mardi 30 janvier 2018

L'émotion d'Eugène

Bar Casanova, je songe à Hugo, à regarder une mer allusive, l’île d’Ischia à l’extrême bout des eaux : « L’horizon souligne l’infini ».
J’ose l’instant, l’éternité à petites doses. Je m’accoude au parapet, à côté du vide. Je vois la joie désaccordée d’une lumière de janvier. J’observe les dorures, les marbrures d’un visage de vieillard.
J’humecte une lèvre d’une gorgée de tassoni. Je lis Antonioni. « Ce n’est pas l’argent qui me manque, mais sa signification ».
Napoli. Ici, je mets les points sur les i d’Italie. Des soleils de gouaille drapent un ciel de voyelles. Sentir m’interdit de mentir. Je fais gaffe au golfe. Il y a une musique qui est une Chine à elle seule, qui éclipse ses voisines sales. Bach. Back to Bach. Toccata.
J’aime l’Italie, vulgaire et bien élevée, pleine de chair et de gaieté. Via Toledo, tous les tailleurs s’appellent Fusaro. Antonio ou Luigi. Via Parco Margherita, on dégringole sur les dalles, on effleure d’ocres demeures à sublimes balcons comme des quilles de bowling. Chez Calabrese, j’endosse une pelisse chamarrée.
De Fromentin, j’apprécie les dessins, la magie des matins. Il écrit sous la dictée d’une fée. Je partage l’émotion d’Eugène: « une tendresse pour le vrai, une cordialité pour le réel ».

jeudi 18 janvier 2018

Guy Dupré est mort

Ce matin, une enveloppe rectangulaire, couleur des sables, m'était destiné. Je l'ai accueillie avec cérémonie car elle me désignait pour la décacheter. Je connais ce livre, me souviens du titre, gravé dans ma tête depuis si longtemps, me garde de l'approcher de trop près. Je sais que la vérité d'une phrase peut éclater au visage.
J'identifie son signataire, Guy Dupré, au dernier diamantaire de la place, au dernier grand écrivain des mystères de la terre. La littérature n'a pas d'autre but que de fracturer les domiciles. Un soir, d'une traite, elle a reposé entre mes doigts comme une perdrix solitaire dont la plume brûle encore.

Publié en 1954, ce livre somptueux - Les fiancées sont froides - donne la fièvre. C'est un récit de cruelle splendeur qui exige la pleine santé du texte. Il embringue le lecteur dans la ronde empourprée des vertiges. Ces années passées, l'auteur s'était terré dans un souverain mutisme. A l'abri des lumières.
Or voici, dans le silence, une langue qui sonne. La récréation est finie. La réédition de ce petit livre inaugural empoigne la gorge. Inutile de se disperser dans le culte mélancolique de fausses gloires. Devant l'œuvre accomplie par Guy Dupré, il faudra bien un jour se décoiffer. Devant pareille beauté, les choses se décantent : les petits romanciers saisonniers sont priés de décamper. Avec Les fiancées sont froides, Dupré préempte l'avenir. Il nous fait signe de le lire.

Le facteur a fléché le petit cube de métal où gisent mes correspondances. J'ai glissé, sans me couper, ma main pour les saisir. Les fiancées, que j'ai vues grandes, et rouges sur les joues, se plantent dans ma chair à l'heure où je cherche un visage sur une photographie décatie. Mon temps, ces jours-ci, est haché en menues besognes. Quand j'étais petit, je lisais Un Beau Ténébreux. Tout haut. Maintenant, l'habitude m'est venue de parler tout bas. La récréation est finie. Le sublime petit livre m'a empoigné la gorge. Gracq admirait Dupré.
C’était en septembre mille neuf cent soixante-deux. Roger Nimier de la Perrière clôt sa « carrière » littéraire. A la hâte sur l’asphalte, l’Aston Martin calcine deux corps. Nimier, trente-sept ans, Sunsiaré, dix de moins. Je l’ai connu sur le tard. Je revois son regard à l’évocation d’une même sonorité princière. Sunsiaré de Larcône mouillait encore les yeux de Guy Dupré, cinquante ans après.

