mardi 30 décembre 2014

Voeux de beau jeu

Deux mille Quinze, deux mille Demis, deux mille Trois-Quarts. Vive l'an Quinze ! Vive le rugby ! Vive le Mondial hexagonal de balle ovale ! Allons de l'avant sans en-avant ! Allez les Bleus, Blacks, Pumas, Springboks, Wallabies !
Voeux de beau jeu. Joyeuse Mêlée ! Heureux Essais ! On tape à suivre jusqu'à l'an Seize.

La chair du poème

Vingt-neuf, nombre premier, jour de beauté. Le froid requinque la joie. Les habits déraillent comme la folie sur nos poitrails. On emmitoufle dix, vingt doigts. Je frôle un passé le long du quai d'Orsay.
La rareté est critère d'alacrité. Je m'émeus de la saveur du chocolat. Patrice S. noie sa détresse dans les essaimesses. On cause de Thou et de rien. A l'exception de Ferrare que je recommande à son émilienne attention. Hélène se délecte d'une petite viande d'esthète, apprécie la maison vietnamienne. Patrice S. parle d'un fils, se conduit comme un prince.
Renoir, sacré bonsoir. Renoir, la franche gaieté de French Cancan, féérie jusqu'à minuit. Re-noir. Encore de la couleur, davantage de bonheur. Re-noir, pas d'âge, du nom de l'art de Soulages.
Vaslav Nijinsky, Roland Petit côtoient un chorégraphe suédois. Je me dresse sur les coudes. Sylvie Guillem, l'arachnéenne, danse comme une reine. Un corps alphabet tisse l'espace dans la chair du poème.


dimanche 28 décembre 2014

Ersatz d'Herzog

Mon pouce est posé sur la page comme une petite madone sans visage. J'observe la collerette blanche qui délimite une chair.
J'ai froid sans drap. La Germanie ne borde pas ses lits. La couette, niaise coiffure de fillette, n'habille qu'à moitié mon squelette. Cette manière d'édredon condamne une civilisation. Au sud de la Rhur, les dimanches n'ont d'autre seigneur que la rigueur de l'hiver.
Faute d'attendre la fin des phrases, je cause aux images. Pompidou va mourir. Herzog a trente ans, une progéniture, rien que des films. Je regarde un documentaire à la télévision réglementaire.
L'image est beige comme une neige. Je lui confie le coloris d'une rêverie. Werner Herzog saisit la rectitude d'oiseau, la courbe exacte du saut. Il freine le vol à skis, fixe l'étrange cérémonie humaine. Il guette une prière aérienne.
Les champions sont des pions d'horizon. Ils convertissent la vitesse de sautoir en beauté provisoire. La majesté des corps parallèles agit comme une magie, exerce une hypnose, mortellement tachetée de soleils grandioses.
Hier, quarante années derrière. Je siffle une récréation. Je glisse une rondelle dans le bidule. Je rameute un, deux, trois souvenirs. L'image d'Herzog est cabossée, ses dialogues désossés. J'appelle vandale celui qui désaile un ciel.
Avec l'émoi du doigt, je presse une touche. Je stoppe une mémoire, mêle à ma colère la mauve mélancolie d'un ratage d'industrie. Les manufactures défigurent une nature, ses parures, ses postures. Leurs tags d'époque font des zigzags d'Herzog un brutal ersatz, un numérique cul-de-sac.

lundi 22 décembre 2014

Maison Jaune

J'imagine l'hôtel des Palmes à Palerme. Raymond Roussel, fils de famille, s'y suicida, jour de fête nationale.
Au rayon déchetterie d'une librairie, je localise Locus Solus, au voisinage de Maison Jaune. Dominique de Roux efface Roussel. L'alphabet permute un but. Je m'enfièvre à pareil désert d'étagère. Maison Jaune, que Dupré étiqueta "chambre du roi", est une feuille d'automne qui pourrit sans ami.
Un livre d'orgueil dort du sommeil du juste, abandonné des siens. Où sont Céline, de Gaulle, Gombrowicz, les petits soldats, l'armée des songes d'un enfant de Saintonge ?
Maison Jaune fait tapisserie dans un coin de librairie. L'auteur du Cinquième Empire n'a peur de rien, pas même des doigts qui frôlent un squelette.
Je peste contre un guichetier en livrée. Le Raymond Roussel de Michel Foucault est épuisé de toute éternité. Je revois l'émouvante moustache de François Caradec, son biographe, le doux regard d'homme de bar, sa trogne d'ivrogne. J'ai conservé sa lettre, joliment manuscrite. J'en extrais - comme un rite - le mot "luxueux" qui me rendit heureux.

dimanche 21 décembre 2014

Une liasse de forints

Budapest la nuit brille dans l'écartèlement du fleuve. Du Danube, le peintre sort du tube un bleu de Prusse. Il braque la couleur brique.
Le palota Gresham mime les coulures molles catalanes, dégouline comme un suaire de Dali, un sanctuaire de Gaudi. On mâche un texte à vouloir marcher dans Budapest.
La librairie Latitudes a quitté le quartier juif, la rue Wesselényi, dérangé mes habitudes. A Buda, elle s'est agrégée à l'Institut Français, l'ignoble bidule des bords du Danube. J'inspecte ses rayonnages dépareillés.
La blonde Hongroise s'invite en ma solitude. Elle me désigne un gros bouquin noir, au papier bible des missels de jadis. Elle me convainc par la magie du mot "proustien". C'est Histoires Parallèles, l'oeuvre de vingt ans de Peter Nadas. Je tranche le volume comme une pomme. Manière d'en avoir le coeur net.
Je suis ébloui par la soudaine blancheur des deux pages. Mes yeux se règlent à la lumière du texte. Je talonne une poignée de mots, à première vue, comme une inconnue dans la rue. Je ressens la fraîcheur d'une chair.
J'interromps mon désir de plaisir. L'imagination m'ordonne d'en différer la satisfaction. Je claque le bottin, dégrafe ma liasse de forints.


jeudi 11 décembre 2014

Le chat

"Je me casse la tête". Tracas rituel de Maman. "Je me casse la tête avec ce que vous me dites". Adorable compassion. "Je me casse la tête avec le chat".
Maman sentait, pressentait, mais jamais ne mentait. Un soir, dans le noir, Maman s'est fracassée la tête.

Loti

Loti fait la navette entre Hendaye et Rochefort. Il comble les temps morts. Sur l'étagère, je ne touche pas au livre qui me fait peur, qui m'a souri à la devanture d'une librairie. J'errais à Poitiers. Dans sa chambre bleue, Nadine regarde Loti dans les yeux: "Tu y crois, toi, n'est-ce pas ? Tu y crois bien, que nous nous reverrons ?". A la vitrine de l'échoppe, je suis saisi par la familière évidence, les questionnements de mon enfance. Une écriture manuscrite enrubanne le cartonnage de l'ouvrage. Elle m'éblouit.
Je tiens de ma mère que son père admirait Loti, se pressait à la sortie d'une nouveauté de librairie. C'est un journal de deuil, de fragments sèchement épinglés. Loti note le mystère d'une figure, le secret d'une mourante, exorcise un remords.
Loti trace des lignes sans pathos ni repentir. Les mots peuvent exploser à tout moment. Je les récite en connaissance de dynamite. Loti précise: "L'amour que l'on a pour sa mère, c'est le seul qui soit vraiment pur, vraiment immuable, le seul que n'entache ni égoïsme, ni rien". Au carreau du maître-ouvrier, j'ai sans doute voisiné avec l'éternité.

mercredi 10 décembre 2014

Les deux vicaires

Les notaires bariolent des banderoles, dépavent les boulevards, s'agrègent en cortège. Les enragés du droit coutumier se costument en déshérités de la société. Le mouvement ouvrier est relayé par un front notarié. Le métier ne doit s'exercer qu'en petit comité. C'est une action spontanée des rentiers du cadastre.
Hier, à l'heure des préparatifs de manif, j'ai coudoyé deux leaders notoires de la grogne. Ils jouissaient de la sécurité du papier. Ils dénombraient leurs feuillets comme des liasses de billets. Ils lisaient le poème du bien cédé comme l'abbé récite un bénédicité.
J'ai interrompu la prière des deux vicaires. A cause des manquements récurrents à l'orthographe élémentaire. Ils ont désigné l'arpète du texte en bout de table. Rien n'entache la légitimité du prélat. On se pardonne l'offense sans pénitence. Un sourire d'homme de droit suffit au contentement bourgeois.

lundi 8 décembre 2014

Le chemin de ronde

Rue de Castellane, rue de l'Arcade, rue des Mathurins. Je longe le carré des façades anthracite, arpente l'asphalte en fuite. La mort a tailladé le trottoir, scarifié la mémoire. Elle rôde en renard, maraude bande à part.
Sur un banc d'oubli, vert bouteille écaillé, le gros homme est vautré dans l'ivresse, hurle au vent sa détresse. Je frôle un corps qui dégringole. Un cri rauque égratigne la rue comme un genou. Sa panse éclate d'une écarlate violence.
A l'angle asiatique, la table où j'écoutais Django, loin des échos frénétiques. Je mordille mes lentilles. J'achève un chemin de ronde. Je me propulse aux basques du kiosque. Il est grillagé comme un danger.
Richard de dos s'était refusé aux mots. Le kiosquier périssait sous le poids du papier. Il rassemblait ses effets, déguerpissait du quartier. La mort l'a cueilli comme un éphémère pissenlit. J'ai fini le jogging du souvenir. Ma paume solitaire ne serre plus qu'une clé de propriétaire.

