jeudi 31 mars 2016

Le sang des bons vivants

Il est tiré comme un lapin, le brave clampin du Bataclan, l’insouciant quidam de macadam, l’anonyme encarté des transports. Il est tiré comme à la foire. L’ensanglanté des guichets n’a pas de bouclier. On ne retrouve que de la chair découpée pour l’identifier.
L’Etat est absent, les soldats sont distants. Les dignitaires arrivent après la guerre. Ils squattent le palais du roi pour mieux s’émouvoir à plusieurs, entre parlementaires. Car parler est une impuissance de métier.
Le président montre les dents. Le monarque bande son arc. Il brandit des mots techniques comme une arme atomique. Il a les yeux pleurants comme un premier communiant. La guerre se fiche des postures comme de sa première imposture.
Le champ de bataille se situe dans les entrailles des civils. La guerre se rue dans la rue. Les soldats ne sont pas là. Ils sont à distance du sang. Ils sont en Afrique, en Orient, à la solde de l’Amérique. Leurs corps désertent la mort. Les drones démodent la perte d’hommes. La technologie dissuade qu’ils ne gisent au sol.
Les méchants assaillants contournent les boucliers volants. Ils tuent les bons vivants. Les militaires arrivent après la guerre. On les expédie à la périphérie quand le pays est dégarni.
Les mensonges ont besoin de coups de menton. Le boniment a besoin de bons sentiments, d’adorables petits bouquets, de numéros verts et de cellules psychologiques. La guerre prend de court les professionnels du discours. La communication tombe sur un os événementiel. La guerre à zéro mort n’a pas zéro défaut. C’est une supercherie qui cache les tueries en costumes gris. 
Combien faudra-t-il de Pierre, Paul ou Henri, de morts tombés au champ d’aéroport, pour que les princes d’Europe se décident à combattre l’agresseur pour de vrai ? Aux champions du blabla sur une déchéance de nationalité sans écho, le peuple, premier visé, n’accordera qu’une tolérance zéro.



samedi 26 mars 2016

Cruyff et la sociologie

Le sport exalte la joie du corps. La beauté de geste est d’expression muette. Elle illumine l’abîme d’une discipline.
Amsterdam. Le port. Le port d’un prince sied au sport. Les ruades de Cruyff ont ébloui les stades. La flèche de l’Ajax plante un style, une banderille dans l’espace, un décor pour l’histoire. Elle suit la loi d’un art cabochard.
Le football est alors une religion morose, coincée, cloîtrée dans la peur. L’austère maître de l’Inter, Helenio Herrera, théorise la défensive, condamne l’esprit d’incartade. Le catenaccio fait écho à l’abandon du beau jeu, à la prison du ballon. Il fait école quand Cruyff caracole.
Le football total est une attitude mentale, une sorte de plénitude intellectuelle. Il remue les fondations du jeu comme, à l’époque, le concept d’autogestion bouscule les modes de production. Cruyff chamboule la division du travail sur les terrains de foot. Il libère le joueur de ballon de son identité de plomb. Le séduisant styliste confectionne un habit d’Arlequin, composé d’étoffes rapiécées, mixte d’arrière et d’attaquant. Il introduit la mobilité dans le statut, la métamorphose dans la fonction, la fantaisie dans la stratégie.
Au spontanéisme d’Après-Mai, il ajoute la rigueur d’artisanat de l’homme de métier. Un toucher de balle s’acquiert dans la rudesse au mal. Cruyff est le contemporain sociologique de l’usine Lip. Il est de son temps, et un peu plus. Il est à l’heure d’une aspiration au bonheur, d’un désir de splendeur. En quoi, il est en avance, se joue des circonstances, danse un football d’une rare élégance.

