lundi 30 novembre 2015

Boulevard Voltaire


La trajectoire d’automobile vient choir à Montreuil. Elle a perforé la ville comme un gratte-ciel d’Amérique. Abaaoud revient dessous la terre, sur les lieux d’une guerre, boulevard Voltaire.
Abaaoud jouit d’un spectacle d’enfer comme Satan de ses actes pervers. Il a criblé de balles la frêle tolérance de Voltaire dont le nom désigne l’urbaine artère de sang.
La tragédie date de 1741. Elle traite du fanatisme. Elle est consacrée à Mahomet. François-Marie Arouet regarde le prophète de travers, l’observe de biais, le taxe d’imposteur et de charlatan, le qualifie de fourbe et de meurtrier.
C’est pourquoi Daech cible l’écriture sèche de philosophe. Il venge Mahomet des tirades acérées d’Arouet. On demande de l’aide. Abaaoud se balade.

vendredi 27 novembre 2015

Un visage déjà vu


Aux Invalides, les visages sont livides. Le froid pince. Le rond président est engoncé dans son petit vêtement. Le chef des armées est assis comme un gardien de musée.
Il chipe à Malraux ses mots. Hollande fauche au Dédé du Panthéon ses dernières syllabes mémorables, dédiées à Jean Moulin. « Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France ».
Malraux, c’est quand même un type qui frissonne pour une voyelle, qui s’émeut pour une virgule. Hollande chaparde en illettré la chute inspirée du ministre aventurier. Il la destine en faussaire aux cent trente victimes d'un vendredi treize. 

jeudi 26 novembre 2015

Aussi peu d'embarras


Nous étions de plain-pied dans la guerre et nous ne le savions guère. L’irénisme européen occultait un tragique destin. On s’attablait aux terrasses loin du monde féroce. La fusillade a brisé la communion des orangeades. Elle a stoppé le développement durable de la désinvolture. Les enfants de chœur à jolie mine n’ont pas fini leur grenadine.
Bergson relate comme personne l’instant de sidération que provoqua la Grande Guerre, la der des der : « Malgré mon bouleversement, et bien qu’une guerre, même victorieuse, m’apparut comme une catastrophe, j’éprouvais un sentiment d’admiration pour la facilité avec laquelle s’était effectué le passage de l’abstrait au concret : qui aurait cru qu’une éventualité aussi formidable pût faire son entrée dans le réel avec aussi peu d’embarras ? » (Œuvres complètes, éditions du Centenaire, PUF, 1991, pages 110 et 111).
Le philosophe du Rire admire l’aisance du changement de décor, le continuum sans coutures, le transit sans frontières d’un petit bonheur à l’horreur brute.
Quoi qu’on dise, c’est une guerre au sol, cent pour cent civile. Aucun soldat n’est mort dans la bataille. Les pioupious ont un statut d’angelots, cantonnés au ciel. En revanche, la chair à kalachnikov est massée dans une salle de concert.
Les tirailleurs du Petit Cambodge ont pénétré la réalité sans badge, sont sortis comme des diables des pires songeries de Dostoïevski, pour taillader les corps vrais, en faire jaillir un sang martyr comme on criblerait un puits de pétrole d’Orient.
Il a suffi d’un bruit de culasse, d’un culot de commissaire dégueulasse, d’une audace de bandits criminels. La petite bande en virée a déchiré une sorte de paix en papier. Elle est entrée dans un bien commun comme dans un moulin. On interroge les mécaniciens comme s’ils maîtrisaient les destins. L’adjudant catalan, droit dans ses épaulettes, jure ses grands dieux qu’il ne se bourre pas la gueule. 

