mardi 27 décembre 2016

Dix-sept

Dix-sept a la figure de l’excellence, une allure de majesté dans la notation des connaissances.
La copie évaluée dix-sept est la première du tas – dix-sept, nombre premier -, l’année première de cordée face à l’avenir à gravir.
Dix-sept est exemplaire. Dix-sept prend les devants. Qu’elle apporte une grandeur et donne du bon temps.

samedi 17 décembre 2016

Mauvaise Campanie

J'ai pour gîte EasyJet, deux heures bleues à la fenêtre, de Naples à Orly. J'ajoute une épithète, une touche violette à la bougresse. Je maîtrise peu mes dettes, je noircis un carnet de précieuses défaites ou d'ennuyeuses redites. Napoli est un pluriel de voyelles, terre et ciel pêle-mêle. La cité des saletés est un bouquet de vitalités édentées. Le rouge éclate comme une flamme incarnate.
L'empathie du pamplemousse me dissuade d'être complice. J'y mets du gin, de l'entrain, du campari, de la fantaisie. J'entends l'accent effervescent des gens. Je trinque avec l'oiseau couineur, candide et perché, sur les parapets de l'Excelsior.
La ville est pavoisée de draps qui rutilent. Le chiffon délimite l'horizon. L'art des ruelles est fait de graffitis textiles. Via Toledo, nul besoin des mots d'Il Mattino. On fait les poches comme la gueule ou son âge. Je mêle mes doigts comme les pinceaux délavés d'un moine abbé. Sentir m'interdit de mentir. De quelque chose, avoir envie.
Céline me souffle un bout de son bénédicité: "J'ai le respect des somptuosités." Je songe à la sambuca, au vin morveux, à la luisante beauté bleue. Je remue la glace, les lèvres du calice. Entre algarade et pétarade, visages et coloris, je bois des limonades à l'anis. On s'en tape d'Alep, pas leur type, pas de malaise ici en mauvaise Campanie.

vendredi 2 décembre 2016

Nafissatou, c'est fini

Nafissatou a lâché son candidat chouchou. La dame de Manhattan abandonne son bonhomme de président en rase campagne. Elle l’avait précipité à l’Elysée, chef d’une nation amie, sous le coup d’une grosse émotion, d’une odieuse brutalité d’oreiller. Nafissatou s’en mord les doigts. Elle a défait son roi. L’effet Nafissatou, c’est fini.
La gouvernante new-yorkaise a voulu qu’il se taise et retourne en Corrèze. Elle a destitué l’homme de Tulle, épaulé d’un coup de pouce, aidé des bons offices du serial killer François le Sarthois qui a estourbi l’utile Sarkozy, rassembleur idéal d’électeurs socialistes.
Nafissatou a fait son temps, Hollande son mandat. Fillon a fait d’une pierre deux coups. On tourne la page de deux présidents assez quelconques qui ont échoué à requinquer la grande nation. Le roman s’écrit avec d’autres protagonistes, d’autres lieutenants à mentors morts : Rocard pour Valls, Séguin pour Fillon, et même Hollande pour Macron. Au cœur du récit, sous la plume de l’auteur, on identifie une reine de la dynastie Le Pen, Marine la croquemitaine. A la gauche de toutes ces droites, figure le bouillant Mélenchon, joyeux castriste et méchant compagnon. 
A voir notre rubicond « pépère » devenir blême, se justifier à l’antenne des déboires de sa fonction, on songeait à un boxeur groggy, baladé dans les cordes, les yeux baissés, en difficulté sur ses appuis. Car ledit pépère n’était plus unitaire. Il redoutait les discours,  les misères de Montebourg à l’embarrassante primaire. Les vaincus qui reculent, les battus d’avance qui renoncent provoquent une suspecte indulgence. D’aucuns parlent d’un courage certain à fuir la défaite comme une certitude du destin. Or il n’y a rien de magnanime à jeter l’éponge avant le gong. La lucidité est une vertu d’homme du marais,  d’un partisan tiède des justes milieux.
Ma seule gentillesse à l’adresse du petit président en détresse sera de me remémorer la belle parole de l’auteur de La Pesanteur et la Grâce : « On ne possède que ce à quoi on renonce. » Le préretraité de l’Elysée, le non-candidat, est désormais propriétaire de cette liberté-là. On retiendra de lui que le plus beau jour de sa vie s’est situé au soleil du Mali. Il m’aura échappé qu’il avait « réenchanté le rêve français », cette sorte d’identité heureuse à la Juppé.

lundi 28 novembre 2016

François le troisième

La gauche gâche, la droite rate. Chronique des échecs, litanie des dernières décennies. La gauche distribue les subsides, s’enivre de pieuses paroles, remue ses lèvres menteuses. La droite éjecte un brouillon lutin, une grande gueule sans boussole, rejette un pâle « homme d’Etat » girondin qui serre mal les mains. La droite vote en creux. Elle a choisi François le troisième car la République privilégie pareil prénom pour emblème. Il a les yeux foncés car nul n’a les yeux clairs s’il veut gouverner sous la Cinquième. Le regard bleu de Lemaire était disgracieux, peu conforme aux critères marron de la maison, en vigueur de De Gaulle à Hollande.
François III n’a pas le format d’une grosse cylindrée. Le lieutenant tient lieu de candidat président, faute de mieux. L’homme à sourire pingre promet la table rase comme un communiste de jadis de raser gratis. Son masque de notaire économe n’imprime guère dans les cœurs populaires. Manque au fiston Fillon le timbre jupitérien du sanguin Séguin. Un curriculum vitae de planqué a suffi à son brutal succès droitier. La mièvrerie ne l’a pas desservi. Fillon croit au ciel, au changement de logiciel, aux compliments circonstanciels. 
Je risque un délit de faciès. L’édile de Sablé n’a pas la bouille à tout chambouler, la trogne à déplacer les montagnes. Trop droit, le preux taiseux du mieux-disant libéral flotte dans les bottes du génial Général. La gauche se frotte les doigts, se sent des ailes à multiplier les querelles, se retape vite fait une identité de bouleversante humanité. La gauche a retrouvé ses clés, sa maison, sans doute pas ses esprits. Elle est l’anti-Fillon par excellence, par défaut d’autre consistance. Elle part en guerre, tonne contre l’austère Buster Keaton des primaires, mécanicien politicien détonateur de torpeurs. A gauche, la meute de prétendants frise l’émeute. La timbale élyséenne se rapproche de François le troisième. Un, deux, roi : soleil ! Fillon sans état d’âme, roi sans ramdam, fait sa gueule de grognon, se calque sur Jospin pour dérider l’opinion.

mercredi 9 novembre 2016

Le milliardaire rougeaud

C’est la victoire d’un chef, le triomphe d’une figure charismatique, le succès d’une posture d’autorité. Trump vainqueur n’est plus raillé pour sa vulgarité d’ouvrier illettré. Il n’est plus moqué par les commentateurs pour ses mauvaises manières d’amateur. Trump président cloue le bec des bien-pensants. Un peuple sans diplôme, une sorte de populace disgracieuse, a choisi son homme. C’est un colosse à tignasse jaunasse, qui parle direct, impose en hérétique sa force d’acte.
Hillary C. trône parmi les dieux de l’Olympe, festoie au banquet céleste qui surplombe le monde rampant des simples mortels. Ces icônes intouchables, à sourire radieux de marketing, choquent leur verre d’ambroisie à la santé des miséreux. Trump grimace, éructe, invective, à hauteur des mimiques mal policées des déclassés d’Amérique. Le milliardaire rougeaud s’interdit la joie obligatoire. Il dit des gros mots délétères.
L’artiste Trump, avant-gardiste godardien, a fait sécession avec « les professionnels de la profession ». Il ironise sur l’expertise - « l’art de se tromper dans les règles » selon Valéry. Il se rit des braves sondeurs, de leur savoir de fantaisie, de leur science d’imposteurs. Il vient d’accomplir un prodige, d’exécuter un coup d’éclat. En ce même jour où se commémore la mort de Charles de Gaulle, Donald Trump, au seuil de la vieillesse, donne une nouvelle jeunesse aux intérêts d’une grande nation.

