dimanche 24 décembre 2017

Alors, heureuse ?

17 était une année nombre premier, comme Jupiter, divinité première, indivisible comme une nation sans entorse corse. 18 sera un nombre, pas premier du tout, divisible à loisir. 
C’est une année, non pas à couper en quatre, mais en deux ou trois. 
C’est une année trinitaire, plus hospitalière. 
C’est une année généreuse, insoucieuse, peut-être heureuse. Je vous la souhaite comme ça en tout cas.

Anniversaire

Nous sommes nés quelque part, nous les imbéciles heureux de Georges Brassens. Jésus vaille que vaille est enfanté sur la paille. Jupiter s’auto-commémore à Chambord. Il a le sourire carnassier du quadragénaire. C’est le roi mage de sa propre image. La vie est un selfie qu’il apprécie. Je doute que la secte dure deux millénaires.

jeudi 21 décembre 2017

Uppercut

Le type d’Antibes vient des steppes. Il boxe dans l’axe exact du luxe. Château Grimaldi, il gîte à l’étage, hors Picasso. Il taille au couteau les soleils du stade, la féerie d’un tableau d’Uccello. C’est un drap flanqué sur la chaux, une bataille de couleurs, une querelle de soldats, un match de mauvais gars.
Parc des Princes est une toile de Staël, brutale, un uppercut pleine gueule. Nicolas de Staël von Holstein a peint un feu d’artifices musculaire. Il figure des divinités de chair dans une nuit, méchante comme une teigne.
Il est entré dans la danse par la fulgurance. L’indivision est une précision, une prouesse, un geste de politesse. Il y a le corps cassé d’ « un coiffeur » sur le banc de touche extérieur, une reprise de volée, pleine lucarne, jambes parallèles, à moitié comme des ailes.


samedi 9 décembre 2017

Lien social éphémère

A la fin de sa vie, Sartre confie : « Il y a dans l’espoir même une sorte de nécessité » (L’espoir maintenant, éditions Verdier, 1980, page 21). Or la gloire d’un quidam absorbe le besoin de croire des hommes.  Johnny est une idole qui ne tombe pas du ciel. C’est un fauve aux yeux mauves. Il chante, il danse. C’est un boxeur de ring, rude au mal, dans les cordes vocales. L’artiste est pugiliste. Il compense la désespérance sociale. La star fait croire à l’aurore. Les fidèles de l’arène veulent une vérité charnelle. La ferveur est une demande de bonheur. Au commencement, il y a l’engouement.
Les religions jettent des traits d’union, fabriquent des communions, ouvragent du lien social. Les dieux relient les lieux. La divinité assemble les hommes d’une même piété. Elle les joint comme des mains.
Mais les dieux expriment une fatigue. Ils sortent harassés des siècles passés. Ils désertent les consciences. Au for intérieur s’impose un silence extérieur.
L’idole sans ciel occupe une place vacante. L’idole des jeunes s’est substituée au jeûne divin. L’idole dansante est bien vivante, immanente et chantante. Les dieux étaient cachés. L’idole est dévoilée. C’est un corps de rock star. On veut la toucher. C’est une relique de chair. Elle guérit un désespoir, ajourne une mémoire, gomme une mort. Sa promesse sur terre est une ivresse passagère.
Les hommes, pétris d’humus, se destinent à un pathétique terminus, sous des pelletées de terre. La star est un bellâtre qu’on idolâtre. Elle donne aux hommes un songe à rogner, un rêve à aimer. Johnny est un lien social éphémère. Comme on le dit d’une boutique à murs provisoires. L’émotion d’une communion dure le temps de recueillement de la nation. A bout de souffle, la religion passe le flambeau à d’Ormesson.
Mais la gloire se compte en quarts d’heure, à l’école de Warhol. La société produit beaucoup de prophètes bien formatés. Mais cela ne suffit pas. Elle a besoin d’un surcroît de Johnny(s) pour raviver les liens distordus, recoudre le tissu des fraternités déchirées. Il y a le foot et Johnny, le rock et Messi, et puis rien. C’est le vide. On manque d’idoles qui fassent salle comble.  Leurs affiches se décollent comme des banderoles dont on se fiche. Les foules se foutent des reines d’un jour. Elles ne sont pas rassasiées. La société, chaque matin, doit veiller à multiplier les pains.
Le lien social éphémère est un leurre communautaire. La machine à produire du sacré fonctionne comme une planche à billets démonétisés. La religion est un grand corps malade. On colmate par des artefacts. On rafistole les vieilles idoles.
Bref, la rock star illustre une misère. Faute de mieux. A défaut d’un dieu. Face au vide, Johnny amorce une entraide. C’est le gala des gars du monde. On partage ses photographies comme des fragments d’hostie.
Je me souviens des funérailles moscovites de Vladimir Vissotski, le chanteur de folie des révoltes de Russie. Plus d’un million d’endeuillés, en ce jour de juillet mille neuf cent quatre-vingt, ont déferlé hagards derrière un corps drapé de noir. A l’époque, la rébellion d’un poète rassemblait une nation, réalisait pour de vrai l’union soviétique.
Sur les Champs-Elysées en habits de Johnny, un visage aux yeux rougis, une trogne de pèlerin transi, trouve les mots, lâche un cri : « Là, on perd quelque chose de gros ».
C’est la liesse, avant la messe de kermesse. Les récitants de La Madeleine manquent de souffle, de fièvre, jamais hors d’haleine. Seul Rondeau, mèche à la Malraux, use de mots à juste écho. Il sauve l’honneur du rocker.

mercredi 6 décembre 2017

J'entends plus la guitare

C’était un même jour d’octobre mille neuf cent soixante-trois. De Gaulle était notre roi. Kennedy serait assassiné dans un mois. Cocteau et Piaf meurent en même temps, à six heures d’intervalle. Le poète a l’âge de Johnny aujourd’hui. La Môme est très jeune, moins de cinquante ans. Jean d’Ormesson fait équipe avec Johnny comme Piaf et Cocteau jadis. Paroles et musique. Ils ont choisi le même jour pour jouer leur vilain tour.
« J’entends plus la guitare ». C’est le titre magnifique d’un film de Philippe Garrel, grand artiste. Il évoque une parole coupée, une musique interrompue.

mardi 28 novembre 2017

Meurisse, l’impérissable

Hier sur Arte, Le Deuxième Souffle. On célèbre Melville. Je n’ai vu que Paul Meurisse. On n’oublie pas Blot. Le commissaire tutoie le légendaire, fait écho dans nos mémoires.
La couleur n'était pas inventée. Les images étaient grises. Les histoires étaient noires. Les robes étaient blanches. Le cinéma était un divertissement de temps couvert. Il reproduisait le terroir granitique.
Paul Meurisse est un fils de Dunkerque. Il rêve d'Albuquerque. Il se terre clerc de notaire au pays des houillères. Sa vie est encastrée dans un cadastre.
Paul Meurisse est le plus grand acteur du siècle. A revoir "Quand passent les faisans", on se pince. Meurisse se hisse au plus haut. Aux autres laissent les os. Il rapetisse Serrault, fait oublier Blier. Il ringardise les plus sublimes. Robert Dalban est le lieutenant d'un monument. Yvonne Clech est "une sorcière aux dents vertes".
Audiard chaparde les mots du bistrot, volent dans les plumes de Céline. Il retouche Destouches.
Sur la nappe, il y a les acteurs, en vraie grandeur. Le film est un champ de menhirs à perte de rire. Audiard est cerné de phénomènes. Audiard fait parler les dolmens. Alexandre, Hyacinthe et Arsène.
Paul est pâle. Paul Meurisse a la délicatesse de la prestesse. Serrault est traité de "pithécanthrope de Rodez", Blier de "petit jouisseur". Les escrocs s'échangent des mots d'archanges. Deauville.  Il pleut des hallebardes. On ne voit pas Le Havre. Papa lit San Antonio dans son Wigwam. Le cinéma du Casino affiche "Le monocle rit jaune". Meurisse, l’impérissable.

dimanche 26 novembre 2017

Vers la mer

Vous connaissiez La Vague de Courbet et les ciels de Corot. Vous serez ébloui par la mer de Malherbe. Guy de Malherbe peint la lumière à pleine chair, aux premières loges du luxe littoral  et des beautés minérales.
Il expose à la Galerie La Forest Divonne (12 rue des Beaux-Arts 75006 Paris) jusqu’au 18 janvier 2018.


