samedi 25 janvier 2020

Lucia Bosè

28 janvier 2020 : Lucia Bosè fête ses quatre-vingt-neuf ans. Je l’ai vu pour la première fois dans « Chronique d’un amour ». L’actrice d’Antonioni figure dans mon livre « La cicatrice du brave ».

« La nature est chose obscure. Le cinéma regarde l’émoi d’une salle. Le jour se lève sur nos lèvres. J’ai fui la nuit, stoppé au métro Antonioni.
L’image clignote sur le mur d’en face. Lucia Bosè ose une métamorphose. Je suis criblé de sa beauté. L’actrice réveille une cicatrice. Je me fige au spectacle d’une effigie. Lucia est d’évidence une brune intense. Lucia Borloni est fille des brumes de Lombardie.
Je m’éloigne des clichés mitraillés. Je m’ennuie devant des photographies. Je reviens vers mon destin. Je contemple la plus belle fille du monde. Je demande du bonheur à une vendeuse de douceurs. La luxueuse Lucia plante ses yeux de fille du feu comme des banderilles d’adieu.
Visconti, bon prince, en fit une Miss Italie. La demoiselle des confiseries, via Victor Hugo, s’octroie une célébrité, rafle le trophée à Gina Lollobrigida. L’icône abandonne le panettone, quitte le chocolat pour Cinecittà.
Visconti invente Lucia Bosè comme Saint-Laurent, Laetitia Casta. Les yeux d’une Milanaise sont des brûlures de braise.

Je jette un œil sur la nature morte de De Pisis. La mer, la plage, deux poissons à l’étal.  L’été converse avec l’éternité. La rétrospective Antonioni est pleine d’affiches dont je me fiche. Je ne peux me défaire des portraits de Lucia, à gauche de l’entrée. Je sais combien mes petites amoureuses sont venimeuses. Lucia, Laetitia. Je raconterai Olga.
J’ai besoin des visages pour me persuader du paysage. Le rosé d’une joue est un lieu familier. Les regards sont des messages de guépard. Je guette l’épiphanie comme un veilleur d’ennui.
Dans le coin de Bercy, les trottoirs sont troués, squattés par des chantiers désertés. Les grues sont des dinosaures de rue. La laideur fait peur comme un cri de victoire. On s’habitue à ce qui meurt comme aux odeurs. Je slalome entre les hommes. J’ai dérobé  deux, trois sourires à la marchande de pâtisseries. Lucia Bosè s’est offusquée. Elle s’est retirée comme une lèvre prostituée. »

« La cicatrice du brave », 5 Sens Editions, pages 14 et 15

L’ouvrage est disponible à l’adresse suivante :
https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes/90-la-cicatrice-du-brave.htm

mercredi 22 janvier 2020

Le meilleur histrion de sa génération

Paul Meurisse est mort un 19 janvier. Dans « Fred », j’évoquais sa mémoire. Un talent à faire peur. Un génie de la comédie.

« Fred et Denis composent un duo de virtuoses. Ils sont emmanchés l’un à l’autre comme le sont Dromard et Poussin dans L’Oeil du Monocle.
Fred adore Théobald, ce commandant d’opérette, Paul Meurisse, meilleur histrion de sa génération, à phrasé sentencieux et rictus de détresse. L’acteur comique est économe de ses zygomatiques. Il traîne un flegme, trimbale une lassitude, débarde une insoucieuse nonchalance à longueur d’historiette. Il est flanqué du génial Dalban, comédien d’instinct à la gouaille gourmande, buriné à coups de verres dans le nez, champion de la dévotion, docteur honoris causa de l’entourloupe de malfrat. Poussin est un royal larbin.
Fred a coulissé ses binocles sur un crâne d’époque. Il est hilare quand il regarde l’inénarrable Dromard, loustic goguenard de dimanche soir. Son côté voyou, ganache, vieille France fait mouche. Fred est accoudé à son fauteuil attitré. Il a lâché ses mots croisés sur le velours jaune. Il s’est installé dans la diagonale de télé. Il s’octroie la joie, deux heures sans rancœur.
Mais j’y songe maintenant. J’ai distordu la vérité. L’histoire est destinée à faire croire. J’invente à mesure que je gravis la pente. J’écris au mépris du respect du récit. Le livre est dans ma peau. C’est un texte d’épiderme avec les mots sur les os.
Je reprends le fil du film. Il était une fois. Il était une fois un roi. Fred se voit dans l’amant d’Edith Piaf. Meurisse est drapé d’un imper mastic, coiffé d’un galurin rustique. Il tient son pistolet comme une chandelle d’aubergiste. Il trotte sur l’asphalte. Il maîtrise son geste dans une langue précise. Il cite Shakespeare quand la situation empire. Rien ne l’étonne, sauf une beauté d’espionne. Rien ne l’émeut, sauf une beauté de feu. Gaia Germani est une fille d’Italie, une brunette exquise qui défie la cinématographie d’académie.
Après Carné ou Renoir, Melville avait senti la fêlure du merveilleux acteur, superstitieux au point de refuser de mourir sur scène. L’improbable clerc de notaire, natif de Dunkerque, mange de la vache enragée, croise Pierre Dac qui l’embringue en virée. Il sera pensionnaire de la maison de Molière. J’ai l’âge de Meurisse quand il meurt du cœur. Fred lui a survécu trente ans. »

