samedi 27 février 2021

Pour une littérature exclusive

Je reviens sur le ramdam actuel autour de la littérature exclusive. Les jeunes ont raison de rafraîchir les idiomes. Les formes galopantes d’écriture ont fait leur temps. Elles nous semblent aujourd’hui des gribouillis contre nature. La phrase de Proust réclame un bon coup de sécateur. Elle s’emberlificote pour le plaisir de bien nuire, colonise la page, végétalise le roman. Une circulaire de préfet pourrait pratiquer des césures bienvenues, la scinder en quatre, en calquer le rythme sur le tempo d’un Musso, par exemple. Court, sec, sujet verbe, complément. Sinon, on verbalise : cent trente cinq euros. Et si récidive : autodafé. Il est impérieux d’élaguer les récits sinueux. Les langueurs de duchesses et les bouffées de chaleur de Charlus nous enquiquinent autant qu’Anna Karénine. On aère, c’est de bonne guerre. Même Céline fignole de travers, bourre ses lignes de vilaines onomatopées, stoppe une logorrhée avec des points médians, côte à côte, trois par trois, comme des parapets de sécurité pour ne pas tomber. Suspendre les points au nom de la bienséance. Suspendre les points, à la fin comme sur les i. Voilà de justes causeries qui nous libéreraient de pénibles fantaisies qui n’ont que trop duré. Simplifier la grammaire. Revenir aux fondamentaux. Loti est le pluriel de Léautaud. Poe est le pluriel de Paz, Michaux le masculin de madame Michu. Savoir élémentaire. Et ça suffit. Deleuze parlait de la langue comme d’une gueuse. L’écrivain serait « un étranger dans sa langue ». Comment ça ? Non. Il faut bannir du lexique les noms à coucher dehors, sans quoi le vocabulaire s’intoxique, sans réserve d’anticorps. Bref, la vieille écriture invasive qui s’entortille sur la page est à rayer du paysage. La littérature exclusive, la seule qui vaille, enseigne d’écrire propre, court, bien dégagé sur les oreilles. Même l’Académie, le docte Ehpad du quai de Conti, n’est pas vacciné d’office contre l’immigration massive d’idiomes vérolés. Christian de Maussion

jeudi 25 février 2021

A l'aise Blaise

L’Etat impose une peur, s’identifie au gang des saucissonneurs. Il ficèle à domicile un peuple indocile. L’Etat encabane, fourre une nation entière en détention solitaire. Il cloître les corps sains, les malades aussi bien. Il engrange du virus dans d’étroits espaces. Un dieu médecin reconnaîtra les siens. L’Etat distribue les rations d’incarcération. Les chefs se planquent derrière des couvre-feux. L’isolement s’apparente à un châtiment. L’Etat teste une torture contre nature. La stratégie d’un faux lazaret, mal compris, mène à la déréliction d’une nation fragmentée. L’exercice du for intérieur est un art élitaire, pas l’expérience digestive d’un tourisme de masse. La politique d’enfermement ignore l’aptitude au recueillement, la capacité de retranchement solitaire de l’homme ordinaire. Ils font l’Ena, à dos de chameau, en possèdent la centaine de mots, consultent les mages d’hôpitaux, mais nul Théodule de comité n’a lu le Pascal des billets de cinq cent balles. Or Blaise est à l’aise avec l’actuel malaise. « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans sa chambre. » (Pensées, 1669). Exit le bruit et le remuement. La loi d’Etat dépouille de tout, sauf de soi.

jeudi 18 février 2021

Comment tu me parles ?

