lundi 22 novembre 2021

L'université de iel

Une jeune fille d’aujourd’hui étudie à l’université de iel. Elle traduit Corneille en français réglementaire, travaille comme une négresse sur Tite et Bérénice, débarrasse Horace des facilités de style, des tics de masculinité, des lourdeurs surannées qui entravent la diction, la pureté orale des récitants de la Maison de Molière. La jeune fille réécrit Polyeucte en neutre, remanie Le Cid en tiède. Elle rétablit le parchemin d’origine, rature masculin et féminin. A la bonne heure. La jeune fille jette son fiel sur les reliures miel des missels. C’est une missionnaire du grand chambardement littéraire. Elle fourgue à la poubelle les palimpsestes vieux genres des odieuses bibliothèques. Elle est hors d’iel quand elle relit Cinna dans l’édition des écoles. De tels écrits, d’une rare ignominie, sont destinés à la déchetterie. A la bonne heure. Dans La littérature et le mal, Bataille orthographie de travers la cause du désastre. Car le mal en vérité, qui sournoisement se féminise, c’est le mâle. Malpropre, comme on disait jadis, s’écrit mâle-propre. Le mâle propriétaire a dénaturé la Terre. Il convient de le désherber, de l’éradiquer comme un prédateur de la pire espèce. Oui : les écolos, j’entends bien. On trouvera les mots. C’est bien joli de déboulonner la statue de Colbert. Mais c’est loin de suffire. Moi président, je décrèterai un autodafé de fête comme on ordonne un couvre-feu de préfet. On s’égosille sur Les beaux draps de Céline, mais c’est de l’eau de rose à côté des libelles pornographiques des Zola, Sade et Kundera. C’est un autodafé républicain qu’il nous faut, illico presto, place de la Révolution, en souvenir de Joseph Ignace Guillotin.

dimanche 14 novembre 2021

Les frères Nono

A lever l’impôt, les frères Nonos partagent un même diplôme d’imposteur. Ils appartiennent à des promotions de la même maison : Bercy, le garage à picaillons. Arnaud et Bruno, héritiers des légendaires frères Bario, jonglent avec les mots. Le numéro d’Arnaud, c’est la Remontada. Le sketch de Bruno, c’est le Renouveau. Dans le droit fil de la bible de « Révolution », la bible des « Cinq Glorieuses », l’impérissable opus du quinquennat, deux fiers ouvrages sont aujourd’hui de nature à ragaillardir le peuple des gilets d’automne : « La Remontada » (il est traduit) et « Un éternel soleil ». Leurs fulgurants échos squattent les plats plateaux d’infos. Impossible n’est pas Nono. « Quand on veut, on peut ». A la bonne heure. Arnaud retrousse ses manches d’apiculteur, se fait piquer par la reine, se gratte, s’égare en salle de shoot, marque des buts à tire-larigots. A force d’en parler, il se croit sur le terrain. Dans son sommeil, Arnaud voit des soleils. Comme Bruno. Le villepinesque ministre publie un énième chef d’œuvre au titre saganesque. « Un éternel soleil » est un livre qui fera date, qui s’assied sur la dette. Bruno, le grand argentier communiste a étatisé des salaires pendant deux ans. Le chaman du gouvernement esquisse les contours d’une économie magique, faite de budgets de conte de fées. Les frères Nono n’ont pas écrit « Mort à Crédit : ils réhabilitent la sorcellerie.

jeudi 4 novembre 2021

Elle m'a beaucoup appris

"L’Etat paie peu, exige encore moins ». Morand cite ce mot de Maupassant dans sa pétillante biographie. Or l’Etat, ces jours-ci, diffère de celui de l’auteur de « Bel-Ami ». Il récompense les bras croisés, rétribue les petits et grands patrons d’échoppes à stores fermés. Il distribue de quoi vivre aux travailleurs empêchés, aux barricadés de l’oisiveté forcée. Il a décrété un socialisme de l’urgence face à la véhémence du virus à géométrie variante. Bref, le communisme salarial est l’invention majeure du quinquennal mandat d’Emmanuel, l’antilibéral patenté des diktats de santé. A l’heure des bilans, le communisme n’est jamais qu’un temps de parenthèse d’un capitalisme patraque, mal à l’aise avec les jobs de microbes. « Elle m’a beaucoup appris ». Le stagiaire de l’Elysée ne parle pas de la guerre sanitaire, mais de la chancelière. A Beaune, on a choqué les verres de bonne bibine. Au final des agapes, le jeune Emmanuel a remis le rapport d’étape à sa directrice de stage. « Elle m’a beaucoup appris ». La timide sentence traduit l’infinie modestie du prometteur apprenti. En échange de quoi, la Germanie, bonne fille, lui a décerné les félicitations du jury.

L'homme au sourire violet

Un jour de novembre, Gilles Deleuze quittait ses amis, pas ses lecteurs - pour aller acheter des cigarettes, aller voir ailleurs s’il fait bon mourir. A Saint Léonard de Noblat, l’homme aux semelles rebelles pensait à la petite reine, l’autre, pas celle de Fausto Coppi, la jolie Sophie qu’il aimait sans mesure. Deleuze ressemblait à l’homme de terre, pas à l’homme de tête, qu’il s’était faite, qu’il avait si merveilleusement faite. Deleuze donne de quoi vivre pour l’hiver, se vêtir la peau et les os quand il fait froid sur les idées, de quoi penser jusqu’à l’été. Sans philosophie fixe, il se meut dans les saisons, il émeut par les mots, il est mort d’un claquement d’aile. Shetland de jeune homme, visage brave, Gilles Deleuze tend une main de prince, une poigne d’Idiot, confie au temps sa noblesse et ses lettres. « Le peuple manque » disait-il à propos de l’artiste, après Paul Klee. Il lève sa plume d’oiseau urgent. L’homme au sourire violet s’en est allé. Loin des veules, près du peuple à venir. Ce texte est extrait de « Les fées de Serres » (à paraître, 5 Sens Editions, janvier 2022)