mardi 24 novembre 2015

Guerre et paix


Le bellicisme est revendiqué, lèvres pincées. La guerre totale est un slogan communicationnel. Les politiques, sans état d’âme, sont démangés par les armes. L’ardeur guerrière empourpre les discoureurs de verrières. L’aiguillon du coup de menton désigne l’horizon.
Les militaires manient la dynamite avec des pincettes. Ils se taisent par hypothèse. Ils sont muets par décret. Ils se terrent dans l’Internet. Ils blaguent sur leurs blogs, se gaussent des faux braves, des matamores d’estrade. Nos hommes d’armées, couturés de cicatrices, privilégient les diplomaties d’apaisement. Ils savent par nature que la guerre embringue au-delà d’une posture. La lucidité de chef d’armées se mesure au sang versé.
Bref, tout se passe comme si les brutaux politiques brandissaient des épées que les sages généraux répugnaient à dégainer.
Les stratèges militaires n’ont pas seulement lu Clausewitz (« Le premier à dicter ses lois à la guerre, c’est le défenseur et non pas l’attaquant »), ils observent un déni de réalité collectif quant à la capacité effective des maigres forces nationales. D’où le périple à la hâte d’un président mendiant qui fait la manche à Washington, Moscou, Londres et Berlin. A l’évidence, il se dispense des enseignements les plus rudimentaires de l’ère gaullienne.
Les penseurs militaires - notamment le colonel Michel Goya « La voie de l’épée » et le général Vincent Desportes « La dernière bataille de France » - ont déterré la hache du parler vrai. 
Ils renvoient les politiques à leurs responsabilités premières, à leur cœur de métier, à savoir le travail négocié de la paix. Ils refusent que la guerre, proclamée dans les palais, soit instrumentalisée à des fins de détestable parade. La posture de chef de guerre exige une clairvoyance élémentaire sur les conséquences de la violence.

samedi 21 novembre 2015

C'est une horreur


« On est puceau de l’horreur comme on l’est de la volupté » (Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, Denoël et Steele, 1932, chapitre II).
Ses postures de guerre n’étaient jusqu’alors que de la gnognotte, des fanfaronnades de matamore, une allégresse de bleusaille. L’expédition au Mali comblait un rêve d’enfant gentil, qui obéit : « C’est le plus beau jour de ma vie ! ».
La voix du premier magistrat cahote dans le noir comme un disque d’époque. L’oblique de sa cravate est moins observée que ses bésicles embuées.
Il achève un bout de phrase comme s’il mastiquait l’insaisissable morceau d’un mol aliment. Il marque une pause hors de souffle, risque trois mots qu’il peine à extraire du silence : « C’est une horreur ».
Hollande confie au micro ses premières émotions de bordel, ses dernières impressions d’une guerre sans dentelles. Le peuple au lit mime son chef étourdi par un commencement de voyage au bout de la nuit. Il en copie les tics. Il manie la larme automatique.

Larme automatique


Le Bataclan est un lieu saint inespéré, de promenade de santé, de parade et de ramdam, où se recueille une badauderie espiègle et décomplexée.
Les touristes pratiquants commémorent l’horreur au rythme lent de selfies tristes. Les roses sont les emblèmes des heures moroses. Le Bataclan est une cerisaie dont Kalachnikov serait un héros de Tchekhov.
La larme automatique dégouline sur les zygomatiques. Les bons sentiments sont des barrières Vauban, une forteresse trouée de gentillesse. Faute de savoir prier, les endeuillés d’office défilent à pied.

jeudi 19 novembre 2015

La perversité des libertés


L’état d’urgence pare au plus pressé. Il signifie que l’Etat s’en remet  aux hommes de sécurité de la société.
La vie humaine est vieille de sept millions d’années. C’est un bien récent, le plus précieux, qu’il convient de préserver. Sa chair fragile est son orgueil. Elle l’expose aux carnages d’un nouvel âge.
Le primat de la vie, clairement identifié, oblige à extraire de son sanctuaire une justice routinière, ressentie comme un luxe ostentatoire, le visage à découvert d’une certaine irresponsabilité.
La réflexion du justicier ergoteur entrave l’action du policier salvateur. La raison longue de l’homme de loi nuit à l’exécution de l’état d’urgence.
Si, à bon droit, la peine de mort a été abolie, si la guillotine a cessé de décapiter dans notre pays, tout se passe comme si la passivité administrative de l’institution judiciaire devenait l’allié objectif des réseaux de tueurs djihadistes.
Jusqu’aux trois-quarts du siècle dernier, la société donnait légitimement la mort aux pires de ses meurtriers. Aujourd’hui, elle facilite - à son corps défendant - le terrifiant massacre d’innocents. L’état d’urgence est sur les dents. Il colmate les brèches. Il écope le bateau à coups d’assauts. Il est confronté à la perversité des libertés. 