Le préfixe re- est accommodé à toutes les sauces. On le sollicite à l’envi pour épaissir une expérience, mentir sur une mince existence. Il est obligatoire de relire Proust – c’est un dû – sans jamais l’avoir lu. Quand c’est la bonne année, à l’heure de la commémoration officielle, on revisite Napoléon, sans qu’une première fréquentation n’ait précédé l’impérieux emballement du moment. Il est de bon ton de se réinventer comme nous l’exhorte un président quoiqu’on soit bien embarrassé de trouver la trace d’une invention d’origine. Les verbes. Les vilains verbes poussent comme de mauvaises herbes. Maudit chiendent. Une décision impacte : il eût suffi qu’elle affecte. Dans la foulée, on nous fourgue son corollaire : une mesure solutionne à défaut de résoudre. Les princes qui nous parlent sont en charge, délicieux anglicisme, exquise subordination linguistique : ils fourrent des malles volumineuses dans le coffre d’une nation. A notre oreille exercée, ils susurrent qu’ils sont en responsabilité. Traduire : ils s’acquittent d’un métier. Avec, au besoin, une précision d’haltérophile : « Le projet que je porte ». Cette langue de forts des Halles fait lever le sourcil. C’est ainsi. On s’habitue mal. Dès lors, un remède s’impose. Je propose la création d’une application mobile StopMotsVides qui traquera les dysfonctionnements du parler d’Etat. Sans trou dans la raquette, cette fois, et qui coche toutes les cases. Evidemment.

jeudi 11 février 2021

Mieux qu'un monsieur

A la saint Valentin naissent aussi les écrivains. Jean-Luc Lagarce est de ma génération. Les deux tomes de son Journal, un théâtre, un style sont des émotions longues, des manières de ne pas mourir. Quelque part, Lagarce mentionne une phrase lapidaire, sait sa vérité de chair : « Sauf la souffrance physique, tout est imaginaire. » (Jacques Chardonne, Propos comme ça). Le jeune gauchiste s’émeut des textes de cristal d’un écrivain d’autrefois, joliment conservateur. L’art littéraire est une patrie qui réunit les contraires. « Je n'avais pas vu "Juste avant la fin du monde" au cinéma, ni au théâtre d'ailleurs. Dans le bidule devant mon lit hier soir, j'ai regardé ce que les marchands d'illusion avaient fait de Lagarce. Ce grand garçon de Besançon m'obsède par sa probité et son pacte avec la beauté. Son Journal est une merveille, il faut le lire et relire. Dans le film du jeune Canadien, la joliesse du visage de Gaspard Ulliel m'a intéressé. Bref, j'ai dîné en tête à tête avec Lagarce. C'est un type sérieux, "mieux qu'un monsieur", aurait dit Nicolas de Staël. Oui. Il faut lire la vie de Lagarce, au jour le jour. Rien de publié de son vivant, une ou deux pièces jouées sur une trentaine d'écrites. Dolan a du goût. L'ami de Lagarce est mon ami. » Ce texte est extrait de « A défaut d’écho » (5 Sens Editions, page 46, 2020). L’ouvrage est disponible à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/19_christian-de-maussion

mercredi 10 février 2021

Prix Geste Barrière 2021

Le Prix Geste Barrière, parrainé par un grand groupe hôtelier, a été attribué à Mme Brigitte Macron, à l’unanimité du jury, moins une voix. Celui-ci était composé des Professeurs Caumes, Crémieux, Delfraissy, Derai, Fontanet, Juvin et Lacombe. Le Professeur Raoult n’a pas pris part au vote, se désolidarisant de la décision commune. La distinction récompense chaque année une personnalité du monde politique pour l’ensemble de son œuvre de prévention sanitaire. Etaient nominés, par ordre alphabétique : Albert II de Monaco, Michel Barnier, Christian Estrosi, Christian Jacob, Bruno Le Maire, Brigitte Macron, Emmanuel Macron, Arnaud Montebourg, Brune Poirson, Frank Riester, Emmanuelle Wargon. Mme Brigitte Macron recevra son trophée lors d’un modeste pot de l’amitié – volontairement frugal compte tenu des circonstances – qui se tiendra au restaurant Le Fouquet’s, rouvert à l’occasion. La date n’est pas précisée.

mardi 9 février 2021

Qu'est-ce que la morale ?