jeudi 23 novembre 2017

La fable de l'unanimité

Castaner est débonnaire. On le nomme vicaire de Jupiter. Il est le favori, le protégé, le planqué d’une Macronie, insoucieuse de démocratie.
Castaner est d’un commerce délicieux. Il arbore un poil réglementaire aux normes publicitaires. Le lieutenant tient lieu à tout instant. Il est souriant comme un premier communiant. Castaner a l’accent du terroir innocent. Il est affable au point de croire à la fable de l’unanimité.
C’est un marcheur, colporteur de bonheur, à godillots brevetés par le caudillo d’en haut, distributeur de selfies comme de sucreries.
Casta-nerfs les garde en toute occurrence. Il gère la maison d’Emmanuel en pépère Noël. Pour ce faire, il dispose de la légitimité robotique du mode de sélection soviétique. Macron et les siens fêtent à leur façon le centenaire de la belle Révolution d’octobre. Castaner parle avec naturel de l’essentiel. Il est l’homme de main des lendemains qui chantent, le légat du prolétariat, l’idéale doublure d’une réelle dictature des petites mains ouvrières. Autrement dit, le communisme de Macronie est au bout du fusil. C’est une pétoire à deux coups, deux révolutionnaires mandats.

mardi 21 novembre 2017

Dédicace et Cicatrice


La Cicatrice du Brave a été fêtée au Salon de l’Autre Livre. Les amateurs de vraie littérature se sont pressés devant le stand de 5 Sens Editions (https://catalogue.5senseditions.ch/fr/3-belles-plumes)
J’ai dédicacé de nombreux exemplaires de La Cicatrice, j’ai scarifié au feutre noir la trop blême page de titre. A vrai dire, je suis un auteur qui veut laisser une empreinte sur le papier.

mercredi 15 novembre 2017

Les borduriers ont soif

Lacroix déborde à l’aile, deux fois plante un essai, un poignard d’orfèvre dans la glaise zélandaise. Vitesse, hardiesse et petitesse. Lacroix l’échevelé rappelle Dominici le fêlé. Lilliput plonge dans l’en-but en bête féroce, rosse le gigantesque Black. Nos borduriers ont soif, savent changer l’aplomb en or massif. Voilà pour le quatorze de La Rochelle.
Je pose Lacroix, divise par deux. Je retiens zéro par le maillot. J’obtiens Macalou, le longiligne athlète du stade français, numéro sept. Il chaparde en touche comme un bandit de vieille souche. Il se rit de la rangée kiwi. C’est un flanker baroudeur, aussi flamboyant que le Magne d’antan ou le Rupert de naguère. C’est un fils du temps jadis.
Le Quinze de Novès a fait des prouesses. Il a échoué d’un fil. Il a cousu un jeu heureux, un rugby de preux, un bel ouvrage à la Villepreux. Les gredins de gradins ont chanté La Marseillaise avec une fière coloration lyonnaise. La clameur était à la hauteur. Devant pareil rugby, j’ôte mon képi.

jeudi 26 octobre 2017

La filiation Macron

Macron, en début de marche, penche la tête à droite. Le sac à dos du monarque pèse une tonne. Le chef randonneur déporte son bel objet de projet vers « les professionnels de la profession », les maîtres chanteurs à gros sous, les détenteurs de capitaux.
Sans doute scout à son heure, grand frère Emmanuel vient d’une gauche libérale rocardo-mendésiste (deux perdants jouissant d’un indiscutable prestige). D’instinct, il va son chemin vers une droite authentique, giscardo-barriste. La girouette de l’Elysée est orientée dans l’axe du vieux président auvergnat ; elle donne le la du début de quinquennat.
Ce gouvernement edouard-philippard sous-traite ses rudiments d’économie à l’excellent manuel du savant Raymond Barre. « Raymond la science » est toujours une bonne référence.
Autrement dit, Macron veut se faire bien voir du grand capital. Dans Macron, il y a Aron (deuxième Raymond). Car Macron admire Tocqueville, ne considère Marx que comme pluriel publicitaire de « marque ». Ce philosophe abscons, traduit de l’allemand, est vecteur de passions tristes. Emmanuel Macron est un Jean-Marie Messier parachevé, abouti, rajeuni. Il contracte son pedigree au minimum entrepreneurial. Inutile de bâtir (ou de démolir) Vivendi. Il saute la case industrie. La politique est un plat qui se mange chaud. Il est pressé de s’installer à l’Elysée.
Macron, libéral de gauche, est enraciné dans une culture de droite, la frange orléaniste, selon René Rémond (troisième et dernier Raymond, avec une faute d’orthographe). Les premiers mois de quinquennat témoignent d’une soif d’appartenance au gotha droitier, cette sorte de salon Guermantes, tant convoité du camp bourgeois Verdurin. A vrai dire, Macron se calque sur Giscard et Sarkozy, le grand et le petit. Mais à l’envers. Il marche à contre-sens.
Giscard était ébloui par les « valeurs » de Mai 68, la modernité de gauche véhiculée par L’Obs et Libé. Ses vraies réformes sociétales visaient à plaire au monde intellectuel, aux discutailleurs du Café de Flore, sans accointance droitière.
Sarkozy mimétique, copie le mandarin d’Auvergne à calvitie. Il rameute Kouchner, Besson, Jouyet, Hirsch et Amara. Il s’éprend d’une flopée de socialistes piaffants. Il s’entiche de Carla Bruni, fréquente une gauche caviar dernier cri. Il fait le forcing dans le vedettariat de gauche. L’irréfléchi petit président est flatté d’être entouré d’érudits, d’une compagnie de « belles personnes ». La gauche humanitaire ennoblit la droite épicière. Sarkozy se convertit à la stratégie des compassions bêlantes, des postures à la grenadine, des gestuels de bons sentiments. L’affichage du grand cœur est la faiblesse de l’apprenti réformateur.
Reste à bien observer Macron, à cerner son œil bleu roi, planté dans le prompteur d’un discours creux. L’œil est gros, très rond, comme celui d’un poisson sur le sable. Jean-Edern Hallier taxait Giscard de « colin froid ». Il y a de ça dans le faciès blême d’un président qui s’aime. Cet œil perdu, qui ne s’interdit pas le rictus, est plongé dans le vide. La joue se plisse d’un tic automatique. Hors bocal, Macron peut contempler l’horizon libéral. C’est un espace sidéral.
Mais il faut remonter plus haut, se souvenir de Chaban, déjà vieux, qui voulait faire jeune. Sa « nouvelle société », esquissée par Nora/Delors, constitua l’acte de naissance d’une gauche techno-mitterrandienne. Pompidou, ancré à droite, solide sur ses appuis, n’en croit pas ses yeux d’ancien banquier, de paysan madré. Il congédie Chaban illico presto. Il chasse un traître à son électorat.  Faut tenir ses promesses, Delmas.
Macron, dont le cœur de vote ne représente qu’un quart des bulletins exprimés en avril dernier, défie le noyau dur de ses partisans. Il le prend pareillement à rebrousse-poil. Mais il ne sera pas limogé puisqu’il chausse lui-même les bottes de président. Bien joué, Manu.
Reste une question embarrassante: qu’en pense le peuple, l’autre souverain, en attente de changement et de start-up épatantes ? Comme les vieux, rangés des voitures, les retraités cruciverbistes, ou les jeunes enfants désoeuvrés, il peut trouver le temps long.


samedi 21 octobre 2017

Louise, Emma, Gustave

C’est comme dans les interrogatoires de commissariat. Il faut des noms, plus exactement des prénoms. Il s’agit d’identifier la chair naissante, une marmaille innocente, les enfants qui entrent dans la danse.
Flaubert aimait les mots, pas du tout les marmots. L’ermite de Croisset exécrait la paternité. « Je n’ai jamais vu un enfant sans penser qu’il deviendrait vieillard, ni un berceau sans songer à une tombe ». Il a vingt-quatre ans.
Bovary est une marque connue des parents d’aujourd’hui. Flaubert importe peu. A quoi bon lire un furieux célibataire, endurci dans son génie ? Mais, ironie de l’histoire littéraire, ils nomment leurs jolies gamines, Louise et Emma, prénoms préférés des maternités. Louise Colet fut la seule maîtresse durable du mirobolant Gustave.
Bref, les familles de ces temps-ci privilégient Louise et Emma, les deux principales enquiquineuses de la vie de Flaubert.  

jeudi 19 octobre 2017

Les talents compensés

L’Etat vibrionne d’un mouvement macronien. La « céessegeai » grimpe au ciel. Tollé citoyen. La taxe est une souffrance comme l’imposition d’une brutale main d’ostéopathe sur un nerf de la chair. On dit aussi « nerf de la guerre ». L’Etat calme le jeu, cautérise une cicatrice. Il panse. Il pense à compenser.
Les trois-quarts des écorchés ne seront pas assujettis à la taxe de logis. La feuille de labeur sera déchargée de cotisations de mutuel bon cœur.
Depuis sa création par Rocard, l’inspecteur des finances, la « céessegeai » est un oiseau-impôt d’envol aisé. Elle jouit d’un taux propulsé. La hausse est dans ses gênes. Ce qui contrarie même les classes moyennes, cette grande famille nombreuse d’une nation « passionnément triste ».
D’où la fine stratégie de la contrepartie. Même les débonnaires fonctionnaires, sans embarras de chômage, auront droit à un dédommagement de « céessegeai » augmentée.
J’ai l’impression de figurer parmi les derniers idiots de village. Mais pourquoi diable accroître une taxe dont les dégâts sociaux imposent immédiatement d’en neutraliser l’effet par la suppression d’autres prélèvements ? Bougisme fiscal et statu quo se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Tout se passe comme si le choix du compliqué (« pensée complexe » du président) prévalait sur la simplicité.
On célèbre une caricature de « made in France ». La confection d’usine à gaz est une spécialité nationale. Elle comble d’aise une technocratie inventive en tracasseries. J’aimerais baptiser cette chronique « Les talents compensés ». Dans la vieille Athènes, le talent mesurait un poids d’argent.

