jeudi 30 mars 2017

Pénélope guette

Pénélope est discrète au point de fuir les témoins, de travailler en cachette, de camoufler un job. Elle exécute une tâche, à gestes comptés, à la manière d’une chanteuse triste qui susurre un texte minimaliste, sans tonalité brusquée, avec un peu d’ennui, sans doute une lassitude. On songe à Françoise Hardy.
Pénélope guette à son corps défendant, expose un masque sévère, une rigueur d’Angleterre.  Elle est figée, presque apeurée, comme un gibier débusqué par des phares de braconniers.
Pénélope est d’une nature taiseuse. Elle tisse, n’en déplaise à la Justice. Elle se conforme en pratique au modèle homérique. Sa tapisserie est une œuvre infinie, le travail de ses nuits, le fruit de patientes décennies.
Le secret est une denrée surannée, d’un usage suspect, à l’heure des vulgaires déballages. Pénélope est cloîtrée dans un for intérieur. « Dans mon pays, on ne questionne pas un homme ému ». La Galloise de l’histoire n’est pas d’humeur gauloise. Elle lit René Char. Il est tard et ses yeux sont rougis.
Les détenteurs de secrets sont des conservateurs. Parce qu’un secret, on le garde. Par définition. Un secret ébruité, c’est comme un vin éventé, c’est une faute, un péché, un manquement au devoir d’assermentée.
Les hommes de loi tourmentent une femme de foi. Les aveux d’interrogatoire sont des crachats extorqués. Allez donc savoir ce qu’elle fait de ses heures, Pénélope, dans son manoir paumé !

samedi 25 mars 2017

L'Europe, "maison d'hôtes"

L’Europe est un jeu de Lego stoppé, un chantier abandonné d’enfants velléitaires. Elle est  trouée, rafistolée, mal embringuée. Elle s’est arrêtée, en plein siècle, au pied des difficultés, hébétée devant la réalité. Elle est ratatinée entre l’Amérique et la Chine. Elle est courbée à force de domesticité. Elle est en rade, ridée par les années. C’est un continent, étranger à l’Orient. C’est une femme voilée dans une bannière étoilée. L’Europe a démissionné de ses responsabilités. La Russie l’éconduit avec mépris, se rit de sa diplomatie de petit commis.
Or l’Europe est une survie provisoire, une nouvelle frontière d’après-guerre ; Juncker, l’avatar d’un rêve de grandeur. Le mensonge s’est glissé dans un songe. Car, si l’Europe était dotée d’un pareil enjeu, alors pourquoi diable la confier à de mièvres valets, d’obscurs seconds couteaux, recalés des scrutins cantonaux ? 
On ne peut croire à une Europe, établie en « maison d’hôtes », considérée comme lot de consolation des Barnier, Moscovici et autres routiers du peloton, déçus dans leurs ambitions. L’Europe ne sera aimable, regardable par ses peuples, que si les meilleurs des sphères de pouvoir la choisissent d’emblée par passion au détriment de leur nation. Sans quoi, l’alambiqué Meccano des Monnet, Schuman et autres Gasperi n’est qu’une médiocre supercherie, une menterie supplémentaire des démocraties. Il indisposera, au fil des mandats, comme une usurpation de la souveraineté des nations.

mercredi 22 mars 2017

Beau, riche, intelligent

Etre beau, riche, intelligent. Le choix d’une carrière de pouvoir – la politique, par exemple – se justifie d’une considération intellectuelle qui vaut légitimité. Aux yeux des prétendants, l’assentiment du peuple décerne un brevet d’intelligence.
Après quoi, le chemin d’une renommée peut s’ouvrir, la route de la notoriété s’éclaircir. Les médias interviennent alors sur ce sentier, à coups de publicité, fabriquent un regard, formatent une gloire, petite ou grande. Selon ses moyens. L’homme politique était intelligent. Il est beau désormais puisqu’il court les plateaux.
Reste l’argent. Les picaillons comme ultime horizon. La jalousie est un ressort humain d’une rare vigueur. « Si j’étais dans le privé, je gagnerais dix fois plus ! » L’homme politique s’intoxique de ses propres bobards. Il ment par ressentiment. 
Je me souviens, en page faits divers, d’un ministre empêtré, beau-frère d’un milliardaire, qui s’essoufflait – au mépris des lois et de la morale – à vouloir suivre un même train de vie tropézien. L’anecdote illustre les arrière-pensées, l’envie maladive, obsessionnelle, qui rongent l’élite politique et ses hauts fonctionnaires.
C’est pourquoi pareille noblesse d’Etat se forge un outil électoral sur mesure : le cumul des mandats d’abord - assorti de privilèges fiscaux -, l’emploi fictif familial ensuite, consacré par l’usage.
Beau sur les plateaux, intelligent par définition de fonction, le voilà maintenant riche. L’homme politique n’est pas encore Crésus en Lydie. Il ne concourt pas encore dans la division des patrons du CAC 40. Mais il est suffisamment fortuné pour se comparer au deuxième cercle de son carnet d’adresses. 