La morale est un regard de surveillant général, un œil exercé de sentinelle aux aguets. Pas vu, pas pris. On ne se débarrasse d’elle qu’en se cachant d’un pareil soleil. Seule l’invisibilité préserve du contrôle voyeuriste de la morale. Dans La République, Platon évoque une bague de prestidigitateur, un anneau magique qui assure à Gygès un privilège d’invisibilité. Dès lors, Gygès accomplit des prouesses, jouit des libertés les plus traîtresses. Il vole, viole, assassine. Devient roi. La toute-puissance résulte de l’inapparence. Les pédophiles de tous pays, les pères incestueux de familles élargies commettent des actes qui réclament d’être opaques pour prétendre à l’impunité. Faute de quoi, un jour ou l’autre, ils sont pincés, dévoilés dans leur nudité. Le faisceau panoptique de la morale les éblouit comme un lapin de garenne surpris par les phares d’une berline.

vendredi 5 février 2021

Les hauts plateaux

Sur les plateaux, on sert la soupe en guise d’apéro. Les visages professoraux s’illuminent jusqu’aux oreilles. Le chef de table attribue les satisfecits, précise les expertises, exalte les faits d’armes. A chacun des carabins, il désigne son petit libelle non essentiel, le tapote sur la tranche, l’exhibe comme un sublime verbatim, à la manière d’un journal intime, ou même des mémoires de guerre. Sur les plateaux, on distribue la parole des hôpitaux comme on diffuserait une réclame pour une Fiat Uno. Les toubibs acclimatent leur bouille à l’audimat. La platitude règne comme par habitude. La platitude n’est jamais que le privilège des plateaux. C’est leur genre de beauté ; une conversation de bistrot pour le plaisir de causer, de ramener sa fraise, ses phrases, de caler un babil sur un nombril. Nombril d’où jaillissent les nombres. Ils disent l’expertise. Ils dictent les hypothèses. Sur les plateaux, les blouses blanches sont des cartomanciennes qui soumettent une ignorance au verdict d’un tarot. La guerre, la der des der des variants, c’est le casse des toubibs sur une opinion bouche bée. Un braquage de gangsters qui ont conservé leurs masques. La logique des plateaux contamine les chiffres, les diagrammes d’encéphalogramme plat. Hauts plateaux. Dans la savane, très en aval de l’hôpital, on a peur pour son âme. La science est une foi, une croyance de casino, qui professe un bon droit, s’entend avec un croupier complaisant pour le numéro gagnant. Sur les plateaux, on repasse les plats.

mercredi 3 février 2021

Simone Weil

3 février 1919, Simone Weil voit le jour, verra autre chose, les flétrissures d’une culture, verra jusqu’ici, la maladie du déracinement qui ravage notre temps. « 4 août 1943, à l’âge du Christ et des poussières, Simone Weil griffonne ses derniers mots, dernières lettres, libres propos de sainte, de Londres à ses parents. Avant d’être quitte, dans l’abîme d’une mort silencieuse, Simone Weil endosse l’habit d’humilité, ultimes instants de terre. Dans sa lumière crue, la parole de Thérèse, « la gloire de n’être rien », drape la sublime intouchée du manteau de Martin. Ces lignes esquissées à la diable disent la joie des beaux jours, la gaieté mozartienne d’un été sans mesure. « Les jours chauds sont revenus, coupés d’ondées torrentielles…Le soir, on danse en plein air dans les parcs ». A pleine joue, la vie exulte, jeunesse de sang : « C’est une petite fille de dix-neuf ans, fraîche, saine, jolie, très gentille, qui vient faire le ménage. » Simone regarde intensément, se mêle du monde du mieux qu’elle peut, voit vibrer la beauté dans son élan animal. Libre comme l’air et dans la main de Dieu, humainement tenue au plus proche, au plus pauvre, ruisselant des crachats. D’Artaud, frère de cri : « La faim n’attend pas, courir au plus pressé, donner à manger à tous. Qu’est ce qu’il reste ? Où gît le problème ? » De l’homme, cette étoile du néant, la fiancée de Dieu voit la misère, accourt au fou. Simone Weil écoute inlassable les insanités des hommes seuls, entend la vérité de qui mendie la raison : Roi Lear ou regards peints de Velasquez. Inclassé, hors je de société, loin des menteries de trop humaine comédie, le fou fait un grand signe de terre, la vérité au bout des lèvres, rosée blanche de printemps. » Ce texte est extrait de « Dancing de la Marquise » (5 Sens Editions, pages 36/37, 2020). L’ouvrage est disponible à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexionpamphlet/322-dancing-de-la-marquise.html