lundi 16 octobre 2017

Comme d'autres parlent du nez

Il parle d’un(e) aparté comme d’une tasse de thé. La parité a besoin d’un coup de pouce. Il féminise les mots, maintient que « bordel » est populaire plus que vulgaire. Dans les contrées refoulées d’une nation à « passion triste » – merci Spinoza -, il traîne ses manières et tournures de petit minet déterminé. Chirac aurait dit « roquet ».
Il est cassant faute d’être fracassant. Il pâtit d’un manque d’empathie. Une ostentatoire « fraternité » trône à sa droite. Frère Emmanuel en rajoute dans le signe extérieur de bon cœur.
Aucune question ne lui nuit puisqu’elle occasionne la démonstration d’une brillante vélocité d’esprit. Ce Macron des autocars est digne des prouesses cérébrales du déjà jeune Giscard. Il a réponse à tout, s’approprie les meilleurs mots, les balade dans des phrases fourre-tout. Il est autoritaire comme un grand frère arguant d’un droit d’aînesse héréditaire. Sur sa table de travail, Gide et Malraux se laissent photographier comme des starlettes négligemment effeuillées.
De Jean Guéhenno, André Gide disait : « Il parle du cœur comme d’autres parlent du nez ». Virage sur l’aile. La paraphrase est tentante : « Macron parle des investisseurs comme d’autres parlent du nez ».

jeudi 5 octobre 2017

Les nains de l'Ena

Après Charles de Gaulle, général fabriqué sur le tas, buriné par la guerre, nous héritâmes des nains de l’Ena, formatés à l’école d’Etat. J’exclus Pompidou, dernier grand timonier qui soit authentiquement lettré. Il causait cinéma, rue de Varenne, avec Julien Gracq. Je le retranche. La promotion Elysée est composée de Giscard, Chirac, Hollande, Macron, soit un quarteron d’ambitieux félons. Un nain recalé s’agite sans collier ni blason : c’est Sarkozy. Mitterrand, le Vichyssois, était trop vieux pour fréquenter l’établissement fondé par son rival abhorré. Il confia à l’entourage le soin d’étudier l’économie des livres. Attali et Fabius s’acquittèrent de notes abstraites. Les nains de l’Ena sont des cyclistes de terrain plat. 
Or l’Histoire de France, à l’instar de la Grande Boucle, se forge dans les étapes de montagne. De Gaulle gagne au Ventoux,  à l’Alpe d’Huez et à Luchon. Il franchit la ligne en solitaire. En revanche, les petits présidents d’intérim sprintent à Bordeaux comme de sympathiques Darrigade. Nos capitaines de petit vélo rechignent devant les raidillons.
Aujourd’hui, les nains de l’Ena sont des géants de l’opportunisme d’Etat. Aucune grande querelle n’élève ces apprentis rebelles. Ils ont flanqué dehors les sans-papiers de la scolarité : Fillon, Valls, Hamon. Ils tiennent les manettes avec des pincettes, les menottes bien serrées des récalcitrants patriotes. Ils ne lâcheront pas le pouvoir comme ça. Ils pratiquent la passe à dix, exécutent l’entre-soi incestueux, sur un terrain de jeu à leur mesure. Je les nomme par taux de fréquence des selfies. Macron 1er, sorte de Kouchner, jeune et premier. Il est suivi d’Edouard,  le dégingandé, l’échalas du Havre, Edouard le deuxième, comme le pape Jean-Paul, mais à cause de Balladur. Donc Macron, suivi d’Edouard et Bruno, tandem de haine mutuelle, un classique de la République. Puis vient Wauquiez, le méchant d’Auvergne, ancien gentil des taudis du Caire, et derrière, Philippot, le paroissien de Colombey, Croix de Lorraine au veston de clergyman. J’ajouterai une diablesse. Je boucle avec Pécresse et je diminue l’amende du non-respect paritaire. : cinq gars et une fille de l’Ena. En voilà six qui se prévalent du Général, six énarques qui se rêvent en Jeanne d’Arc. Ils ont raflé la mise. Le désert politique français,  c’est l’Ena et puis rien, sorte de Paris sans la province. Dans quinquennat, il y a « Ena » avec une faute d’orthographe. C’est cela La Révolution. Les nains de l’Ena ont l’Etat bien en main.
Les coups de sang de Mélenchon sont l’outil de communication idéal pour légitimer une douce technocratie, conforter l’experte aristocratie qui quadrille un pays à qui tout sourit, à commencer par les selfies d’un président qui se croit tout permis.
Mais des nains, pourquoi des nains ? Parce que ce sont des serviteurs. Ils appartiennent au larbinat d’Etat. Le mot « ministre », suffixe « mini », le dit suffisamment. Ils sont aux ordres du maître, celui qui exerce un magistère, suffixe « maxi ». La question est donc la suivante, sempiternellement la même depuis les origines de l’Etat : ils servent qui et quoi, ces braves gens ? La réponse est aussi complexe que la prétendue pensée de l’actuel président, chevalier servant du peuple de France.

mercredi 30 août 2017

Mireille manque

J'ai hésité avant de griffonner, d'y voir clair dans ma tristesse. Mireille Darc savait caler sa chevelure, se pelotonner contre une épaule d'homme, poser sa cambrure d'adorable grande bringue.
C'était une amoureuse, doucement orgueilleuse. Soudain, on se réveille sans Mireille et son joli dédain. Elle était simple, joueuse, légère. Elle fredonnait ses fredaines. Elle était la fiancée, libre comme l'air, des meilleurs et pires Lautner. Mireille manque. Sa mort interroge, questionne les hommes sur la splendeur d'une féminité.

mardi 23 mai 2017

L'un porte, l'autre coche

Ouf ! Le projet qu’il « portait » est arrivé à quai. La révolution qu’il porte ne restera pas lettre morte. Macron a soulevé les foules avec un projet porté. Ses épaules sont d’acier comme son regard bleuté. Notre prince martial a des biceps d’haltérophile. Il brandit ses réformes comme de la fonte, bombe le torse et s’éponge le front. Cet athlète gros porteur exhibe un abdomen de lutteur de foire.
Je l’exhorte à surveiller son dos sollicité. Autant que ses mots de communiqués. On peut se tordre la colonne à en faire des tonnes. On rature un mot. Pas grave. On se fracture le dos. Plus grave. Le mal dorsal guette le jeune Emmanuel.
Edouard s’interdit de porter quoi que ce soit. Il est dégingandé d’avoir trop boxé. Assez cogné. Edouard, il coche. A écouter la bonne presse, il coche même toutes les cases. C’est pourquoi il a raflé le premier des ministères comme on valide un questionnaire. On ne peut pas décocher des flèches assassines sur une cible qui coche l’intégralité des cases. Edouard épouse la cause du peuple avec ses maudites cases. Il est intelligent. Il ne lui en manque aucune. Une seule lui ferait défaut, on le traiterait d’idiot.
Je traverse la rue et j’achète mon recueil de sudokus, niveau « Makiavélic ». Machiavel m’instruit la cervelle à défaut de conseiller Emmanuel. J’éparpille mes chiffres sur les grilles. Je coche sans tricher. Je sais le bonheur de remplir toutes les cases au crayon noir. Quand je rate, j’envie Edouard qui coche sans que rien ne cloche. Il m’épate, Edouard. Lui et son n plus un se démènent comme de beaux diables : l’un porte, l’autre coche.

