jeudi 26 octobre 2017

La filiation Macron

Macron, en début de marche, penche la tête à droite. Le sac à dos du monarque pèse une tonne. Le chef randonneur déporte son bel objet de projet vers « les professionnels de la profession », les maîtres chanteurs à gros sous, les détenteurs de capitaux.
Sans doute scout à son heure, grand frère Emmanuel vient d’une gauche libérale rocardo-mendésiste (deux perdants jouissant d’un indiscutable prestige). D’instinct, il va son chemin vers une droite authentique, giscardo-barriste. La girouette de l’Elysée est orientée dans l’axe du vieux président auvergnat ; elle donne le la du début de quinquennat.
Ce gouvernement edouard-philippard sous-traite ses rudiments d’économie à l’excellent manuel du savant Raymond Barre. « Raymond la science » est toujours une bonne référence.
Autrement dit, Macron veut se faire bien voir du grand capital. Dans Macron, il y a Aron (deuxième Raymond). Car Macron admire Tocqueville, ne considère Marx que comme pluriel publicitaire de « marque ». Ce philosophe abscons, traduit de l’allemand, est vecteur de passions tristes. Emmanuel Macron est un Jean-Marie Messier parachevé, abouti, rajeuni. Il contracte son pedigree au minimum entrepreneurial. Inutile de bâtir (ou de démolir) Vivendi. Il saute la case industrie. La politique est un plat qui se mange chaud. Il est pressé de s’installer à l’Elysée.
Macron, libéral de gauche, est enraciné dans une culture de droite, la frange orléaniste, selon René Rémond (troisième et dernier Raymond, avec une faute d’orthographe). Les premiers mois de quinquennat témoignent d’une soif d’appartenance au gotha droitier, cette sorte de salon Guermantes, tant convoité du camp bourgeois Verdurin. A vrai dire, Macron se calque sur Giscard et Sarkozy, le grand et le petit. Mais à l’envers. Il marche à contre-sens.
Giscard était ébloui par les « valeurs » de Mai 68, la modernité de gauche véhiculée par L’Obs et Libé. Ses vraies réformes sociétales visaient à plaire au monde intellectuel, aux discutailleurs du Café de Flore, sans accointance droitière.
Sarkozy mimétique, copie le mandarin d’Auvergne à calvitie. Il rameute Kouchner, Besson, Jouyet, Hirsch et Amara. Il s’éprend d’une flopée de socialistes piaffants. Il s’entiche de Carla Bruni, fréquente une gauche caviar dernier cri. Il fait le forcing dans le vedettariat de gauche. L’irréfléchi petit président est flatté d’être entouré d’érudits, d’une compagnie de « belles personnes ». La gauche humanitaire ennoblit la droite épicière. Sarkozy se convertit à la stratégie des compassions bêlantes, des postures à la grenadine, des gestuels de bons sentiments. L’affichage du grand cœur est la faiblesse de l’apprenti réformateur.
Reste à bien observer Macron, à cerner son œil bleu roi, planté dans le prompteur d’un discours creux. L’œil est gros, très rond, comme celui d’un poisson sur le sable. Jean-Edern Hallier taxait Giscard de « colin froid ». Il y a de ça dans le faciès blême d’un président qui s’aime. Cet œil perdu, qui ne s’interdit pas le rictus, est plongé dans le vide. La joue se plisse d’un tic automatique. Hors bocal, Macron peut contempler l’horizon libéral. C’est un espace sidéral.
Mais il faut remonter plus haut, se souvenir de Chaban, déjà vieux, qui voulait faire jeune. Sa « nouvelle société », esquissée par Nora/Delors, constitua l’acte de naissance d’une gauche techno-mitterrandienne. Pompidou, ancré à droite, solide sur ses appuis, n’en croit pas ses yeux d’ancien banquier, de paysan madré. Il congédie Chaban illico presto. Il chasse un traître à son électorat.  Faut tenir ses promesses, Delmas.
Macron, dont le cœur de vote ne représente qu’un quart des bulletins exprimés en avril dernier, défie le noyau dur de ses partisans. Il le prend pareillement à rebrousse-poil. Mais il ne sera pas limogé puisqu’il chausse lui-même les bottes de président. Bien joué, Manu.
Reste une question embarrassante: qu’en pense le peuple, l’autre souverain, en attente de changement et de start-up épatantes ? Comme les vieux, rangés des voitures, les retraités cruciverbistes, ou les jeunes enfants désoeuvrés, il peut trouver le temps long.