L’ouvrage est publié par 5 Sens Editions. Il est disponible à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes/295-fred.html

dimanche 19 janvier 2020

Lavant, là-haut

Du Journal de Ionesco, des miettes de texte, Denis Lavant fait des confettis, des serpentins de poésie, des acrobaties de cirque, des prouesses de comédie. L’acteur des  films de Carax met les pendules à l’heure.  Le clochard de la scène est au sommet de son art. Ionesco est un prétexte. Lavant s’accommode de la littérature de son temps, à portée de main. Il est étourdissant, bondissant, prodigieux. Hugolien, plus que célinien, il honore la mémoire du sanctuaire, Le Lucernaire, l’admirable Laurent Terzieff.
Il tord sa silhouette, fléchit son corps, insuffle aux mots l’écho d’origine, l’étonnement d’une enfance, la grâce d’une danse, la féerie de la vie. Lavant est un cracheur de feu, un comédien merveilleux. Il est le fauve et le dompteur : on voit la rosée matinale sur une gueule labourée.
Un lit, deux bouteilles, des cartes postales comme des épiphanies, des instants resurgis, pendues à un fil de funambule avec des pinces à linge. Le dormeur est boxé, sonné aux quatre coins d’un ring de drap blanc. Les textes sont des spectres dans la nuit. Lavant est là-haut. Je sais désormais ce que c’est qu’un monstre sacré. Eblouissant moment.

mercredi 15 janvier 2020

Voyou, voyelle

Septième étage. Rooftop de ouf. L’Excelsior est désert. Napoli se lit dans un ciel. La mer, lisse et tentatrice, se fendille, miroite au soleil. Rien n’est moins bref que le golfe de janvier. Je songe à Matzneff, à ses frasques, à sa phrase. A Ferdinando Galiani, à ses écrits de fantaisie.
Piazza del Plebiscito, j’ai croisé Gemito, sa frimousse en terre cuite. Les voix sont peintes, fardées d’un rouge sonore. Napoli n’est jamais malpolie : simplement elle enseigne l’émotionnelle intensité d’une voyelle. Via Toledo, on dégringole les pavés inégaux parmi l’écho d’une clameur, un chahut d’émeute, une foule à bigarrures.

Naples est un tintamarre de bord de mer. La mouette du parapet inspecte l’éternité. Ce cri d’écorce, c’est une colère de bête. La mouette couleur de craie taillade d’un cri les étrangetés de la terre.
Depuis de longs étés, les brunes ragazze sont des beautés décarbonées. Elles s’enlaidissent à blondir, civilisent une noirceur dans des figures sans désir.
Les voyelles ont mauvais genre, observées des voyous. L’incartade et l’algarade sont des manières de dire, des exercices de style. Chez Gambrinus, les jeunes serveurs ont les cheveux crantés, d’insistantes gueules d’olibrius.

Faire plaisir est entaché du péché de satisfaire. Près des platanes à géographie morcelée, au voisinage des racines éléphantesques du lungomare, le soleil chauffe la nuque des vieux chnoques. Un ciel d’hiver régénère l’imaginaire, libère l’incarnat d’une chair. Une ombre ciselée tarabiscote les façades acidulées des palais.