vendredi 12 janvier 2018

L'impôt Gourault

Certains rêvent à de nouveaux impôts, d’autres pas. Une bonne dame du Modem songe à une taxation rénovée, bourrée d’équité, pour se substituer à cette calamité de taxe d’habitation. Elle est ministre de quelque chose. C’est pourquoi elle ramène sa fraise.
Le grand, très grand argentier de Bercy, le Bruno du renouveau, dément illico presto la songerie de la marcheuse égarée. Veto de Bruno. Lemaire en a marre. Pas d’impôt nouveau. Gourault s’est gourée.
Nous somme au cœur du logiciel Emmanuel, en pleine confusion Macron. Pas d’impôt et un prélèvement nouveau. Les deux, en même temps. Depuis Aristote, la logique élémentaire s’est construite sur le principe du tiers exclu. A et non-A ne sont pas compatibles, sauf à considérer la contradiction comme le fondement de la déraison. Macron récuse Aristote. Vaste ambition ! C’est cela, la révolution.

mercredi 10 janvier 2018

Le bonjour d'Alberto

Brûlante, épaisse, présente humanité de Giacometti. Tignasse ébouriffée, feulement rauque d’une voix sans loi, visage labouré par la nuit. Humilité dit Genet. Humus, homme de la terre, né d’elle, et sous les pelletées.
La main de Giacometti sculpte, lacère la pierre, scarifie un corps, une chair de plâtre, ébauche une tête. Fragile tête de préhistoire humaine, de vieil animal à écailles. La tête insaisie, comme l’infini d’un ciel. Visage qui s’échappe comme le galop d’un cheval. Visage dans sa nudité. Giacometti exprime le cri radical de Lévinas. Il exhibe ses doigts au travail comme des quartiers de soleil. Il ne baisse pas la tête. La regarde en face. Il la re-garde, la garde deux fois, la garde pas. 
Giacometti chiade les encoignures de la matière, reproduit des scalps en figurine, brandis à bout de piques. Tête d’épingle métaphysique, tête d’allumette qui flambe dans le néant. Giacometti, bougre d’artiste à trogne flagrante, arpente l’atelier de moine aventurier, en personnage de La Strada. Percheron de l’exacte beauté, Giacometti secoue l’encollure. A cause des mouches sur le visage, sur le dessin. Dénégation de la lèvre, compassion aux yeux rougis, brumeuse lumière de tabac gris qui rayonne en dedans. Charme sans mièvrerie, charme de chevalerie.
C’est le magnétisme d’un feu de broussailles, en plein désert et paysage de rocailles. Main de Giacometti qui manie, maniaque. Main qui touche, intacte. Sortilège d’une sculpture pascalienne, dont les gestes esquissent la frêle tige humaine, le crayonné d’un roseau pensant. Vrai génie de la simplicité.

vendredi 5 janvier 2018

La plus belle fille du monde

Elle est née le Jour des Rois. J’écris son nom au crayon. Je l’imprime en grand sur l’écran. Olga s’est calée sur la paroi verticale. J’ai envie d’Olga. Resnais en fit une reine. Avant soixante ans, elle s’est jetée dans le néant. Olga Georges-Picot est une brûlure brève, l’actrice d’un film, dont la fugitive beauté ravive l’écho. La star est une diablesse d’une espèce rare. Elle lance des regards, se fiche de l’histoire, s’en tamponne le coquillard.
Je démêle des visages comme on extrait les corps d’un séisme. Je sauve Olga de la nuit mauve. Je préserve Olga des gravats. J’ai ma fille, la plus belle du monde, à domicile.

Au reste, je suis prisonnier de ma prisonnière. Olga est tombée de haut comme Albertine de cheval. Olga est revenue dans la peau de Catrine, l’héroïne du film. Je t’aime, je t’aime se bégaie comme une impossibilité des lèvres. Olga observe la vidéo, la visionne en boucle, telle une altesse dépouillée d’une jeunesse. Il a suffi d’un plan pour qu’elle se lève d’un bond. Elle n’est pas morte en quelque sorte. Elle n’a pas d’âge au fond, ni d’« h » à son prénom. Je me souviens de Claude Rich, entre grisaille et Méditerranée. Deleuze se défenestre avec le même shetland mauve.
Oui. C’était le temps des imperméables en gabardine, des shetlands gris, mauves ou mandarine, de l’odieuse lumière de Méditerranée radieuse. On épinglait Magritte au mur de sa chambre. Entre Pierrot le Fou et Marie pour Mémoire, un petit gars n’a pas froid aux yeux : le roi Resnais filme Olga.
L’actrice sublime, moitié paumée, naturellement sauvage, exhibe sa chair de grande fille animale. Elle parle de Dieu, du monde, des chats. « Je t‘aime, je t’aime ». Vite dit. Lent film impardonnable. Donne des images pour l’hiver, de quoi vivre sous l’empire des yeux noirs d’Olga.