samedi 21 octobre 2017

Louise, Emma, Gustave

C’est comme dans les interrogatoires de commissariat. Il faut des noms, plus exactement des prénoms. Il s’agit d’identifier la chair naissante, une marmaille innocente, les enfants qui entrent dans la danse.
Flaubert aimait les mots, pas du tout les marmots. L’ermite de Croisset exécrait la paternité. « Je n’ai jamais vu un enfant sans penser qu’il deviendrait vieillard, ni un berceau sans songer à une tombe ». Il a vingt-quatre ans.
Bovary est une marque connue des parents d’aujourd’hui. Flaubert importe peu. A quoi bon lire un furieux célibataire, endurci dans son génie ? Mais, ironie de l’histoire littéraire, ils nomment leurs jolies gamines, Louise et Emma, prénoms préférés des maternités. Louise Colet fut la seule maîtresse durable du mirobolant Gustave.
Bref, les familles de ces temps-ci privilégient Louise et Emma, les deux principales enquiquineuses de la vie de Flaubert.  

jeudi 19 octobre 2017

Les talents compensés

L’Etat vibrionne d’un mouvement macronien. La « céessegeai » grimpe au ciel. Tollé citoyen. La taxe est une souffrance comme l’imposition d’une brutale main d’ostéopathe sur un nerf de la chair. On dit aussi « nerf de la guerre ». L’Etat calme le jeu, cautérise une cicatrice. Il panse. Il pense à compenser.
Les trois-quarts des écorchés ne seront pas assujettis à la taxe de logis. La feuille de labeur sera déchargée de cotisations de mutuel bon cœur.
Depuis sa création par Rocard, l’inspecteur des finances, la « céessegeai » est un oiseau-impôt d’envol aisé. Elle jouit d’un taux propulsé. La hausse est dans ses gênes. Ce qui contrarie même les classes moyennes, cette grande famille nombreuse d’une nation « passionnément triste ».
D’où la fine stratégie de la contrepartie. Même les débonnaires fonctionnaires, sans embarras de chômage, auront droit à un dédommagement de « céessegeai » augmentée.
J’ai l’impression de figurer parmi les derniers idiots de village. Mais pourquoi diable accroître une taxe dont les dégâts sociaux imposent immédiatement d’en neutraliser l’effet par la suppression d’autres prélèvements ? Bougisme fiscal et statu quo se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Tout se passe comme si le choix du compliqué (« pensée complexe » du président) prévalait sur la simplicité.
On célèbre une caricature de « made in France ». La confection d’usine à gaz est une spécialité nationale. Elle comble d’aise une technocratie inventive en tracasseries. J’aimerais baptiser cette chronique « Les talents compensés ». Dans la vieille Athènes, le talent mesurait un poids d’argent.

lundi 16 octobre 2017

Comme d'autres parlent du nez

Il parle d’un(e) aparté comme d’une tasse de thé. La parité a besoin d’un coup de pouce. Il féminise les mots, maintient que « bordel » est populaire plus que vulgaire. Dans les contrées refoulées d’une nation à « passion triste » – merci Spinoza -, il traîne ses manières et tournures de petit minet déterminé. Chirac aurait dit « roquet ».
Il est cassant faute d’être fracassant. Il pâtit d’un manque d’empathie. Une ostentatoire « fraternité » trône à sa droite. Frère Emmanuel en rajoute dans le signe extérieur de bon cœur.
Aucune question ne lui nuit puisqu’elle occasionne la démonstration d’une brillante vélocité d’esprit. Ce Macron des autocars est digne des prouesses cérébrales du déjà jeune Giscard. Il a réponse à tout, s’approprie les meilleurs mots, les balade dans des phrases fourre-tout. Il est autoritaire comme un grand frère arguant d’un droit d’aînesse héréditaire. Sur sa table de travail, Gide et Malraux se laissent photographier comme des starlettes négligemment effeuillées.
De Jean Guéhenno, André Gide disait : « Il parle du cœur comme d’autres parlent du nez ». Virage sur l’aile. La paraphrase est tentante : « Macron parle des investisseurs comme d’autres parlent du nez ».

