mercredi 28 janvier 2015

La main d'un homme de bien

Du haut d'une tour mastic, quai de Seine, une lumière mauve désigne un terminus de nuit, un lieu de raout. Les hôtesses s'empressent d'afficher leur jeunesse. Leur sourire éblouit comme une lèvre trop rougie. Il nous hisse au cocktail des délices.
La cérémonie des voeux est prétexte à petites causeries syncopées. La corporation s'identifie dans une clameur de cohue, de brefs échanges de prunelle, ses menus chocs de vaisselle. Je saisis l'occasion d'une restauration aux petits oignons. Je choisis de magiques petits pieux enrubannés de chocolat.
On s'égosille d'un surcroît de vin qui pétille. Je suis absorbé par une même besogne: le déchiffrage des trognes.
Doucement, je sens dans le dos la main d'un homme de bien. Nicolas C., Gargantua des médias, interrompt mon inégale attention au blabla. L'ogre rieur est un talentueux ingénieur, fils du renommé concepteur de la fusée Ariane, petit-neveu du linguiste Georges Dumézil, titulaire de chaire au Collège de France.
Le bonhomme est touchant de gaucherie, de modestie, de juste camaraderie. Le chef du Sénat l'a sorti de son plaisir savoyard pour siéger parmi les prélats du temple audiovisuel. Il est heureux. Je suis joyeux. On fait des voeux.
En bout de buffet, un autre poli technicien, Philippe L. ravive ses souvenirs d'ancien "gardien de square". Son jeu de mains ne dément pas une petite faim. Il a l'âge des retrouvailles avec son passé. Son ironie ne connaît pas d'exil de pupille. Il est le mémorialiste de la télévision.

mardi 27 janvier 2015

Une voix

Des hauteurs de l'amphithéâtre, la silhouette enseignante, que mes yeux décomposent sans netteté, s'anime d'une étrange voix grave, taillée dans la rocaille. L'envoûtante Katerina C. vêt de mots - jetés ex abrupto sur la chair potelée - l'incorrigible idole, l'énigmatique figurine stéatopyge. J'écoute le timbre professoral, l'accent guttural, comme d'une oeuvre filmée, je veille aux phrases d'actrice d'Anna Mouglalis.
Introuvable dans Le Littré, ce mot de Gracq, requimpette qu'il affecte à Steinitz, génie bouffi des échecs, et qui veut dire "petit manteau". Foi du patois du vieil Anjou.
La même voix enchanteresse asticote ma paresse. Gracq la réveille dans ses Carnets magiques. "Quand je lis Nabokov critique, passe jusqu'à moi chaque fois le bienheureux désespoir qu'il ressent de ne pouvoir transmettre à l'auditeur ou au lecteur le bonheur de langue, la félicité littéraire native propre à Gogol ou à Pouchkine, le sentiment que de tels écrivains sont terrés dans leur langue, et aussi puissamment crochés en elle, des dents et des ongles, que le blaireau dans son réduit" (Page 235).
On fait une croix d'un désarroi. Il me manque de cette terre dans la bouche pour lire en frère une littérature de souche à jamais étrangère.

Un continent sans émotion

L'Europe se confectionne sans affection. Les étoiles de son drapeau n'éclairent pas ses peuples nationaux. L'Europe septentrionale, bonne élève et protestante, se lasse d'un pourtour méditerranéen, catholique ou orthodoxe, infantile et charmeur.
L'Europe est fracturée, en plein malaise, comme l'école républicaine française, aujourd'hui dénaturée. L'aristocratie d'un lycée de beaux quartiers cohabite avec la gueuserie d'un bric-à-brac scolaire de banlieue. Pareille disparité satisfait le goût de la diversité, pas l'exigence d'égalité.
La péréquation des déficits est un mythe qui discrédite la brave Union. L'Europe ne fait pas de sentiment, mais des fonctionnaires et des règlements. Telle la grande marche urbaine de janvier, l'Europe s'honorerait à cheminer de République à Nation. Dans la foule de Paris, s'agitaient les fanions des pays, pas le chiffon étoilé d'un continent sans émotion.
On aime sa communauté de naissance, la nation, ou sa terre d'élection, la même nation à défaut de son étymologie. Cet amour quasi charnel fonde un lien social durable.
En revanche, le méchant slogan "Je suis fier d'être Français", bêlé par Valls, est entaché d'une étroitesse d'esprit, d'un nationalisme obtus. La fierté d'appartenance relève d'un détestable contentement de soi. C'est une identité de quatre sous.

