mardi 7 mai 2024

Notre Europe

C’est l’amorce d’une prière. Notre Europe, qui êtes aux cieux, priez pour nous, pauvres électeurs. Notre hop. Notre flop. C’est un saut, un bond à la Fosbury vers un nouvel horizon, le plus haut dans l’espace. Notre Europe est en danger de mort martèle un président incantatoire. Notre France est une expression hors d’usage qui désigne une nation à date de péremption dépassée, un pays décati qui sent le moisi, à mille lieues à la ronde, jusqu’à l’Asie. Notre France est une manière de parler décalée, une déviance lexicale qu’il faut s’interdire de prononcer. C’est un gros mot. Il ne faut pas le dire. La France ne nous appartient pas. En revanche, l’Europe, si. Elle est à nous, à toi, à moi, dans la joie de son hymne, dans la splendeur du poème de Schiller. Notre belle Europe est souveraine dans son pluriel. J’écoute Ferrat qui chante « Ma France ». C’est une voix de vieux con, une voix d’autrefois qui sifflote Aragon.

dimanche 28 avril 2024

Au loup !

Il joue au ballon et aux soldats de plomb. Il discourt derrière des balles réelles. La mort cérébrale guette l’Otan, l’Europe tout autant, nous chante Emmanuel en allemand. La frontière est un délit de propriétaire. Un bornage de haie figure le péché d’un rentier. Nos terres sans limites s’apparentent à l’infini d’un vaste ciel. Les mots n’ont pas de définition, n’évoquent qu’un chaos d’indistinction, ne désignent qu’un fouillis d’injustice. Le monde est figé dans une posture sans coutures. Un petit soldat veut en découdre. Le portier des minimes est au garde-à-vous. Il observe le point de pénalty. Le buteur s’apprête. Il est en short. Il joue au foot. Il crie au loup.

jeudi 18 avril 2024

La marche blanche

Les marcheurs du président s’égarent à la recherche d’un bilan satisfaisant. Ils ambitionnent de léguer à l’Histoire un admirable geste locomoteur, un marqueur sentimental qui fasse date dans les annales. Pour ce faire, ils souhaitent inscrire la locomotion blanche dans une Constitution revisitée. La marche blanche est une valeur républicaine incomparable, un acte gratuit comme une opération du Saint-Esprit, le versant pédestre du vent des paroles. Elle côtoie l’autre acquis majeur de la décennie baladeuse : la démarche blanche, de la couleur de ce qui compte pour du beurre, de celle du vote transparent, plus blanc que blanc : l’abstention politique aux scrutins d’histrions.

mardi 9 avril 2024

Refonder, relire, revisiter

La ministre veut refonder l'école. Recréer l'odeur de craie. Réinventer l'excellence. Restaurer la République des préaux. Repartir de zéro. On refonde l'école comme on relit Proust. L'escroquerie intellectuelle se ramasse à la pelle. On va refaire la dictée sans faute. On saute le chapitre premier, on revisite ce qui n'a jamais été visité. La ministre n'a jamais feuilleté La Recherche. Les faux bâtisseurs se maquillent en reconstructeurs. Les amateurs d'esbroufe se disent relecteurs de Joyce. La République échappe à toute logique. N'avoir jamais lu n'interdit pas de relire.

samedi 6 avril 2024

A l'oral de sympathie

Zut, j’ai encore séché le cours d’empathie. Pas grave. Je me débrouillerai à l’oral de sympathie. J’aurai, je le veux, une mention au bac pro de compassion, et même selon Saint Matthieu. Je parlerai de la décapitation de Samuel Paty et de la belle âme d’Arnaud Beltrame. Je stocke mes points d’avance comme des cartouches de cannabis. Je n’attendrai pas qu’on dépénalise le cacao pour établir un point de deal de chocolat sous le préau. L’école est une formation à la dégringolade avec son bac de rigolade. Moi je bifurque, je prends l’itinéraire bis, je fourgue du cannabis. A l’oral, le prof me cherche, me demande de « développer ». Je réponds d’instinct malgré le harcèlement : « La France est un pays anciennement développé ».

samedi 30 mars 2024

Aujourd'hui, Van Gogh

Je me tais devant la télé. J'y dérobe les bribes d'un secret. Il est séminariste avant d'être artiste, puis peintre tout court, à ses risques. Il évangélise ou dessine, écrit des mots. Les toiles de Jules Breton incendient son imagination. Un jour d'air pur, il s'aventure hors de la nature jusqu'à l'atelier de peinture. Courrières est au diable, au bout du désert. Le petit curé colle son nez à la vitrine, n'ose entrer à cause d'un artifice de briques. Il sent les apparences. Il est glacé par l'absence de simplicité. Il renonce au renom. Sa virée s'achève en ratage souhaité. Il arpente la bourgade, garde sa solitude. De Breton, il voit le portrait du photographe, à deux, trois maisons de l'atelier. A son frère, Van Gogh écrit téméraire: "L'art, c'est l'homme ajouté à la nature". L'homme, il en est sûr, c'est lui, pas un autre. Il a dix ans à vivre. Il n'a jamais vraiment peint. Il n'est bon à rien, peut-être au dessin. Sa mort volontaire indique un millier de toiles au compteur. Je me tais devant la télé. « Dancing de la marquise » (5 Sens éditions, 2020, page 149)

mercredi 20 mars 2024

Je n'ai violé personne

Je confesse une négligence au soir de mon existence : personne, ni femme, ni homme, ni transsexuel, n’ont abusé de moi ; bizarrement, je n’ai violé ni jolie jeune fille, ni séduisante beauté mûre. Oui, à l’occasion, je choque un verre d’alcool avec Carole, sans pour autant l’étourdir d’un médicament qui l’endort. Je me repens un peu de pareille désinvolture. J’irais bien consulter le toubib, à côté de la boutique de kebabs, pour qu’il interroge ma normalité défaillante, questionne une conduite contre-nature. Oui, je lui dirais que j’en suis resté à Brassens, à sa chansonnette, en toute innocence. « Quand je pense à Fernande, je bande, je bande ». Mais j’ai bien conscience que ce n’est pas suffisant pour jouir de la pleine santé des gens de mon temps, que je suis loin du compte pour appartenir au cercle bien-pensant de la raison déviante.