Voir, revoir, rêver la belle Olga. Regarder. Se taire, doigt sur la bouche. Une comédienne, étrangère à la vie comme elle va, révèle en pleine lumière sa féminité de feu. «  La peur, c’est quand on a chaud ; la terreur quand on a froid. » C’est un visage qui griffe la mémoire de jeune homme. A trop regarder son film, à trop aimer Je t’aime, je t’aime, à repasser la vidéo comme un poème de Rimbaud, Olga a changé la vie, elle est morte.
Il y a vingt ans. Un jour avant l’été. Elle était vieille de nos souvenirs. A la lettre, ce maudit film est insupportable. Olga ignore le temps qui froisse. Sa chevelure ensoleille l’oreiller chauve de la terre. Elle repose sur une joue, le derrière en bataille. Claude, le héros lunaire, est prisonnier d’une splendeur éphémère, d’un sourire intérieur, de la blancheur des draps. Olga dort dans l’éternité du cinéma. Encore une minute. De tirée, de filmée. Allez savoir. L’actrice ensommeillée s’est jetée du cinquième étage.

jeudi 4 janvier 2018

Un peintre né

Il est embringué dans une peinture d’éternité. Staël est né, il y a cent quatre ans, cinq janvier. Le petit gars de la Neva, c’était le type d’Antibes, une sorte de roi, de gueux, mieux qu’un monsieur. Il a peint la lumière, l’extrémité de la mer, la cruauté de l’hiver,  ses couleurs vives, ses postures de qui-vive. La fulgurance déjoue l’espérance. C’est une vertu, la plus haute, et qui tue en pleine tête.

mardi 2 janvier 2018

Attention à la marche

Churchill se vantait d’une santé sans effort : « No sport ». Macron fait la leçon à longueur d’allocutions. Il exhorte chacun à son destin de marcheur. Je m’interroge. J’ai des doutes de mauvais scout. Je suis tenté d’écouter le bon Winston, rongé par le cigare et l’immobilité de rentier. « No sport », en Macronie d’aujourd’hui, cela se traduit : « Attention à la marche ! »
La marche est une activité de temps long. Aux Jeux Olympiques, notre génial facteur champion, Yohann Diniz, termine sa tournée au bout de 50 kilomètres. Il a besoin d’une bonne dizaine de quinquennats pour se mettre en jambes. La marche est un loisir de plein air qui fait plaisir aux hygiénistes.
A chaque boucle d’un an, le chef de marche peaufine un petit boniment qui précise sa vision des choses. Macron débute dans la glorification d’un but. Il est rangé, ordonné, méthodique : il scribouille des vœux de 18 minutes pour 2018. Il annonce ainsi la couleur : 22 minutes en 2022, 27 minutes en 2027. A 52 ans, il franchira le cap de la demi-heure.
La marche nuit à l’idéal unitaire à moins qu’elle ne soit militaire. L’expérience enseigne que les marcheurs s’égaillent dans la nature, s’égarent en chemin, perdent le Nord, cherchent partout Macron, tournent en rond, se fourvoient dans des sentiers obscurs.
A vrai dire, la marche ne doit pas dévier en randonnée, dériver en balade éparpillée. Elle doit s’interdire de cheminer au hasard, par caprice et autres fantaisies. Ce que les médecins du sport ignorent, c’est que la marche peut virer à la flânerie désorganisée et conduire à des fâcheries de santé. On s’épuise à courir dans tous les sens, on gesticule à droite à gauche. On y perd son latin. Jusqu’à provoquer l’ire d’un Blanquer.
Rien ne sert de bousculer ses muscles. Inutile d’en faire des tonnes. Pour gouverner les hommes, il faut consulter Winston.