vendredi 31 octobre 2014

Merdique fierté

Postures d'abbesse et de dame patronnesse. Les salauds moraux humectent de bave leurs lèvres d'insecte. Leur front vendeur dégouline d'une sueur de bon tueur.
L'abjecte morale impose une tyrannie du meilleur profil. Le voyou sous brevet, tourmenté de respectabilité, se fourre dans ses jupes de charité.
Le saint du calendrier se fiche de morale comme de sa première auréole. La bonne conduite est une case à cocher dans un formulaire de simplicité.
La chefferie des technologies consulte son nombril. Le patron d'Apple est un petit père du peuple. Le patron d'Apple prêche pour sa pomme. Il revendique une fierté d'inverti. Il cause au nom des opinions bâillonnées.
Sa splendeur de seigneur rayonne du meilleur coeur. Il distribue sa merdique fierté au marché des sexualités.
Il déverse une parole de bonne conscience comme on fourgue des vieux rossignols ou des tablettes numériques. Cook is a crook. Le curé de Cupertino est un escroc.

jeudi 30 octobre 2014

A l'école de Descola

Descola déserte sa chaire du Collège de France. La rigueur est rare; l'hiver qui vient, j'en souffrirai davantage. L'enseignement du chaman amazonien, doucement monocorde, était dans mes cordes. Depuis deux ans, il réveillait les démons de ma vieille thèse, mise entre parenthèses, sur la manducation de chair humaine. L'anthropophagie défie les lois de l'anthropologie. Le cannibalisme résiste aux raisons mécanistes. L'eucharistie n'en figure qu'un écho amorti.
Je me souviens de délectables récits, des précis d'ethnographie de l'iconoclaste Pierre Clastres. Or Philippe Descola s'absente pour rédiger une pensée, pour cause d'ouvrage à peaufiner. L'élégant savant revient de suite. Il a fermé boutique. Il y a presque dix années, il publiait "Par-delà nature et culture", précieuse typologie des ontologies, traité des présences au monde, livre du décentrement des regards.
Me manque, ces jours-ci, sa fine barbe blanche, taillée en triangle. Le spécialiste du peuple Achuar jette un regard neuf sur l'anthropologie du paysage. Il s'est retranché dans l'écriture. Le géographe défroqué impose un même respect que Louis Poirier. Descola est un compagnon d'artisanat. Il partage avec Gracq l'orgueilleuse humilité du travail.
Ses livres se comptent sur le fragment d'une main: une thèse introuvable, un récit publié dans la collection "Terre Humaine" de Jean Malaurie et la grande oeuvre précitée. Sans domicile fixe où m'instruire, j'ai rayé la place Marcellin-Berthelot de mes lieux favoris de flâneries ordinaires.


mardi 28 octobre 2014

Têtes de gondole

Modiano est une affiche de beaux quartiers. La bouille du romancier surplombe les égarés de la rue de Castiglione. Modiano s'expose comme Picasso. Sur les plages de juillet, les désoeuvrés du sable exhibaient comme des trophées le dernier Pancol, lauréat des têtes de gondoles.
L'ostentatoire Modiano vante son nouveau pedigree: prix Nobel. La ministre des artistes n'a jamais bachoté Villa Triste. Elle n'ingurgite que des fiches. Pareille franchise valide une expertise.
Modiano est propulsé vedette de mobilier urbain. Patrick électrise le pavé parisien. On l'a perché, un peu dans les nuages, au-dessus de la chaussée. La blonde Katherine surveille ses piles de supermarché, coincée entre Zemmour et Modiano.

Aega

J'exhume Gracq de la brume. J'hume le volume. On a déterré des liasses de phrases, des cahiers d'écolier, de la taille d'une boîte de cartouches.
C'est un livre sur le chemin de ronde, autrement dit sur le monde. Louis Poirier règle ses arriérés à la postérité. Gracq et son gang - Hal, Lero, Bertold - vaquent à leurs besognes vagabondes. Ils veillent aux embuscades barbares.
"Elle s'appelle Aega" nous confie l'un des gars. Gracq s'enrubanne d'illuminations guerrières. Sa dépense littéraire est somptuaire.
Dans la splendeur d'une géographie, Gracq risque sa peau, frotte ses mots à la terreur de la terre, cogne le heurtoir d'Aega. J'ai fini la fine bouteille d'alcool gris, d'étiquette Corti. "Les terres du couchant" nécessitent une cuillerée en se levant.
Page cent neuf, Gracq croque un profil de lecteurs: "Lero reposait exsangue et paisible, avec cette espèce de sourire qu'il avait et que Bertold appelait en riant son sourire privé - un étrange sourire de consentement et de connivence, pareil à celui qui vous reste parfois sur les lèvres en refermant un livre".

vendredi 24 octobre 2014

Libre et Juste

Les masques tombent. Les marques s’usent. Les labels périssent. Les statues de Lénine sont déboulonnées. Le mot socialisme flotte à la surface des égoïsmes, ballotte au gré des opportunismes.
Cambadélis s’arcboute sur un parti sans désir. Valls en mauvais fils fourgue à la casse le vertueux cadavre. Hollande inaugure les chrysanthèmes.
Marx jubile. L’économie, bonne fée, règne sur les esprits. Elle rapetisse l’homme à sa dimension de producteur de richesses. Elle rabote le réel à la valeur travail. La rareté des besognes fabrique une pauvreté.
On s’agenouille devant la croissance, divinité de violence, comme on quémande un peu de mansuétude aux cruels commissaires de Bruxelles.
L’Etat entrave l’activité, parasite l’entreprise. Il taxe la réussite, subventionne les déficits. Il étrangle la liberté, s’assied sur l’égalité. Il ne garde au front qu’une improbable fraternité. La République humanitaire dégouline de faux sentiments solidaires.
Libre et juste. Nous voulons une société libre et juste. Libre de faire, d’agir, d’entreprendre, de dire et de se contredire. Juste, mieux qu’égale. Sans privilèges ni arbitraire. Sans noblesse d’Etat. Libre et juste. Sinon rien.
Il convient de rebaptiser les partis décatis. Je rêve d’un mouvement des nouveaux élans. Je le nomme « Libre et Juste ». Il se désigne par son petit nom : L & J. Car je veux que l’élégie soit un chant d’amour à ma patrie.