mardi 8 novembre 2016

La femme de journée

Je me suis fait un sang d’encre. J’ai voulu sauver mes soldats, mes volumes d’étagères, d’une fureur ménagère. J’ai désiré les préserver de l’assaut des gros doigts, de l’offensive de lessive de la femme de journée. J’ai garé mes vieux albums des premières escarmouches. J’ai dégarni le front haut d’un rayon. J’ai évacué mes meilleurs bataillons. 
Quand dans mon dos, l’armoire des mots a crié sous la hache, a chuté sur la table en verre qu’elle a fracassée, à mille éclats. J’étais pris à revers par un cogneur de bois vert. L’imaginaire bûcheron saccageait ma maison, une quiétude ordinaire.
Mes livres se sont dispersés comme de mauvais fuyards. J’ai pansé les blessés, soigné les écornés. La peur de la femme de journée m’a dicté un repli défensif, une retraite insensée. J’ai fait courir à mes hommes, à mes plus beaux albums, des risques inutiles. 
J’ai péché par amitié pour le plaisir de bouquiner. Je suis fléché de culpabilité, mortifié d’avoir tuméfié le visage intouché de ma quotidienneté. Ce huitième jour de novembre, veille d’agonie de Charles de Gaulle, nuit à ma liberté d’esprit, comme une Sainte Julie, à même numéro de calendrier, du détestable avril. 
Je suis penaud au milieu de quatre murs, d’une songerie sans écho. Je laisse la nuit bondir sur moi, m’envelopper de sa noire pèlerine. Je suis baladé sur le ring. Je suis triste et commotionné comme un pugiliste déganté.



vendredi 21 octobre 2016

Les faits de Serres

On quitte un livre, du bout des lèvres, comme un ami, sans hâte. On éprouve une solitude, un sentiment d’élan coupé.
Mauriac disait jadis un pareil choc, se remémorait l’envie de Chardonne, la compagnie littéraire d’un homme, d’un texte clair qui désaltère. « J’ai lu ce livre d’un trait comme un enfant qui a couru et qui a soif » (Lettre à Jean-Louis Bory, 8 novembre 1954).
Je parle d’un philosophe qui n’a rien d’un chef ni même d’un sage. Il se recommande d’une maîtrise exquise, d’une savante exécution de figures libres, d’une vive pensée patiemment tissée. Michel Serres a confectionné l’artisanal bouquin, cloué au lit d’hôpital Cochin. Il n’est pas vieux mais facétieux, affectueux, plein d’une vie de Grand Récit.
Joue contre joue sur l’étagère, les volumes d’hier témoignent d’une œuvre téméraire. Serres se terre dans un coin de bibliothèque solitaire. J’y stocke les écritures d’un scribe de plein air.
Il tient une promesse de jeunesse, dessine une philosophie de l’histoire. Il travaille hors des rails, appareille au vent de l’éventuel, s’émerveille de la danse des circonstances. Il ouvre en grand les portes de l’histoire, en élargit l’empan à tous les vivants, le belvédère aux univers inertes, en recueille le sens comme la confidence émue d’un paysage, la mémoire bariolée d’un territoire.

Michel Serres signe un ouvrage au nom du père, puis du fils, puis du saint esprit. Il retrace la terrifiante histoire du sparadrap de la violence. L’âge du père est subordonné à la nécessité de la cruauté. Le temps du fils révèle l’absurdité du sacrifice. Le troisième moment décrit l’avènement de l’esprit, l’utopie réalisée d’un monde sans dureté.
Plus que de concepts, Serres use de personnages pour raconter l’intrépide aventure : Darwin, Bonaparte et le Samaritain. Les trois bonshommes totalisent un bout d’histoire, un fragment du récit délinéarisé. Le temps se chiffonne comme une boule de papier froissé. Il renvoie à une topologie mathématique, sans outils métriques, où deux points d’abîme se voisinent. Le Juste de Samarie se situe à l’avant de l’histoire. Bonaparte est un tueur saisonnier dont l’avenir est compté. Darwin aide à saisir les Métamorphoses d’Ovide.

Michel Serres interroge l’anthropologie, Alain Testart après René Girard, évoque la fabrique des « morts d’accompagnement », le décor d’ambiance du mausolée des monarques. Car la terreur d’Etat pratique un carnage de compagnonnage, un rapt des vies domestiques. Un larbinat d’Etat est jeté dans la fosse du despote. Les statues de sang des enterrés vivant embellissent l’ossuaire royal. Cette violence funéraire, originaire d’Etat, dite légitime par Max Weber, marque l’âge autoritaire des pères. La guerre, déclarée de l’arrière, éclate à la figure des fils, soldats du sacrifice d’Etat. La tuerie des patries est une litanie de national récit. Les boucs émissaires sont le matériel nécessaire d’une boucherie ordinaire.
Or il est un fils qui stoppe le fil hémophile des sacrifices. Aux foudres du ciel, aux colères de Jupiter, le fils oppose une douceur logicielle, une sainteté hors sacré. La flore, le pain et le vin, pacifie la faune, le corps et le sang. Le symbole se substitue à la mort, humaine ou animale.

« Les animaux courent » dit Serres. Ils fuient les prédateurs. Leurs enjambées sont de première nécessité. Ils se sauvent des hommes. Ce sont des bêtes sauvages. Domestiquer, c’est arrêter la course. Sédentariser, c’est réduire l’horizon à la maison. Le nomadisme traduit l’errance du prédateur. La sédentarité exprime la fixité du parasite. Mixte d’Abel et Caïn, l’homme est un prédateur parasite. Il vit au crochet de proies sauvages et domestiques.

Le sang du fils apure la dette du père, figure du devoir. La Passion règle un passif. Le rachat des péchés nous libère du père usuraire. Le fils nous affranchit d’une dette infinie, qui comme aujourd’hui, réclame d’être saigné, exige du débiteur le don d’une vie.
Pardon, par-delà le don. Ce que le droit nomme en son patois : prescription. Le mot désigne les commencements de l’écrit, les fondements de l’histoire, les premières traces ou taches de mémoire. La première écriture prescrit les crimes des millénaires antérieurs. Cette première pierre du droit colmate l’immémoriale vendetta des primates. « L’histoire est notre grand pardon ».

