jeudi 30 mars 2023

30 mars 1853

Je me tais devant la télé. J'y dérobe les bribes d'un secret. Il est séminariste avant d'être artiste, puis peintre tout court, à ses risques. Il évangélise ou dessine, écrit des mots. Les toiles de Jules Breton incendient son imagination. Un jour d'air pur, il s'aventure hors de la nature jusqu'à l'atelier de peinture. Courrières est au diable, au bout du désert. Le petit curé colle son nez à la vitrine, n'ose entrer à cause d'un artifice de briques. Il sent les apparences. Il est glacé par l'absence de simplicité. Il renonce au renom. Sa virée s'achève en ratage souhaité. Il arpente la bourgade, garde sa solitude. De Breton, il voit le portrait du photographe, à deux, trois maisons de l'atelier. A son frère, Van Gogh écrit téméraire: "L'art, c'est l'homme ajouté à la nature". L'homme, il en est sûr, c'est lui, pas un autre. Il a dix ans à vivre. Il n'a jamais vraiment peint. Il n'est bon à rien, peut-être au dessin. Sa mort volontaire indique un millier de toiles au compteur. Je me tais devant la télé.

vendredi 24 mars 2023

C’est comment qu’on freine ?

« Pousse ton genou, j’passe la cinquième ça fait jamais qu’une borne que tu m’aimes Je sais pas si je veux te connaître plus loin Arrête de me dire que je vais pas bien C’est comment qu’on freine Je voudrais descendre de là C’est comment qu’on freine » Le peuple est au volant, le prince siège à la place du mort. Il y a cinquante ans, Bashung chantait la brisure du pays d’avec son chef de gang. Le peuple s’échappe par la portière, laisse un prince finir un stage de dix années sectaires. Il roule par terre, cogne à l’asphalte. Le prince apprenti fonce dans le mur à tout prix. Le pays ne fait pas de sentiment quand il y a crise du consentement.

mardi 21 mars 2023

Une souveraine détestation

Macron dispose de deux alliés miraculeux, se repose sur deux compagnons de route providentiels : Le Pen dans les urnes, Mélenchon dans la rue. Le Pen est une proie facile de finale présidentielle. Mélenchon est un agitateur de trottoir dont les appels à la violence, aux exactions urbaines favorisent la figure d’ordre du monarque élyséen. Le Pen et Mélenchon épaulent efficacement le petit président. Le peuple est d’apparence multiple. Le peuple d’élections présidentielles diffère du peuple de scrutin législatif. Le peuple de la rue se distingue du souverain abstrait des suffrages représentatifs. Or le président considère que son peuple national prévaut sur celui des députés de département. Quant au peuple des pavés, des défilés et des cortèges institutionnels, il les récuse d’emblée. Celui-là même que Mélenchon souhaite métamorphoser en foule éruptive, en meute rugissante, en bandes enragées. C’est pourquoi le pays est emmêlé dans ses chaînes comme un docile chien de ferme. Il aboie. Autrement dit, Macron n’a pas d’opposition. A l’exception d’une souveraine détestation. Macron n’a pas d’opposition. Ses lieutenants objectifs – Le Pen et Mélenchon – lui suffisent. Macron n’a pas d’opposition. Sauf un peuple de chair qui crie une légitimité, qui hurle un ressentiment.

mardi 14 mars 2023

14 mars 1983

Doigts devant soi qui ratent l'infini. Destin déjanté d'une maison de santé. Drieu raconte sa mort velléitaire. Drieu est odieux à ses propres yeux. Sa main dessine dans le vide une image féminine. Il ne s'approprie pas même une prière, le sourire des viveurs. Maurice Ronet traîne à longueur de temps ses regards mendiants. Il règne sur le film de Malle en seigneur sans médaille. C'est la dernière escale d'un clandestin. Ronet se dessaisit de la vie par la fantaisie de l'oubli. Il marche à côté des rails, parallèle à sa fêlure. Maurice Ronet, d'avant sa cicatrice sur la joue, taillade ses nuits d'algarade, se hisse au sommet de l'impasse. On croise pas mal de comédiens trop bien pour mourir. Les bitures d'Alain préfigurent la déconfiture de Pierre. Drieu donne ses yeux bleus à la littérature. Ronet est dans le secret du dernier roi désenchanté. Mieux qu'un oscar, il mérite un regard. Le glorieux anonymat troue la mémoire du cinéma.

