mercredi 30 juillet 2014

La Mourachonne

L'oubli est une répétition de la grande nuit. Souvenir de Mecir, l'escogriffe tchèque, sa lenteur ensommeillée, sa longue paresse sur le tennis.
Je pardonne tout, en bloc, par goût du confort. Je pratique l'amnésie des dégoûts. La chambre sept du Bosquet évoque la dernière cigarette de Nicholson dans le film d'Antonioni. J'attends quoi ? Le calme et la simple volupté.
Nous irons vers d'autres étés, d'autres majestés formatées. J'aime prier, croiser mes mains, mêler mes doigts, faire le geste mendiant, à vide, pour la beauté frivole, dans un esprit étourdi, sans me rappeler les paroles.
Avec Dieu, je suis taiseux. Je m'amourache de La Mourachonne.



vendredi 18 juillet 2014

Le bonheur parisien

Aimer son prochain. Apprécier son voisin. On dégringole une vingtaine de marches. A l'étage du dessous, nous dînons joyeusement.
La cheftaine de Necker et le manieur de scalpel nous dépaysent des enfers ordinaires. Deux Australiens nous communiquent leur bonheur parisien. D'être né à Sydney ne suffit pas à percer les mystères d'une destinée.
J'évoque Murdoch. C'est son jour. Le vieux Rupert, à quatre vingt trois ans et des brouettes, jette un paquet de milliards sur la tablette. Le seigneur de la Fox veut rafler l'empire Time Warner.
J'adore l'insolente réussite du gamin d'Adélaïde. Il m'émeut comme de Gaulle. Rupert côtoie dans ma tête le général esthète. Même gouaille. Même audace visionnaire. Même anticipation des soubresauts du monde. Même sens de la contrebande.
Nos roitelets de la télé peinent à mordiller la cheville du génial iconoclaste à gueule d'épagneul. On se quitte vite dans l'embrasure d'une porte. J'ai la nostalgie de mes années Murdoch, de la jolie canadienne du Wall Street Journal, d'un petit couloir jaune, d'une plaque sur une porte anodine. Je toque à la porte de Rupert Murdoch.

mercredi 16 juillet 2014

La sensation éblouissante

Avec de la terre, on bâtit des mystères. Dieu joue avec la poussière. L'homme est fait d'humus, rayonne d'humilité. Le même mot de vocabulaire prospère jusqu'au cimetière.
La première eau d'étang renvoie son image de néant. A se regarder, on ne voit rien. Sauf une sale gueule, une figure untitledNarcisse tombe à la flotte. Giacometti est un apprenti de la tête. Il les ratera toutes, faute de métier, paralysé par la nullité d'une trogne.
A vingt ans, Flaubert sait les carottes cuites. "Quels sont mes rêves ? Aucuns. Mes projets d'avenir ? Point. Ce que je veux être ? Rien".
A vingt cinq ans, il confie à Louise sa conception de la table rase: "Moi je suis une arabesque en marqueterie". Flaubert épate la galerie. Paradoxe de la peau sur les os. La beauté voisine le vide. Le génie côtoie l'idiotie.
Chessex flaire Flaubert en chien de chasse. "Dire, premièrement, ce que je n'éprouve dans aucun autre texte, de littérature ou non: ce sentiment, ou plus exactement la sensation éblouissante et presque insupportable qu'avant le premier mot du texte de Flaubert il n'y a rien" (Flaubert ou le désert en abîme, Grasset, 1991, page 11).

L'homme est un singe

L'homme fait partie des singes. La paléoanthropologie nous l'enseigne. Pascal Picq, maître de conférences au Collège de France, l'écrit à longueur d'ouvrages, l'explicite à l'image (vidéo mise en ligne sur YouTube le 25 octobre 2010).
Je suis un singe. La garde des sceaux - d'origine guyanaise ou non - l'est aussi. Traiter quelqu'un de singe, c'est le désigner par son appartenance. Nous sommes des singes parce que c'est vrai. La science est l'argument d'autorité de notre société.
Un ancien ministre socialiste, postulant officieux à la magistrature suprême, a été qualifié de porc par d'obstinés détracteurs. A tort. Car l'homme ne fait pas partie des porcs. La science est formelle là-dessus.
Le mot porc peut insulter la dignité humaine si l'on accorde un statut dégradé à la gent animale, hors du cercle des singes. Dans les tribunaux de la République, on prononce la justice sans s'embarrasser de la vérité. On se fie à sa conscience sans bien connaître la science.