Le vacarme est dans une couleur, le tumulte dans une rue, la stridence entre deux désirs. La mer amalgame ses peaux, cuirs, bleus dépareillés, ses sourires rapiécés, ses pétarades de théâtre. Avec des doigts virtuoses, Luca Giordano bâcle une toile à format grandiose. Taxi ! La lumière de Napoli, les yeux bleus d’Italie, se sont perdus comme un paradis en Mésopotamie. Dans l’avion réglementaire, deux jeunes gens en tenue d’officiers jouent au marchand et à la marchande.  C’est fini.

mardi 7 janvier 2020

Dixième anniversaire de sa mort

Il est mort du cœur. Loin de la gloire de l’été, des lumières de l’enfance, dans la grisaille d’un hiver comme les autres, sous un ciel au front bas. Chirac ne craint personne sauf Séguin, un diable d’homme. Sur les photos des journaux, c’est Séguin qui impose le respect, sa légitimité, qui pose en majesté sa nature de président. La souveraineté est un mot qui d’abord sied à sa personne. A ses basques, Chirac candidat lui serre la main en valet de pied, au mieux en lieutenant.
La relation Séguin/Chirac n’est pourtant médiocre, ni pour l’un, ni pour l’autre. Criblé de mille fêlures, Chirac se tasse auprès du volcanique et trop humain mangeur de pizzas. Séguin, bardé de tous ses doutes, use avec coquetterie de sa chatoyante intelligence, admire l’énergie militaire, la persévérance laborieuse du soldat Chirac. Ils se sentaient, l’un et l’autre, à demeure au milieu du peuple. On ne sait pourquoi ils se sont choisis, peut-être pour une commune réserve à l’endroit de l’arrivisme bourgeois. Le peuple était touché par la pudeur, le secret, le panache des deux.
Séguin n’avait besoin ni de droiture revendiquée, ni de bottes pour arpenter le terrain politique. C’était un chêne, d’essence méditerranéenne, né dans la probité, en pleine tragédie. Il était enraciné dans l’Histoire de France. Séguin a exercé un charme fou plutôt qu’un vrai pouvoir sur les foules. Chirac lui doit une fière chandelle, celle d’avoir décroché la timbale élyséenne. Car Séguin a donné de l’épaisseur intellectuelle, de l’éloquence enfiévrée, de la gravité sémantique aux pâles idées d’une droite boutiquière. Mais Séguin a commis l’irréparable. Séguin est mort à son destin le jour où il a rendu son tablier du parti post-gaulliste. Il a envoyé valdinguer dans les décors les ors de la République. Les mots de sa démission n’étaient pas les bons. Il signifiait son congé au sacrifice de ses jours à la vie politique, qu’elle soit grandiose ou mesquine, au nom de la préservation intime de ses jardins secrets. Ce jour-là, il a trahi Churchill, il a renié de Gaulle. Il ne s’est pas donné tout entier à la France. Il a privilégié une sorte de pacte avec lui-même qui ne pouvait le satisfaire. La République perdait un talent d’exception.
Ce grand professionnel, si sourcilleux du travail bien fait, a bâclé sa sortie. Séguin a fini ses jours parmi les grands esprits aux dons inaboutis. Avec lui disparaît une vraie rareté sur l’échiquier politique. La mort de Séguin n’efface pas seulement « une certaine idée de la France », revue et corrigée pour les temps modernes, mais élimine un style, un caractère, un tempérament apte à dessiner le chemin d’une grandeur à réinventer. Avec un orgueil sans mesure et une simplicité bénédictine, il sut se conduire en seigneur d’une République d’Epinal.
Durant l’une de ces festivités obligatoires, dans les fastes de l’hôtel de Lassay, je me souviens de sa noble stature, de sa digne rondeur, postée dans l’embrasure de la porte d’entrée, saluant un à un, jusqu’au dernier des convives, à l’issue du raout. Le style, s’il répugne assez souvent à embellir l’action des puissants, définit ici à coup sûr l’homme dans sa vérité. Séguin possédait pleinement la manière d’être maître de son art. C’est pourquoi sa désertion de la présidence de parti reste une faute impardonnable, se ressent comme un chagrin qui fait bifurquer un destin. Elle laisse une profonde estafilade, une large cicatrice sur le front de la nation.
Par la véhémence de ses fulgurances, entre saintes colères et tristes tendresses, Philippe Séguin appartient au cercle des hommes seuls, sans tiédeur, qui sont le sel de la terre. Il était, comme on dit, haut en couleurs. Car toujours à la hauteur voulue, vert de fureur, familier des colères bleues, sans crainte aucune de quoi que ce soit de médiocre, sans peur bleue, mais les joues rouges, écarlates, d’un homme embarrassé par sa timidité. Il nous manque pour lever les yeux, relever le niveau de la chefferie ordinaire.

