen, extraverti, original, hilarant, bavard et vite éméché...tu me disais: le but de ma vie est d'être uni à la Sainte Trinité".
John Coleman-Holmès, de trente ans mon aîné, m'a tendu le premier une main dans le noir et un miroir pour me voir.

lundi 7 octobre 2013

J'entre en réunion

Blanc sonore du téléphone. Fin de partie comme une prise d'habit. "Je te quitte, j'entre en réunion". Mon oreille a flanché. "Je te quitte, j'entre en religion". Le timbre de la voix est d'une bête aux abois. Un seigneur exerce sa terreur.
Je réentends dans ma tête cette phrase lancée à la sauvette. Je me sens inutile dans l'urgence du péril. Grésille un téléphone. Un homme est mort. J'en recueille les derniers mots. "Je te quitte, j'entre en réunion". Il s'est jeté dans le vide.
Je songe au grand Antonioni. Séquence finale d"Un corps couvert de boue". Irène Jacob marche vite dans les rues d'Aix-en-Provence. Elle gravit l'escalier qui conduit à sa chambre. Vincent Perez l'a suivie jusqu'à sa porte. La jeune fille se retourne par courtoisie, met les points sur les i. La joie rosit ses joues. "Demain j'entre au couvent".

vendredi 4 octobre 2013

Grand Palais

Staël aurait cent ans. Braque est mort il y a cinquante ans. "Braque le patron" - le mot est de Paulhan -  est de retour à la maison. Ses toiles ornent le Grand Palais.
A première vue, la peinture de Braque est faite de bric et de broc. A ses obsèques, Malraux touche juste: "Dans son atelier, qui n'avait pas connu d'autre passion que la peinture, la gloire était entrée à l'écart, sans déranger une couleur, une ligne, ni même un meuble".
Le thème de l'atelier est le journal intime de Braque, un carnet de croquis de haut artisanat, sa mémoire vive d'artiste.
Sans le sou. Jeannine Guillou s'est sacrifiée. Les privations de la guerre ont eu raison de sa santé précaire. Dans une lettre admirable à sa mère, Nicolas de Staël évoque l'enterrement de Jeannine Guillou, épouse et peintre. "Le 4 mars après l'avoir habillée de tout ce qu'elle aimait porter nous avons fermé le cercueil, son fils et moi, devant la petite Anne et le plus grand des peintres vivants de ce monde".
Braque a soixante-trois ans. Il ôte sa casquette, se décoiffe devant le corps. On pense au fulgurant tableau de Courbet "La toilette de la morte", égaré quelque part en Amérique, admiré de Staël et de Braque. On s'embrouille entre la vie et la peinture.
Il neige au cimetière de Montrouge. Une rangée de nez rouges se penche sur le trou. Georges Braque et Nicolas de Staël ne font qu'un.

jeudi 3 octobre 2013

Sur papier muet

Je hume le parfum des droits couloirs de la rue d'Ulm. Une salle au sous-sol. Femmes à cheveux bleus. L'une s'assied dans un fauteuil rouge désir, lit à voix haute un texte de plaisir. L'autre debout est cantonnée au commentaire.
Parterre bigarré de jeunes filles élastiques, de minces garçons lunatiques. Catherine Hiégel remue sa vieille chevelure de lionne. La comédienne use d'une moue d'ivrognesse. Elle bouscule la règle du chuchotement épistolaire. C'est une conversation sur papier muet.
On est charmé par le délié d'une langue. Madame de Sévigné fait sienne une gaieté mozartienne, une liberté aérienne. Elle enjolive le silence de rubans d'insolence. La grâce est un masque sur ses yeux baignés de larmes. "Ma douleur serait bien médiocre si je pouvais vous la dépeindre". Je pense à Gracq, au mot de Breton: "Je veux qu'on se taise quand on cesse de ressentir".

mardi 1 octobre 2013

Dimanche et lundi

Le travail fait tache sur la beauté du monde. La fable d'un Dieu travailleur, qui donne un coup de collier six jours d'affilée, avant de s'asseoir sur le bas-côté, est une invention productiviste, la confection sommaire d'un moteur de l'histoire.
Dieu se distrait avec de la pâte à modeler. Il joue dans son coin. On ne l'entend pas. Il bricole sa Genèse avec paresse, sans doute un peu d'ivresse. Il n'en finit pas de parfaire son ouvrage. Sa création d'enfant dure depuis cent sept ans. On ne réussit pas une étoile avec du travail. D'une côte d'Adam, Dieu fait une jeune fille un peu espiègle. Il se divertit avec des bouts de ficelle.
Dieu est sérieux. Davantage qu'un pape. Dieu s'interdit le travail. Merveille oblige. Le travail est une taquinerie du diable. Le travailleur est un forcené de la peur, un possédé du démon, l'otage de patrons menteurs.
Dieu sait que le travail enlaidit nos lundis. Or le diable nous l'impose jusqu'au samedi. L'économie nous fourvoie dans sa loi de mesquinerie. Le travail égare les regards. Dimanche et lundi, il convient d'interdire le travail comme on se prive d'en parler à la table de gens bien élevés.