mardi 15 juillet 2014

La croissance est là

Non, ce n'est pas la danse de l'été, la Croassencéla. Ou le cri de désespoir des écolos: "La croissance hélas !".
C'est un heureux événement. L'enfant est né. "La croissance est là". Fragile, hésitante, vulnérable. L'enfant sourit à son papa président. Il ne faut pas la brusquer avec des questions de journalistes. La croissance est la fille cachée du palais de l'Elysée, une sorte de Mazarine de redressement économique. Première hypothèse.
Seconde hypothèse. "La croissance est là". Fragile, hésitante, vulnérable. Espiègle. Joueuse en diable. Elle s'est dissimulée dans le grenier. Elle joue à cache-cache avec son papa, cravate de travers. La gamine le fait tourner en bourrique.
A moins qu'il ne s'agisse d'une troisième hypothèse. Le président est distrait. Il a égaré la croissance. Pas moyen de mettre la main dessus. "Où est-ce que je l'ai fourrée ?" tempête le président. "Dans ma poche d'imper avec les clés et le code nucléaire ?". Inutile de s'affoler. Il va la retrouver puisqu'elle est là. Il a confié à Manolo, son chauffeur catalan, plus rapide que le professeur d'allemand, la mission de fouiller partout, dans les moindres recoins.

lundi 14 juillet 2014

Le sanglot d'une gouttière

J'aime les vieilles chairs, la figure craquelée d'une terre lointaine, le visage de jeune fille. Un soleil les a mordues comme un fruit défendu, laissé ses entailles sur une pommette marbrée.
La beauté s'est tassée à la vitesse d'une vieillesse. La face est une surface labourée. Une eau d'usure dégringole les rigoles et griffures. Le regard se perd comme le sanglot d'une gouttière.

mercredi 9 juillet 2014

Mariposa

A Chardonne, Morand cite une confidence des Goncourt: "Les bonheurs arrivent toujours trop tard dans la vie, sauf celui d'avoir des parents".
Hier, Maman avait trois mois d'enterrement. C'est une enfant qu'on préserve du jour. Le corps mort n'est qu'un fétiche, une poussière de météore. Cent jours, un point dans l'infini.
Le train du bonheur n'arrive jamais à l'heure. Maman ne regarde pas l'été sous les pelletées. Qu'elle soit dans le trou ne tient pas debout.
On mélange tout: Maman et le sable d'un château de sable. Mariposa. Le mot s'est posé sur mon doigt. Maman papillonne dans ma tête.

mardi 8 juillet 2014

Un style de mourir

Faute d'été, je regarde du côté des beautés d'encrier. Flaubert jette sa lumière de chronique ordinaire. J'exhume de la poussière l'essai de Chessex. L'ogre vaudois célèbre en Cruchard le galérien du rien.
L'artiste "aux prurits d'épopée" s'interdit le récit de cape et d'épée. Salammbô n'est beau qu'à cause de mots d'une vacuité glacée.
Chessex axe son texte sur l'essentiel: l'aventure des voyelles. Il écoute en boucle la profession de foi du rabat-joie. La lettre à Louise éblouit le gros Suisse. Chessex se saisit du nihiliste d'une main subtile.
" Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c'est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre qui n'aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela se peut ". Flaubert a trente ans. Il lui en reste autant pour exécuter un rêve dément, devenir un monument.
Flaubert se soustrait du texte. Il se retire du livre. Il a des absences. Il se rature comme Dieu dans la nature. Il ôte à sa phrase l'ambition d'un but. Il s'interdit le coup de crayon d'une opinion. Les mots ne sonnent, ne pensent que du défaut de sens. Madame Bovary est un fragment de géographie, un bloc de risque, un phénomène atmosphérique.
Flaubert tord la littérature du côté d'une musique pure. Lui importent le genre de beauté, la parure d'écriture, une manière de danser, un style de mourir. L'athlète Flaubert tient l'haltère à bout de phrase.
Il fait une chanson du vide de signification. Il frotte les mots jusqu'à l'inexpression. Il veut l'exacte beauté, chaussée de vent d'Orient, sans autre matérialité qu'une sensation d'éternité.


dimanche 6 juillet 2014

Le square

Le sable des enfants est encadré de bancs verts écaillés. Le soleil chauffe la peau. Les marmots assaillent le toboggan rose.
L'homme des bureaux s'est calé à l'ombre, face au laid monument des reliques d'un roi. Il plonge ses doigts dans un paquet de petites victuailles.
Il a ôté sa veste d'un geste de fermeté, jeté l'étoffe de sa cravate au bas de sa nuque. Un fil pendouille de l'oreille, comme jadis le bout de coton jauni des vieillards décatis. Il bredouille, mâchouille dans une chemise immaculée.
Les femmes lisent leurs mails au voisinage de leur gamelle. Le réceptacle en plastique est bourré de matériau vitaminique. A l'heure dite, elles rassemblent leurs effets d'un air insatisfait. Aucune joie ne s'exprime dans le petit bois. L'insouciance est la science des gosses.
Les enfants du square courent après les pigeons, un ballon, un avenir bidon. Aucune dénégation ne fronce le visage long des petites bonnes. La négresse se répand sur un banc, l'Asiatique s'active de manière frénétique, l'autochtone songe à l'automne. La ville sauvage, derrière les feuillages, fait un boucan du diable.