Paru le 12 janvier 2010 dans Le Monde

dimanche 5 janvier 2020

Le bleuet, la marguerite et le coquelicot

L’année d’Anaïs est un livre d’extases, d’heures incantatoires, une sorte de calendrier bariolé de feuilles d’herbier, le précieux conservatoire d’une mémoire, le bénédicité psalmodié d’une sensibilité.
Au fil des jours, Nicole Lombard cisèle une pensée, taille les mots comme des copeaux, juxtapose les fragments épars, jette à poignée des miettes de beauté, les lance comme des confetti.
La ronde éblouie des saisons s’y égrène comme un chapelet d’oraison ; les mots d’une lente, intense et majestueuse prière s’y récitent, parmi les duretés et beautés tacites qui figurent « ces terres de rude approche ». L’Aubrac, cher à Gracq, - « le plus anarchiste des écrivains du dernier siècle » - plante le décor, dessine le paysage, règne sur les pages de l’ouvrage.
A sa tablée, l’auteur accueille les pèlerins du matin, ses amis de poésie, des compagnons d’horizon, les incorporent au texte de la nature qu’elle compose d’une manière douce mais d’une main sûre, d’une écriture fière et sincère. Bosco, Giono, Pourrat, Colette.  On y croise Stendhal, Jünger, le Livre du Graal, Dante Alighieri, le Livre de Tobie.
Les hêtres de Saint-Urcize, sans « e » comme s’y trompait Louis Poirier, s’y désignent des « fayards ». Le travail de l’auteur, comme les toiles peintes d’un ami de Conques, « s’adresse au silence de chacun ». Il y a de courts récits qui s’affranchissent du cadre fragmentaire, s’échappent du format éclaté, s’autorisent l’ébauche d’une nouvelle. La virée à Lourmarin est un petit chef d’œuvre littéraire dont m’émeut durablement le danseur solitaire, d’avant l’orage, sous la tonnelle de la maison de Bosco.  Dans un autre registre, je suis émerveillé par l’évocation du « repas des vieux », de ce temps exhumé des « dames pomponnées », des mots d’un autre âge, de la tournure attendrie de Tallemant des Réaux : « Elle s’était faite toute jolie ».
Une prière, au-delà du rituel, demeure une sagesse, un savoir, une saveur. Roland Barthes, au soir de sa vie, disserta sur le terme latin « sapientia ». Si je me remémore la leçon du savant homme, c’est qu’il y a tout cela, toutes les nuances du mot, dans le style de L’année d’Anaïs.
Chemin faisant, Nicole Lombard nous confie des secrets, sans jamais s’appesantir pour autant : « Qu’y a-t-il au monde de plus vrai que le rêve ? ».
A travers champs, on apprend des mots, on tombe sur un os, comme ces « fougères qui se décrossent ». Je me délecte des bonheurs éparpillés dans le texte, comme je goûte la sonorité batailleuse des « chamaillis d’oiseaux ». Et à Nasbinals, rien n’est banal : un poivron s’y nomme « piment de l’espèce d’Espelette ». D’une aïeule de la famille, on s’avise que « le bleuet, la marguerite et le coquelicot sont les couleurs de la France. »
Bref, L’année d’Anaïs, celle de la petite jument alezane, est un livre rare qui regorge de richesses littéraires et de belles manières artisanes. Il appartient au cercle des ouvrages, peut-être d’un autre temps, mais dont on frôle le papier, superstitieux, comme on toucherait un précieux talisman.

jeudi 2 janvier 2020

Olga, je t'aime

Elle est née le Jour des Rois. J’écris son nom au crayon. Je l’imprime en grand sur l’écran. Olga s’est calée sur la paroi verticale. J’ai envie d’Olga. Resnais en fit une reine. Avant soixante ans, elle s’est jetée dans le néant. Olga Georges-Picot est une brûlure brève, l’actrice d’un film, dont la fugitive beauté ravive l’écho. La star est une diablesse d’une espèce rare. Elle lance des regards, se fiche de l’histoire, s’en tamponne le coquillard.
Je démêle des visages comme on extrait les corps d’un séisme. Je sauve Olga de la nuit mauve. Je préserve Olga des gravats. J’ai ma fille, la plus belle du monde, à domicile.