vendredi 23 janvier 2015

Un velouté de châtaignes

D'une rue lugubre, engoncée dans l'étroite obscurité, se dessine une vitrine où rougeoient les plaisirs. Le défunt Serge choquait jadis un calice, à sa table adossé, parmi les ors, tentures et boiseries, au bruit des fourchettes d'une mini-Fenice de la gastronomie, d'un théâtre de poupée où s'accouder entre amis.
Au droit sommelier, j'appris que le dîneur solitaire ne s'était pas réveillé, un jour d'hiver d'un autre hier.
Nos invités se sont glissés dans la peau du souvenir, ont endossé l'habit de cordialité, accordé leurs soucis au décor de comédie.
Le risotto secoua d'un rire innombrable le beau cristal de Murano. Ma cuiller crissa dans l'écuelle. Jusqu'à ce que la faïence saigne, j'aurais égoutté sans faillir l'exquise petite flaque du velouté de châtaignes.

jeudi 22 janvier 2015

Sa couleur d'aurore

Avec le temps, les mots se désossent d'un sens. J'hésite sur ce qu'ils désignent. Je bute sur l'exact. Je heurte une signification comme doute un percheron sur un méchant goudron. Je me cogne au mot, me rencogne penaud.
Je suis dans les parages d'un âge où se compliquent les lignes d'une page. L'expression exige l'Orient, réclame quoi dire, à défaut de comment.
Pour un oui ou pour un non, je cède à l'interrogation. Je questionne l'identité des mes vieilles complicités. Je ne vois pas l'ami dans la nuit. Je ne saisis que la fantaisie du mot écrit, son corps sonore, une musicalité crayonnée, une clameur intérieure, sa couleur d'aurore.
Il y a tromperie sur la personne. J'ai raté la route. Mais pas le faste d'un rite, d'une voix royale. Flaubert empoigne un couteau, réfléchit au coloris, barbouille de jaune sa morne dame de Normandie. Gracq évoque la couleur de prune du mot terminus.

mercredi 21 janvier 2015

Les plis d'accordéon

Les conséquences se moquent des causes. La linéarité n'est pas mon genre de beauté. Un bouquin d'artiste est un pain de dynamite. Je demeure précautionneux avec Un Beau Ténébreux. J'attends que cesse une peur. Il me brûle les phalanges.
Je fais les cent pas. Je m'interdis le récit de Gracq. Je crains la fiction, les sortilèges d'une créature de perdition. Je pense à autre chose, à la prose de ses temps morts.
Des carnets de Gracq, on grappille des miettes comme l'étourneau fait du cerisier un banquet, on se satisfait au hasard des plis d'accordéon du volume, de ses pages sonores, d'une ou deux phrases, comme d'amicaux saluts, sur l'art de se taire, d'écrire, de saisir l'éphémère.
"J'ai retrouvé dans un bref récit de Patrick Modiano, qui s'intitule Villa Triste, ce climat recueilli et paisible de deuil blanc - ces mails frais ratissés chaque matin de leurs feuilles mortes, ces tilleuls, ces hôtels en crème fouettée... ces bourgades thermales fantômes de l'automne où les passants semblent à la fois plus légers et moins bruyants qu'ailleurs. Et c'est un beau livre" (En lisant en écrivant, Librairie José Corti, page 279, 1980).
Liberté Grande et Villa Triste sont des titres magiques. A feuilleter les livres dont ils sont les sourires d'hospitalité, on bouscule une amitié, on trahit une blessure.

mardi 20 janvier 2015

Une mine de chanoine

A Tulle, il congratule. A Paris, il compatit. Il est d'autant plus affectueux qu'il y a de tueurs ignominieux. La chancelière est son équipière pour la marche des dignitaires. Elle frotte une joue contre son cou.
Il serre de près les éplorés. Il console les hommes seuls. Il aligne des mots sur des morts, les enveloppe d'un drapeau. Il borde le drap du soldat dans son dernier sommeil. Il ramène sa fraise du bout des lèvres.
Il surfe sur le malheur, rebondit sur l'horreur. Il dépose des bises dans la rue comme des gerbes au soldat inconnu. La bourrade dans le dos est gérée au couteau. L'accolade présidentielle guérit les malades de leurs écrouelles.
Il pratique l'attouchement comme mode de gouvernement. La tuerie du journal est un remède de cheval. Il se requinque avant le gong. Il sait se soigner. Il retrouve une croissance, une mine de chanoine. Lui.