mardi 21 mars 2017

François-Emmanuel Ficron

L’équipe des papabile du palais de l’Elysée est composée. Elle est moyennement raccord avec le corps électoral. Les Onze sont tous de la même couleur : ni Noir, ni Beur. Au pays de Jeanne d’Arc, on dénombre 36% d’énarques. Notre nation de belles âmes ne compte que 18% de femmes. Les fils d’ouvriers ne sont guère sélectionnés car peu alphabétisés.
On se demande à qui confier les clés du camion. L’équipe se cherche un patron. Justement, Macron. Macron, patron. Ma langue a fourché. A une consonne près, c’est le patronyme éponyme des hommes de progrès. Rien qu’à l’évoquer, rien qu’à le prononcer, les capitalistes sont optimistes sur leur état de santé.
Fillon est un fils endeuillé, sans doute empêché. Il n’est pas sanguin comme Séguin, au verbe grandement gaullien. Fillon est dans le besoin. Il lui faut Séguin. Une belle voix grave à ses côtés qui galvanise les foules tétanisées. François Baroin mime la voix de son maître en gaullisme et fracture sociale. La voix de Baroin est sa bouée de secours d’orphelin. Bref, Fillon est le pape du casse-pipe.
Ils ont tous une même cravate, un même costume bleu marine, les trois avants de pointe, Hamon, Fillon, Macron. La couleur n’est pas neutre. Elle vise une femme héritière à figure de laitière. Mélenchon fait bande à part avec du rouge et du noir. C’est le portier de l’équipe. Il gardera les buts. Il aime le beau jeu, les bons mots. Il dribble un peu seul avec le peuple.
Il sont six sur le banc de touche: Arthaud, Asselineau, Cheminade, Dupont-Aignan, Lassalle et Poutou. Les doublures ont leur figure des mauvais jours. Si Fillon se claque à l’entraînement, Dupont-Aignan sur-le-champ se dit prêt à le remplacer. En revanche, pas sûr qu’Arthaud se précipite pour suppléer Hamon.
Cheminade et Asselineau, drapés dans des impers mastic, se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Tous deux manquent de temps de jeu. Quand je vois la bouille de Poutou, je songe au sublime Paul Crauchet, l’acteur lunaire de « Bof…Anatomie d’un livreur », vieux film à bel accent soixante-huitard. Avec Lassalle, j’ai du mal. Je le confesse. Sa langue de terroir me paraît traduite du bulgare. Mais qui, diable, va donc gagner la timbale, monter en vainqueur les marches du perron ? Je penche pour François-Emmanuel Ficron.

dimanche 19 mars 2017

La grand-messe des biceps

Ils s’agenouillent, enracinent leurs souliers dans la terre, s’empoignent comme des collégiens de réfectoire, rabâchent une même poussée d’histoire. Leur génuflexion est une piété, une dévotion, une prière au dieu bagarreur. La mêlée galloise s’arcboute, gonfle un dos de chat sournois, quand on lui cherche noise. La pression française fend le paquet d’hommes qui se désosse sur la pelouse.
Tonne contre tonne, la bastonnade de stade bégaie comme un disque rayé, un replay enrayé. L’en-but est une convoitise de force nue. Les Hercule de Galles reculent.
Dans les ultimes minutes, par neuf fois, la muette forteresse se fracasse et s’émiette. Bis repetita placent. Ils se plaisent à plaquer. Le temps s’est arrêté. On baigne dans une éternité sans en-avant. Le match se rue comme un fleuve en crue. Barnes est borgne. L’arbitre est sourd. L’essai de pénalité serait une facilité de sifflet. Il laisse les révoltés de Cardiff à leur destin de Sisyphe.
Les mêlées sont des grands-messes de biceps tatoués. On s’arrache l’hostie à la sortie. Soudain, le limougeaud Chouly dénoue l’imbroglio, inscrit les points qu’il faut sur les i du rugby. Chef de nef, le petit Dupont a pris du galon.