vendredi 25 mars 2016

Les hiéroglyphes des bêtes

Il est rare que les frères arabes se dérobent. Ils distribuent la mort, s'attribuent des noms à coucher dehors. Salah se réclament d'Allah. Mauvaise fille, l'Europe n'aime pas ce genre de rap. Pas son style.
A Mongenevro, il fait beau, je bois un bombardino. Une neige sans péché courtise la paix d'une gourmandise. Le cognac explose la gueule comme une grenade de Molenbeek.
L'acte écourte le tact. L'attentat abrège l'attente. Nimier expédie d'un trait l'envie d'été: "Les pédales sont des embauchoirs, le volant un cintre. il se dévêtit et courut se jeter à l'eau".
J'aime ce qui ne veut rien dire, intraduit du bulgare; j'aime la beauté d'illettré, la montagne frontale qui barre un ciel.
Céline est un prince celtique, Proust un calife oriental. Ils bataillent dans la lande et les sables, sous les masques d'Omar Sharif et Peter O'Toole. J'empoigne une perche. Le temps s'arrête entre les crêtes. Je remonte l'espace.
C'est le soleil qui donne à la neige son utilité domestique, son ironie féerique. J'ai horreur des points de suspension. Céline les a brevetés. Ils lui appartiennent. Le manque de finition est un mode de construction. Il fignole une maison avec plein d'ouvertures au sol.
Journée bleue panique. Follement Pierrot. L'instant s'appelle Ferdinand. Dans ma tête, Belmondo se badigeonne de dynamite. Les hiéroglyphes des bêtes trouent la neige muette.
Ils pénètrent dans un hall d'aéroport comme j'entre à Notre-Dame. Ils brandissent une kalachnikov. Je songe à Barychnikov. Verticalité de gouffre, sentiment aérien du ravin. Les frères ne font jamais machine arrière. Les circonstances entrent dans la danse.
L'Europe est mise en joue. Bruxelles est dans les choux. On ne se lasse pas de commémorer sur un trottoir. Les gerbes jolies rivalisent de fantaisie. Les belles âmes s'expriment sur le macadam. On dirait un concours de châteaux de sable, une compétition de bord de plage. Les quidams endeuillés manifestent des réflexes de club Mickey.
Che bella giornata ! Alessandra, la cuisinière sarde, nous photographie le nez dans les raviolis. Al anno prossimo ! 
Dostoïevski a recueilli jadis les confidences de fratrie. Dimitri le débauché interroge Aliocha, le cadet du noviciat: "Mais alors que deviendra l'homme, sans Dieu et sans immortalité ? Tout est permis, par conséquent, tout est licite ?" (Les Frères Karamazov, Folio, page 740, traduction de Henri Mongault).
Dostoïevski est obsolète aujourd'hui. Les frères de Molenbeek, qui trimbalent Dieu dans leur sac, ne s'interdisent rien, s'autorisent du néant.

dimanche 13 mars 2016

Je vote Anquetil

Il se bloque à Marc Bloch. Braudel est trop intellectuel. Duby trop écrit. L’histoire pour les nuls. Il ne cale pas cette fois. Il tapote la couverture familière comme la joue de la chancelière. Le petit président pépère feuillette les annales de la Fnac. Il s’instruit sur l’emploi qu’il a choisi. Je ne parle pas de métier. Une vie ne suffit pas pour en posséder une pleine maîtrise. Il est triste comme un touriste. Il sait qu’il est dépassé par un passé. Il est là devant l’aléa, bras ballants devant l’océan. Il est trop tard pour tutoyer César. Depuis Coulibaly, il est Charlie, le petit Charlie, successeur du grand Charles.
Il nomme Ayrault, un Ayrault récurrent, pâle commissaire des bords de Loire, ensommeillé dans une manière austère de démocratie populaire. L’hypnose d’Ayrault est un succès. Depardieu n’en fait qu’une bouchée. Jean-Marc ne marque ni ne se remarque. Il est d’accord au quai d’Orsay.
Le Catalan est plus allant, moins lent. Il mime les rodomontades de Mussolini. Il est dur comme un duce miniature. Le crétin des Pyrénées est un matamore né. Les lycéens infléchissent son destin. Ils se gaussent de Valls. Il fait rire les morveux quand il fait les gros yeux. Manuel gouverne à coups d’épaulettes.
Charlie et ses deux benêts veillent sur la cité. La triplette règne sur la dette. Le petit président pépère a composé une équipe du tonnerre. Il est plongé depuis quatre ans dans son Que sais-je absorbant. C’est un coureur cycliste des années cinquante, un politicien de quatrième république. Walkowiak gagne le Tour de France en 1956. Sans liesse, ni palmarès. Walko, sorti de nulle part, a vidé son quart d’heure de gloire comme un mauvais pinard, avant de rejoindre les oubliettes de l’histoire. Pas grave parce qu’après le fantôme Walko surgit en vainqueur le métronome Anquetil et ses cinq grandes boucles au compteur. J'ai réfléchi. Je vote Anquetil aux prochaines jonquilles.