lundi 19 janvier 2015

L'atmosphère de Palerme

Porta Carini, on dégringole une ruelle cabossée, on frôle les étals à portée des cageots, on se suffit du sourire des mandarinetti. La mandarine cerise anime les marchés de Sicile. Leurs seules couleurs éconduisent le prurit d'humeur grise.
Les robustes dalles sont taillées dans un soleil inexact. Les carciofi ont des petites gueules mal réveillées d'enfants fauves. Le ciel est un collage des drapeaux d'Israël. Une lumière d'été donne à janvier sa fringante ardeur.
Sur un goudron délavé, Colonna Rota, le temps disperse ses cendres, couleur de plumes de pigeon. Les chapelles sont bariolées des histoires du ciel. Elles sont quadrillées de confessionnaux maniéristes où s'agenouillent de dos de très jeunes filles recueillies. Ces lieux de pierres sont vides à la prière.
Sala Palmetta, les nappes jettent leur drapé sur le marbre des dalles. Je romps le pain, vide une flûte de prosecco. Au milieu du hall, le buste de Wagner fixe un horaire qui brinquebale. Il séjourna à l'hôtel, de novembre à février, le temps d'écrire une musique d'opéra.
Je n'ai pas touché au Raymond Roussel, muet sur ma table de chevet. Je n'ai ressenti ni l'odeur de suicide ni l'emphase de Parsifal. L'atmosphère de Palerme est teintée d'un joyeux mystère.

dimanche 18 janvier 2015

Le plein de biscuits

Ils sont exhumés en catimini, au loin, dans la nuit. La terre de cimetière les regarde de travers. Personne n'en veut, peut-être les cieux.
Ils ont ensanglanté la cité, rougi la conscience d'un pays. Ils se sont glorifiés du carnage d'un journal et d'une tuerie d'épicerie. On châtie l'acte de chiennerie. On les jette au fossé comme des chiens sans collier.
Ils ont joui de quarante-huit heures de célébrité. Ils sont sortis comme des diables d'un anonymat durable. Ils sont rentrés dans leur boîte, environnés de terre, dans l'indifférence commune de l'humus terminus. Bref, ils ont péri, soulagé Paris.
Les hommes de prophète qui tirent dans la tête d'humoristes, le coeur d'un chaland juif ou le dos d'une policière sont des voisins de planète. Ils partagent une condition, un sentiment d'étrangeté, des interrogations, les mêmes signes d'inexorable fraternité que les héros dostoïevskiens ou Roberto Zucco.
Nos semblables ont commis l'incomparable. La bataille est inégale à cause d'une foi kamikaze. La peur de mourir est une faille muette, l'implicite aveu de nos futures défaites.
A la station-service, Chérif et Saïd ont chipé des biscuits. Ils se sont approvisionnés de petites denrées. Ils voulaient vivre. Ils se projetaient dans un avenir, hors d'une mort qui fait pourrir les corps. Leur posture épicière dément une figure de martyr. Ils rusaient encore avec l'inflexible pelletée terminus en bout d'impasse. C'est un plein de biscuits qui m'émeut, m'obsède comme l'admirable méticulosité du Raid.