dimanche 12 mars 2017

EM versus FF

EM. Et moi, émoi. Aime-moi. Double EM donne même. Du pareil au même. Emmanuel m’aime. « Farouchement ». Non : double EM n’est pas le même. Il est Révolution. Il tourne sur lui-même. Il est beau comme un astre. Pas sot pour un sou. Frère Sourire nous chante une cantilène de chic type, à la veillée, au bras de sa blonde cougar. Macron, patron. Pardon ! Ma langue a fourché. Macron, patron. A une consonne près, c’est le patronyme rêvé des hommes de progrès, des capitalistes optimistes sur leur état de santé.  
Fillon est un fils endeuillé, sans doute empêché. Il n’est pas sanguin comme Séguin, au verbe jupitérien. Fillon est dans le besoin. Il lui faut Séguin. Une belle voix grave à ses côtés qui galvanise les foules tétanisées. François Baroin mime la voix de son maître en gaullisme et fracture sociale. C’est son Bourdin, doté d’un timbre de radio à séduire la ménagère du matin. La voix de Baroin est sa bouée de secours d’orphelin. FF. Feu, feu. Il y a le feu ! François Fillon fonce vers le prochain scrutin, tous feux éteints.

mercredi 8 mars 2017

Interview écrite

Présentez votre ouvrage, La cicatrice du brave ?
C’est un autoportrait, plusieurs croquis de visage, ratés, peut-être réussis, repris, refaits. C’est un visage qui fuit sa reproduction littéraire, qui va courir les rues à la recherche d’un autre visage. Le livre est composé d’épiphanies, d’illuminations – au sens de Rimbaud -, qui sont autant de tentatives d’y voir clair sur une tête, un visage, une trogne d’homme. Giacometti a vécu cela dans l’exercice de son art. Il a très bien parlé de ces échecs répétés qui sont au cœur de son métier, de sa recherche de la beauté. Je me sens ragaillardi en évoquant sa compagnie.
Quel message avez-vous voulu transmettre à travers ce livre ?
Je ne suis pas facteur. Je ne délivre pas des messages. Je n’écris pas vite. Je tâche d’écrire faste. La beauté de la phrase est le seul enjeu d’envergure de ce raid aventurier qu’on appelle la littérature.
Où puisez-vous votre inspiration ?
Elle vient de la lecture, d’une écoute attentive, d’une fréquentation respectueuse des sonorités des maîtres de la littérature. C’est la langue de ma mère – la langue française – qui me donne cette envie de chair. C’est elle qui me jette dans l’expérience sacramentelle du style. L’écriture sur la page est ma manière d’apprivoiser les paysages et les visages. Je les côtoie comme une joie qui se donne à moi.
Quel est votre personnage préféré ?
Braque disait: “Les preuves fatiguent la vérité”. C’est pour cela que je n’aime pas les histoires. Je n’ai pas d’imagination, mais des impulsions. Simone Weil raillait “l’imagination, combleuse de vide”. Il faut se satisfaire du vide, le regarder dans les yeux. On s’hypnotise du vide. Le vide est un chemin de vie. Et la vie invente davantage que l’imagination n’imagine. Car il s’agit de vérité, d’être vrai. Or il n’y a pas d’autre vérité que celle de l’émotion. Je suis traversé d’émotions éphémères, transpercé de flèches littéraires. Les émotions sont aussi des mensonges, mais des mensonges qui ont le souci de la vérité.
A quels lecteurs s’adresse votre ouvrage ?
Mon petit livre s’adresse aux admirateurs fervents de la langue française, aux intoxiqués de la seule grandeur du style. Il est dédié à tous les inconsolables de la beauté du monde, aux amoureux transis des choses de la géographie, aux amis inconditionnels d’une écriture artisanale taillée dans les couleurs du ciel.
Quels sont vos auteurs/es fétiches ?
J’attribue l’épithète “admirable” à un seul auteur, esthète suprême, rois des rois: Marcel Proust. Je crois que Mauriac parle à son endroit de “prince oriental”. Proust tue le match. Mais j’adore Cruchard, c’est-à-dire Flaubert pour sa nièce Caroline. Je me délecte du Céline de Mort à Crédit, livre grandiose. Je révère la somptueuse prose  d’André Pieyre de Mandiargues. J’aime Jacques Chardonne et Bernard Frank.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
L’ambition première est d’avoir follement envie d’écrire. Il s’agit d’aiguiser cette démangeaison de la passion d’écrire. Il faut  savoir se retenir. N’écrire qu’à bon escient, au bon moment, en guetteur de gibier devant la beauté. Je projette de poursuivre ma série d’autoportraits. Je voudrais réussir un visage avant de mourir, bien que je sache que cette quête est impossible. L’ouvrage que j’ai presque fini s’intitule: “L’amitié de mes genoux”. Le titre est un vers de Saint John Perse.
Un dernier mot pour vos lecteurs ?
Jean Paulhan disait qu’ “Il y a deux sortes de livres: les bons qui ne se vendent pas en général et les autres qui se vengent comme ils peuvent”. J’ajouterai ceci qui tient à ma philosophie. Je sais que la fantaisie de l’écrit se situe hors du cercle de la tricherie.