vendredi 11 mars 2016

La brune Marseillaise

Envie de Céline, point à la ligne. Envie de Céline, de la sainte mère la langue française. J’ai vu l’affiche qui de Destouches fait un fétiche. J’ai noué une cravate, chaussé des souliers, épousseté l’habit de cérémonie. Je m’endimanche une fois l’an, j’honore Ferdinand.
Nous sommes en mille neuf cent cinquante et un. Louis est dans de beaux draps. Je me suis mis sur mon trente et un. Je suis Milton. C’est pour ma pomme.
Raté. La mauvaiseté de Céline exige un autre doigté. C’est une cible émouvante. La malice bleue de Bardamu est rayée des yeux, rangé des voyures. L’image de long métrage est confiée à Bourdieu, garçon laborieux. Elle manque de corps, de justesse sonore.
Lavant fait du Carax, réduit le gaillard à la canaille. Or Céline est un dandy, pas un bandit ni un vagabond qui mendie. La trogne simiesque de l’acteur, ses mimiques de cirque mécaniques trahissent la majesté de grand artiste.
Bourdieu, bon sang, se contente de peu. Il fait son deuil, fait fi de l’ironie de l’œil. Il manque l’infini, donc le film. Car Céline n’est pas sardonique mais rythmique. Sa voix n’est pas timbrée comme une machine à grincer. Elle est d’opéra, légère et souveraine. La cadence est sa danse. Lavant est vaurien quand Céline est aérien. 
Lucette heureusement sauve l’historiette. Géraldine Pailhas est une phrase célinienne, sublime comédienne, belle et grave comme une indienne. Je me souviens de la brune Marseillaise. Un jour de pluie, Pinoteau me conviait à sa première, à la voir de dos jusqu’au derrière. Elle restera nue jusqu’au Garçu. Le scribe à sornettes aimait le port de reine de Lucette. Je me décoiffe devant l’actrice de Pialat.

mardi 8 mars 2016

Autoportrait

Pourquoi les histoires m'ennuient-elles ? Parce qu'elles se déroulent, étirent un fil, se traînent en longueur.
J'aime les sauts, les bonds, les Illuminations de Rimbaud. L'histoire s'envase en racontar. Elle bafouille un boniment, échafaude une vanité, se justifie d'un début, d'un milieu et d'une fin.
J'appartiens ici au monde des épiphanies. L'événement suffit au temps. Il est la lumière de la terre. Je m'éclaire à la bougie. Ce qui advient ne ressemble à rien, jette une beauté de circonstance indomptée.
J'ai nommé le rude bouquin La cicatrice du brave car je veux sauver ma peau, me remémorer l'entaille de canine, l'instant vif du coup de griffe.
A la terrasse d'un bistrot sans orgueil, j'ai vidé un calice de vin mauve. J'ai senti Alberto Giacometti dans mon dos. Je veux faire une tête. Je rate figure sur figure. Tous les visages sont des vertiges. Ni la pierre, ni la toile ne modèlent ni ne fixent la première apparition.
Qu'à cela ne tienne, je recommencerai l'autoportrait fragile, livre deuxième comme un second évangile. J'observerai l'épiphanie avec d'autres yeux, d'autres mots, d'autres outils d'établi. J'échouerai. Je relaterai mes essais d'incarcéré. Tout ce que j'écrirai ne sera désormais que du crayonné d'autoportrait, du raturé d'impossibilité.