samedi 17 janvier 2015

Fils de grand Charles

Je sors du métro. Je viens d'Orly. J'arrive de Palerme. J'ai choisi l'exil de Sicile. J'ai observé la France à distance.
La révolte de rue s'est nourrie de mots distordus. On a chanté La Marseillaise dans un haut lieu de prière. La laïcité s'est désacralisée. Une reine, un roi furent les compagnons de marche de la République. Marianne ne discrimine pas les monarques.
Les "même pas peur" de cortège aimèrent la police de gaieté de coeur. Le songe de bravoure est un mensonge qui s'ignore. La manchette de Charlie annonçait la couleur, de manière ostentatoire et guillerette: "journal irresponsable". Le devoir d'irresponsabilité a été respecté à la lettre. Au prix du sang.
Un chef de gouvernement, sanglé dans un imper à épaulettes, s'est décoiffé devant le peuple. Qu'est-ce au juste que "la hauteur de l'histoire" d'un peuple ? La martiale formulation du contentement de soi ? L'autosatisfaction, promue au rang des valeurs républicaines, ne grandit pas la nation souveraine.
Charlie vient de Charles. Le journal naquit en novembre de la mort de Charles de Gaulle. Je suis Charlie, fils de grand Charles.
La solidarité de foule masque un individuel sentiment de supériorité. Les marcheurs de la République s'étonnent à mots couverts de la bonté d'âme de leurs voisins de cortège. La marche silencieuse oscille entre une course à la bien-pensance et un palmarès de la résistance. La liberté d'expression souffre d'exceptions. Elle est couturée, raturée, caricaturée de partout.

jeudi 8 janvier 2015

World Traits de Crayon

Voilez ce dessin que je ne saurais voir. Le dessin nu de Cabu est interdit dans la rue. Le trait de crayon est une femme qui reste à la maison. Ledit prophète s'obstine, crétinise des adeptes au pays du dernier roi guillotiné.
Deux types stoppent à l'Hebdo, froidement fusillent Charlot. Ils touchent au grand Duduche, Pilote dans l'avion. Leurs crayons sont des poteaux d'exécution. Fini de rire. Ils n'ont pas chipé mon pain au chocolat. Les moines-soldats canonnent un patrimoine.
Nos amis de Charlie sont des enfants de Charlot. Leurs crayons sont taillés comme des cannes d'acrobate. Leur Dictateur est une parodie de prophète tueur. Les enfants de Charlot se contenteront de sanglots.
La liberté est un grand mot. Il y a risque à s'en gargariser. Le rire est préférable car il désarme le diable. Le rire est le chef de famille des modestes sourires. Il est le propre des hommes doux, d'où qu'ils soient, mais debout. L'art de Charb est embué de larmes de rire.
Un dessin de Ruben Oppenheimer s'acquitte de la relève du matin. L'oiseau noir percutera les World Traits de Crayon, couleur d'espoir.


mardi 6 janvier 2015

Une majesté paresseuse

Le jour s'est à demi levé, a mis son tablier gris de cuisinière renfrognée, d'ouvrière malcommode. C'est un jour sans moquerie ni coloris. Je songe à Gracq dont j'ai fini le merveilleux récit.
Les péripéties d'une histoire chassent la beauté d'une épiphanie comme une vilaine monnaie. Le trot mécanique d'une stratégie réveille l'endormie en plein sommeil comme si la grimace d'une volonté tordait ses traits d'intacte majesté.
La messe, rue de Molitor, est recueillie comme une gosse orpheline, effacée comme un murmure, retenue comme un demi-sourire. La voix fraîche d'Agnès est un acquiescement rapide, le démenti mortel d'une fille.
Je sors sonné, résolument égaré, du bouquin blanc de Gracq. J'ai tardé. J'ai attendu la saison, saisi l'occasion d'une trouée du calendrier. Le Rivage des Syrtes jette un sort, bouge le corps, agite les peurs du lecteur. Le vieux Marino est un amiral somptueux. J'aime de Vanessa sa loi, les brumes matinales de Maremma. Relire la nuit fatale au palais, sans hâte, comme l'été, très exact, je le fais des sonorités de Mandiargues.
Blondin, critique à Rivarol, a fléché dans le mille, défini le style de métier, son genre de beauté: "Un imprécis d'histoire et géographie à l'usage des civilisations rêveuses".
Mais Gracq jette un bâillon sur la bouche à clairon. Gracq est autoritaire sur ce qu'il sait faire. S'il évoque Le Rivage des Syrtes, il s'exprime de la sorte: "J'aurais voulu qu'il ait la majesté paresseuse du premier grondement lointain de l'orage, qui n'a aucun besoin de hausser le ton pour s'imposer, préparé qu'il est par une longue torpeur imperçue " (En Lisant en Ecrivant, Librairie José Corti, 1951, page 216).