Serres s’est délesté d’une cargaison de concepts. Du tas d’os analytique, il ne garde que bios et thanatos. L’alliage de vie et de mort suffit à décrire les âges du Grand Récit. Il élargit le tempo évolutif de Darwin, les ordres et désordres des mutations et sélections. Il convoque la littérature qui illustre l’aventure. Homère superpose à l’Iliade l’immortelle Odyssée. Michelet complète sa martiale histoire nationale d’une série naturaliste irénique : La Mer, l’Insecte, L’Oiseau, La Montagne.
La vie et la mort s’étreignent jusqu’à ce que se départagent un ciel et une terre : la pesanteur et la grâce. Dans son œuvre universelle, Michel Serres masque un nom, une figure, qui décida de sa conversion intellectuelle. Simone Weil est l’ombre cachée, l’invitée des interstices, un signe invisible entre les lignes. Elle est raturée dans le faux mouvement d’une pudeur.
La philosophe d’Ashford se dissimule dans les volumes, couleur de Nègre, se camoufle comme une peau noire dans la nuit. Michel Serres risque l’hypothèse. Le premier homme d’Afrique est une proie foncée qui se préserve de la violence, de manière épidermique.

Temps mort de la mort. Le signe de Croix est exécuté. Père, fils, esprit. Le temps des assassins est désormais mal venu. Les dos se courbent pour panser les maux. L’esprit toubib prévaut. La mort est mal en point aux mains des médecins. Il s’agit de guérir plutôt que d’aguerrir. La thérapie se pratique sur place, au chevet du faible. Le corps médical mime la flore qui échappe à l’agression sans locomotion. L’acte médical contrecarre la sélection naturelle. Le temps de la pitié ravive la trajectoire d’humanité.
La courbure de Pieta au pied de la Croix est un écart à l’équilibre, le clinamen lucrétien qui décide d’un destin. Il se définit, se reconnaît à ses actes précis : « secourir, soigner, partager, négocier, dialoguer ».
Après la santé, la vie se rafistole par la paix. Louis XIV décima les hommes, ravagea les nations comme une tornade dévaste un champ de colza. Mais il est des officiers de paix qui préconisèrent la cessation des hostilités. François de Callières, conseiller du roi, établit le primat de la diplomatie sur la guerre à tout prix. Il ne publia son traité visionnaire De la manière de négocier avec les souverains, qu’après la mort du despote ensoleillé. L’espace est source de violence. Il faut s’en débarrasser. D’où l’utopie, le non-lieu. La paix est déracinée d’une géographie. Elle est affranchie d’un territoire. Théoriquement, on ne se casse pas la gueule sur Google. Internet ou l’idée d’Europe sont des utopies, des non-lieux de paix.

Michel Serres s’exalte à l’évocation des socialistes français, Proudhon, Fourier, Considérant. Moqué des marxistes, au nom d’une improbable scientificité, le courant utopiste s’intéresse aux lieux et aux individus au détriment des classes et des foules.
Or l’âge numérique libère les voix discordantes, disparates, singulières, inventives. L’histoire résulte des menues vies des individus, des « vies minuscules » (Pierre Michon). Le théâtre de la représentation fait croire à la grandeur de glorieux histrions qui tiennent le haut du pavé. Il est éclatant d’ignorance, gonflé de suffisance.
Après le toubib, le diplomate, voici le troisième personnage de l’album, héros positif, Petite Poucette, créature des temps virtuels, figure d’une nouvelle ère spirituelle.
Aujourd’hui, la main invisible du marché supplante les bras ballants de l’Etat. Mais la main du portable construit la société « sitoyenne ». Les utopistes du 19ème siècle privilégiaient les associations de circonstances.

La science expérimentale règne sur la connaissance du monde, plus que la haute mathématique ou la physique théorique. « Penser, c’est essayer au sens des peseurs d’or ». La science moderne se détourne de l’avenir, néglige les fins dernières. Elle interroge les commencements. Les disciplines datent désormais leur naissance dans l’histoire. La même science ne protège pas de la violence. Elle doute de ses schémas depuis Hiroshima. Elle freine des quatre fers devant l’avenir industriel pestilentiel. Dès lors, elle s’approprie la fonction critique de la société jadis exercée par la philosophie. Il s’agit de sur-vie, de mieux que la vie, disons d’esprit.

La science enseigne que le monde est codé. Il est écrit. En déceler le sens signifie trouver le dosage d’ordre et de désordre, de hasard et de nécessité, qui le compose. Le temps procède d’un même codage, fait d’aléa - le temps qu’il fait – et de routine de chronomètre - le temps qui passe. «Nous écrivons, lisons et inventons comme toutes choses du monde lisent, écrivent et se font ». Le monde nous fait à son image. Tout est code, manière de dire avec Pythagore que « tout est nombre ».
La science guette son passé. Le fait historique ne valide un sens qu’à rebours de son accomplissement. C’est une circonstance à mille sens et orientations possibles. Elle n’est stable – le stance de circonstance – que le temps du fait historique. Le sens passe par le filtre des circonstances. Dans la phrase d’écrivain, les prépositions sont les ronds-points de changement de sens en chemin. L’histoire ressemble au tissage d’une tapisserie dont les circonstances feraient un paysage de corps mêlés. Mieux : l’histoire humaine, à l’image du monde, court de paysage en paysage. Elle se métamorphose. Elle visite, plus qu’elle ne voit, traverse  des yeux un espace et des lieux.
L'histoire relève d'un art premier paysager. Elle évoque un savoir morcelé, s'apparente à une mosaïque, peut-être à une musique. Elle lie ses gerbes de vie aux "choses-mémoires" de la géographie.

jeudi 6 octobre 2016

L'homme qui marchait

Une sauvage végétation camoufle l’institution. J’ai gravi le raidillon d’accès, tapissé du miroitement d’un fleuve de signes. Le ressac des traces mène à Chirac.
C’est un vaste musée, habité d’une poignée d’enthousiastes. L’exposition finissante ne passionne guère la population. Chirac achève une longue traque, un itinéraire sur la terre, à La Pitié-Salpêtrière.
Chirac est embaumé vivant, à son soleil couchant. Il s’est décanté, dépiauté d’une chair, s’est dépouillé, dépositaire de ses mystères. Le grand os du squelette s’effile jusqu’à la tête, modelée, burinée, balafrée d’estafilades. L’échassier sculpté, voûté, courbé sous les intempéries, c’est l’homme qui marche de Giacometti. Chirac en sa Corrèze ultime, la planète, ressemble à Beckett, esquissé dans la glaise.
C’est un gosse de onze ans, un chef de bande turbulent, qui des lumières du Rayol, barbouille une lettre d’amour à Marette - un sac avec son père pour son anniversaire -, scarifiée d’une bande de dessins de guerre: beurre, fromage, bifteck, vin, cigarettes.
Le grand Jacques rêve de victuailles, annonce la couleur de son légendaire coup de fourchette. Chirac a de l’appétit, de la sympathie pour les péripéties de la vie. Il sait sa finitude dans la connaissance des vieilles civilisations, dégringolées d’une splendeur vers la décrépitude.
Chirac est conservateur. Il est le gardien de la maison. Il garde le secret sur ses tuteurs d’aventure : Vadime Elisseeff, son chef d’école buissonnière, au Musée Guimet, et Vladimir Belanovitch, son instructeur de russe. Car Chirac apprécie le souffle des grandes largeurs, le vertige des dimensions continentales, la beauté des horizons planétaires : la Russie, l’Afrique, la Chine. Il cause à Poutine, trinque avec Eltsine dans la langue de Pouchkine. L’inculte Chirac, Facho-Chirac, Supermenteur, sait la vérité des œuvres d’art, connaît Kandinsky comme peu d’érudits.
J’aime revoir Chirac, impatient, volcanique, nuque sous le capot, le nez dans sa quatre cent-trois Peugeot, trifouiller dans le cambouis anonyme d’un moteur réfractaire.
Je découvre ici, en son mausolée désolé, abandonnés à de rares regards, deux figures Vili, d’artistes congolais, qui m’agrippent par les yeux et me cognent d’une bourrade dans le dos : une statuette magique, un chien d’errance tragique. 
De Pompidou, il a appris qu’on ne se couche qu’une fois. Chirac va mourir, est mort, nous évitant le pire. Chirac est grand par son refus téméraire des « malheurs de la guerre ». Le veto de Chirac au simplisme de Bush est sublime de panache. Cet homme, fêlé de l’intérieur, - qui ne s’aime pas -, livre à notre mémoire un sens énigmatique, saturé d’interrogations millénaires.