jeudi 18 mai 2017

L'audace, les burettes et les traîtres

Il y a de tout dans ce gouvernement, même Bayrou. Chaque danseur de ministère hérite d’une cavalière paritaire. Le jeune despote est très entouré, ceinturé du cordon de sécurité des oncles de proximité : Collomb, Le Drian, Ferrand. S’ils sont socialistes, c’est parce qu’ils sont vieux. Il faut respecter les pedigrees du passé. Le maire de Lyon ne sanglote plus comme une madeleine. Il trotte comme un lapin, visite les commissariats avec une caméra, serre les mains qui pendent sur son chemin. Bref, il joue à fond la carte de la révolution.
Hulot est là. On s’étonne que Noah n’y soit pas. Son patrimoine n’est sans doute pas celui d’un moine. La société des vrais gens sans entregent est illustrée par les profs et les pédégères du CAC 40. On sait que les PME ne sont pas au mieux sous nos cieux brouillardeux. Nos petits patrons sont bannis de la représentation du pays. Ils sentent le soufre, le populisme à plein nez.
Autrement dit, il manque - non pas Minc, il est partout -, il manque à la belle alliance d’Edouard un garagiste de Loudun, à doigts cerclés de cambouis, un Monory lourdingue, rugueux, madré, à trogne de Galabru bourru. Séduire l’opinion avec de mignons sourires est le schéma de communication, directeur, marcheur, jusqu’aux élections de Palais Bourbon. Le gouvernement d’Edouard coalise les amateurs de traîtrise, installe à leur aise ses squatters de ministères. L'audace de l'épure est de nommer une éditrice à la Culture.
Jadis, de Gaulle évoquait les centristes, les élus du marais, en des termes colorés : « Ce sont des enfants de chœur qui auraient bu les burettes ». Dieu et l’Europe, les totems des bonnes âmes, disposent de solides portefeuilles: Blanquer, Goulard, Le Drian. Un toubib à la santé n’affranchit pas des nababs des laboratoires, de la prison des lobbies. Un prof à la Recherche ne préserve pas des corporatismes d’usage. L’homme de l’art ne garantit pas de l’indifférence aux intérêts des pairs et confrères.
Il faut que le buste de Macron s’incruste dans l’opinion. Je me décoiffe devant sa posture martiale, gravée en image d’Epinal. Son tour des Champs-Elysées, en véhicule de combat, encadrés d’un quarteron de généraux galonnés, est désormais l’acte fondateur du despote patriote.

mardi 16 mai 2017

Griffe d'escogriffe

Il ruse avec le hasard. L’escogriffe brouille les pistes, consent au poste honorifique. Il boxe des deux poings. Sa droite flanche. Il esquive du gauche. Il craint l’uppercut d’un peuple souverain.
Au jeu des visages, il ressemble à Darroussin, l’excellent comédien. On savait que Berling avait prêté sa tête de beau quartier au locataire de l’Elysée. Les premiers noms du casting ont été testés par un institut de marketing. Le film est tourné en cinq semaines sur les lieux des vrais gens, en décor naturel. Titre provisoire : « Législatives pour l’histoire ».
Dans la cour de Matignon, le double mètre d’Edouard Philippe serre les mains de la famille, disposée en rang d’oignons. L’échalas d’apparat s’acquitte de sa besogne, piaffe d’impatience d’en finir de sourire à la dernière trogne. La feinte empathie n’a pas de prix. Il enjambe les marches du perron, débarrassé de sa pesante bonne action.
Les dieux tutélaires de la République sont convoqués dare-dare. Ils légitiment la grenadine des discours protocolaires. L’escogriffe chipe Blum et Mendès, ajoute de Gaulle et Clémenceau, martèle Juppé.
Or l’escogriffe commet sa première gaffe. Il a suffi d’un oubli pour qu’il se disqualifie. Chirac ne figure pas parmi ses mentors historiques. Il rature, biffe l’action d’un visionnaire grandeur nature. Chirac est grand par son refus téméraire des malheurs de la guerre. A l’obligatoire JT du soir, l’escogriffe réitère son coup de griffe, tacle nommément Chirac.
Me choque l’entêtement du débutant à dézinguer Chirac. Moi j’aime bien le grand Corrézien. Chirac va mourir, est mort, nous évitant le pire. Cet homme, fêlé de l’intérieur, - qui ne s’aime pas -, livre à notre mémoire un sens énigmatique, saturé d’interrogations millénaires.

lundi 15 mai 2017

Les papouilles de palais

Macron dispose désormais de la légitimité de tapoter la joue de ses aînés. Il se venge sans délai des suspectes privautés du dernier locataire de l’Elysée. La caresse de nuque du 8 Mai a ranimé sa niaque. Dès lors, Macron se libère d’une réserve de gentil junior. Il passe en revue le cercle d’une vieille garde chenue. Il dégrade du regard. Bayrou est giflé sur l’oreille décollée ; Collomb est empoigné aux épaules, secoué comme un prunier ; Ferrand fait l’objet d’une bourrade sur l’omoplate. Macron leur pince le menton avec un aplomb de chef divisionnaire. Cette forme de majesté est un pied de nez.
L’observation des papouilles de palais instruit sur le déroulement de la bataille électorale. Le décryptage des attouchements de primates républicains nécessite une scrupuleuse attention de politologue averti.
La gourmandise de Macron à palper la joue de son quarteron de vieux tromblons signale une réactivité de guerrier revanchard. Il se souvient des petites humiliations de stagiaire de gouvernement. Il inverse le rapport de forces, se saisit de l’autorité mordante d’ordonnance, s’octroie le droit d’affectueuse fessée.

jeudi 11 mai 2017

Les bougainvillées de Chouiter

Nos dirhams datent. Le despote n’a pas la bouille adéquate. On n’a pas le bon roi sur nos billets de papier froissé. Maria rit du vieux souverain de parchemin. Personne n’en veut. 
Maria est la reine du palais, la maîtresse de l’Atlas. Elle nous traite aux petits oignons, dresse une nappe devant l’horizon. La ronde Andalouse sert une soupe au poivron vert face au soleil du désert. La journée claudique. C’est la soie du soir qui se pose sur la peau.
Maria s’applique à sa besogne, chasse les miettes et les mouches, nous interroge d’un mauvais œil. La cuisinière est cachottière. Son sourcil noir délimite une frondeuse bouderie. Elle mord sa lèvre, faute d’extraire le mot qui colle à sa colère. Maria met les pieds dans le plat. 
« Il n’a pas beaucoup de charisme, votre petit caudillo. Ses yeux sont trop bleus. Des pommes ici, sur les marchés, on dit qu’elles sont trop vertes ». 
La soupe de Maria me rappelle celle de Nicolas de Staël, le type d’Antibes, les derniers soirs, comme une prière, un bénédicité, une fixité. Maria, sous le grand ciel de Chouiter, nous révèle un mystère, confie sa joie, fait du gazpacho le choix de notre écuelle. Maria s’est retranchée dans ses quartiers.
Elle dit ce qu’elle pense, je pense à ce qu’elle dit. Je me résume. J’ai voté Lance Armstrong, un champion cycliste à sourire métallique. M’emballe moyennement le symbole pyramidal, dans le dos du jeune homme qui pédale. Je songe au mensonge. Maria est revenue, sert une deuxième louche, ne parle plus. Je récite dans ma tête : tomate en forme de poire, carotte, poivron, concombre, mie de pain, huile, vinaigre et basilic. C’est sa profession de foi. C’est son code du travail.
Les bougainvillées, ocre, mauve, rose, se sauvent au-delà des murets délabrés. Je ne sais si j’ai vieilli comme un vin ou un mauvais écrivain. Dans cette banlieue de Marrakech, aucun homme ne se fâche ni ne se dépêche. Le muezzin communique à l’abîme sa rumeur de moteur. La lumière dégouline sur la prière.
Je ne déchiffre pas l’écriture hiéroglyphique des hauts palmiers entaillés. Mes réminiscences ont des points de tangence. J’étale ma peau au soleil comme je dispose, pareils, mes mots sur la feuille. Et j’attends. J’attends le moment meurtrier. Le moment de tuer, de griffer l’éternité.
J’aime voir la tourterelle s’abreuver à l’eau frivole du bassin. J’ai tout le temps que je veux vers la mort. J’ai ajusté mes besoins à mon destin. Je suis loin de vouloir parler après le signal sonore. Le cuicui d’oiseau me suffit.
Azzedine, le mari, me serre la paume. Il me tient la main en propriétaire terrien. Le verger des orangers, citronniers et figuiers a nécessité quatre années d’opiniâtreté. Il me raconte ses jours de petit valet. La Mamounia a été esquintée. La vieille clientèle a pris la poudre d’escampette. A Noredine, l’arpète, il tend une cigarette.
Un blé sauvage, irrégulier, encercle les oliviers concassés. Le regard noir de Maria ne me dit rien qui vaille. « Pas beaucoup de charisme ». La grosse Espagnole ne renie pas sa parole. Ses yeux sont impérieux. J’ai voté pour un pastiche de Jean Moulin, un mauvais comédien, une sorte de Charles Berling, de Charles de Gaulle de pacotille.

lundi 24 avril 2017

Macron 1er

Macron séduit les patrons, un peu moins les corons. Le fils de Hollande apprécie les paillettes et les guirlandes, la discrétion comme Sarkozy et le grand monde à la Rotonde. Il sourit à Paris, aux embrassades de brasserie. Il lève les poignets comme un haltérophile un peu niais. Sur la scène, main dans la main, on dirait Stone et Charden, on croit revoir la morgue sympa des temps giscardiens.
Fillon s’est pendu dans sa prison. L’humiliation est le prix de sa vilaine action. Il est déjà déchiqueté par les vautours saisonniers. Il n’a pas volé sa conduite de petit valet.
Mélenchon est en rogne. Mélenchon ronchonne un texte en vers de mirliton, aussi alambiqué qu’un nullissime poème de Christiane Taubira.
Hamon avale. Hamon avale une couleuvre, deux couleuvres, trois couleuvres. Il n’y aura pas d’ordonnance sur les perturbateurs endocriniens.
Le Pen exulte au spectacle réjouissant de l’uhèmepéesse renaissant. D’avance, Marine se pourlèche les babines. Elle a désormais le monopole de la grande gueule.
Le candidat Abstention manque d’un cheveu la première place en finale. Macron devra composer un gouvernement avec ce parti réfractaire, au silence encombrant.
Les primaires n’étaient ni faits, ni à faire. Elles ont été improvisées pour dissuader les tueries d’écuries. Ratage dans les grandes largeurs. Elles n’ont économisé ni l’échec cuisant ni le charnier des petits roitelets. La machine à perdre, venue d’Amérique, n’aura servi qu’à différer les lynchages et les représailles d’appareil.
Macron 1er, despote d’une république des potes patriotes, a l’embarras du choix pour nier la réalité : le pompilisme (Barbara, chef de file), le collombisme (Gérard, petit patron) ou le modémisme (le faux frère de Lassalle).