Au reste, je suis prisonnier de ma prisonnière. Olga est tombée de haut comme Albertine de cheval. Olga est revenue dans la peau de Catrine, l’héroïne du film. Je t’aime, je t’aime se bégaie comme une impossibilité des lèvres. Olga observe la vidéo, la visionne en boucle, telle une altesse dépouillée d’une jeunesse. Il a suffi d’un plan pour qu’elle se lève d’un bond. Elle n’est pas morte en quelque sorte. Elle n’a pas d’âge au fond, ni d’« h » à son prénom. Je me souviens de Claude Rich, entre grisaille et Méditerranée. Deleuze se défenestre avec le même shetland mauve.
Oui. C’était le temps des imperméables en gabardine, des shetlands gris, mauves ou mandarine, de l’odieuse lumière de Méditerranée radieuse. On épinglait Magritte au mur de sa chambre. Entre Pierrot le Fou et Marie pour Mémoire, un petit gars n’a pas froid aux yeux : le roi Resnais filme Olga.
L’actrice sublime, moitié paumée, naturellement sauvage, exhibe sa chair de grande fille animale. Elle parle de Dieu, du monde, des chats. « Je t‘aime, je t’aime ». Vite dit. Lent film impardonnable. Donne des images pour l’hiver, de quoi vivre sous l’empire des yeux noirs d’Olga.

Voir, revoir, rêver la belle Olga. Regarder. Se taire, doigt sur la bouche. Une comédienne, étrangère à la vie comme elle va, révèle en pleine lumière sa féminité de feu. «  La peur, c’est quand on a chaud ; la terreur quand on a froid. » C’est un visage qui griffe la mémoire de jeune homme. A trop regarder son film, à trop aimer Je t’aime, je t’aime, à repasser la vidéo comme un poème de Rimbaud, Olga a changé la vie, elle est morte.
Il y a vingt ans. Un jour avant l’été. Elle était vieille de nos souvenirs. A la lettre, ce maudit film est insupportable. Olga ignore le temps qui froisse. Sa chevelure ensoleille l’oreiller chauve de la terre. Elle repose sur une joue, le derrière en bataille. Claude, le héros lunaire, est prisonnier d’une splendeur éphémère, d’un sourire intérieur, de la blancheur des draps. Olga dort dans l’éternité du cinéma. Encore une minute. De tirée, de filmée. Allez savoir. L’actrice ensommeillée s’est jetée du cinquième étage.

Ce texte figure dans « La cicatrice du brave »  (5 Sens éditions, 2017) :
https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes/90-la-cicatrice-du-brave.html


mercredi 1 janvier 2020

Voeux de paille

Cornélien, le choix des congés : La Mongie, pas de neige, Honfleur, trop somptuaire, Le Touquet, exécrable climat. Reste la Méditerranée. Le jeune Picard opte pour le château, les pieds dans l’eau. Président des riches, résident du Fort.
Mais il n’y a pas d’espoir au fond de la pataugeoire. Du séminaire de Brégançon n’est sortie qu’une dissertation élémentaire, réduite au strict nécessaire. Aux malheureux, on parle creux.  Il est fluet, nous sommes floués.
Le petit homme à visage pâle règne sur une tribu de peaux-rouges à tuniques jaunes. C’est un acteur très moyen, friand de bons sentiments, qui se vautre dans une mauvaise littérature. Il collectionne les misérables rôles. Je trouve qu’il ressemble à Charles Berling. Mauvais casting. Aucun producteur ne mise un pognon de dingue sur un tricard du septième art. Erreur sur la personne. Pas le bon Charles.
Durant les dix-huit minutes de ferveur, j’ai observé ses mains de bonne année. Elles s’exerçaient au jeu de baguette, s’essayaient à orchestrer. Mais la retraite systémo-paramétrique, on n’y comprend que pouic. La promesse s’édulcore à toute vitesse. Le promis masque un compromis. L’Edouard à barbe bicolore exécutera illico presto, mangera son chapeau, remballera l’âge pivot.
A contempler un paysage de Méditerranée, le freluquet d’Elysée n’était guère embarrassé par le tracas d’une grève. Au soleil, il médita ses vœux de paille.
Au reste, il retroussa ses manches, montra ses petits bras : nous sommes un peuple de bâtisseurs. Avec pareille vocation, il faudrait d’ailleurs qu’on songe à restaurer le Vieux Continent. Quand il parle du pays, il évoque une figure de géométrie, il prononce « hexagone » avec un fort accent libanais. J’aime moyennement.