samedi 13 août 2016

Le chien souverain

Entre Aubenas et Le Cheylard, sur la route de Saint Agrève, ma blanche guimbarde glisse sur l'asphalte couleur réglisse. Au détour du chemin de ronde ardéchois, à l'entrée du hameau déserté, flanc luisant collé au goudron, un chien souverain sommeille au soleil.
C'est le seigneur d'une contrée des hauteurs. L'engin mobile éveille l'animal, perturbe une solitude. Il dresse un museau de médiocre considération. Avant de le dissimuler dans ses songes.
J'ai freiné. Le chien souverain n'a pas bougé d'un iota. Il gouverne un royaume qui ignore la loi des crocs, le parlement des coups de gueule. Je me suis senti apprenti.

jeudi 28 juillet 2016

L'émacié curé

Un curé tout en os qui ressemble à Lévi-Strauss. Il y a des Arabes louches qui font mal à des mouches. Les religieuses fredonnent une berceuse. Cinq, six vieux prient Dieu qu'Il les requinque.
L'Arabe à couteau tranche l'agneau. L'émacié curé gît dans un sang violet.
Les criminels sans missel se ruent dans les ruelles. Ils ont des pistolets en plastoc en guise de crucifix. Ils sont troués. Le peuple radote une peur idiote.

dimanche 15 mai 2016

Un président trimestriel

La démocratie est une sale manie. Elle enquiquine l’ancien royaume. Par chance, une règle de droit lui tape sur les doigts. Le 49-3 la déclare has been. Aller vite nécessite qu’on l’évite. La gauche qui gâche est prompte à appuyer sur la gâchette. Le 49-3 est un colt de sheriff qui force à être bref.
La droite qui rate fait saillir ses omoplates. Ses chefaillons agitent le chiffon d’une restauration. Ils empruntent aux toubibs des urgences une gouvernance par ordonnances. 
Gouverner, c’est expédier les affaires qui mécontentent. Il faut se dépêcher d’imposer sa loi. On ordonne au pays comme on canonne un ennemi. La droite diagnostique un temps très court pour refaire les peintures. Les réformes en dur doivent être exécutées dans les premiers cent jours de la mandature. Après quoi, le président fait la planche, ferme la boutique pour cause de dimanche. Dès lors, le quinquennat tranquille se réduit à un seul trimestre utile.
Pour que la démocratie vive, pour que la république respire et que les pouvoirs s’aèrent, je préconise de réduire le temps présidentiel à ses seuls trois mois essentiels. Le trimestre, renouvelable une fois, doit se substituer au quinquennat. Avec le stock de candidats disponibles – « le trop-plein » disait de Gaulle -, on peut aisément caser le gros des effectifs dans la vingtaine de trimestres libérée. On troque une présidence obèse pour une pluralité de commandements sveltes et agiles.
Une dizaine de vrais capitaines, rapides et réactifs, valent mieux qu’un gros monarque enlisé dans une glaise quinquennale. Le tourniquet présidentiel trimestriel offre l’immense avantage de dynamiser la démocratie. Il insuffle un élan décisif, donne une nouvelle jeunesse au pays.

jeudi 12 mai 2016

Les lieux saints

La vérité n’est pas le problème des figures blêmes. La vérité est la vertu retranchée des sciences authentiques, de mathématique dureté. C’est un cercle d’initiés, de résistante pureté. C’est le dernier carré, le seul qui veille au vrai. La géométrie nous garde de la fausseté d’esprit. L’algèbre nous interdit le mensonge. L’arithmétique est d’essence civique.
Ce sont les lieux ultimes, les lieux saints, une sorte de Jérusalem, moteur d’un monde inventeur d’où s’excluent les menteurs. La corruption ne touche pas l’invention. C’est un campement d’utopie créatrice, entouré d’un immense désert d’institutions corruptibles, de démons et de contrefaçons. C’est un sanctuaire sur la terre qui protège un sauveur.
Jusqu’à quand ? La vérité n’est qu’une feuille d’octobre qui a fait son temps. Elle jonchera le sol, face au ciel. Les mensonges se ramassent à la pelle. Les jardiniers ratissent des querelles. La vérité n’est pas le problème des figures blêmes.

jeudi 5 mai 2016

Le syndrome Dalida

Les candidats s’annoncent en rang d’oignons dans la foire au blabla, comme des premiers communiants, comme de primaires communicants.
La candidature proclamée est une posture de visibilité. Jadis les starlettes de cinéma se trituraient les veines, pas pour de vrai, simulaient un suicide aux barbituriques pour sortir de l’anonymat ou pour forcer une notoriété enlisée. Dalida fut de celles-là. La politique se calque sur le spectacle. Sous de Gaulle imperator, Mitterrand imagina un faux attentat, avenue de l’Observatoire. Le grossier maquillage était destiné à requinquer une gloire qui tardait à s’épanouir.
Aujourd’hui la rubrique faits divers se passe des suicides ratés et des crimes d’opérette. Elle se concentre sur la soif de bonne opinion des petits chefs de faction. La course à la primaire en constitue le terrain privilégié, le lieu d’exposition solaire. On observe de minuscules planètes qui gravitent autour d’une même étoile de sheriff. Il n’est pas sûr qu’elles soient toutes respirables.

lundi 25 avril 2016

Une giclée de peinture


Les livres sont endimanchés, vêtus d’or, de poussière et d’imaginaire. Ils sont encagés comme des fauves abreuvés. Le public jette ses doigts dans les étagères, caresse le museau d’un volume, vérifie le pedigree, identifie le spécimen.
Le libraire n’a pas la jovialité de fouet d’un dompteur, mais l’air ennuyé du geôlier. La ménagerie du cirque est dispersée en stands stricts, numérotés pour satisfaire une soif de mystère. Les mots sont coffrés dans les pelages des rayonnages. On les éloigne des parures vives, des figures vulnérables. Les tableaux sont gardiennés à l’extérieur des mots. 
Je rôde dans les stands. Les tableaux sont frontaux, leur nudité revendiquée. A frôler les murs, je percute une giclée de peinture. L’éclaircie de bleu est encore fraîche, tricolore, pavoisée d’un juvénile folklore. C’est une légèreté qui n’est pas mozartienne mais printanière, qui n’est pas aérienne mais coutumière. Soutine, Chagall en transparence, Lanskoy installe une évidence. 
Je fais fi de la bibliophilie. Je quitte le palais dans un tumulte. Je dévisage une nuque. L’œil de Nabe bifurque. Je fignole un petit boniment de courtoisie. Le petit Zannini me fiche dans la paume les photographies de sa galerie.