vendredi 21 avril 2017

Racine aujourd'hui

On s’égare dans des chemins bavards. On promène une mauvaise mine dans des impasses de magazine. On s’intoxique de petite politique.
Il est des hommes, plus grands qu’eux-mêmes, qui héritent de l’exact patronyme : Chateaubriand, Racine. Ils sont au fondement d’un vivre ensemble impérissable.
Je sors du Vieux-Colombier, où Artaud, le Mômo, hallucine encore la scène. Racine aujourd’hui ressuscite un vertige, un sentiment d’abîme, illumine une histoire racontée par des corps. Il a l’âge du Christ en croix. Il écrit sa turquerie, incorpore l’amour, le pouvoir et la mort à sa fatale songerie. Aux tourments d’une sultane ottomane, il mêle l’éclat splendide d’une rigueur alexandrine.
Gracq a fui l’oflag de Silésie. Il vit la guerre et l’imaginaire. A trente-trois ans, à la gare d’Angers, il s’émeut de Bajazet. Il fixe le sanglant récit au ciel étoilé de ses Préférences (José Corti, 1951) : « Bajazet est sans doute la plus pure des tragédies de Racine. »
Quand on est un peu vieux, qui plus est dur d’oreille, on aime voisiner les premières loges, frôler au plus près le texte des lèvres, s’asseoir à la source d’une souveraine beauté. Au quatrième rang, je suis calé devant l’absence du sultan, à bout portant des confidences, d’un soleil qui rutile, qui figure un sérail. Amurat étend son ordre à ne pas être là. On ne voit que sa loi. Il n’a d’autre corps qu’une obsédante odeur de mort, que la venimeuse passion d’un pouvoir exercé, que la jouissance perverse d’une vengeresse cruauté. Dieu n’a pas d’yeux.
La scène entière est blanche du sang caché, maculé dans les arrière-pensées d’un opaque gynécée. Un bataillon d’escarpins évoque Amurat, reproduit l’assaut babylonien. La parade fétichiste signe un ouvrage d’artiste. Le texte est rythmé de mille pieds invisibles.
J’écoute l’idiome racinien comme un homme, auprès des siens, se recueille. Dans ce labyrinthe byzantin, je sais d’instinct à qui j’appartiens. Je m’agenouille devant la dépouille. J’égrène un chapelet à la gloire d’une sonorité. La beauté n’octroie qu’une vérité, justifie seule d’être né. En revanche, elle ne souffre pas la moindre faute de majesté. Au renégat, elle ne pardonne pas.
Le lieu cloîtré du gynécée est piqueté de souliers secrets et de hautes armoires domestiquées. La pièce est un espace de sensations traîtresses, irrespirable comme un destin inexorable. La tragédie de Racine mène aux ultimes lacets d’une meurtrière bottine. La rivale Atalide suffoque sa passion jusqu’à la strangulation finale. Rebecca Marder est une comédienne fière, sublime de caractère. C’est une amoureuse fiévreuse, lumineuse dans sa pureté d’origine. L’admirable pensionnaire du Théâtre-Français prête au texte une jeunesse endiablée. Elle côtoie sans rougir les prouesses de Clotilde de Bayser (Roxane) et Denis Podalydès (Acomat).
Dans la rue, vers Le Lutetia, les vitrines réfléchissent nos bobines. J’ai le haut d’une joue mouillé. A la sortie, je sais qui je suis. C’est drôle. J’ai l’air égaré mais je me suis retrouvé. Racine chuchote à mon oreille le secret d’une identité. Je revendique la langue française comme seule et unique patrie. Ailleurs, je me trimbale en terre étrangère. Les panneaux de bureau de vote affichent un casting. Dans l’isoloir, l’absence de bulletins Racine se fait sentir. Je me terre dans une colère. Je voile mon choix d’un rideau noir.

mercredi 19 avril 2017

Les minus du scrutin

Dans la cour de récréation de mon enfance, les caïds de préau faisaient régner la loi, exerçaient leur terreur sur les minus en culottes courtes. Les mêmes costauds s’appropriaient l’aire de jeu. Dans la course à l’Elysée, certains dossards sont tolérés comme des petits boursiers à la grande école. La démocratie s’applaudit, se regarde le nombril. La République s’extasie de ses valeurs méritocratiques. Les petits candidats sont costumés en habits d’apparat. Montrer le bout de son nez nécessite de s’endimancher. Seul le candidat du labeur revendique un maillot de corps.
Ils se tiennent à carreau, les porteurs d’eau. Ils savent que les médias sont les chiens de garde des caïds, qu’ils ne respectent que le campionissimo, pas le gregario. Les minus du scrutin sont soumis à la question gourdin des apprentis Bourdin. Ils sont raillés parce qu’érudits. Leurs sommaires interrogateurs se vengent ainsi d’être moins instruits. Ils brutalisent les jeunes élèves, les ringardisent avec gourmandise. Dans la catégorie des petits, ils ne préservent que la gauche extrême, les chantres de la vraie révolution. Moi je suis insensible au dogme ouvriériste, je suis allergique aux discours mécaniques des deux champions de l’expropriation capitaliste. J’ai la nostalgie de Krivine et Laguiller.
En revanche, j’écoute Asselineau qui n’est pas une tête de linotte. Il est gaullien par le maintien. Il fait doyen de n’importe quel machin. Il développe ses arguments sans tremblements. Il impose sa stature comme une seconde nature. Il moque la provincialité de l’Europe. Bref, il élargit la géographie, taille la politique dans l’universel, réhabilite une dimension mondiale. Pour paraphraser Morand, « il ne conçoit l’Hexagone qu’inscrit dans la sphère » (Venises, Gallimard, 1971). Des innombrables rejetons du Général, il n’est pas le moins légitime.
Cheminade tonne contre une financiarisation délétère qui asservit les peuples, appauvrit les économies, déboussole une société en perte de repères. Lassalle dit la même chose sur fond de ruralité morose. Les trois minus se plaisent au dissensus. Ils indisposent les répétiteurs, les perroquets de l’actualité, fâchés avec leurs fiches numérotées. Ils troublent la tranquillité des plateaux de plate démocratie. Ils attentent au formatage des opinions. Ils sont qualifiés d’excentriques. Les médias médisent à l’envi des petits candidats. Ils les apparentent à des compétiteurs de poche. Ils leur préfèrent les candidats de souche. Tout se passe comme si les idées étrangères avaient des figures patibulaires. C’est pourquoi elles font l’objet de suspectes risées médiatiques.

mercredi 12 avril 2017

Un révolutionnaire exemplaire

Il a griffonné Révolution. A-t-il usé d’un nègre, d’un assistant littéraire ? Il est révolutionnaire, n’a pas l’air rangé des autocars. Avant, je prenais Macron pour Boris Vian. A cause du petit président Hollande et de ses bajoues de trompettiste. J’ai changé d’avis. D’auteur de La Pléiade, aussi. Car Macron, c’est Jean d’Ormesson. Il est académicien, en bon tacticien. La voix est perchée dans les sonorités Bruel. Il arbore un sourire à guérir les écrouelles. Emmanuel lève le nez au ciel. Il regarde les nuées sur la pointe des pieds.
La dernière décennie a rabougri le pays. La politique s’organise à la sauvette. On vit une période talonnette de la République : Sarkozy, Hollande, Macron. Les grands dadais ont débarrassé le plancher. De Gaulle, Giscard, Chirac se sont faits souffler les hochets de l’Elysée. Le sérail admet désormais les petites tailles. Macron la crevette aspire au rond de serviette présidentiel. Comme d’Ormesson, Macron soigne le bon ton, pointe le menton vers les beaux horizons. Il quitte son visage sans couper la lumière. Il n’éteint jamais son sourire. Il sait l’élargir pour le bonheur d’une rosserie. Etre de bonne compagnie, c’est servir les intérêts supérieurs du pays. 
Il a du cœur, lu Ricoeur. Il enjambe les échéances avec les dents de la chance. Le fils de toubibs vante l’argent des nababs. Il est épatant à plein temps. C’est un guerrier authentique de l’économie numérique. Il est prolixe en paradoxes. Il évacue le vieil Aristote et son principe du tiers exclu. Il fait taire les contraires. Sa logique est fondée sur la solidarité des chics types. A cause de ses autocars, il restera dans l’Histoire. Emmanuel est le prénom favori des manuels. Il aura démarché des tas de marcheurs. Il écrira une suite à Révolution, peut-être une saga sur l’ambition, revêtira comme Giscard l’illustre habit vert. C’est le costard réglementaire qui sied aux auteurs de textes divers. Parolier de Nabilla, pétillant de sympathie, il succédera à Dabadie, déjà centenaire, achèvera Quai de Conti sa carrière de révolutionnaire exemplaire.