14 mars 2009

Bashung a ôté son chapeau, salué sous son chapiteau, n’a pas sauvé sa peau. Ce métis, à profil d’oiseau de race, est un écorché fils. Il a sculpté les mots, saccadé les sons, fracassé les rythmes. Il chante des splendeurs dans son for intérieur, confie sa déchirure à des volutes de volupté. C‘est comment qu’on freine l’élégant énergumène ? Avec des Victoires de dernier soir, Bashung a noyé son désespoir. Il est mort sur les rails, trente ans d’allers, trente ans de retours. Gaby le Kabyle n’a rien échappé belle. La rougissure des yeux est le pourboire des endeuillés. Prince en exil intérieur, Bashung nous débarrasse du bastringue. C'est une musique entêtante comme un vin mauve, aux sensuelles arabesques et fins interstices. Aristocrate de son art, meilleur que le tapageur Gainsbourg, Bashung émeut par ses mots bleus transfigurés. Le rocker impose une prière. Bashung Achtung ! Attention aux yeux - l'élégant dandy. Attention musique - féline fêlure et mots précieux.

dimanche 12 mars 2023

Un temps bref d’épiphanie

Les ergots d’un coq ont châtié les épines d’une rose. L’Angleterre avait renié son rugby avant que le fier gallinacé, bleu, blanc, rouge, n’ait chanté sept fois les noms de Ramos, Flament, Ollivon, Penaud. Sept essais fabriqués français. Sang pour sang. Dent pour dent. œil pour œil. Produits de gloire et de terroir. Arrières, avants s’en sont donnés à cœur joie. Ce jeu de balle ovale, de vaillance et d’instinct, administre aux siens une leçon de maintien. A la baguette, il y a Dupont, « le monstrueux » champion, capitaine tricolore, le plus capable, qui ne fait pas cap pour du beurre. Dupont, l’authentique, se moque du Van Damme de la place Vendôme, lui enseigne à Twickenham l’honneur avec un corps, en vraie grandeur, pas seulement avec un petit bras de rougeaud avocat. Sous une pluie d’hiver, sur une pelouse d’ennemi héréditaire, un vieux pays récitait hier son meilleur rugby, d’exacte fantaisie, de rigoureuse poésie. Il fabriquait du panache à la hache. On aime à Twickenham un même jeu de gentilshommes à cause d’une tradition, d’une nostalgie, d’un style. La prouesse de samedi a troué la morne répétition des tristesses. Elle révèle l’éclaircie glorieuse, instaure un temps bref d’épiphanie. Le pays des Boniface n’est pas celui de la défausse. La terre de Villepreux s’embrase aux premiers feux. C’est un royaume, à sa manière, de grands hommes fiers, l’heureuse contrée des pieux serviteurs du jeu, le fortin retranché des preux chevaliers des somptueuses percées, des majestueuses passes croisées.

jeudi 9 mars 2023

Van Damme de la place Vendôme

L’école dégringole, fabrique du crétin à la pelle. Elle élargit sa gamme au sous-crétin, produit de l’inculte low cost. Le Van Damme de la place Vendôme témoigne du cheminement de l’idiotie, illustre le carriérisme de la connerie. Le dressage à la crétinerie conduit à la voyoucratie, à l’usage décomplexé des modes d’expression des petites fripouilles. Dupond, la grosse voix, nuit grave à l’éducation des gosses. Ses bras d’honneur d’hémicycle sont de piteuses sorties de piste. Le ministre, ivre de lui-même, a forcé sur le Bourbon. A l’occasion, ce rougeaud chasseur du dimanche, amateur de buvette, sait se saisir d’un fusil, épauler, quand son bras le démange. Ce plaideur théâtreux est l’homme des territoires giboyeux du lobby des chasseurs. Mais on était loin des battues solognotes, au coude à coude avec Larcher, dans un bosquet sénatorial de chasses présidentielles. Non, Dupond poireautait sur le banc de l’Assemblée. En manque de pétoire, l’homme des prétoires a boudé le réquisitoire, tiré dans le tas de députés, visé comme un pied sur Marleix, avec un bras orthogonal de fort des Halles. J’ai songé à une autre belle voix grave, mais d’orateur cette fois, de tribun d’excellence. Philippe Séguin, c’était hier, c’était mieux, c’était vraiment bien. « La connaissance est dans la nostalgie » écrit Pasolini.