mercredi 20 avril 2016

La timbale élyséenne

Hollande est capitaine à cause du viol de Nafissatou, soubrette à Manhattan. Macron est un mari de chevalerie, un farfadet qui plaît, parce qu’un ministre insatisfait a démissionné de Bercy. Juppé est le favori des interrogés par fatigue de Sarkozy. Bref, le hasard fait preuve de bonne volonté.
Mais le peuple a les pieds sur terre. Il n’est pas velléitaire. La politique l’exaspère parce qu’elle le dessert. C’est pourquoi les prétendants voilent leurs intimes penchants: ni droite, ni gauche. Ils jardinent large, des deux côtés de la tartine. Le roi de l’avenir ne fait pas de politique mais du pragmatique. Le roi vertueux sera une sorte de Bon Dieu du milieu, de saint sympa du terrain. Les candidats sont de braves gars, motivés par les prébendes de l’Etat. Ils se singeront. Le meilleur en songes et mensonges fera l'affaire, décrochera la timbale et touchera le pactole.

samedi 16 avril 2016

Le train de Tulle


Le peuple souffrant, maître de céans, abrégea la parlote de salon. Il se leva sans hâte, prit le coude du visiteur et le reconduisit jusqu’à la porte. Trissotin se retourna pour lui serrer la main. Il sourit à pleines dents, se persuada d’une durable complicité, prononça un lapidaire diagnostic de toubib ordinaire : « Je vous le dis : ça va mieux ». Le peuple, dans l’encadrure de porte, fixa des yeux las sur sa bouille écarlate. Il lui signifia son impatience : « ça va comme ça ». Il jugea même nécessaire de répéter la formule : « Oui, ça va comme ça ». Il hésita, mais n’ajouta pas : « Bon débarras ! ».
Le petit docteur, tout à son bonheur, était content de ses médicaments. Il restait planté sur le palier. On aurait dit un éboueur de quartier ou un sapeur pompier attendant ses étrennes de fin d’année. Le peuple fouilla dans ses poches. Il sortit un billet de mille, le lui tendit à la va-vite. 
- C’est pour le retour. Le train de Tulle est dans une heure. Vous allez le rater.

mercredi 13 avril 2016

Une émeute blanche

La Nuit tombe, ne tient pas Debout. A République, on la revendique. La nuit tombe à pic. Les lampistes d’un monde capitaliste errent sous des lampadaires. Un ministre incognito se masque comme Zorro. La parlote est patriote. On se passe le micro comme on se presserait à Macron. Les vieux rajeunissent, les jeunes rêvassent, on croise Cambadélis. Ils sont cerclés de céhéresses et saturés d’essaimesses. Ils ont des guitares, un bon cœur et du pinard. 
Ce genre d’émeute blanche, de rassemblement festif, est un produit dérivé, un goodies de la manif pour tous. On y vient en famille côtoyer des curés pédophiles. Le lien social disparu se raccommode en attroupement de rue. C’est gentillet, un peu niais, comme l’approche de l’été. On s’étiquète à part dans le convivial de square. La démocratie n’est pas qu’une menterie. Elle s’autorise aussi la songerie.

vendredi 8 avril 2016

Le nouveau philosophe

Un chef de bande chevauche les plates-bandes. Il chemine à travers les rêveries du pays. La randonnée est son support de pensée. Jésus arpente la Galilée. Mao s’échine à pied. Il marche longuement. La promenade de sainteté légitime l’autorité. Macron sait la leçon. Il chausse ses godillots. Il débloque le mode veille de son aillepad. Le raid de bipède va se poursuivre de bled en bled. L’ange de Bercy apporte la bonne nouvelle à Saint-Denis.
Il ressemble à Boris Vian, plus petit mais rieur comme un gagneur, sans mélancolie slave mais déserteur à sa manière. Boxeur sans poings - ni droite, ni gauche -, il ne prend pas de gants. Il crache sur nos tombes. 
Macron marche, pas tout à fait au hasard, direction le marché. Il marche, marchande en passant. Il séduit les beaux quartiers. Il enseigne la bonne volonté aux ouvriers qu’il trouve illettrés. Il a dénoué sa cravate sans pour autant se dépoitrailler. C’est un nouveau philosophe – Ricoeur sur le CV – qui demande à Béachel d’aller se rhabiller. En cas de panne, sa hotline s’appelle Attali.

mercredi 6 avril 2016

Une panoplie d'orphelin

C’est d’une littérature capricante dont j’ai besoin séance tenante. Roger Nimier de la Perrière est un auteur qu’on débusque là, dans les fagots, derrière. C’est un flacon d’ivresse, ensommeillé dans une cave, une bouteille d’encre pâle qui étoile un calice. Il figure parmi les marmots les pires, les plus insolents, d’une république de mots, parmi les chenapans rieurs d’une cité des talents. Il baptisa son fils Martin, du nom de sa chignole Aston. L’homme travailla comme un nègre, mains nues, respectueux des paresses et des pègres. 
Morand est doublé sur sa droite, touché par la grâce du bolide. Durant dix ans, ils échangèrent des secrets, confièrent leurs humeurs, zébrèrent d’impertinences leur fière correspondance.
L’art épistolaire est une école de virtuosité. Frivole est sa manière. Mais Nimier est du genre buissonnier. Il donne du fil à retordre au vieil ambassadeur. Morand s’amourache du jeune homme à panache. R.N. sont les initiales fatales de Route Nationale. Roger Nimier songeait à acheter une panoplie d’orphelin à son Monsieur du Pimpin, l’autre Martin.
A la hâte sur l’asphalte, l’Aston calcina deux corps. Nimier, trente-sept ans, Sunsiaré, dix de moins. Sunsarié de Larcône mouillait encore les yeux de Guy Dupré, l'auteur des Fiancées sont Froides, cinquante ans après.

lundi 4 avril 2016

Sous le Soleil Exactement

Nos régions sont grandes en vertus et hautes en couleurs. Aucune n’est petite. Pas de basses contrées à répertorier. La France en majesté rayonne par ses régions redécoupées. Le Nord se situe sur le toit de l’Europe, au plus haut comme un Kilimandjaro. C’est le point culminant d’un pays dominant. L’Est est grand, comme Alexandre Vialatte le disait d’Allah. Comme la partie se référant au tout. Il est  donc parfaitement légitime que la grandiose nation confie son destin, sa noble gloriole d’école, à la région du Rhin.
Restent à étiqueter l’Ouest, le Sud. Et le Centre. Comme ne manquent pas de le rappeler le maire de Pau et les commentateurs de « la primaire de la droite… et du centre ».
L’Ouest vit sous la giclée des vagues. C’est la région Océan, votée à l’unanimité de ses habitants. Grand Large aurait fait trop atlantiste. A vrai dire, le Sud et le Nord se regardent en chiens de faïences. Pas question de s’appeler les Bas de France. Ce n’est pas une poignée de patelins pluvieux qui va dicter sa loi aux sublimes territoires sans crachin. Non, le Sud collera à la réalité, au ressenti des gens. Il se nommera Sous le Soleil Exactement.
Et le Centre  dans tout ça? Il est dépeuplé. Il est déserté comme les petits partis qui s’en réclament. Mais, attention, il fait basculer les majorités. C’est un bout de France marchand qui négocie ses tapis.
Bref, le Centre, c’est le Cœur. Le label Cœur de France s'impose assurément. Il fera taire les détracteurs d’Auvergnats qui moquent la sécheresse de sentiment des locaux. 
Voilà notre belle France habillée dans la dentelle, notre grande nation dotée de cinq régions d’excellence. : Hauts de France, Grand Est, Océan, Sous le Soleil Exactement, Cœur de France. Rassemblé sur ses fondamentaux, le pays remodelé dans ses parties a désormais de quoi défier l’industrieuse, lourde et pataude Germanie.