mercredi 5 avril 2017

Mes chers compatriotes

Il y a des pupitres. Il y a un pitre, qui fait bande à part, snobe la photographie d’équipe, exhibe un dos réfractaire à la caméra. Macron, chic type, tend la main à l’ouvrier qui s’en tape. La brebis égarée a sa fierté.
Le flanc gauche est occupé par un trio d’énarques, le milieu appartient à un tandem de femmes, l’aile droite est l’exil d’un homme triste. Lassalle parle une langue de rocaille, Poutou un idiome tout en gouaille. Cheminade n’est pas cheminot, ne chemine guère avec les beaux marcheurs. Il cogne Macron au corps, à son talon d’Achille : « Vous êtes d’accord avec tout le monde ! »
Fillon est oublié à l’aile, ne touche pas un ballon, lève les yeux au ciel. Asselineau préside le conseil d’administration de la nation. Il récite des articles de traité comme des poèmes de Mallarmé, dans une posture marmoréenne.
Marine Le Pen est habillée en veuve bretonne, porte le deuil de ses haines. Hamon a changé de cravate : mauve pâle au détriment du bleu horizon. Dupont-Aignan est saignant. Il conteste à Mélenchon la figure du grognon.
A la fin des quatre heures, on sonne les sondeurs pour savoir qui croire, comment y voir clair, pour qui s’émouvoir. Résultat du grand fatras : Macron fait rêver par ses bons sourires, Mélenchon éblouit par ses méchantes colères. Moi, Lassalle m’épate avec ses entames sans litote : « Mes chers compatriotes ».

lundi 3 avril 2017

Un rire de granit

Dans l’avion qui griffe le ciel d’Atlantique, je lis Maison Jaune. A trente-trois ans, on est mort ou père de famille. Ce qui est la même chose, plutôt deux fois qu’une.
En route pour l’Amérique, j’ai rencontré Dominique de Roux dans ce drôle d’oiseau corridor. Un long bruit d’étoffe venait des réacteurs. D’autorité, j’ai décidé pour l’urgence : livre d’honneur. « Ce qu’il me fallait écrire là, c’est précisément le testament de ma jeunesse : l’écriture noire et blanche ».
Arrivée à l’âge des couleurs, des livres peinturlurés qu’on jette à poignées, la littérature s’est enlaidie du cliquetis de ses bracelets. L’écriture noire et blanche, sous-titrée dans la langue d’avant-siècle, se nomme encore cinéma muet. Elle laisse les restes et fioritures, je veux dire le parlant, aux assemblées de non-voyants. Car la couleur des origines, c’est la lumière de ciel par la fenêtre. D’où vient le luxe. Et les ombres s’y dessinent à plaisir.
Chienne de lecture que celle de Maison Jaune, émaillée d’images de passe qui en filtrent l’accès. Aux premiers jours, la liberté est indémêlable de sa grande sœur, la fatalité. Toujours ensemble, ces deux-là s’entendent comme larrons en foire, nous trompant à l’excès derrière des masques de loups.
Pour arracher le vocabulaire, il faut un retour aux sources. L’auteur de Maison Jaune est un bandit de grands chemins qui taraude la terre, couleur d’emballage, et chaparde les souvenirs aux branches, de ses poignets veinés d’encre.
Dominique de Roux rôde sur les lieux d’un crime, sur les traces d’une jeunesse de sang. A la lettre, il écrit un livre de bras d’honneur. A mesure des chapitres, à mesure des cassures, les cercles s’amenuisent sans jamais neutraliser la proie du temps qui passe.
L’écriture est celle d’un grand brûlé. Trouée comme un damier. Avec des taches de soleil sur le parquet des mots, couleur de missel. L’écriture grince pareille au bois de marqueterie, dans un cri d’os qu’on esquinte mais qui ne fléchit pas.
Ce livre fait figure de débarras splendide, où vieillissent  des pans de joie, où rutilent à peine déballée des fiancées mortes : « La mer, le soleil, les marées de fleurs et d’oranges, la Sicile merveilleuse. On fait tant de bicyclette, de tours en barque, de batailles de pamplemousses, et tout est si beau que je voudrais que vous voyez ».
Il entasse les cartes postales anonymes, New York et Wilhelmine, les maîtres Gombrowicz et Pound, les petits aussi, emmêlés dans leurs chaînes. Autant de paragraphes qui se querellent dans un embrouillamini de roi. Il y a plusieurs images-seconde qui se chevauchent. Et à la fin du livre, histoire de brouiller définitivement les pistes, la pellicule casse une fois pour toutes.
Dans l’avion, un œil dehors, j’avais les mots du poète pour lire le monde, si bas de plafond soit-il : « …détresse que les passants appellent brouillard et qui est l’ivoire réduit à ses nervures… ».
Ce petit livre appartient à la tradition noire des recueils de prière, dont les mots se cabrent en faisant signe. Sur les visages, la mort souffle au plus près, leur donnant ce genre de beauté travaillée, si hautement sophistiquée.
Je sais un peintre dont les plaies luisent au mur des galeries. A livre ouvert, j’y reconnais l’écriture, ébouriffée d’élégance, de Dominique de Roux. La poésie lacérée de cet homme est faite au couteau. Dans le secret de l’écorchure. Dominique de Roux imprime ses à-coups, joue avec le feu.
La primitivité de plume est signe d’une civilisation de princes. Avec faste et mots de moine. Sur la page, des fragments de dureté précise se détachent comme éboulis de marbre. Dominique de Roux annonce la couleur : « Aristocratie et peuple sont du même bois. Et quand l’aristocratie est vaincue, le peuple est exclu ». Entre-deux, la morale des vainqueurs, gens des bourgs, qui manquent de corps, désespérément. Cette variété-là fait eau de partout, « inflammable pour n’importe quelle connerie ». De prime abord et jusqu’à mort d’homme, le courage aguerrit les meilleurs et les meilleurs seulement. De Céline, disait-il : « Ecrire, ce n’est ni faire carrière ni prolonger ses humanités. Il faut avoir la force, ne servir que sa vision ». Ou le rire de granit des statues de Fulda.

jeudi 30 mars 2017

Pénélope guette

Pénélope est discrète au point de fuir les témoins, de travailler en cachette, de camoufler un job. Elle exécute une tâche, à gestes comptés, à la manière d’une chanteuse triste qui susurre un texte minimaliste, sans tonalité brusquée, avec un peu d’ennui, sans doute une lassitude. On songe à Françoise Hardy.
Pénélope guette à son corps défendant, expose un masque sévère, une rigueur d’Angleterre.  Elle est figée, presque apeurée, comme un gibier débusqué par des phares de braconniers.
Pénélope est d’une nature taiseuse. Elle tisse, n’en déplaise à la Justice. Elle se conforme en pratique au modèle homérique. Sa tapisserie est une œuvre infinie, le travail de ses nuits, le fruit de patientes décennies.
Le secret est une denrée surannée, d’un usage suspect, à l’heure des vulgaires déballages. Pénélope est cloîtrée dans un for intérieur. « Dans mon pays, on ne questionne pas un homme ému ». La Galloise de l’histoire n’est pas d’humeur gauloise. Elle lit René Char. Il est tard et ses yeux sont rougis.
Les détenteurs de secrets sont des conservateurs. Parce qu’un secret, on le garde. Par définition. Un secret ébruité, c’est comme un vin éventé, c’est une faute, un péché, un manquement au devoir d’assermentée.
Les hommes de loi tourmentent une femme de foi. Les aveux d’interrogatoire sont des crachats extorqués. Allez donc savoir ce qu’elle fait de ses heures, Pénélope, dans son manoir paumé !

samedi 25 mars 2017

L'Europe, "maison d'hôtes"