jeudi 5 octobre 2017

Les nains de l'Ena

Après Charles de Gaulle, général fabriqué sur le tas, buriné par la guerre, nous héritâmes des nains de l’Ena, formatés à l’école d’Etat. J’exclus Pompidou, dernier grand timonier qui soit authentiquement lettré. Il causait cinéma, rue de Varenne, avec Julien Gracq. Je le retranche. La promotion Elysée est composée de Giscard, Chirac, Hollande, Macron, soit un quarteron d’ambitieux félons. Un nain recalé s’agite sans collier ni blason : c’est Sarkozy. Mitterrand, le Vichyssois, était trop vieux pour fréquenter l’établissement fondé par son rival abhorré. Il confia à l’entourage le soin d’étudier l’économie des livres. Attali et Fabius s’acquittèrent de notes abstraites. Les nains de l’Ena sont des cyclistes de terrain plat. 
Or l’Histoire de France, à l’instar de la Grande Boucle, se forge dans les étapes de montagne. De Gaulle gagne au Ventoux,  à l’Alpe d’Huez et à Luchon. Il franchit la ligne en solitaire. En revanche, les petits présidents d’intérim sprintent à Bordeaux comme de sympathiques Darrigade. Nos capitaines de petit vélo rechignent devant les raidillons.
Aujourd’hui, les nains de l’Ena sont des géants de l’opportunisme d’Etat. Aucune grande querelle n’élève ces apprentis rebelles. Ils ont flanqué dehors les sans-papiers de la scolarité : Fillon, Valls, Hamon. Ils tiennent les manettes avec des pincettes, les menottes bien serrées des récalcitrants patriotes. Ils ne lâcheront pas le pouvoir comme ça. Ils pratiquent la passe à dix, exécutent l’entre-soi incestueux, sur un terrain de jeu à leur mesure. Je les nomme par taux de fréquence des selfies. Macron 1er, sorte de Kouchner, jeune et premier. Il est suivi d’Edouard,  le dégingandé, l’échalas du Havre, Edouard le deuxième, comme le pape Jean-Paul, mais à cause de Balladur. Donc Macron, suivi d’Edouard et Bruno, tandem de haine mutuelle, un classique de la République. Puis vient Wauquiez, le méchant d’Auvergne, ancien gentil des taudis du Caire, et derrière, Philippot, le paroissien de Colombey, Croix de Lorraine au veston de clergyman. J’ajouterai une diablesse. Je boucle avec Pécresse et je diminue l’amende du non-respect paritaire. : cinq gars et une fille de l’Ena. En voilà six qui se prévalent du Général, six énarques qui se rêvent en Jeanne d’Arc. Ils ont raflé la mise. Le désert politique français,  c’est l’Ena et puis rien, sorte de Paris sans la province. Dans quinquennat, il y a « Ena » avec une faute d’orthographe. C’est cela La Révolution. Les nains de l’Ena ont l’Etat bien en main.
Les coups de sang de Mélenchon sont l’outil de communication idéal pour légitimer une douce technocratie, conforter l’experte aristocratie qui quadrille un pays à qui tout sourit, à commencer par les selfies d’un président qui se croit tout permis.
Mais des nains, pourquoi des nains ? Parce que ce sont des serviteurs. Ils appartiennent au larbinat d’Etat. Le mot « ministre », suffixe « mini », le dit suffisamment. Ils sont aux ordres du maître, celui qui exerce un magistère, suffixe « maxi ». La question est donc la suivante, sempiternellement la même depuis les origines de l’Etat : ils servent qui et quoi, ces braves gens ? La réponse est aussi complexe que la prétendue pensée de l’actuel président, chevalier servant du peuple de France.