dimanche 3 avril 2016

Chronique d'une primaire ordinaire

La droite qui rate se cherche un chef, inflexible dans ses bottes, raides dans ses buts. Elle organise un tournoi qui fait loi. C’est plus citoyen qu’une annonce au Bon Coin. La joute crée l’émoi: les noms s’ajoutent. Les candidats se pressent à un concours de circonstances. La primaire séduit par ses effets secondaires. Un petit pécule de bulletins peut se marchander contre un maroquin. Valls maquignon a raflé Matignon. La droite qui rate brigue la place d’une gauche qui gâche.
Sur l’affiche, il y a des visages qui ne fâchent pas. Juppé n’est décrispé qu’à moitié. L’homme est posé, sans doute indisposé. Sa figure pâle trahit un souci intestinal plus qu’une passion nationale. S’il se jette à l’eau, il n’est pas question qu’il se mette en maillot. Son pedigree lui interdit la familiarité. Lemaire est le fils de son père. Mêmes papiers de Quai d’Orsay. Il est lisse, austère et sans mystères. Ministre des terroirs, il ignora jusqu'à la taille de l'hectare. L’homme assomme avec ses neurones. 
Fillon est victime de son prénom, socialiste et papal. Le rejeton de notaire manque de faits de guerre. Il côtoie les autos de course, persuadé du mimétisme. A bord d’une monoplace, il s’imagine plein d’audace. Il faudra qu’il se satisfasse d’un grade de chef de tour de chauffe. Des urnes, il peut sortir speaker de tribunes, peut-être commissaire honoraire du perchoir.
Sarkozy est rongé par la jalousie. Il envie la richesse de Berlusconi. Le choix de Carla Bruni témoigne de son sens de la répartie. NKM n’est ni une femme, ni un homme, mais un acronyme. Or les sigles sont en fin de cycle. Ils datent, portent poisse: JFK, JJSS, DSK. Le moderne se démode, n’éclaire aucune lanterne. On est loin du peuple à se nommer à la va-vite. J'ai une tendresse un peu fière pour Morano la poissonnière. La fille de camionneur ne veut pas rester sur le carreau. C’est une soldate déçue qui s’exhibe en candidate de rue.
Mariton en garde sous le menton. On ne sait s’il est bénédictin ou polytechnicien. C’est un bretteur de paille, tout à fait passe-muraille. Un jour au salon, Copé s’est coupé dans la conversation. Depuis la petite enfance, il veut faire président dans l’existence. Mais Copé n’a pas que des copains. Il ne boit que de l’eau. Il ne se bourre pas la gueule, seulement les urnes. Sa figure de traître suffit à sa raison d’être.

jeudi 31 mars 2016

Le sang des bons vivants

Il est tiré comme un lapin, le brave clampin du Bataclan, l’insouciant quidam de macadam, l’anonyme encarté des transports. Il est tiré comme à la foire. L’ensanglanté des guichets n’a pas de bouclier. On ne retrouve que de la chair découpée pour l’identifier.
L’Etat est absent, les soldats sont distants. Les dignitaires arrivent après la guerre. Ils squattent le palais du roi pour mieux s’émouvoir à plusieurs, entre parlementaires. Car parler est une impuissance de métier.
Le président montre les dents. Le monarque bande son arc. Il brandit des mots techniques comme une arme atomique. Il a les yeux pleurants comme un premier communiant. La guerre se fiche des postures comme de sa première imposture.
Le champ de bataille se situe dans les entrailles des civils. La guerre se rue dans la rue. Les soldats ne sont pas là. Ils sont à distance du sang. Ils sont en Afrique, en Orient, à la solde de l’Amérique. Leurs corps désertent la mort. Les drones démodent la perte d’hommes. La technologie dissuade qu’ils ne gisent au sol.
Les méchants assaillants contournent les boucliers volants. Ils tuent les bons vivants. Les militaires arrivent après la guerre. On les expédie à la périphérie quand le pays est dégarni.
Les mensonges ont besoin de coups de menton. Le boniment a besoin de bons sentiments, d’adorables petits bouquets, de numéros verts et de cellules psychologiques. La guerre prend de court les professionnels du discours. La communication tombe sur un os événementiel. La guerre à zéro mort n’a pas zéro défaut. C’est une supercherie qui cache les tueries en costumes gris. 
Combien faudra-t-il de Pierre, Paul ou Henri, de morts tombés au champ d’aéroport, pour que les princes d’Europe se décident à combattre l’agresseur pour de vrai ? Aux champions du blabla sur une déchéance de nationalité sans écho, le peuple, premier visé, n’accordera qu’une tolérance zéro.



samedi 26 mars 2016

Cruyff et la sociologie

Le sport exalte la joie du corps. La beauté de geste est d’expression muette. Elle illumine l’abîme d’une discipline.
Amsterdam. Le port. Le port d’un prince sied au sport. Les ruades de Cruyff ont ébloui les stades. La flèche de l’Ajax plante un style, une banderille dans l’espace, un décor pour l’histoire. Elle suit la loi d’un art cabochard.
Le football est alors une religion morose, coincée, cloîtrée dans la peur. L’austère maître de l’Inter, Helenio Herrera, théorise la défensive, condamne l’esprit d’incartade. Le catenaccio fait écho à l’abandon du beau jeu, à la prison du ballon. Il fait école quand Cruyff caracole.
Le football total est une attitude mentale, une sorte de plénitude intellectuelle. Il remue les fondations du jeu comme, à l’époque, le concept d’autogestion bouscule les modes de production. Cruyff chamboule la division du travail sur les terrains de foot. Il libère le joueur de ballon de son identité de plomb. Le séduisant styliste confectionne un habit d’Arlequin, composé d’étoffes rapiécées, mixte d’arrière et d’attaquant. Il introduit la mobilité dans le statut, la métamorphose dans la fonction, la fantaisie dans la stratégie.
Au spontanéisme d’Après-Mai, il ajoute la rigueur d’artisanat de l’homme de métier. Un toucher de balle s’acquiert dans la rudesse au mal. Cruyff est le contemporain sociologique de l’usine Lip. Il est de son temps, et un peu plus. Il est à l’heure d’une aspiration au bonheur, d’un désir de splendeur. En quoi, il est en avance, se joue des circonstances, danse un football d’une rare élégance.