L’Europe est un jeu de Lego stoppé, un chantier abandonné d’enfants velléitaires. Elle est  trouée, rafistolée, mal embringuée. Elle s’est arrêtée, en plein siècle, au pied des difficultés, hébétée devant la réalité. Elle est ratatinée entre l’Amérique et la Chine. Elle est courbée à force de domesticité. Elle est en rade, ridée par les années. C’est un continent, étranger à l’Orient. C’est une femme voilée dans une bannière étoilée. L’Europe a démissionné de ses responsabilités. La Russie l’éconduit avec mépris, se rit de sa diplomatie de petit commis.
Or l’Europe est une survie provisoire, une nouvelle frontière d’après-guerre ; Juncker, l’avatar d’un rêve de grandeur. Le mensonge s’est glissé dans un songe. Car, si l’Europe était dotée d’un pareil enjeu, alors pourquoi diable la confier à de mièvres valets, d’obscurs seconds couteaux, recalés des scrutins cantonaux ? 
On ne peut croire à une Europe, établie en « maison d’hôtes », considérée comme lot de consolation des Barnier, Moscovici et autres routiers du peloton, déçus dans leurs ambitions. L’Europe ne sera aimable, regardable par ses peuples, que si les meilleurs des sphères de pouvoir la choisissent d’emblée par passion au détriment de leur nation. Sans quoi, l’alambiqué Meccano des Monnet, Schuman et autres Gasperi n’est qu’une médiocre supercherie, une menterie supplémentaire des démocraties. Il indisposera, au fil des mandats, comme une usurpation de la souveraineté des nations.

mercredi 22 mars 2017

Beau, riche, intelligent

Etre beau, riche, intelligent. Le choix d’une carrière de pouvoir – la politique, par exemple – se justifie d’une considération intellectuelle qui vaut légitimité. Aux yeux des prétendants, l’assentiment du peuple décerne un brevet d’intelligence.
Après quoi, le chemin d’une renommée peut s’ouvrir, la route de la notoriété s’éclaircir. Les médias interviennent alors sur ce sentier, à coups de publicité, fabriquent un regard, formatent une gloire, petite ou grande. Selon ses moyens. L’homme politique était intelligent. Il est beau désormais puisqu’il court les plateaux.
Reste l’argent. Les picaillons comme ultime horizon. La jalousie est un ressort humain d’une rare vigueur. « Si j’étais dans le privé, je gagnerais dix fois plus ! » L’homme politique s’intoxique de ses propres bobards. Il ment par ressentiment. 
Je me souviens, en page faits divers, d’un ministre empêtré, beau-frère d’un milliardaire, qui s’essoufflait – au mépris des lois et de la morale – à vouloir suivre un même train de vie tropézien. L’anecdote illustre les arrière-pensées, l’envie maladive, obsessionnelle, qui rongent l’élite politique et ses hauts fonctionnaires.
C’est pourquoi pareille noblesse d’Etat se forge un outil électoral sur mesure : le cumul des mandats d’abord - assorti de privilèges fiscaux -, l’emploi fictif familial ensuite, consacré par l’usage.
Beau sur les plateaux, intelligent par définition de fonction, le voilà maintenant riche. L’homme politique n’est pas encore Crésus en Lydie. Il ne concourt pas encore dans la division des patrons du CAC 40. Mais il est suffisamment fortuné pour se comparer au deuxième cercle de son carnet d’adresses. 

mardi 21 mars 2017

François-Emmanuel Ficron

L’équipe des papabile du palais de l’Elysée est composée. Elle est moyennement raccord avec le corps électoral. Les Onze sont tous de la même couleur : ni Noir, ni Beur. Au pays de Jeanne d’Arc, on dénombre 36% d’énarques. Notre nation de belles âmes ne compte que 18% de femmes. Les fils d’ouvriers ne sont guère sélectionnés car peu alphabétisés.
On se demande à qui confier les clés du camion. L’équipe se cherche un patron. Justement, Macron. Macron, patron. Ma langue a fourché. A une consonne près, c’est le patronyme éponyme des hommes de progrès. Rien qu’à l’évoquer, rien qu’à le prononcer, les capitalistes sont optimistes sur leur état de santé.
Fillon est un fils endeuillé, sans doute empêché. Il n’est pas sanguin comme Séguin, au verbe grandement gaullien. Fillon est dans le besoin. Il lui faut Séguin. Une belle voix grave à ses côtés qui galvanise les foules tétanisées. François Baroin mime la voix de son maître en gaullisme et fracture sociale. La voix de Baroin est sa bouée de secours d’orphelin. Bref, Fillon est le pape du casse-pipe.
Ils ont tous une même cravate, un même costume bleu marine, les trois avants de pointe, Hamon, Fillon, Macron. La couleur n’est pas neutre. Elle vise une femme héritière à figure de laitière. Mélenchon fait bande à part avec du rouge et du noir. C’est le portier de l’équipe. Il gardera les buts. Il aime le beau jeu, les bons mots. Il dribble un peu seul avec le peuple.
Il sont six sur le banc de touche: Arthaud, Asselineau, Cheminade, Dupont-Aignan, Lassalle et Poutou. Les doublures ont leur figure des mauvais jours. Si Fillon se claque à l’entraînement, Dupont-Aignan sur-le-champ se dit prêt à le remplacer. En revanche, pas sûr qu’Arthaud se précipite pour suppléer Hamon.
Cheminade et Asselineau, drapés dans des impers mastic, se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Tous deux manquent de temps de jeu. Quand je vois la bouille de Poutou, je songe au sublime Paul Crauchet, l’acteur lunaire de « Bof…Anatomie d’un livreur », vieux film à bel accent soixante-huitard. Avec Lassalle, j’ai du mal. Je le confesse. Sa langue de terroir me paraît traduite du bulgare. Mais qui, diable, va donc gagner la timbale, monter en vainqueur les marches du perron ? Je penche pour François-Emmanuel Ficron.

dimanche 19 mars 2017

La grand-messe des biceps

Ils s’agenouillent, enracinent leurs souliers dans la terre, s’empoignent comme des collégiens de réfectoire, rabâchent une même poussée d’histoire. Leur génuflexion est une piété, une dévotion, une prière au dieu bagarreur. La mêlée galloise s’arcboute, gonfle un dos de chat sournois, quand on lui cherche noise. La pression française fend le paquet d’hommes qui se désosse sur la pelouse.
Tonne contre tonne, la bastonnade de stade bégaie comme un disque rayé, un replay enrayé. L’en-but est une convoitise de force nue. Les Hercule de Galles reculent.
Dans les ultimes minutes, par neuf fois, la muette forteresse se fracasse et s’émiette. Bis repetita placent. Ils se plaisent à plaquer. Le temps s’est arrêté. On baigne dans une éternité sans en-avant. Le match se rue comme un fleuve en crue. Barnes est borgne. L’arbitre est sourd. L’essai de pénalité serait une facilité de sifflet. Il laisse les révoltés de Cardiff à leur destin de Sisyphe.
Les mêlées sont des grands-messes de biceps tatoués. On s’arrache l’hostie à la sortie. Soudain, le limougeaud Chouly dénoue l’imbroglio, inscrit les points qu’il faut sur les i du rugby. Chef de nef, le petit Dupont a pris du galon.

dimanche 12 mars 2017

EM versus FF

EM. Et moi, émoi. Aime-moi. Double EM donne même. Du pareil au même. Emmanuel m’aime. « Farouchement ». Non : double EM n’est pas le même. Il est Révolution. Il tourne sur lui-même. Il est beau comme un astre. Pas sot pour un sou. Frère Sourire nous chante une cantilène de chic type, à la veillée, au bras de sa blonde cougar. Macron, patron. Pardon ! Ma langue a fourché. Macron, patron. A une consonne près, c’est le patronyme rêvé des hommes de progrès, des capitalistes optimistes sur leur état de santé.  
Fillon est un fils endeuillé, sans doute empêché. Il n’est pas sanguin comme Séguin, au verbe jupitérien. Fillon est dans le besoin. Il lui faut Séguin. Une belle voix grave à ses côtés qui galvanise les foules tétanisées. François Baroin mime la voix de son maître en gaullisme et fracture sociale. C’est son Bourdin, doté d’un timbre de radio à séduire la ménagère du matin. La voix de Baroin est sa bouée de secours d’orphelin. FF. Feu, feu. Il y a le feu ! François Fillon fonce vers le prochain scrutin, tous feux éteints.