Paru sur le site de l'éditeur 5 Sens Editions, à l'occasion de la parution de La cicatrice du bravehttp://www.5senseditions.ch/interview-eacutecrite.html
Le livre est mis en vente à l'adresse suivante: https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes-13/90-la-cicatrice-du-brave.html

mardi 7 mars 2017

La médaille de bronze

Il descend les marches de son palais, lentement, comme un condamné obéit à l’injonction de ses geôliers. Il est droit, grave et digne. L’arrogance qu’on lui attribue n’est qu’une forme d’excellence. Il n’est pas dans sa nature de jouer la doublure. Il n’a pas l’échine courbée d’un plan B. Il ne brigue pas la médaille de bronze. Il est agacé d’avoir à le préciser.
Il ne jettera pas une bouée, ni même un regard, au candidat naufragé. Il siège dans le fauteuil de Montaigne. Il maîtrise une colère en son for intérieur. Il renvoie l’obstiné et futur tricard à son « boulevard ».
C’est la dernière fois que Juppé descend de son cheval, sacré bonsoir ! Il dégaine l’épée, un dernier texte ciselé, fait valoir de beaux restes. Mais « une bonne fois pour toutes », il n’a pas le goût de la défaite. Il en recrache le noyau dur du Trocadéro. A vrai dire, il ressent « cette forme durable de la fatigue qu’on appelle le mépris » (Roger Nimier, in Histoire d’un amour).

dimanche 5 mars 2017

Un artificier de la beauté

La mort de Jean-Christophe Averty est une blague des claviers Azerty. C’était un imagier incendiaire, un artificier de la beauté convulsive. La télévision de jadis était exécutée par de vrais artistes. C'était le temps de l'ORTF. La direction appartenait à ses chefs gaullistes, la création était confiée à ses réalisateurs communistes. Pas d'autre choix qu'une seule chaîne d'Etat, certes, mais avec de grands soldats superbes. La télévision de papa était filmée sous la dictée d’hommes de vision. Beckett, Adamov ou Ionesco figuraient au programme de prime time.
J’étais en culottes courtes. Je me souviens des Raisins Verts, l’émission de variétés déjantée qui déclarait la guerre à l’ennui des chaumières. L’art fêlé d’Averty visait le fou rire des familles. Un bébé de couleur violette était débitée à la moulinette. Averty était un dandy, un esthète du sacrifice aztèque revisité. Un zézaiement délicieux commentait le délictueux spectacle. Ce strabisme de la diction exerçait une ravageuse séduction. Averty était un coloriste du noir et blanc, un aventurier de l’image truquée, le poète inspiré d’une 3D pas encore née. Sa photographie était nourrie de textes de fantaisie, des facéties d’Alfred Jarry.
A vrai dire, l’image numérique vient du Collège de Pataphysique. Averty était un pyromane de l’image. Il travaillait les pixels de manière insurrectionnelle. Il illustra Roussel et Cocteau, Gracq et Shakespeare, Apollinaire et Prévert, Picasso et Richaud. Averty a diverti le bourgeois, travesti, perverti le bon goût, sa routine et sa mélancolie. Trop grande gueule pour faire école, il meurt aujourd’hui pour notre malheur. J’avais de la chance d’avoir dix ans dans les années soixante.