vendredi 25 mars 2016

Les hiéroglyphes des bêtes

Il est rare que les frères arabes se dérobent. Ils distribuent la mort, s'attribuent des noms à coucher dehors. Salah se réclament d'Allah. Mauvaise fille, l'Europe n'aime pas ce genre de rap. Pas son style.
A Mongenevro, il fait beau, je bois un bombardino. Une neige sans péché courtise la paix d'une gourmandise. Le cognac explose la gueule comme une grenade de Molenbeek.
L'acte écourte le tact. L'attentat abrège l'attente. Nimier expédie d'un trait l'envie d'été: "Les pédales sont des embauchoirs, le volant un cintre. il se dévêtit et courut se jeter à l'eau".
J'aime ce qui ne veut rien dire, intraduit du bulgare; j'aime la beauté d'illettré, la montagne frontale qui barre un ciel.
Céline est un prince celtique, Proust un calife oriental. Ils bataillent dans la lande et les sables, sous les masques d'Omar Sharif et Peter O'Toole. J'empoigne une perche. Le temps s'arrête entre les crêtes. Je remonte l'espace.
C'est le soleil qui donne à la neige son utilité domestique, son ironie féerique. J'ai horreur des points de suspension. Céline les a brevetés. Ils lui appartiennent. Le manque de finition est un mode de construction. Il fignole une maison avec plein d'ouvertures au sol.
Journée bleue panique. Follement Pierrot. L'instant s'appelle Ferdinand. Dans ma tête, Belmondo se badigeonne de dynamite. Les hiéroglyphes des bêtes trouent la neige muette.
Ils pénètrent dans un hall d'aéroport comme j'entre à Notre-Dame. Ils brandissent une kalachnikov. Je songe à Barychnikov. Verticalité de gouffre, sentiment aérien du ravin. Les frères ne font jamais machine arrière. Les circonstances entrent dans la danse.
L'Europe est mise en joue. Bruxelles est dans les choux. On ne se lasse pas de commémorer sur un trottoir. Les gerbes jolies rivalisent de fantaisie. Les belles âmes s'expriment sur le macadam. On dirait un concours de châteaux de sable, une compétition de bord de plage. Les quidams endeuillés manifestent des réflexes de club Mickey.
Che bella giornata ! Alessandra, la cuisinière sarde, nous photographie le nez dans les raviolis. Al anno prossimo ! 
Dostoïevski a recueilli jadis les confidences de fratrie. Dimitri le débauché interroge Aliocha, le cadet du noviciat: "Mais alors que deviendra l'homme, sans Dieu et sans immortalité ? Tout est permis, par conséquent, tout est licite ?" (Les Frères Karamazov, Folio, page 740, traduction de Henri Mongault).
Dostoïevski est obsolète aujourd'hui. Les frères de Molenbeek, qui trimbalent Dieu dans leur sac, ne s'interdisent rien, s'autorisent du néant.

dimanche 13 mars 2016

Je vote Anquetil

Il se bloque à Marc Bloch. Braudel est trop intellectuel. Duby trop écrit. L’histoire pour les nuls. Il ne cale pas cette fois. Il tapote la couverture familière comme la joue de la chancelière. Le petit président pépère feuillette les annales de la Fnac. Il s’instruit sur l’emploi qu’il a choisi. Je ne parle pas de métier. Une vie ne suffit pas pour en posséder une pleine maîtrise. Il est triste comme un touriste. Il sait qu’il est dépassé par un passé. Il est là devant l’aléa, bras ballants devant l’océan. Il est trop tard pour tutoyer César. Depuis Coulibaly, il est Charlie, le petit Charlie, successeur du grand Charles.
Il nomme Ayrault, un Ayrault récurrent, pâle commissaire des bords de Loire, ensommeillé dans une manière austère de démocratie populaire. L’hypnose d’Ayrault est un succès. Depardieu n’en fait qu’une bouchée. Jean-Marc ne marque ni ne se remarque. Il est d’accord au quai d’Orsay.
Le Catalan est plus allant, moins lent. Il mime les rodomontades de Mussolini. Il est dur comme un duce miniature. Le crétin des Pyrénées est un matamore né. Les lycéens infléchissent son destin. Ils se gaussent de Valls. Il fait rire les morveux quand il fait les gros yeux. Manuel gouverne à coups d’épaulettes.
Charlie et ses deux benêts veillent sur la cité. La triplette règne sur la dette. Le petit président pépère a composé une équipe du tonnerre. Il est plongé depuis quatre ans dans son Que sais-je absorbant. C’est un coureur cycliste des années cinquante, un politicien de quatrième république. Walkowiak gagne le Tour de France en 1956. Sans liesse, ni palmarès. Walko, sorti de nulle part, a vidé son quart d’heure de gloire comme un mauvais pinard, avant de rejoindre les oubliettes de l’histoire. Pas grave parce qu’après le fantôme Walko surgit en vainqueur le métronome Anquetil et ses cinq grandes boucles au compteur. J'ai réfléchi. Je vote Anquetil aux prochaines jonquilles.

vendredi 11 mars 2016

La brune Marseillaise

Envie de Céline, point à la ligne. Envie de Céline, de la sainte mère la langue française. J’ai vu l’affiche qui de Destouches fait un fétiche. J’ai noué une cravate, chaussé des souliers, épousseté l’habit de cérémonie. Je m’endimanche une fois l’an, j’honore Ferdinand.
Nous sommes en mille neuf cent cinquante et un. Louis est dans de beaux draps. Je me suis mis sur mon trente et un. Je suis Milton. C’est pour ma pomme.
Raté. La mauvaiseté de Céline exige un autre doigté. C’est une cible émouvante. La malice bleue de Bardamu est rayée des yeux, rangé des voyures. L’image de long métrage est confiée à Bourdieu, garçon laborieux. Elle manque de corps, de justesse sonore.
Lavant fait du Carax, réduit le gaillard à la canaille. Or Céline est un dandy, pas un bandit ni un vagabond qui mendie. La trogne simiesque de l’acteur, ses mimiques de cirque mécaniques trahissent la majesté de grand artiste.
Bourdieu, bon sang, se contente de peu. Il fait son deuil, fait fi de l’ironie de l’œil. Il manque l’infini, donc le film. Car Céline n’est pas sardonique mais rythmique. Sa voix n’est pas timbrée comme une machine à grincer. Elle est d’opéra, légère et souveraine. La cadence est sa danse. Lavant est vaurien quand Céline est aérien. 
Lucette heureusement sauve l’historiette. Géraldine Pailhas est une phrase célinienne, sublime comédienne, belle et grave comme une indienne. Je me souviens de la brune Marseillaise. Un jour de pluie, Pinoteau me conviait à sa première, à la voir de dos jusqu’au derrière. Elle restera nue jusqu’au Garçu. Le scribe à sornettes aimait le port de reine de Lucette. Je me décoiffe devant l’actrice de Pialat.

mardi 8 mars 2016

Autoportrait

Pourquoi les histoires m'ennuient-elles ? Parce qu'elles se déroulent, étirent un fil, se traînent en longueur.
J'aime les sauts, les bonds, les Illuminations de Rimbaud. L'histoire s'envase en racontar. Elle bafouille un boniment, échafaude une vanité, se justifie d'un début, d'un milieu et d'une fin.
J'appartiens ici au monde des épiphanies. L'événement suffit au temps. Il est la lumière de la terre. Je m'éclaire à la bougie. Ce qui advient ne ressemble à rien, jette une beauté de circonstance indomptée.
J'ai nommé le rude bouquin La cicatrice du brave car je veux sauver ma peau, me remémorer l'entaille de canine, l'instant vif du coup de griffe.
A la terrasse d'un bistrot sans orgueil, j'ai vidé un calice de vin mauve. J'ai senti Alberto Giacometti dans mon dos. Je veux faire une tête. Je rate figure sur figure. Tous les visages sont des vertiges. Ni la pierre, ni la toile ne modèlent ni ne fixent la première apparition.
Qu'à cela ne tienne, je recommencerai l'autoportrait fragile, livre deuxième comme un second évangile. J'observerai l'épiphanie avec d'autres yeux, d'autres mots, d'autres outils d'établi. J'échouerai. Je relaterai mes essais d'incarcéré. Tout ce que j'écrirai ne sera désormais que du crayonné d'autoportrait, du raturé d'impossibilité.