mardi 17 novembre 2015

Les deux pyromanes


L’Amérique, gendarme du monde, vitrine de Noël d’une humanité aux mille nations rivales, a produit deux chefs d’Etat calamiteux, deux piètres sires sur la scène mondiale, deux pyromanes criminels : le gentil Bill Clinton et le méchant George Bush, l’un démocrate, l’autre républicain. Dans ce pays sans laïcité, où Dieu est imprimé sur les billets, ils avaient tous deux prêté serment sur la Bible.
Le beau et bon Clinton à tignasse argentée a provoqué une crise économique internationale, d’une ampleur inégalée depuis la Grande Dépression des années 1930.
L’irresponsable président a desserré le crédit, par pure démagogie, par souci électoral plus que national, au point d’endetter au-delà de toute raison une classe moyenne leurrée par le mensonge d’Etat. Le fauteur de la crise des subprimes s’appelle Bill Clinton. Le monde a frisé la banqueroute. Depuis lors, nous sommes dans de beaux draps. Nous ne sommes pas sortis du trou noir de l’économie.
George Bush fils a disloqué l’avenir du Moyen-Orient. Il a fragilisé la paix du monde. A partir de menteries éhontées sur d’hypothétiques armes chimiques, le président inconséquent a bombardé l’Irak en Texan, sans le moindre discernement. Il a cogné l’Arabe. Il a organisé un chaos politique de nature à réveiller l’immense ressentiment d’un islamisme vengeur.
Bref, le terrorisme de Daech n’est que le fruit empoisonné de la folie yankee en Mésopotamie. L’enfer règne au paradis de la Genèse, entre le Tigre et l’Euphrate.
Bush et Clinton, les deux compères d’échecs retentissants, présentent un bilan terrifiant qui hypothèque la paix et la prospérité de la planète.
Le Grand Satan s’est fractionné en deux démons à bonne conscience humanitaire, à sourire marketing. Clinton a creusé notre dette abyssale. Bush a armé les tirailleurs sanguinaires de Paris.
Hollande s’attelle à réparer les dégâts de Bush plutôt que les dommages de Clinton. Il privilégie le pacte de sécurité au détriment du pacte de stabilité. L’histoire de nos déboires s’écrit en temps réel.

Même pas peur


Faute de troupes au sol avec lesquelles ferrailler, Daech expédie une poignée de tirailleurs par les jolis boulevards de Paris. Deux petites berlines allemandes suffisent à convoyer une fratrie islamique qui s’en donne à cœur joie : ball-trap aux terrasses de café, tuerie nazie au Bataclan, feu d’artifice à Saint-Denis.
Les possédés de Mahomet se saisissent d’une faille béante du monde civilisé. Ils capitalisent sur une couardise. Leurs cibles choisies évitent soigneusement les sables de Syrie, refusent le choc frontal, le corps à corps fatal, treillis contre treillis.
C’est pourquoi ils viennent en auto nous sortir de notre salle de concert. Ils nous empoignent par le collet, nous exécutent en faux guerriers. Nous sommes aujourd’hui surtués, à visage découvert : par une soldatesque sans complexe et par une grotesque absence de défense !
A craindre la mort, à ne plus vouloir périr pour la moindre grande cause – Dieu, la Nation, la Liberté -, nous nous désignons en victimes, nous sommes vaincus d’avance, nous somme des cibles faciles.
Les barbares arpentent nos boulevards, drogués de haine idolâtre, bourrés d’autant d’explosifs que de catéchismes primaires, viennent nous déloger sans peine de notre retranchement.
La réponse solidaire de « Même pas peur » n’est qu’un mensonge sur soi-même, une fausse armure, une vaine posture. Car des civils aux soldats, nous avons tous peur de mourir.
« Même pas peur », c’est en revanche l’éclatante vérité de sang des huit frères combattants, producteurs d’Enfer au prix du Paradis.
Notre solidarité masque une impuissance. Il faut lire « La dernière bataille de France » (Gallimard, octobre 2015). Le général Vincent Desportes y cite Charles de Gaulle : «  Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ».