C’était
un 29 mai un peu particulier. Les enragés de Mai 68 tenaient le haut du pavé.
Dans l’anonymat le plus absolu, un grand écrivain français, fils métissé de la
porcelaine et du cognac, mourait à La Frette, à un jet de pierres des barricades
parisiennes.
J’ai
voulu me souvenir du maître des lettres françaises. Deux de mes livres évoquent
sa mémoire, son écriture libre et pure, le cristal d’un style de très haute
couture.
« On
est lyrique quand on a rien à dire ; la moindre idée bien mûrie, cela vous
coupe le souffle ». Chardonne vend la mèche » (La cicatrice du
brave, page 28)
« Je
lis Chardonne comme je prie la Madone. C’est un maître à vieillir disait
Morand. Edmond Jaloux parla d’une prose argentée : « On ose à peine
lire, à peine toucher ces pages, de peur de disperser cette poudre
irisée ». Je veux jouir d’une fraicheur de neige, je veux lire Chardonne
sans me dépêcher. Lentement, illico presto » (L’amitié de mes genoux, page
89).
« Léon
Blum, l’esthète rouge, encense Jacques Chardonne à la parution de
« L’Epithalame » : « Je place très haut, pour ma part,
l’écrivain qui a su débuter par cette œuvre d’élite » (idem, page 40).
«
Chardonne, qui s’illusionne sur Proust, ne ment pas sur ce qu’il
affectionne : « Ce que nous aurons appris dans notre vie, c’est la
valeur du présent, l’instant présent, avec sa lumière et son secret » (Citation
d’une lettre du 1er novembre 1957 à Paul Morand in La cicatrice du
brave, page 65)
Jacques
Chardonne révérait l’élégance d’Eugène Fromentin, peintre et écrivain. Ses
derniers petits livres, au soir de sa vie, sont pour moi les plus beaux. Hors
sujet, rien que de la beauté : « Femmes »,
« Détachements » et surtout « Demi-Jour ».