samedi 27 février 2016

La mauvaise chute

Les paysans ne sont pas des migrants. Les migrants ne sont pas des mendiants. Les mendiants ne sont pas des chenapans. Le déclassement hante une humanité qui à elle-même se ment. La colère naît d'être mal nommé. L'exaspération est l'expression d'une déconsidération.
Notre nation se dégrade, abdique une volonté, s'égare sans but, ni cap, ni capitaine. Une nation sans but craint la mauvaise chute. La peur de tomber définit le malaise d'une société. La vieille nation redoute de finir sur la paille.
Dans les palais présidentiels, on regarde le ciel électoral. La tambouille est l'horizon, la stratégie d'évitement des bouillons. Le quinquennat se borne à satisfaire les fonctionnaires d'Etat. On jette l'argent par les fenêtres des ministères. On vote la loi de l'entre soi.
Les postures guerrières et les attitudes de matamore policières masquent une faillite économique, un déficit monétaire. La dégringolade d'une nation interdit la rigolade de l'inaction.
L'héritière n'est plus riche que de ses avoirs testamentaires. Elle se recroqueville sur ses précieux biens de famille. Elle s'arc-boute ainsi au seul but de garder un fauteuil emblématique au Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Une nation sans joie est aux abois. Elle marchande ses soldats contre des comptes non soldés. Elle a déserté le champ économique. Elle fait la fière sur les théâtres militaires. L'armée, même dépréciée, est désormais une monnaie de substitution, de la roupie de sansonnet pour temps de trahison.



vendredi 26 février 2016

Que voici de majesté !

Je me remémore l'exclamation de l'auteur de Rigodon, la voix fine de Céline au spectacle fastueux de la Néva: Que voici de majesté !
Le ciel coulisse vers le bleu lisse. J'attends que les choses se décantent. L'embrouillamini sied à la perspective Nevski. La neige pétille sur la joue d'une façade.
Dostoïevski ne s'endort qu'à l'aurore, se plie à la même règle que Proust, se lève dans la dernière moitié du jour, froisse les draps de l'étroit canapé qui coudoie sa table de travail.
Crime et Châtiment juxtapose deux récits impossibles, risque un somptueux décousu, pratique l'enfantine obsession du collage. La cambuse ne paie pas de mine. Une fraîche Pétersbourgeoise nous y mène comme on obéit aux us et coutumes d'une sainte patrie.
La ville impériale est bordée des eaux glaciales, sentinelle du golfe de Finlande. La Néva se toise du pont de la Trinité.
Vladimir de Staël von Holstein est le dernier général de la forteresse Pierre et Paul. Il a servi dans les rangs des cosaques et des ulhans de la garde du tsar. Il périra en Pologne. L'art de Nicolas de Staël relève d'une bagarre, s'interdit le hasard.
Le fleuve étend sa nonchalante ivresse, fendillé de glace, hachuré d'oiseaux. Je déterrerai sur Internet les lignes de Céline, Bagatelles pour un massacre, l'odieux pamphlet où il psalmodie la beauté de Russie.
Je suis saisi par une voix rauque, plus que rocailleuse, le feulement de fauve d'un fatal parler, butant sur l'alphabet comme une arme enrayée. Le corps maîtrise un délabrement sonore, stoppe l'éboulis, une chute de pierres langagières, des fragments entiers, l'arrachement d'un bloc de sens Kalachnikov.
Musée russe: les salles sont tapissées des icônes de Roublev et Dionisi, des imagiers monastiques de l'école de Novgorod. J'aime la colère des couleurs, le bonheur intérieur de l'image peinte.

lundi 15 février 2016

Les filles de Koltès

La femme est une hyène à cause d'une courbure, d'un dos cassé qui la propulse dans la nature. Dans la nuit d'une scène, contre un mur marbré de rouge, les deux espiègles s'illusionnent, se collisionnent, se sauvent comme de vraies lionnes.
La mort se rebiffe aux Bouffes du Nord. L'endimanchement me démange. Je suis casqué car une littérature exige l'armure. Je coiffe une casquette d'où transite un texte.
Les filles de Koltès se ruent sur une chair, déchiquètent un son mieux que des garçons. Elles se dépouillent du je, d'un faux air musculaire, de l'identité récitée. Elles s'approprient le cri, incorporent une rigueur d'écrit, scandent un phrasé dentelé d'incendie.
J'ai guetté l'instant précis où Audrey Bonnet saisit la diagonale du récit, ponctue d'une animale brusquerie le désert des mots ressentis, cravache un pieux désir comme on s'éclaire à la torche.
C'est un texte d'il y a trente ans que rien n'écaille, un vaillant fragment qui résiste au temps.
Dans la solitude des champs de coton exige une diction, dissuade l'histrion. Koltès trimbale un christique dealer jusqu'au bout d'une terreur. Il rédige une sorte de parabole du mauvais client. Pas de bouteille à la mer, ni océan. Il la jette au néant.

lundi 25 janvier 2016

C'est un ordre

C'est une grande bringue aux yeux de bête fardés. C'est une artiste triste, l'ouvrière perfectionniste d'une faille ouverte, la vibrante guerrière d'une terreur de chair.
Elle suit la loi d'une voix, les tourments du chant, le grandiose émoi d'opéra. La Callas est un ciel, une nécessité brève d'oiseau qui passe. Elle se sauve, s'expatrie dans un cri, crée l'instant sonore qui défie la mort.
J'ai veillé tard pour la voir. Longue, anorexique, sacrifice de la musique. Maria Callas me hisse en sa principauté, possédée par la beauté. C'est un ordre.

mardi 19 janvier 2016

Nier Tournier

Colette aimait le mot presbytère. Tournier habitait ce genre de demeure où l’on meurt. Son jardin de curé laissait à Tournier le soin d’errer, d’être un roi à l’étroit. J’ai le souvenir d’une littérature de célibataire, un peu scoute et culottes courtes. J’ai le sentiment d’une prose un peu perverse. 
A dire vrai, j’ai la sensation d’un crayonné qui troue le papier. Tournier dessine des majuscules au dos des mots frivoles. C’est un artiste germanophile.
De lui, je tiens que Deleuze nageait incertain, à contre penchant des vagues, la tête hors de l’eau, de manière ostentatoire, fuyant l’élément. 
J’ai lu Vendredi à cause de beaucoup de bruit. A quoi bon nier Tournier. Il s’est entiché du vieux Flaubert. Il affectionnait Félicité. Pour pareille amitié, il est acquitté.

mardi 5 janvier 2016

Fils de Raimu


Galabru n’était pas un malappris. Mais bien épris de fantaisie. Galabru est le fils aîné, le fils aimé de Raimu. Galabru n’avait rien d’une brute. Il est l’Amiral, loufoque pilote de ligne de Soigne ta droite, grand bonhomme du poème de Godard.
Il traîne une trogne à gaudriole sur les chemins frivoles des trop faciles besognes. Il fait du rire une joie rare, d’une disgrâce de faciès une finesse, une justesse, une délicatesse.
Sa gueule cassée était boxée de paradoxes. Galabru était cousu dans de l’étoffe d’humanité. L’homme au timbre d’ogre a fait un tour de piste d’artiste. Galabru laisse la scène nue. L’art de Galabru ne court pas les rues. Il est temps désormais que le peuple esclaffé se décoiffe.