lundi 1 février 2021

Rater mieux

Emmanuel est un intellectuel. Il a usé ses guêtres à l’école, il a lu tous les manuels, des auteurs classiques, d’époque ou qui font chic, Houellebecq, mais surtout Beckett. Emmanuel excelle dans l’art d’imiter. Il singe à merveille le vieux Samuel. Dans « Cap au pire » (Editions de Minuit , 1991), l’Irlandais éméché sifflote une vague philosophie comme il sifflerait une fiole de whisky, d’une traite, dédaigne l’avenir, s’opiniâtre à le maudire, lui tourne le dos, compte ses mots : « Essayer. Rater. Essayer encore. Rater mieux ». Oui, cela saute aux yeux : Emmanuel vaccine comme pense le vieux Sam. Dès le début du récit, et tout au long de la saga du virus, sorte de saison 2 du grand débat, il respecte à la lettre l’elliptique prescription du Nobel des ratures. Il copie, recopie comme un moine au chevet du patrimoine. Il échoue, il est content de son coup. Il est satisfait de sa trouvaille, la soumet à ses ouailles, au peuple qui ripaille. Il répand ses haïkus dans les rues : « Dépister. Tester. Dépister encore. Tester mieux. Isoler à qui mieux mieux. » Emmanuel enrichit Beckett, ajoute une touche personnelle. « A qui mieux mieux » témoigne qu’il pige vite, qu’il surclasse même le grand Sam. L’héritier ne fait pas les choses à moitié. Il rate à répétition, à tire-larigot, dans les grandes largeurs, sans jamais que son arme de service ne s’enraie : les masques, les tests, les vaccins, et tout à l’avenant. Et de gauche, et de droite, Emmanuel s’approprie l’échec deux fois, double dose : la droite qui rate et la gauche qui gâche. Il contemple le magot. Il est courbé sur son ouvrage. Il fignole son raté comme un gosse de plage son génial pâté. Essayer, rater, essayer encore, rater, chuter dans les décors. Il se plante en splendeur, croise les skis dans la poudreuse : planté, flexion, extension du virus. Il loupe ses christianias, parachève un mandat. Emmanuel échoue comme un vieux loup de guerre, un académicien réfractaire. Et l’âge pivot dans tout ça ? L’émotion m’étreint. C’était le bon temps. Les années Théodule Delevoye, de revoyures tous les mois, à s’inviter à goûter pour le plaisir de se réunir, au crochet des gilets jaunes. Un temps d’échec sans complexe qui claque sec. Un temps de ratage prometteur, exécuté de main de maître. Souvenir de jeunesse, des premières liesses, des gais loupés. Emmanuel besogne d’arrache-pied, lit la nuit les fiers aphorismes de Giacometti. Les bonjours d’Alberto le ragaillardissent. « Mon seul souci serait de me restreindre le plus possible… Parce que, que cela aboutisse à un échec ou à une réussite, en réalité c’est exactement la même chose. Ou plutôt, il n’y a réussite qu’à la mesure de l’échec. Plus ça échoue, plus ça réussit. » (« Ecrits », Hermann, 1995). Emmanuel exulte. Il a extrait du grimoire d’Alberto de quoi habiller son deuxième mandat pour l’hiver. « J’ai un projet de dingue ! » confie-t-il au JDD. « Rater mieux », c’était bien. Beckett valait comme première fusée. Poubelle, maintenant. Usé jusqu’à la corde, à l’heure du tome 2 de « Révolution ». Désormais l’aventure spatiale exige une orbite présidentielle qui propulse Emmanuel vers un destin éternel. L’enjeu, sacré bonsoir, c’est sa bouille dans l’Histoire. Emmanuel est bouche bée devant les écrits de Giacometti. « Plus ça échoue, plus ça réussit ». La formule du bricoleur de Stampa lui va comme un masque, emblématise le deuxième et triomphal mandat.