Vient de paraître


Si la littérature est votre genre de beauté, si vous aimez Flaubert, Venise et les premières couleurs de l’aurore, alors « La cicatrice du brave » est un ouvrage qui vous est secrètement destiné.

Il est en vente sur le site de l’éditeur 5 Sens Editions : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes-13/90-la-cicatrice-du-brave.html


Il est également disponible à la librairie L’Autre Livre à Paris (13 rue de l’Ecole Polytechnique 75005 Paris).

jeudi 2 mars 2017

Etre chez soi

Des foules de meeting s’époumonent, revendiquent en cadence l’appartenance à une terre de naissance. « On est chez nous ». « On naît chez nous ». C’est le cri des gens d’ici. Ils braillent comme des supporters de Paris, porte d’Auteuil.
Je confesse une même paresse à ressentir une joie d’autochtone. J’ai longtemps résisté à la tentation de me frotter à trois gros bouquins, à la somme de Sartre sur Flaubert. J’avais peur de me perdre, de changer de domicile, de me fourvoyer dans L’idiot de la famille. Je craignais un luxe d’analyses au détriment d’un gai savoir, d’un plaisant style.
Or un soir d’été, j’ai succombé au péché. J’ai pris mes aises dans une somptueuse langue française. Je savais bien que j’étais chez moi à Croisset, que j’aimais l’hospitalité de Flaubert. J’ignorais en revanche que je n’étais pas mal du tout chez Sartre. 
Qu’il ait consacré les dix dernières années de sa vie à « Cruchard » aurait dû m’instruire sur le sérieux de son art. Bref, je me suis délecté des deux corps mêlés. J’ai tourné les pages d’un grand métissage d’artistes. 
J’ouvre aujourd’hui Cantique de l’infinistère (Desclée de Brouwer, 2016). J’ouvre les yeux sur les brûlures de Dieu. C’est l’ouvrage sauvage d’un autre ermite, d’un vrai moine marcheur, mi-français, mi-italien, tout à fait normalien : François Cassingena-Trévedy. Je me suis calé dans son sillage, docile gregario dans les cols, derrière les mots du campionissimo. Le docte bénédictin mène grand train sur les chemins d’Auvergne. Dès les premiers lacets, le premier tome d’Etincelles, il a créé en moi une joie d’homme, un besoin essentiel, une assuétude qui fait loi. C’est une lecture “à l’arrêt”, de guetteur de gibier.
« Où s’en aller prend source ». Les premiers mots éventent un secret, dévoilent une féerie : la magie de la randonnée auvergnate de l’oblat. « C’est du côté de chez soi que l’on retourne».
Frère François ne définit pas autrement son voyage de roi. Il suggère que le départ est un nécessaire retour, un aller chez soi, sans autre loi. Je saisis bien la sorte d’extase du marcheur d’horizon, du randonneur sans leçon. Ce sentiment de complétude, j’en devine la nostalgie cristalline dans un peuple de meeting. Il vocifère des horreurs. Je comprends ce désir d’être chez soi, loin de rien, à demeure et s’y plaire. Quand je lis Flaubert, il éteint ma colère.

mercredi 1 mars 2017

La figure de la terre

J’étudie la pédologie. Je considère le sol, je gratte pour voir derrière, la figure de la terre. Je m’intéresse à l’humus comme à un numéro de rue : j’y finirai mes jours. J’y songe comme Woody Allen s’inquiète de l’avenir : « C’est là que je compte terminer ma vie ». J’y suis venu par l’arbre dont les racines nourricières sont comme l’envers d’une tapisserie forestière. Ce sol d’espoir est notre matière noire.
On cache nos sales gueules dans la terre. Le premier acte de culture sur sol d’agriculture est une pierre de sépulture. On jette l’homme mort comme un corps. La végétation masque une vieille agitation. De dessous la terre, l’homme ne sait rien faire. Il se décompose, se mêle à la matière végétale. De dessous la terre, l’arbre construit sa fixité millénaire. Il trône là où l’homme traîne. Il est sculpté dans de la grume d’éternité. L’humus est un terminus, une destination d’extrême humilité. C’est le bivouac exact des hommes, par définition.