jeudi 31 mars 2022

Un président d'anthologie

Le début des périls remonte à sa mort, un deux avril de malheur. A huit jours d’élire un lointain successeur, un hypothétique héritier, je songe à Georges Pompidou. « On est mangé par le temps, démangé par le ressentiment. Le Finistère est un bout d'Angleterre. Par ces vents fous, j'ai pensé à Pompidou. La politique s'est arrêtée à Pompidou comme la peinture au Lavandou. L'homme aimait l'auto et les mégots. La poésie et l'industrie. Il se méfiait des grands mots. La pudeur était sa demeure, un for intérieur, une parole d'honneur. " Dans notre famille, on ne se couche que pour mourir ". Quarante ans qu'il nous manque, qu'on nous flanque au balcon des premiers communiants, que font long feu des petits morveux sans grand sérieux. Pompidou a vingt-et-un ans. Il griffonne à Pujol qu'il est tenté par l'opium. J'aime Pompidou, compagnon de Poulidor et des sons du terroir. Il est facile dans les cols, à l'aise en Mai qu'il démêle, collectionne Staël. Il est désinvolte, brillant, rude au mal. De Gaulle : il rédige à sa droite. » Ce texte est extrait de « La cicatrice du brave » (5 Sens Editions, 2017, page 73). L’ouvrage est disponible à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexion/90-la-cicatrice-du-brave.html

dimanche 13 mars 2022

L'Inachèvement

l’inachèvement (Michel Fardoulis-Lagrange, José Corti, 1992) « Le récit ne prend d’envergure que dans la mesure où il s’enroule autour de son écho. » page soixante-quatre « Telle une lame de couteau, une lueur linéaire coupe en deux le cadre indéfectible, blanc et noir, du ciel. Nous tournons autour de cet axe, en quête de nous-mêmes, alors qu’il départage toujours nos sensations. » page cinquante-neuf « La journée va de soi, peuplé par les rescapés provisoires d’une grande détresse » page trente-deux « Notre image fléchit comme les flammes des broussailles à travers le léger trouble de la surface des eaux. Mais les siècles ne pèsent pas, ils ne font qu’effleurer le jeu des lumières. C’est le lieu qui nous est réservé, aux dimensions de nos heures de loisir à la traîne du chœur des enfants. » page cinquante-cinq « Il ne peut y avoir d’alternance, mais des paraboles sur des riens. » page soixante-cinq « Il y avait de la splendeur dans cet amalgame d’avoir été et d’avoir à être. En fait nous avions le même âge que les enfants rangés sur la ligne d’horizon, insomniaques, veillant sur le néant. » page soixante « L’heure la plus haute semblait envoûtée par la pâleur et la flétrissure. » page quarante-trois

mardi 8 mars 2022

L'homme du match

Douze. Un remplaçant. L’équipe de foot est au complet. Lassalle, dans les buts. Zemmour, arrière. Roussel, à l’aile. Dupont-Aignan, sur le banc. Le Pen, capitaine. Poutou, goleador. Artaud, Hidalgo, Jadot jouent liberos. Pécresse rate ses passes. Mélenchon additionne les cartons. Macron monopolise le ballon. Travailleur infatigable, il oriente le jeu vers l’extérieur. Ses passes à Poutine (pardon ! Poutou, ma langue a fourché) sont un peu téléphonées. Mais l’essentiel n’est pas là. Il réside dans une modestie d’apprenti, une humilité qui désarme toute hostilité. « Je ferai mieux encore au match retour ». Il est élu « homme du match ». A mains levées.

samedi 5 mars 2022

Crane Ukraine

Ukraine. Crane Ukraine. Ukraine. Ubi. Où est la reine ? Déchiquetée sur l’échiquier. L’Otan attend. L’oncle Sam envoie des spams. Bruxelles gronde l’élève, sanctionne à la pelle, parle de renvoi dans sa famille, en Asie, vers la Chine. Par définition, le paradis figure parmi les pertes. Il n’y a de guerre que de religion. Pas de guerre sans prière. Pas de violence sans croyance. Vlad tranche dans le vif de Kiev. Assoiffe les bons bougres des bords d’Azov. Poutine exhibe ses joues de trompettiste. Solo de jazz de corps gisants. Poutine imprime en capitaine un charcutage de l’Ukraine. Sa bouille est bleue comme une orange. La ronde figure du tsar est une Terre miniature. Dans les miroirs du Kremlin, Narcisse fait le malin. Poutine s’observe, regarde un squelette, une tête poupine, bouffie, rosie comme un dernier selfie de la planète. L’homme à visage de cortisone est une idole de plâtre. Avec les jaunes et les bleus de Van Gogh, du suicidé de la société d’Artaud le Momo, l’Ukraine bricole les banderoles, agite les panaches à couleur de ciel et de céréales.

vendredi 4 mars 2022

Les fées de Serres

Des mots. De l’encre, pas du sang. Une pensée qui panse et dispense des plaies. Jamais la guerre, mais la paix qui seule crée. Michel Serres est le philosophe de l’irénisme. Alors, les fées, rien que les fées. Je suis parti de son admiration pour Simone Weil, la philosophe chrétienne. Je me suis arrêté un instant devant la figure modeste, effacée, de sa femme Suzanne. Dans son dernier livre, il la qualifie de « sainte ». Elle est là, veille à la vie de tous les jours. La mère de Michel demeure une énigme, révèle sans doute une blessure. Il n’évoque sa mémoire que dans un livre posthume. J’ai réuni ces trois femmes en un bouquet de fantaisie. Les trois fées se taisent. Michel parle. Avec faconde. En Gascon. Il écrit. Une œuvre de quatre-vingt et quelques volumes. Serres avait abandonné la marine militaire, démissionné de Navale pour la philosophie, après Hiroshima et le choc ressenti à la lecture de « La pesanteur et la grâce ». L’ouvrage est disponible à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/qc/recit-de-vie-5/476-les-fees-de-serres.html

jeudi 3 mars 2022

Un faire-part de départ

Maigret n’a rien de maigrelet. L’embonpoint entrave un corps sans élan, tassé dans l’inertie, muré dans un laborieux maintien, contrarié dans un destin. Depardieu, le comorbide, exhibe un bide. Il marche au petit pas sur le chemin du trépas. Une fille crève, lui troue l’écran. A la morgue, il y a du rouge sur la morte. Depardieu s’en tient au blanc. Au verre de blanc. Les enquêtes de police se distinguent par une couleur, la robe d’un vin, au premier coude sur le comptoir. Blanc comme un linge de fiançailles dont à l’automne il mâchonne, remâche l’image. Depardieu chemine dans une grisaille lugubre. Pas vraiment bourru, juste ballonné. Il élucide à l’instinct. Il claudique dans une atmosphère mastic. Dans ce film qui pue la mort, empeste le faire-part de départ, il salue André Wilms, en seigneur, dans sa fabrique, son taudis, sa vie en somme. Depardieu croise Aurore Clément, Elizabeth Bourgine, nous les désigne comme des comédiennes, des vraies, oubliées par étourderie. Ce film a évacué le tabac, l’a interdit sur le tournage. Leconte cadre sobre. Les riches, les pauvres, l’ennui qui les relie. Depardieu écoute. Depardieu, s’il pèse une tonne, n’en fait pas plusieurs, s’abstient du pluriel. C’est écrit sans style comme du Simenon.