vendredi 5 décembre 2014

Bernard, chef de nef

De derrière, je vois ses cheveux lissés, argentés sur la nuque. Bernard rebondit de poitrine en poitrine, d'une joue mastic à l'autre, comme une balle de vertige.
Il pleure comme un veau d'abattoir, à visage découvert, tuméfié comme un lutteur déganté, tatoué de douleur. Hubert le boulanger a bravé les failles du rail, quitté sa masure de Chambois à l'heure noire du brouillard. La ronde des trognes s'ébroue lentement devant le catafalque.
Bernard, chef de nef, est secoué de sanglots par saccades. Bernard est mitraillé de l'intérieur. Sa tête pend sur son buste. Il est prostré sur un portrait. Pourquoi est-ce que vous êtes venus ?
Bernard tord sa mâchoire pour tenir le crachoir. Faut boire un coup. Les pèlerins du chagrin s'égrènent sur l'asphalte. On se serre au bistrot comme sur un banc de touche. Bernard officie au crématoire. Un homme procède à l'autodafé d'une femme. C'est le dernier match quand la chair devient cendre et la vie confettis.
Vous êtes toujours là ? Bernard commande à boire. On fait cercle à côté du serrurier, du bidasse et sa fiancée. Bernard le bistrotier n'est pas classé au patrimoine de l'humanité. Il est blanc comme un clown, d'une espèce menacée. Bernard remue notre peau, triture nos remords d'hommes falots. Bernard squatte un coin de square de nos misérables mémoires.

mercredi 3 décembre 2014

Diagonale de table

Je considère l'assiette, la meule de spaghettis rougis, la tiède odeur de tomate. Dans la diagonale de table, l'homme taillade une pizza. La bouteille de Valpolicella imprime une sémillante force, une gaieté factice à l'exercice croisé d'une conversation.
Je rate les gaudrioles de la rumeur de hall. Je manque la marche des mots. Je songe à la comtesse Greffulhe, alias Oriane de Guermantes. La rue se défausse, patiente sans promesse, la peau sur les os. L'horizon est une porte de prison. Je regarde par la vitre la couleur chauve des choses.

La boulangerie

Dans une nuit mauve où le passant se sauve, le bout de rue s'anime de lueurs brusques. La boulangerie réveille ses confiseries, au clairon d'un pain de tradition. L'échoppe se colorie de loupiotes qui hésitent.
Les solitaires, de bonne heure au plein air, s'orientent à la lumière des blés. Ils s'engouffrent dans la grotte étoilée comme dans une baraque à gaufres.
Le patron sans tablier gesticule dans sa propriété. Une jeune fille fardée obéit au débit saccadé. Ses grands yeux interrogent la hâte, pareils aux flammes qui crépitent.

mardi 2 décembre 2014

Le bonheur

Sarkozy s'égosille ces jours-ci. Il est chef de parti, pas à moitié. Il rame à rassembler les égarés, à contre-courant d'un mouvement dispersé. Il rameute les loups d'émeute. La chasse en bande prévaut sur les prébendes.
Il est fébrile du nombril. Il nous rappelle qu'il est pareil. Changer de nom. Paul Bismuth gesticule tous azimuts. Sarkozy souffre d'un handicap: il ferraille sans masque.
Le Maire est instruit comme un haut fonctionnaire. Il n'est pas bavard sur l'hectare. Il est mièvre et sans fièvre. "Je suis heureux". L'électeur lui cause du bonheur. Je songe au Général: "L'illusion du bonheur, d'Astier, c'est fait pour les crétins" (André Malraux, Les chênes qu'on abat..., page 121, Gallimard, 1971).
Le Maire ignore la passion comme un major de promotion. Il a mouillé sa chemise blanche de premier communiant. Il passera à la teinturerie, fils de Giscard, Juppé, Balladur réunis.
Juppé rime avec constipé. Il ne tirera ni son épée, ni les marrons du feu. Il est frileux comme un vieux. Avec génie, Chirac racontait des craques, a dit beaucoup de conneries.
Fillon est le bon à rien de la compétition. Séguin lui confiait son porte-documents. Villepin l'a oublié dans son calepin. Fillon ignore qu'il est médiocre.


lundi 1 décembre 2014

Le roi Cophetua

Quand la nuit noire enfante un gris d'échec, qu'une pluie de lugubre intériorité cisaille un fiasco, je colmate une panique à l'aide d'une musique.
Sans la couleur au chevet d'une humeur, sans un rouge au secours d'un caprice, tel quel au jeu des voyelles, je manque d'alcool.
Je sonne La Callas en personne. La cantatrice interroge une cicatrice. Sa voix est l'émoi d'une foi. Elle guérit le défaut d'un coloris.
Je repeins les matins mastic d'une couche rouge de musique. Je frotte une phrase, les mots du Roi Cophetua, à l'écho domestiqué du bel canto.