samedi 5 juillet 2014

Le peuple bleu

L'Allemagne est méchante comme une teigne. Notre portier est fusillé de près dans ses filets. En représailles des dérapages budgétaires. Le peuple bleu ébauche un mouvement de sauve-qui-peut.
La Germanie casse la rêverie avec sa manie d'être efficace. Un seul coup de tête la désendette. Benzema ricane dans sa barbe d'imam. La chancelière préempte les vestiaires. Le pépère de pédalo annule l'escapade à Rio.

jeudi 3 juillet 2014

Jeanne assassine

Au feutre, au pinceau, à l'encre de Chine, Nicolas de Staël ne dessine rien de neutre, mais l'écho d'une femme, de Jeanne assassine.
J'ai dérobé le bouquin de l'exposition d'Antibes pour cela: les dessins des collections particulières, les nus et figures d'intense joie.
Je ne bouge plus les yeux à la page du Guitariste. Il est déglingué comme le Christ dégingandé de Cimabue. Le feu des doigts danse sur la diagonale du bois. L'art expédié, entre deux portes, donne du fil à retordre.
J'aime sa beauté vierge. J'aime le dessin parce qu'il ne peint rien, pas même une lèvre. Le dessin n'a que la peau sur les os. Il faut qu'il mange.
Picasso a seize ans quand il exécute le croquis de Lola, dix-huit quand il se regarde sur la toile, s'approprie l'aurore, l'épingle à son oeil noir. Picasso a faim de dessin. J'ai chipé les cartes postales, carrer de Montcada, quartier du Born de Barcelone.

mercredi 2 juillet 2014

La bécane Ocana

Je longe le périmètre de mon domaine. J'ai retrouvé Flaubert et le bon air. J'inspecte une terre de libraires, les sillons du crayon, une micro-géographie de Saint-Michel à Saint-Sulpice, de Gibert Jeune à L'Age d'Homme.
Je zigzague au ralenti. Je dérive en majesté. Je jouis du balancement du plaisir. Soudain, j'accorde ma désinvolture aux écriteaux de La Procure. Les grands mots honorent la pleine saison du vélo.
Ocana est une marque de bicyclette. Luis Ocana s'est fiché une balle de pistolet dans la tempe. Comme Achille Zavatta. Un petit ouvrage est édité à la sauvette, raconte la gloire d'un athlète qui prend la poudre d'escampette. Vingt ans. Il commémore sur le tard l'homme des coups de boutoir. L'album retrace l'automne du maillot jaune.
Vain temps. L'homme se sauve comme une bête sauvage. Le champion s'échappe du peloton, faux pelage. Luis Ocana savait l'art d'être cabochard, dénia au grand Eddy l'exclusivité du panache guerrier. La colère d'Ocana noircissait l'asphalte des lacets. Il aimait les cols, qu'il grimpait seul.
Ocana était forçat. Par révolte. Merckx, c'était Picasso. Ocana, Nicolas de Staël. Blondin définit bien le gredin, écrit haut les mots qu'il faut, célèbre dans L'Equipe l'introuvable fantaisie, l'insoumise générosité du fils de mineur des Asturies. "C'était un géant, c'était un seigneur, et c'était le soleil".
Le coureur de Fagor a tutoyé la barre, éprouvé la vie pour voir. La voir se tordre en corps mort.
A l'angle de la rue Castellane et de la rue Greffulhes, je lorgne le vélo rouillé d'un brave camelot d'antiquités. Il jette sur le trottoir un surcroît de vieux objets, d'inutiles bidules, de livres sans sérieux. Ces bibelots du passé débordent de l'échoppe surannée.
J'observe la bécane Ocana, guidon abandonné. Envie de la chaparder. C'est le moyen de transport du propriétaire. C'est mon vecteur d'émoi.

mardi 1 juillet 2014

La débandade des proies

La sueur révèle le pot aux roses de la terreur. Les joueurs ont peur. Ils courent, une heure, deux heures. Derrière un ballon de couleur.
Ce spectacle de tacles exprime la débandade des proies. Les banderoles des sacrificateurs de stade communiquent l'état civil des prédateurs. Les Nègres du Nigeria ont été mangés in extremis, au bord du précipice. On entend des chants de supporters. On entend Deschamps dans les vestiaires.