mercredi 8 mars 2017

Interview écrite

Présentez votre ouvrage, La cicatrice du brave ?
C’est un autoportrait, plusieurs croquis de visage, ratés, peut-être réussis, repris, refaits. C’est un visage qui fuit sa reproduction littéraire, qui va courir les rues à la recherche d’un autre visage. Le livre est composé d’épiphanies, d’illuminations – au sens de Rimbaud -, qui sont autant de tentatives d’y voir clair sur une tête, un visage, une trogne d’homme. Giacometti a vécu cela dans l’exercice de son art. Il a très bien parlé de ces échecs répétés qui sont au cœur de son métier, de sa recherche de la beauté. Je me sens ragaillardi en évoquant sa compagnie.
Quel message avez-vous voulu transmettre à travers ce livre ?
Je ne suis pas facteur. Je ne délivre pas des messages. Je n’écris pas vite. Je tâche d’écrire faste. La beauté de la phrase est le seul enjeu d’envergure de ce raid aventurier qu’on appelle la littérature.
Où puisez-vous votre inspiration ?
Elle vient de la lecture, d’une écoute attentive, d’une fréquentation respectueuse des sonorités des maîtres de la littérature. C’est la langue de ma mère – la langue française – qui me donne cette envie de chair. C’est elle qui me jette dans l’expérience sacramentelle du style. L’écriture sur la page est ma manière d’apprivoiser les paysages et les visages. Je les côtoie comme une joie qui se donne à moi.
Quel est votre personnage préféré ?
Braque disait: “Les preuves fatiguent la vérité”. C’est pour cela que je n’aime pas les histoires. Je n’ai pas d’imagination, mais des impulsions. Simone Weil raillait “l’imagination, combleuse de vide”. Il faut se satisfaire du vide, le regarder dans les yeux. On s’hypnotise du vide. Le vide est un chemin de vie. Et la vie invente davantage que l’imagination n’imagine. Car il s’agit de vérité, d’être vrai. Or il n’y a pas d’autre vérité que celle de l’émotion. Je suis traversé d’émotions éphémères, transpercé de flèches littéraires. Les émotions sont aussi des mensonges, mais des mensonges qui ont le souci de la vérité.
A quels lecteurs s’adresse votre ouvrage ?
Mon petit livre s’adresse aux admirateurs fervents de la langue française, aux intoxiqués de la seule grandeur du style. Il est dédié à tous les inconsolables de la beauté du monde, aux amoureux transis des choses de la géographie, aux amis inconditionnels d’une écriture artisanale taillée dans les couleurs du ciel.
Quels sont vos auteurs/es fétiches ?
J’attribue l’épithète “admirable” à un seul auteur, esthète suprême, rois des rois: Marcel Proust. Je crois que Mauriac parle à son endroit de “prince oriental”. Proust tue le match. Mais j’adore Cruchard, c’est-à-dire Flaubert pour sa nièce Caroline. Je me délecte du Céline de Mort à Crédit, livre grandiose. Je révère la somptueuse prose  d’André Pieyre de Mandiargues. J’aime Jacques Chardonne et Bernard Frank.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
L’ambition première est d’avoir follement envie d’écrire. Il s’agit d’aiguiser cette démangeaison de la passion d’écrire. Il faut  savoir se retenir. N’écrire qu’à bon escient, au bon moment, en guetteur de gibier devant la beauté. Je projette de poursuivre ma série d’autoportraits. Je voudrais réussir un visage avant de mourir, bien que je sache que cette quête est impossible. L’ouvrage que j’ai presque fini s’intitule: “L’amitié de mes genoux”. Le titre est un vers de Saint John Perse.
Un dernier mot pour vos lecteurs ?
Jean Paulhan disait qu’ “Il y a deux sortes de livres: les bons qui ne se vendent pas en général et les autres qui se vengent comme ils peuvent”. J’ajouterai ceci qui tient à ma philosophie. Je sais que la fantaisie de l’écrit se situe hors du cercle de la tricherie.


Paru sur le site de l'éditeur 5 Sens Editions, à l'occasion de la parution de La cicatrice du bravehttp://www.5senseditions.ch/interview-eacutecrite.html
Le livre est mis en vente à l'adresse suivante: https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes-13/90-la-cicatrice-du-brave.html

mardi 7 mars 2017

La médaille de bronze

Il descend les marches de son palais, lentement, comme un condamné obéit à l’injonction de ses geôliers. Il est droit, grave et digne. L’arrogance qu’on lui attribue n’est qu’une forme d’excellence. Il n’est pas dans sa nature de jouer la doublure. Il n’a pas l’échine courbée d’un plan B. Il ne brigue pas la médaille de bronze. Il est agacé d’avoir à le préciser.
Il ne jettera pas une bouée, ni même un regard, au candidat naufragé. Il siège dans le fauteuil de Montaigne. Il maîtrise une colère en son for intérieur. Il renvoie l’obstiné et futur tricard à son « boulevard ».
C’est la dernière fois que Juppé descend de son cheval, sacré bonsoir ! Il dégaine l’épée, un dernier texte ciselé, fait valoir de beaux restes. Mais « une bonne fois pour toutes », il n’a pas le goût de la défaite. Il en recrache le noyau dur du Trocadéro. A vrai dire, il ressent « cette forme durable de la fatigue qu’on appelle le mépris » (Roger Nimier, in Histoire d’un amour).

dimanche 5 mars 2017

Un artificier de la beauté

La mort de Jean-Christophe Averty est une blague des claviers Azerty. C’était un imagier incendiaire, un artificier de la beauté convulsive. La télévision de jadis était exécutée par de vrais artistes. C'était le temps de l'ORTF. La direction appartenait à ses chefs gaullistes, la création était confiée à ses réalisateurs communistes. Pas d'autre choix qu'une seule chaîne d'Etat, certes, mais avec de grands soldats superbes. La télévision de papa était filmée sous la dictée d’hommes de vision. Beckett, Adamov ou Ionesco figuraient au programme de prime time.
J’étais en culottes courtes. Je me souviens des Raisins Verts, l’émission de variétés déjantée qui déclarait la guerre à l’ennui des chaumières. L’art fêlé d’Averty visait le fou rire des familles. Un bébé de couleur violette était débitée à la moulinette. Averty était un dandy, un esthète du sacrifice aztèque revisité. Un zézaiement délicieux commentait le délictueux spectacle. Ce strabisme de la diction exerçait une ravageuse séduction. Averty était un coloriste du noir et blanc, un aventurier de l’image truquée, le poète inspiré d’une 3D pas encore née. Sa photographie était nourrie de textes de fantaisie, des facéties d’Alfred Jarry.
A vrai dire, l’image numérique vient du Collège de Pataphysique. Averty était un pyromane de l’image. Il travaillait les pixels de manière insurrectionnelle. Il illustra Roussel et Cocteau, Gracq et Shakespeare, Apollinaire et Prévert, Picasso et Richaud. Averty a diverti le bourgeois, travesti, perverti le bon goût, sa routine et sa mélancolie. Trop grande gueule pour faire école, il meurt aujourd’hui pour notre malheur. J’avais de la chance d’avoir dix ans dans les années soixante.

Vient de paraître


Si la littérature est votre genre de beauté, si vous aimez Flaubert, Venise et les premières couleurs de l’aurore, alors « La cicatrice du brave » est un ouvrage qui vous est secrètement destiné.

Il est en vente sur le site de l’éditeur 5 Sens Editions : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes-13/90-la-cicatrice-du-brave.html


Il est également disponible à la librairie L’Autre Livre à Paris (13 rue de l’Ecole Polytechnique 75005 Paris).

jeudi 2 mars 2017

Etre chez soi

Des foules de meeting s’époumonent, revendiquent en cadence l’appartenance à une terre de naissance. « On est chez nous ». « On naît chez nous ». C’est le cri des gens d’ici. Ils braillent comme des supporters de Paris, porte d’Auteuil.
Je confesse une même paresse à ressentir une joie d’autochtone. J’ai longtemps résisté à la tentation de me frotter à trois gros bouquins, à la somme de Sartre sur Flaubert. J’avais peur de me perdre, de changer de domicile, de me fourvoyer dans L’idiot de la famille. Je craignais un luxe d’analyses au détriment d’un gai savoir, d’un plaisant style.
Or un soir d’été, j’ai succombé au péché. J’ai pris mes aises dans une somptueuse langue française. Je savais bien que j’étais chez moi à Croisset, que j’aimais l’hospitalité de Flaubert. J’ignorais en revanche que je n’étais pas mal du tout chez Sartre. 
Qu’il ait consacré les dix dernières années de sa vie à « Cruchard » aurait dû m’instruire sur le sérieux de son art. Bref, je me suis délecté des deux corps mêlés. J’ai tourné les pages d’un grand métissage d’artistes. 
J’ouvre aujourd’hui Cantique de l’infinistère (Desclée de Brouwer, 2016). J’ouvre les yeux sur les brûlures de Dieu. C’est l’ouvrage sauvage d’un autre ermite, d’un vrai moine marcheur, mi-français, mi-italien, tout à fait normalien : François Cassingena-Trévedy. Je me suis calé dans son sillage, docile gregario dans les cols, derrière les mots du campionissimo. Le docte bénédictin mène grand train sur les chemins d’Auvergne. Dès les premiers lacets, le premier tome d’Etincelles, il a créé en moi une joie d’homme, un besoin essentiel, une assuétude qui fait loi. C’est une lecture “à l’arrêt”, de guetteur de gibier.
« Où s’en aller prend source ». Les premiers mots éventent un secret, dévoilent une féerie : la magie de la randonnée auvergnate de l’oblat. « C’est du côté de chez soi que l’on retourne».
Frère François ne définit pas autrement son voyage de roi. Il suggère que le départ est un nécessaire retour, un aller chez soi, sans autre loi. Je saisis bien la sorte d’extase du marcheur d’horizon, du randonneur sans leçon. Ce sentiment de complétude, j’en devine la nostalgie cristalline dans un peuple de meeting. Il vocifère des horreurs. Je comprends ce désir d’être chez soi, loin de rien, à demeure et s’y plaire. Quand je lis Flaubert, il éteint ma colère.