lundi 28 novembre 2016

François le troisième

La gauche gâche, la droite rate. Chronique des échecs, litanie des dernières décennies. La gauche distribue les subsides, s’enivre de pieuses paroles, remue ses lèvres menteuses. La droite éjecte un brouillon lutin, une grande gueule sans boussole, rejette un pâle « homme d’Etat » girondin qui serre mal les mains. La droite vote en creux. Elle a choisi François le troisième car la République privilégie pareil prénom pour emblème. Il a les yeux foncés car nul n’a les yeux clairs s’il veut gouverner sous la Cinquième. Le regard bleu de Lemaire était disgracieux, peu conforme aux critères marron de la maison, en vigueur de De Gaulle à Hollande.
François III n’a pas le format d’une grosse cylindrée. Le lieutenant tient lieu de candidat président, faute de mieux. L’homme à sourire pingre promet la table rase comme un communiste de jadis de raser gratis. Son masque de notaire économe n’imprime guère dans les cœurs populaires. Manque au fiston Fillon le timbre jupitérien du sanguin Séguin. Un curriculum vitae de planqué a suffi à son brutal succès droitier. La mièvrerie ne l’a pas desservi. Fillon croit au ciel, au changement de logiciel, aux compliments circonstanciels. 
Je risque un délit de faciès. L’édile de Sablé n’a pas la bouille à tout chambouler, la trogne à déplacer les montagnes. Trop droit, le preux taiseux du mieux-disant libéral flotte dans les bottes du génial Général. La gauche se frotte les doigts, se sent des ailes à multiplier les querelles, se retape vite fait une identité de bouleversante humanité. La gauche a retrouvé ses clés, sa maison, sans doute pas ses esprits. Elle est l’anti-Fillon par excellence, par défaut d’autre consistance. Elle part en guerre, tonne contre l’austère Buster Keaton des primaires, mécanicien politicien détonateur de torpeurs. A gauche, la meute de prétendants frise l’émeute. La timbale élyséenne se rapproche de François le troisième. Un, deux, roi : soleil ! Fillon sans état d’âme, roi sans ramdam, fait sa gueule de grognon, se calque sur Jospin pour dérider l’opinion.

mercredi 9 novembre 2016

Le milliardaire rougeaud

C’est la victoire d’un chef, le triomphe d’une figure charismatique, le succès d’une posture d’autorité. Trump vainqueur n’est plus raillé pour sa vulgarité d’ouvrier illettré. Il n’est plus moqué par les commentateurs pour ses mauvaises manières d’amateur. Trump président cloue le bec des bien-pensants. Un peuple sans diplôme, une sorte de populace disgracieuse, a choisi son homme. C’est un colosse à tignasse jaunasse, qui parle direct, impose en hérétique sa force d’acte.
Hillary C. trône parmi les dieux de l’Olympe, festoie au banquet céleste qui surplombe le monde rampant des simples mortels. Ces icônes intouchables, à sourire radieux de marketing, choquent leur verre d’ambroisie à la santé des miséreux. Trump grimace, éructe, invective, à hauteur des mimiques mal policées des déclassés d’Amérique. Le milliardaire rougeaud s’interdit la joie obligatoire. Il dit des gros mots délétères.
L’artiste Trump, avant-gardiste godardien, a fait sécession avec « les professionnels de la profession ». Il ironise sur l’expertise - « l’art de se tromper dans les règles » selon Valéry. Il se rit des braves sondeurs, de leur savoir de fantaisie, de leur science d’imposteurs. Il vient d’accomplir un prodige, d’exécuter un coup d’éclat. En ce même jour où se commémore la mort de Charles de Gaulle, Donald Trump, au seuil de la vieillesse, donne une nouvelle jeunesse aux intérêts d’une grande nation.

mardi 8 novembre 2016

La femme de journée

Je me suis fait un sang d’encre. J’ai voulu sauver mes soldats, mes volumes d’étagères, d’une fureur ménagère. J’ai désiré les préserver de l’assaut des gros doigts, de l’offensive de lessive de la femme de journée. J’ai garé mes vieux albums des premières escarmouches. J’ai dégarni le front haut d’un rayon. J’ai évacué mes meilleurs bataillons. 
Quand dans mon dos, l’armoire des mots a crié sous la hache, a chuté sur la table en verre qu’elle a fracassée, à mille éclats. J’étais pris à revers par un cogneur de bois vert. L’imaginaire bûcheron saccageait ma maison, une quiétude ordinaire.
Mes livres se sont dispersés comme de mauvais fuyards. J’ai pansé les blessés, soigné les écornés. La peur de la femme de journée m’a dicté un repli défensif, une retraite insensée. J’ai fait courir à mes hommes, à mes plus beaux albums, des risques inutiles. 
J’ai péché par amitié pour le plaisir de bouquiner. Je suis fléché de culpabilité, mortifié d’avoir tuméfié le visage intouché de ma quotidienneté. Ce huitième jour de novembre, veille d’agonie de Charles de Gaulle, nuit à ma liberté d’esprit, comme une Sainte Julie, à même numéro de calendrier, du détestable avril. 
Je suis penaud au milieu de quatre murs, d’une songerie sans écho. Je laisse la nuit bondir sur moi, m’envelopper de sa noire pèlerine. Je suis baladé sur le ring. Je suis triste et commotionné comme un pugiliste déganté.