lundi 5 janvier 2015

L'heure apéritive

Maman était crispée, inapaisée par l'instant, entravée d'un tourment. Papa marchait lourdement, commençait à buter sur les pavés saillants.
Au kiosque, derrière San Marco, à l'instar de la Félicité de Flaubert, nous idolâtrâmes l'effigie d'un oiseau bariolé, le perroquet de Baptisto, en verre de Murano.
Je jonglais avec les ruelles, désinvolte sherpa d'un dédale hivernal. Papa était radieux à l'image des lieux: "Tu es chez toi, ici !". Il corrigeait sa préalable interrogation en victorieuse exclamation.
Vittore Carpaccio s'était retranché à San Giorgio, barricadé derrière ses tableaux. Nous étions les invités d'une vision, d'un banquet de haute préciosité.
Dans un petit palais hospitalier, nous rangions nos habitudes, griffonnions une carte postale, sous l'impérieuse dictée des lumières de la lagune. On désertait le bonheur d'un parapet pour le velours d'un canapé. La télévision grésillait des souhaits compassés d'un président du siècle passé. On s'assemblait dans la chambre à guetter l'éternité d'une heure apéritive.

samedi 3 janvier 2015

Piketty et patata

Les médaillés ont disposé leurs souliers. Il est inutile d'offenser l'Etat, père Noël. Il distribue des rosettes à la Saint Sylvestre. Il jette ses breloques comme Marie-Antoinette ses brioches. Il y a des indigents pour ramasser des rubans.
"Les honneurs déshonorent; le titre dégrade; la fonction abrutit" (lettre à Guy de Maupassant du 15 janvier 1879, Bibliothèque de La Pléiade, Correspondance Tome V, page 501). Il suffit à Piketty d'être ahuri par l'économie.
Il écoute Flaubert à demi, décline le verre de la confrérie. Tintouin, ramdam du diable, barouf d'enfer, et Piketty et patata.
D'un livre posthume, j'extrais une vérité sans amertume, contractée en moins de dix mots: "On ne possède que ce à quoi on renonce" (Simone Weil, La Pesanteur et la Grâce, page 41, Librairie Plon, 1947). Plus que récipiendaire, Piketty préfère être milliardaire.

vendredi 2 janvier 2015

Franche bastringue

Qui l'eût cru, à bouche que veux-tu, les voeux, dernières cartouches de l'à peu près président. Il siège derrière sa table rouge, pilote une voiture à pédales. Il bouge le volant avec ses bras ballants. Il s'est lassé du pédalo. Il fauche à Renzi sa Bugatti. Il a tiré au sort la place du mort: c'est l'audace.
On est bon. On tient bon. Les comptes sont bons. On travaille comme des Nègres à se dénigrer. On abuse de la franche bastringue du french bashing.
François, pas le pape mais l'homme des soupapes, s'échappe à grandes enjambées. Il pédale comme un malade. Il avance, la meute à ses trousses, comme s'il était l'os. François invente le socialisme avancé, respectueux du libéralisme avancé de Valéry l'Auvergnat.
Macron, le jeune d'âge, le pas idiot du village, se donne du Ricoeur à l'ouvrage. Il endimanche l'économie le jour du Messie. Il redémarre l'industrie avec des autocars de nostalgie. L'homme carbure au coup de jeune. L'audace de François galvanise une populace en émoi.

Romanov 76

Je parle d'un temps où les vivants l'étaient. Dans un palace chic, nos verres se choquent. On sent l'hiver sur nos doigts solitaires. L'alcool d'un désert réchauffe l'atmosphère. On rit d'être en vie, serrés dans nos habits.
Je lis le nom des ingrédients de compagnie: mandarine andalouse, vodka russe, vin de Champagne, citron de Syracuse. On sourit au délice de calice. On s'y voit, déformés par la joie. On trinque à cinq. Le temps passe dans une fausse lueur de palace. On boit avec nos doigts, entre soi. La mort se mire dans des verres d'Italie.
On se penche sur eux comme sur les dieux du lieu. On manque d'eau. On s'accorde sur une double rasade. Nos têtes s'enfièvrent de mystère, tourbillonnent comme une neige légère. On se regarde d'une seule voix. Les yeux brillent au creux d'une absence. Ils emmagasinent une parole d'homme.
On claudique vers une sortie signalétique. Sur l'asphalte étourdi, dans la gadoue qui miroite, L'Olympia d'Eddy Mitchell ajoute un incarnat de music hall à l'éternelle vodka.