vendredi 28 décembre 2018

Meilleurs voeux

17 était une année nombre premier, comme Jupiter, divinité première, indivisible comme un pouvoir d’experts.
18 était un nombre, pas premier du tout, divisible à loisir.
C’était une année, non pas à couper en quatre, mais en deux ou trois, en six coups de sang à gilets fluorescents.
19 a la figure de l’excellence, une allure de majesté dans la notation des connaissances. La copie évaluée 19, encore nombre premier, est la première sortie du tas.
C’est une année presque parfaite, exemplaire.
C’est une année à vague air référendaire.
C’est une année avec des souhaits consignés dans des cahiers spiralés, formulés sur la durée, déployés en janvier et février.
A tous mes amis, je souhaite une année généreuse, insoucieuse, peut-être heureuse. Alors, ce sera gagné.

mardi 18 décembre 2018

La baraque de Scott

La saison s’étiole. Le soleil dégringole derrière l’Esterel. J’observe la chair incendiaire de la mer. Villa de Fitzgerald. Je squatte la baraque de Scott. L’écrivain des années vingt s’est cloîtré à Juan-Les-Pins.
Le barman secoue la mémoire avec de quoi boire sans état d’âme. L’alcool cogne à la porte du songe, d’un livre qui me ronge. Luca jongle avec la vodka, la mandarine et le vin qui pétille comme un merveilleux artiste de cirque. Les absents, comme les blancs d’un texte, sont les plus importants. Je songe à mes compagnons de calice, morts au champ des délices qui soudainement les remémore.
C’est à Juan-Les-Pins que j’ai achevé Fred, le récit d’un destin, que j’ai décidé d’y mettre fin, un beau jour. Je fixais alors une rondeur d’épaule quand nous choquions nos deux alcools. Fred récuse un guide. Il regarde, garde une fois, deux fois, mille fois, avant de se taire, de se terrer dans un cimetière.
J’ai du respect pour Steve, le maître pâtissier, à cause d’une saveur à la guimauve. Derrière la vitre avant la nuit, j’épie les mâts qui sont des croix. Les buildings se sont levés méchamment, au détriment des villas d’antan, rasées par manque de consentement. Loin d’ici, un président content, inventeur de bidules, inaugure les parlotes Théodule.

mardi 11 décembre 2018

Le stagiaire de l'Elysée

Manu, Bibi, Jupiter, on ne sait plus comment le nommer le petit jeune homme président. En dix-huit mois, il a dilapidé le capital de bonne foi d’un peuple en émoi. Sans même traverser la rue, en restant sur les lieux, il a décroché un stage de longue durée, de quoi s’aguerrir et pénétrer les arcanes du métier.
Un premier bilan d’étape mesure l’étendue d’un flop. Le chômage régresse peu, la dureté de la vie est ressentie comme jamais. Le contentement de soi du roi ajoute au désenchantement. Depuis les pugilats de Benalla, on démasque les mensonges d’Etat. La technocratie révèle un mépris naturel du peuple, sa distance de classe avec les muets des terroirs enclavés.
La révolte sent le fuel, exhale une odeur de bagnole. Les gilets jaunes annexent les ronds-points, ces scandales de jadis à financements opaques. L’émeute émeut les féodaux régionaux. On casse à Bordeaux. On dévalise à Saint-Etienne. On effarouche le bourgeois.
On privilégie les symboles. L’Arc de Triomphe est préservé, le palais de l’Elysée sauvegardé. Mission accomplie. Les dix mille policiers ont protégé le soldat inconnu et le président incongru. On se fiche des vrais gens aux échoppes pillées, aux boutiques vandalisées.
Le ciel est tombé sur la tête du bel Emmanuel. Jupiter a peur. Les ruades de la rue lui ont ôté son éclatant sourire de pontife ébouriffant.  Le gamin a shooté dans son Meccano alambiqué de sale gosse, il a brisé son jouet, il l’a dans l’os. Le mouvement de menton ne suffit pas à dompter une nation. L’histrion se fabrique une figure de repenti. Il lâche une dizaine de milliards au grand dam de ses ministres experts. Il accrédite ainsi les vertus de la violence. C’est une exemplarité à la moralité douteuse.
Avec sa tribu, Manu a marché dans les rues sans rien voir de la colère des gueux, des gens de peu, des nécessiteux du milieu. L’aveugle est désormais paralytique. Je doute que le peuple ait vraiment envie de le sauver. On ne bricole pas une présidence avec des rudiments de théâtre et des approximations de stagiaire.


mercredi 5 décembre 2018

Szecessio


Budapest a de beaux restes, souriante et maussade, grise et indécise, derrière ses façades raides. Sa mémoire est d'Orient mais ses souvenirs sont allemands.
Nem ertem. J'aime à m'égarer dans la sonorité hongroise. Ferenc, Arpad et Joszef étanchent leur soif d'un vieux vin jaune. Szecessio est le mot qu'il faut. Il désigne l'art de rue d'une fin de siècle architecte.
Szecessio chante un matériau métis, mixte la géométrie, rythme les coloris de rotondes décaties. Les bulbes du Danube sont des baobabs de brique. La place Czervita est un débarras de marbre, un grand drap de pierres, une musique d'apparat. Ses vastes murs d'architecture sont impurs par nature.
Budapest la nuit brille dans l'écartèlement du fleuve. Du Danube, le peintre sort du tube un bleu de Prusse. Il braque la couleur brique.
Le palota Gresham mime les coulures molles catalanes, dégouline comme un suaire de Dali, un sanctuaire de Gaudi. On mâche un texte à vouloir marcher dans Budapest.
La librairie Latitudes a quitté le quartier juif, la rue Wesselényi, dérangé mes habitudes. A Buda, elle s'est agrégée à l'Institut Français, l'ignoble bidule des bords du Danube. J'inspecte ses rayonnages dépareillés.
La blonde Hongroise s'invite en ma solitude. Elle me désigne un gros bouquin noir, au papier bible des missels de jadis. Elle me convainc par la magie du mot "proustien". C'est Histoires Parallèles, l'oeuvre de vingt ans de Peter Nadas. Je tranche le volume comme une pomme. Manière d'en avoir le coeur net.
Je suis ébloui par la soudaine blancheur des deux pages. Mes yeux se règlent à la lumière du texte. Je talonne une poignée de mots, à première vue, comme une inconnue dans la rue. Je ressens la fraîcheur d'une chair. J'interromps mon désir de plaisir. L'imagination m'ordonne d'en différer la satisfaction. Je claque le bottin, dégrafe ma liasse de forints.

mardi 27 novembre 2018

La fin des haricots

Fin du monde, fin du mois. Les contrariétés s’additionnent. Nous sommes coincés entre deux apocalypses. Entre un quotidien récurrent et le grand lendemain qui déchante.
Je voudrais les réconcilier par une expression bien de chez nous qui leur fait écho : « La fin des haricots ».
Ces vies d’exclus, réduites à la portion congrue, ne sont guère saisies par les radars des experts, professeurs et autres pensionnaires à ronds de serviette des comités Théodule.
Le pays des ploucs ne figure plus sur aucune carte. Aucun GPS ne conduit aux ornières de la détresse. La technocratie à souliers vernis n’y met pas plus les pieds que la police ne patrouille dans les cités interdites des caïds.
Bref, il y a des trous dans la raquette de la République. La partie est déséquilibrée. C’est pourquoi ces nationaux de seconde zone n’en touche pas une. Un peuple en lambeaux crie dans un désert sans écho.
Bibi, le magistrat suprême, est un fort en thème. C’est un habile commentateur de la misère. Bibi n’est pas un fumiste : il est économiste. Il raisonne segmentation du marché et cibles socio-démographiques. Il n’échafaude pas une politique, il confectionne des stratégies visant des catégories d’audience.
Bibi décompose le sentiment national en rondelles. Il analyse le pays comme un boucher tranche une carcasse. Bibi, encore stagiaire à l’Elysée, oublie que la politique est un art de la synthèse et non pas une campagne de marketing. A opposer « les classes laborieuses » aux doudounes grises, ces retraités insoucieux, fainéants et rentiers, à opposer les beaufs des bagnoles pourries aux bobos écolos à bicyclettes satinées, Bibi se fourvoie dans les grandes largeurs. C’est un mauvais démon qui divise la nation.
Bibi se pousse du col dans le fauteuil de De Gaulle. Bibi donne du souci à son peuple trahi. La fin des haricots, c’est aussi le sentiment donné par la palanquée de marcheurs en godillots dont la flagrante impéritie s’apparente à la cour du roi Pétaud.

dimanche 25 novembre 2018

La confusion d'esprit

A Louise Colet, le 8 août 1846, Gustave Flaubert écrivait : « De toute la politique, il n’y a qu’une chose que je comprenne, c’est l’émeute ».
Le petit élève de Ricoeur, premier de la classe, est loin de « l’idiot de la famille » magistralement dépeint par Sartre. Le jeune auteur de Révolution, expert en radicalité, est interrogé par le spontanéisme de la révolte. On dirait une poule devant un couteau. Cadre pas avec la retape des start-up. L’ancien khâgneux se cogne aux ruades de la rue. Il n’a pas lu Camus, « le philosophe pour classes terminales ». Ou en diagonale. L’axiome de L’Homme Révolté ne l’a guère ému : « Je me révolte donc nous sommes ».  Pas assez jargonneux pour un révolutionnaire à lendemain radieux.
Or les gilets jaunes accomplissent une solidarité éruptive, réunissent de manière instantanée tous les damnés de la précarité, vidés d’office des banquets de l’Elysée. La belle allée triomphale de Paris est devenue le théâtre ouvert des exclus, le lieu des barricades et du tohu-bohu.  
Le disciple de Ricoeur, spinoziste à ses heures, a réveillé « les passions tristes » du peuple, ses rancœurs et son ressentiment. L’injustice, qui se revendique tête haute, sécrète l’émeute jusqu’au sacrifice. Il y a du rouge sur les gilets.
Les marcheurs du pouvoir, virtuoses des marchepieds, clament urbi et orbi qu’ils entendent la longue plainte des miséreux. Ils se précipitent dans l’empathie. La détresse attendrit ses pathétiques dames patronnesses. « Assez d’écoute, des technocrates ! ». « Assez d’actes, des paroles ! ». L’impéritie se traite par l’ironie.
Au départ du grand ratage présidentiel, il y a la confusion d’esprit érigée en modèle d’habileté. La stratégie du méli-mélo prétendait se substituer à la logique  d’Aristote et à son principe du tiers exclu : A et non A ne sont pas compatibles. Rien de moins.
Le désordre de la pensée se répand sur les chaussées. A désorienter un peuple, on s’expose au tumulte. L’exemplarité est d’un terrible effet.
Depuis peu, le fringant politicien se recommande du populisme, use sans vergogne du vocabulaire le plus publicitaire, plébiscité par l’opinion en colère. Bibi le populiste change de pied au gré de ses fantaisies les plus opportunistes. Il se plaît aux conversations de coin de foule comme un bourgeois aime s’encanailler au plus près de la pauvreté. On appelle cela : « le terrain ».
« En prison pour cause de médiocrité !" (Le roi Ferrante dans La Reine Morte). La tirade de Montherlant lui va comme un gant.

samedi 17 novembre 2018

Guérilla civile

Le pays est une poudrière jaune fluo, un quartier difficile élargi, une sorte de banlieue parisienne de non-droit, inflammable à la première étincelle.
La guérilla civile, prédite par Collomb, bivouaque sur l’asphalte, s’installe dans les régions en révolte.
Face au peuple enraciné dans un terroir, le président est hors sol.
Un mort, des blessés graves. Monde de brut, univers de brutes. Un gilet jaune est fauché. Des flaques de rouge résultent des hausses de taxes. Le sacrifice d’une pauvre femme est le prix d’un sentiment d’injustice généralisé.
Macron fait le dos rond.  Arrête les selfies, Manu ! C’est la vie du pays, la paix d’une nation, où l’on s’entretue, qu’il faut rétablir illico presto.

lundi 12 novembre 2018

Le requiem des poilus

Temps pourri de 11 novembre. On s’alanguit devant la télévision. Je regarde l’arrivée du Tour de l’itinérance mémorielle, course à étapes de fin de saison. Final majestueux sur les Champs-Elysées. Sprint massif des dignitaires du peloton. Trump et Poutine, les leaders du classement général, n’ont pas pris part à l’emballage terminal. C’est Macron, le régional de l’étape, qui rafle la victoire. Il a soulevé le trophée de l’Armistice devant le public en liesse.
C’était un jour de crachin, un dimanche de chagrin. J’ai observé la cargaison de dignitaires fourrés dans des autocars. J’ai zappé le grand raout de la paix. Car les sermons à répétition pèsent une tonne d’ennuyeuse communication. On pérore plus qu’on ne commémore. Le petit marquis a déambulé au centre de Paris, exhibé ses dents de requin, arboré son sourire de trader patricien. Macron achevait sa tribulation territoriale, son micro-trottoir mémoriel. Il ralluma la flamme du soldat inconnu, premier de cordée, lié aux cache-cols jaunes, illustrant sa brillante théorie du ruissellement.
Sous le coup de cinq heures, la musique de Wolfgang Amadeus Mozart a tué le match, a ressuscité les morts dans la cathédrale de Verdun. On s’est décoiffé devant la beauté comme devant les gueules cassées. La splendeur sonore, hors les mots, était seule à hauteur des héros des tranchées. Arte, la chaîne franco-allemande, a fait le job quand d’autres soignaient leur pub. On s’est tu devant le requiem des poilus.

jeudi 8 novembre 2018

9 novembre 1970

Au kiosque, boulevard Malesherbes, la marchande aux yeux rouges souffrait dans sa chair qu’une bande de galopins parlât si librement du grand Charles et qu’une feuille satirique titrât « Bal tragique à Colombey : 1 mort ». 
Par les métros, les nez piquaient plus qu’à l’accoutumée dans les journaux déployés. Inentamable dans sa grandeur désuète, de Gaulle intéresse davantage et autrement.
Artiste monstre comme peut l’être Céline en littérature, de Gaulle nous émeut de la même manière.
Pour faire l’histoire, de Gaulle travaille comme un nègre. Ce général dégingandé et l’ermite de Meudon sont deux fous furieux du style.


(« C’est encore loin de Gaulle ? », Editions du Bon Albert, page 9)

mardi 6 novembre 2018

Ecrivain pour mulots

Dominique de Roux nous manque cruellement. L’écrivain fulgurant s’en serait donné à cœur joie. Le pétillant pamphlétaire, qui s’était délecté du Servan-Schreiber de L’Express (« Contre Servan-Schreiber », Balland, 1970), se serait régalé avec le petit président des selfies ahuris. Macron, l’ami des chasseurs, a trouvé un terrier de braconnier pour un scribouilleur de terroir : le Panthéon, la pantalonnade du Panthéon.
Macron aime s’écouter discourir, rue Soufflot. Il s’imagine bonimenteur hybride, à la fois de Gaulle et Malraux. Au Panthéon, il flanque l’auteur de « Raboliot » et sa cargaison de récits solognauds. Dans « Immédiatement » (Bourgois, 1972), recueil de pensées sauvages, le grand écrivain exécute en trois mots le brave chroniqueur des tranchées : « Maurice Genevoix, écrivain pour mulots ». Dans les belles lettres, Dominique de Roux est notre meilleur fusil. Ce genre d’artiste exerçait son métier avec une virtuosité de premier ouvrier. Il tuait sans blesser. Genevoix n’a pas souffert.

mercredi 31 octobre 2018

Le costard du Général

Macron ne tourne pas rond. Il veille trop tard avec ses parapheurs. Manu se sent un peu « chuchu ». Il fait sa chochotte. Non, le crack est patraque. Il manque de niaque. Il perd des points de popularité et des cheveux sur les côtés. Il maigrit dans les sondages, réfléchit à son pouvoir de rachat. Il flotte dans son complet-veston, le costard du Général. Et il n’y a même pas de toubib dans la start-up. Si, Buzyn. Le paltoquet du Touquet a besoin d’être ausculté. A elle de le revigorer avec du glyphosate de cheval, de lui prescrire de vrais médicaments pour relancer la machine à boniments.
Le beau jeune surhomme s’est inscrit au Marathon de la Grande Guerre, au Challenge de l’Itinérance Mémorielle, au Grand Cross de la Boucherie Féroce. C’est crâne et c’est bobo. Il gambade dans dix départements avec de vrais gens, dans les tranchées avec de vrais poilus, dans les corons avec de vrais ouvriers, dans les déserts ruraux avec de vrais paysans, dans les périphéries d’hystérie populiste avec de vrais fascistes. Il s’aligne dans une compétition d’Hercule (il est mieux que Jupiter) qui va épater la nation. A vrai dire, c’est un gigantesque Décathlon du Temps Long. Il nécessite tous les éléments de langage corporel de Kevin Mayer, notre meilleur champion de la mondialisation.
Sur les podiums de la commémoration, il importe que le Mayer d’entre nous tienne la dragée haute à Poutine, qu’il torde le bras de Trump. Il s’entraîne d’arrache-pied, le stagiaire de l’Elysée. La boxe est son Botox. Il se bat avec son agent de sécurité, le Benalla bis de service. Peut-être trop d’ailleurs, car il accuse le coup.

vendredi 19 octobre 2018

Michaux

Henri Michaux est mort aujourd’hui, hier pour les retardataires, un 19 octobre, il y a trente-quatre ans. Vingt ans auparavant, l’étudiant Jean-Marie Gustave Le Clézio lui consacrait un petit travail de fin d’études sur le thème de la solitude.
A partir de 18h30, mardi 23 octobre, à la librairie L’autre Livre (13 rue de l’Ecole Polytechnique 75005 Paris), je lirai, parmi d’autres passages, deux pages écrites à sa gloire qui figurent dans L’amitié de mes genoux  (5 Sens Editions). En voici un extrait :
« A quarante ans, vingt ans aller-retour, il écrivit de mémoire le récit du voyage, son carnet ethnique. Visages de jeune fille, un texte lentement halluciné, une prose royale d’ivrogne, qui sèche au soleil. Michaux fait un petit travail miniature, sans y toucher, de son doigté de fée. C’est une sorte de cri crayonné, le croquis dernier cri de deux ou trois jeunes filles de la terre. Michaux est invincible quand il écrit la fin, et le début d’une femme. »

mardi 2 octobre 2018

Causerie du mardi

Mardi 23 octobre. « Sauver la date ». Sauver la date sur vos tablettes de cire. A partir de 18h30, je lirai des passages de « L’amitié de mes genoux » (5 Sens Editions), à la librairie L’autre Livre, 13 rue de l’Ecole Polytechnique 75005 Paris.
Un verre de l’amitié va de soi. On choquera nos gobelets de vin mauve à la santé de la reine mère la langue française. Cela me fera très plaisir de vous voir.

jeudi 27 septembre 2018

Des désirs et des droits


Avoir un enfant. L’expression est contrariante, d’humeur peu riante. Car on ne possède pas une vie humaine, pas même la sienne. Je suis, mais je ne m’appartiens pas. Vouloir aimer un enfant, l’élever intellectuellement, contribuer à son éclat personnel, rien de tout cela ne renvoie à un titre de propriété.
La vie, a fortiori celle d’autrui, nous échappe. Elle résultait jadis d’un moment d’égarement. La biologie a rationalisé l’enfantement. La raison change une fatalité en projet.
Or aujourd’hui le désir d’enfant, revendiqué à tout prix, jouit d’une légitimité de société. Il incombe au droit d’en fixer le cadre, de rétablir une égalité, d’élargir le champ d’une liberté. La procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui feront l’objet de lois appropriées. Le droit civilise une envie, apprivoise un désir, l’insère dans un code.
Dans un cas de figure, il n’y a pas de père nourricier mais simplement deux mères, dont l’une est évacuée du process de maternité. Dans l’autre, on dispose de deux pères nourriciers, dont l’un seulement est le géniteur de sang. Dans les deux hypothèses,  l’insémination ou la gestation extérieures au couple du désir soulèvent la question de la marchandisation du corps. Mais on sait bien que pareille monétisation s’inscrit dans une réalité aussi vieille que la prostitution.
Le désir d’enfant pour tous est identifié à une norme sociétale. Il est réclamé au nom d’une égalité entravée, empêchée par l’orientation sexuelle du couple. Le droit la restaure sans pour autant s’interroger sur le sentiment de l’enfant du désir. Et pour cause : un bout de chair embryonnaire ne peut vouloir ou pas un « vrai » père ou une « vraie » mère autres qu’exclusivement biologiques. L’étymologie nous enseigne que l’enfant, l’infans latin, c’est précisément celui qui ne parle pas.
Le désir d’enfant pour tous sera satisfait par la société. C’est un fait, ce sera un droit. Le concept de famille à la papa ne volera pas en éclats : il s’élargira.

Mais il est d’autres désirs dans la société qui méritent une traduction juridique, qui exigent un droit, qui appellent une loi.
Le désir de plusieurs époux ou épouses n’est pas écouté par la société. Il fait même l’objet de railleries. Son rejet est le reflet du tabou de la société.
Pourquoi diable, en matière de désir, de sentiment, de mariage, se limiter au couple, au tandem adamique, au numéro de duettistes d’un homme et d’une femme ? Au nom de quoi  maintient-on dans l’illégalité la polygynie et la polyandrie ?
Jacob Zuma, l’ancien président sud-africain, d’ethnie zoulou, destitué au début de l’année, est polygame. Il est marié à quatre femmes officielles, à trois autres officieuses. Dans l’Antiquité, la population de Sparte pratiquait la polygamie. Pierre Clastres, le grand anthropologue, l’a observée au siècle dernier au Paraguay chez les Indiens Guayaki. Les Mormons ne l’ont supprimée qu’en 1889. Au Sénégal, elle est inscrite dans la loi. Elle est évoquée dans l’Ancien Testament. L’Islam limite à quatre le nombre d’épouses.
Le sujet importe car il y a des hommes et des femmes en France qui souhaiteraient avoir plusieurs époux ou plusieurs épouses. Les mœurs évoluent, la morale – c’est à dire la manière de se conduire – aussi. Mais de quoi s’agit-il au juste quand on parle de morale ?
Dans  Le Gaucher Boiteux  (Le Pommier, 2015), Michel Serres réquisitionne le mythe de Gygès, texte qui figure au début du deuxième livre de La République de Platon. L’invisibilité du berger, provoquée par l’anneau introduit à son doigt, lui confère tous les pouvoirs d’un roi basculant dans la tyrannie : il vole, il pille, il viole, il amasse des monceaux d’or.
« Nul ne suit les lois morales s’il échappe à toute surveillance. Preuve que la visibilité, que la présence collective concrétisent la morale ; ôtez-les, vous créez des bandits. »
Le philosophe illustre sa démonstration par l’anonymat sur Internet. Pareille invisibilité fabrique un lieu d’immoralité. Il en va de même pour l’inséminateur X ou la gestatrice Y sans identité. Il n’est d’autre morale que la conformité au bon droit, qui exige la pleine lumière et répugne au secret. Faute de quoi, dans le noir hors-la-loi, dans une nuit d’impunité, toutes les inconduites de Gygès fleurissent comme de mauvaises herbes pour l’espèce.


samedi 22 septembre 2018

Le paltoquet du Touquet

L’hôte de l’Elysée n’a pas capitalisé la gloire d’été de Mbappé. Patatras, on démasqua les pugilats de Benalla. Hulot, Flessel, Collomb brûlèrent la politesse de l’altesse. Bern grogna, à l’instar des vieux paresseux matraqués par le fisc.
Jupiter s’est retranché dans son bunker. Les godillots du monarque évoquent une cour de roi Pétaud, saisie par la pétoche. Tout marche de travers. Au lieu de presser la touche « go »,  le président appuie sur le bouton « ego ».
La satisfaction de soi discrédite un roi. Le peuple se sent à l’étroit dans le nombril en joie du souverain. La certitude est une mauvaise habitude, une sorte d’onanisme dans la jouissance du pouvoir. L’ostentatoire contentement du président crée l’abîme avec les gens qui triment. Quand il sourit, exhibe ses dents de requin, Macron est loin. Pour pareil histrion, la compassion est un mauvais rôle de composition. Certes, l’homme sans empathie est sorti de la cuisse de Jupiter. Le selfie témoigne qu’il se suffit.
Le godelureau rappelle Giscard hobereau. Le chuintant Auvergnat se plaisait à la généalogie familiale, se targuait d’une vague descendance royale. L’un et l’autre font don de leur incomparable intelligence à la nation pas assez reconnaissante. Le merci du pays manque de spontanéité.
Mais l’homme de la pataugeoire varoise n’est qu’une moitié de Giscard. Le fringant Valy possédait un pedigree de « tiers instruit » quand le petit Manu ne connaît pas plus la science de son temps que l’homme de la rue. Giscard alliait Polytechnique à l’énarchie poétique. Macron n’est que sa partie littéraire, un phraseur d’amphithéâtre. Giscard comprenait la langue des ingénieurs. Macron n’en retient que le vocabulaire de start-up.
Je ne pense pas que Giscard ait été un grand président pour autant. Je considère seulement que le paltoquet du Touquet, dans un même registre psychologique - un jeunisme et un narcissisme -  et idéologique - « le libéralisme avancé » -  n’arrive pas à la cheville du centenaire de Chamalières.

samedi 18 août 2018

In memoriam


Kofi Annan avait un port de seigneur, une noblesse d’allure. Je ne sais pas très bien au juste ce que fait, exécute, accomplit un secrétaire général des Nations Unies. Mais je subodore qu’il dort mal. Car le monde est possédé par le diable, ravagé par le démon d’une violence animale. J’imagine que la paix était sa grande querelle, son grand dessein. Il est mort à l’âge de De Gaulle. Il avait de la gueule. Chirac, je crois, l’aimait bien. Cela me suffit pour définir l’homme comme une belle personne. Je salue sa mémoire.

samedi 11 août 2018

Mémoire

Lui, il est absent. Il est là mais fugitivement. Il traîne. Il est là tout le temps, ailleurs. A sa place. Il lit des ouvrages, des illustrés, à des kilomètres de là. Il ne bouge pas d’un pouce. Il vit retranché sous les quolibets des princes d’activité. Il est sourd. Il est sourd aux mille bonjours. Il est sourd comme un pot. Il prie au plus près des lettres d’alphabet. Il lit n’importe quoi, sans foi ni loi. Il n’est jamais rassasié. Il ne lève pas le nez. Il s’instruit, incorpore autant qu’il ignore. On ne sait s’il s’aguerrit. Il pouffe. Il rit. Il n’est jamais guéri. Il se plaît ici. Le paradis est un parti pris. Il oublie ce qu’il lit. Mais il suffit d’un détail pour que renaisse l’entaille d’une phrase. Il se souvient de tout. On lui raconte des salades comme s’il était malade. Il ne bouge pas d’un iota. Il préfère ne pas. Il se cramponne au manuel. Il ne le lâche pas des mains. Il n’a besoin de personne. Il s’est sauvé tout seul. Il n’était pas remédiable. Diable, non.

mercredi 20 juin 2018

Le paradis

Elle était centenaire dans ses artères. Aujourd’hui elle aurait cent ans pour de vrai. Depuis trois étés, elle est enfouie dans l’herbe échevelée. Elle se décompose dans une terre de cimetière, à gauche du portail à peinture écaillée, entre le muret mal ravaudé et le petit porche de la chapelle.
Elle aime le ciel bleu, le soleil qui pétille dans ses yeux. A la bonne saison, elle s’installe derrière sa maison. Elle stoppe la hâte dans un transat. Elle parle toute seule. Elle m’exhorte à franchir la porte. « Vous devriez venir, c’est le paradis ! »

lundi 18 juin 2018

L'amitié de mes genoux


Quels sont les auteurs qui sont vivants quand vous écrivez ?
Je dispose d’un carré magique. Il est constitué de Flaubert, Proust, Mandiargues et Chardonne. On les reconnaît à leur grain de beauté. Ils sont intouchables. Si jamais je perdais leurs traces, si jamais j’égarais leurs pages, je demanderais à Rousseau ou Chateaubriand de me venir en aide, de me prêter main forte. Ces grands écrivains sont mes anges gardiens. Rien qu’à les évoquer, je me sens protégé.
Comment pourriez-vous définir L’Amitié de mes Genoux, votre dernier ouvrage ?
L’Amitié de mes Genoux, c’est la suite ou le début de ce que j’ai fait antérieurement, je ne sais plus. Je l’ai écrit dans le même esprit que La Cicatrice du Brave.  Je crois que L’Amitié est la fille de La Cicatrice. C’est un bloc de style. C’est un travail de ciselure qui s’applique à ma figure. « Je me noie dans un verre de moi ».
Qui sont les protagonistes de L’Amitié de mes Genoux ?
Il y a des figures nouvelles que j’ai croisées dans ma vie et dont je n’avais jamais parlé jusqu’à présent : Le grand Hal, Farsa, par exemple. Il y a des personnages historiques que j’exalte : Chirac, Séguin, de Gaulle. Il y en a beaucoup d’autres qui traversent le récit, en  coup de vent, qui sont des éblouissements, des visions éphémères. L’Amitié de mes Genoux regorge de petits cailloux qui balisent un style, jalonnent un sentier d’écriture.
A quelle nécessité intérieure correspond L’Amitié de mes genoux ?
Il est un âge où la vérité est une dernière solitude, une sorte d’assuétude à l’authentique manière. Dans son Journal, Jean-Luc Lagarce, l’auteur dramatique, cible dans le mille, découvre le pot aux roses, passe aux aveux, d’une phrase lapidaire : « On dit la vérité ou on ne dit rien. »  Ailleurs, il précise : « Le style, il n’y a que ça de vrai ». Je suis d’accord avec lui.
L’Amitié de mes Genoux, c’est un autoportrait, l’écriture d’un visage sans cesse recommencée. Avec une identité éclatée : je suis ce que j’aime. Et personne d’autre.
Et vous aimez quoi, vous admirez qui ?
Dans mon livre, il y a des femmes fatales, des actrices de précipice : Ornela Muti, Lauren Bacall, Maria Schneider. Il y a Olga, Lucia, la plus belle fille du monde. Derrière le carré magique évoqué plus haut, je stocke en réserve un deuxième rideau composé de fins connaisseurs des mots : Céline, Bernanos, Gracq, Nimier, Michaux. Il y a aussi les imagiers, les artificiers de la lumière : Nicolas de Staël, Godard, Antonioni. Et puis les paysages qui sont des visages de jeunes filles, les villes qui sont des abîmes : l’Amérique, Budapest, Saint-Pétersbourg. Toutes ces beautés fugitives trouvent une hospitalité dans L’Amitié. Je les accueille volontiers dans ma maison de papier. J’aime et j’admire, pêle-mêle.
Sur quoi travaillez-vous aujourd’hui ?
Je continue sur ma lancée. Je poursuis une obsession. Je suis engagé dans une narration morcelée, en forme de bribes de confession. Je récidive avec un livre qui s’appelle Dancing de la Marquise, en référence à Pierrot le Fou. J’ai aussi le projet d’un grand livre sur l’Italie, une sorte de carnet de voyage, qui serait le recueil des sensualités méditerranéennes. Un titre me vient à l’esprit : La Soie du Soir. Enfin, j’écris Fred. C’est un livre secret, un texte sauvage.

L’amitié de mes genoux est mon quatrième ouvrage publié. Il est disponible dès maintenant sur le site de l’éditeur 5 Sens Editions :

On peut aussi le commander dans toutes les bonnes librairies.

dimanche 17 juin 2018

Le livre de l'été, le vrai

L’amitié de mes genoux est la narration d’une randonnée, la confession en zigzag d’un fêlé de littérature. On y croise des gaillards au grand regard, des orfèvres ciseleurs de beauté, la reine mère la langue française. Ce livre ouvert est le sanctuaire d’un style.
Au goût, c’est bien meilleur qu’un gros livre de l’été qui aurait transité dans le sable mazouté d’une plage défigurée.
L’amitié de mes genoux, c’est le récit fin, exigeant, haut en couleur, d’un mâle blanc qui écrit bien. Il faut le lire à petites gorgées de mots, à l’heure précise où se dessinent les plus sublimes apéros.
L’amitié de mes genoux n’attend que vos yeux doux, s’impatiente qu’ils se posent sur la première de ses pages.
L’amitié de mes genoux est mon quatrième ouvrage publié. Il est disponible dès maintenant sur le site de l’éditeur 5 Sens Editions :

On peut aussi le commander dans toutes les bonnes librairies.

mercredi 13 juin 2018

Je dissous les pauvres

Hollan : « Manu, tu fais quoi avec les sans-dents ? »
Macro : « Je stoppe le curatif. On balance un pognon de dingue pour une bande de fainéants qui ne s’en sortent même pas. On se fait du mal avec les illettrés. Infoutus de se responsabiliser. Il faut arrêter de se complaire dans l’émotif. Oui, on supprime le curatif. Y en a qui ont des problèmes métaphysiques ? »
Sarko : « A tout blaireau sans thune, moi je dis : « casse-toi pauv’ con ! » Oui, pour que la France reste la France, faut que les riches restent, s’en aillent pas, mais faut que les pauvres se cassent vite fait. »
Pompido : « Arrêtez d’emmerder les Français avec des mesures édouard-philippardes. La bagnole est l’avenir de l’homme. A 80 à l’heure, on s’endort sur le moteur. Faut couper les pots d’échappement. C’est comme ça qu’ on rattrapera les Allemands. »
Charles de : « La réforme, oui ! La chienlit, non ! »
Macro : « C’est vrai. J’aime quand il parle, Charles. Les cheminots, ça traîne. On vire quand, Pépy ? »
Phil : « Tu n’y penses pas. Il a fait l’Ena, comme moi, comme toi, comme le renouveau Bruno. Il est Conseil d’Etat, comme moi. Pas possible. La révolution, oui. Le sabordage des grands corps, non. Arrête ta déconnade ! »
Hollan : « Faut accueillir les migrants avec empathie. Faut s’occuper des migrants plutôt que perdre son argent avec les sans-dents. Les sans-dents votent pas ou votent facho. »
Macro : « Tu déconnes pépère ! Les migrants ne sont pas des marcheurs. Ils flottent vers la Sicile. L’Italie sait les recycler. La mafia leur trouve de bons emplois. On a toujours besoin d’esclaves au noir. »
L’Auvergnat : « Les humanitaires n’ont pas le monopole du cœur ! »
Macro : « La séance est levée. Non, j’ai dit : « élevée ». Comme la CSG. Je dissous les pauvres aujourd’hui à midi. J’ai bien supprimé les SDF à Paris, à Noël dernier. Les gueux souillaient les trottoirs. Et ça, c’est de la poudre de perlimpinpin, peut-être ? Moi, je veux rentrer dans l’Histoire. Rompez ! »


mardi 12 juin 2018

On tripatouille les niouzzes

Il était un temps où le pouvoir vichyste appelait les résistants des « terroristes ». 
Où un jeune homme maurrassien,  plus tard élu à la magistrature suprême, était décoré de l’ordre de la francisque gallique.
Où le même ondoyant président barricadait dans son palais républicain une jeune fille adultérine. Où les redresseurs de vérité étaient punis à vouloir éventer un « secret ».
Où les hiérarques du pays persuadaient villes et campagnes que le nuage de Tchernobyl respectait le tracé des frontières.
Où l’Etat stratège s’entichait du diésel au point d'exonérer le précieux carburant de brutalités fiscales.
Beaucoup de balivernes en haut lieu s’attribuent l’intouchable drapé de nobles vérités. Le mensonge éhonté est une spécialité de nos méritantes majestés. On tripatouille les niouzzes : rumeurs, ballons d’essai, fuites orchestrées.
Bien qu’il s’en défende, je doute que l’actuel locataire de l’Elysée, fin lecteur de Machiavel, se dessaisisse des prestiges de la fausse nouvelle, s’interdise le plaisir de brouiller les pistes, renonce au privilège d’escamoter la vérité.

jeudi 24 mai 2018

Le Général de Gauche

Vert bouteille. Elle rutilait dans ses chromes. La Mercedes de l’oncle Hubert glissait en majesté sur l’asphalte clair. L’industriel jouissait d’une beauté irréelle. Il avait soixante-trois ans - « l’âge de Sartre » me confiait-il -, ressemblait à Gary Cooper. Il avait baptisé sa maison de bord de mer, Villa Alamo, à cause du film de John Wayne. Dans les restaurants, on lui réclamait des autographes, une brève signature, à montrer plus tard aux enfants.
Ce grand vieil homme m’impressionna, m’éblouit toujours, au point de demeurer, gravé dans la mémoire, un modèle à respecter. Il gara sa limousine à l’Alma. Nous étions cinq à nous extraire de l’habitacle : tante Jacqueline alias « la baronne du coton », mes  parents embringués dans la fête et moi, aussi de la partie. L’oncle Hubert aimait à naviguer, à regarder la mer. Ses yeux bleus fendaient l’obscurité d’une peau burinée, entaillée des plis du travail accompli. Il jouissait d’une criante légitimité plastique. Une sensuelle nature l’avait doté d’une beauté absolue, d’une figure de seigneur, d’une preste silhouette d’esthète, d’un rayonnement solaire de gentleman farmer. Mais il y avait de la bonté passive, de l’attention précise dans sa manière d’aller, de jeter ses mots à la volée, d’échanger un regard, une émotion dans la conversation. Nous avions longé le fleuve jusqu’au Petit Palais où la foule ondoyait par le vent et l’émotion du moment.
La veille, nous n’avions pas manqué le raout des fidèles. Sur le canapé où se serraient de jeunes hommes choyés des fées, j’entendais des phrases obligatoires, plombées de certitude, qui contrariaient mes désirs.
« De Gaulle est un dangereux homme. Il a gouverné avec les communistes. Il n’aime pas le capitalisme. L’argent lui fait horreur. C’est un homme de gauche. » J’abhorrais  d’instinct ces suppôts d’un libéralisme hautain. J’étais sonné par ce discours de haine à l’endroit du chef que j’aimais. Charles de Gaulle était un maître d’école, un professeur d’histoire. Il m’enseignait la langue de Flaubert. J’aimais le comédien qui monologuait en alexandrins, causait du pays comme d’un sujet racinien.  
A la Concorde, nous nous sommes mêlés aux cortèges, banderoles et mots d’ordre braillards. A la campagne, d’où nous venions, on appelait ça « la cohue ». On n’en menait pas large. On a monté les Champs-Elysées avec sérieux, application, comme une dernière étape de Tour de France, en peloton.
Le soir, à la télévision, j’ai vu Robert Poujade, mon préféré à cause de son talent oratoire, coincé entre Malraux et Debré, tous deux enfiévrés, éméchés, à moitié déjantés. A les observer, je m’en voulais d’un manque de ferveur. Je rougissais de mon  assiduité d’élève trop sage. Pas grave. J’étais la bleusaille d’arrière-garde. De Gaulle était remonté sur son cheval.

vendredi 18 mai 2018

Un peintre byzantin

Vent boudeur. Bourru s’il dure. La Provence me glace. Je me sauve. Je me fourre dans une peinture entre quatre murs.
Anne et Gustave se tiennent la main, honorent un père, un peintre byzantin qui sacralise la couleur.
Le musée d’Aix nous cale dans l’axe exact du luxe. Une lumière irradie la paupière.
Soixante-et-onze toiles. On chemine comme dans un album d’homme, un livre d’images saintes, pleines de pages peintes. Le soleil est sa dernière demeure. Il va mourir, se risque à sourire en grand coloriste.
Staël flanque des flaques d’éblouissement, fige un vertige d’ensoleillement, peint sa loi, une toile qu’il aime, plusieurs fois. Rien ne ment dans le dénuement. Les nus sont des nuages. Raconte rien, la peinture. Seulement la couleur, un rouge, peut-être une lumière qui bouge.
La cérémonie d’Aix est un sacre, le couronnement du peintre en sa maison vermillon. Les toiles cognent dans l’œil, tapent une nuque, commotionnent une trogne d’homme. C’est le bouquet final, d’une petite fille, d’un fils, sans artifice, les signes d’une piété au père émeutier, roi fulgurant, général de beauté.
Jeanne est une damnation, l’apparition d’une passion, le soubresaut du coquelicot, le début d’un nuage, le nu encore bleu, merveilleusement venimeux. Le destin est une main d’homme qui se donne d’instinct. Il est un âge où la vérité est une dernière solitude, une sorte d’assuétude à l’authentique manière.

mardi 8 mai 2018

Patrie, Europe et bouts de langage

Le peuple s’en tape, des start-up. Il s’agrippe à sa banderole. Car il est mal encordé, pendu, balloté, sans écho du premier de cordée. Il se balance dans l’existence sans espérance. Il n’a d’autre amertume que de vouloir de la thune. Il sait que les espèces sont les seules déesses à vénérer, les seules idoles républicaines d’où viennent le lien, la relation souveraine avec moins de peine à finir une semaine. On sera heureux avec un tas d’euros. On s’assoit dessus et on regarde la rue, la loi, avec des yeux de petits bourgeois.
Le peuple revendique du fric, réclame un surcroît d’âme. Le stagiaire devient Jupiter. Il prend l’autocar ou la fusée de Musk pour une destination céleste. Manu dit militari, ou Giscard dit le petit,  s’extrait d’une glu APL, décolle d’une rue à querelles, survole en drone un royaume. Tombe bien. La hauteur fait croire à la grandeur. Manu règne en visionnaire à bord d’une montgolfière. Il voit les besoins de la glèbe, la nécessité d’un grand dessein.
Beltrame a hérité de l’exact patronyme. Manu lui chipe sa belle âme. « Patriote » est un label « bankable », à valoriser dare-dare dans les écoles. L’épithète est époussetée. On la dépoussière de sa ringardise. Au détriment des vieux gangs de « militants » qui marchent les pieds en dedans.
Le chef des armées cause à la patrie. « Riot » signifie « émeute de rue ». « Patriote » veut dire : « pas de ça chez nous ». Manu, qui n’est pas catalan, parle anglais naturellement. Je le vois sauter sur sa chaise comme un cabri : « Patrie, patrie, patrie ! » J’ai la chair de poule. Macron promet le grand frisson.  La séquence à venir multipliera les  bouts de langage et les éléments de boniment  sur « L’Europe ». L’Europe des patries et l’Europe supranationale. En même temps.

dimanche 6 mai 2018

Les événements de Mai 68

J’en retiens deux qui, à mes yeux, sont destinés à demeurer longtemps. Un écrivain qui meurt, une actrice à l’affiche. On enterre un homme qui s’appelle Chardonne. Pas un chat dans les cinémas. Le spectacle est dans la rue.
Dans Matinales, Jacques Chardonne vend la mèche : « On veut une neige fraîche où personne n’a encore marché ». Je crois en la phrase parfaite. Je lis Chardonne comme je prie la Madone. C’est « un maître à vieillir » disait Morand, un autre dur à cuire. Edmond Jaloux parla d’ « une prose argentée ». « On ose à peine lire, à peine toucher ces pages, de peur de disperser cette poudre irisée ».
C’est une reine. Elle était née le jour des rois. Resnais sort « Je t’aime, je t’aime » dans des salles désertées. Olga Georges-Picot est une brûlure brève, l’actrice d’un film, dont la fugitive beauté ravive l’écho. La star est une diablesse d’une espèce rare. Une comédienne révèle en pleine lumière sa féminité de feu. « La peur, c’est quand on a chaud ; la terreur quand on a froid. »
Les événements de Mai 68 se résument à deux artistes sublimes, anonymes : un vieil homme  que personne ne lit, une fille, la plus belle du monde, qu’on ne regarde pas.

lundi 30 avril 2018

Moi de Mai

Les images d’archives se mêlent aux souvenirs de jeunesse. Mes habitudes scolaires sont contrariées. Je terminerai ma seconde sans prix d’excellence. La cérémonie annuelle de la salle des fêtes d’Argentan a été ajournée. La méritocratie républicaine est vilipendée. Mes premiers accessits ont du plomb dans l’aile. Les profs parlent d’autre chose. Ils commentent les journaux. On parle sur la parole. De Gaulle se saisit de son képi. Un petit bandit à patronyme allemand joue au con. Mon père s’interroge. Le prof de français courtise une lycéenne. Je découvre France Observateur en salle de lectures. Une photo s’impose : Camus, cigarette aux lèvres, rédacteur en chef de Combat, Malraux, Baumel. L’homme était révolté en mai 68. Moi, je suis désorganisé. Les cours sont suspendus. Je regarde Cinq  Colonnes à la Une. Les gens s’expriment avec ferveur. Ils attachent du prix aux mots qu’ils prononcent. La télévision ignorait la publicité. Son monde, noir et blanc, se prêtait au manichéisme ambiant. La seule photographie qui m’ait ému reproduit le visage effaré d’Arthur Adamov. Il fait beau et j’aime le tennis de Rod Laver.
Cinquante années ont passé : Jouhandeau avait raison. Les insurgés se sont rangés dans les tiroirs de la société. La consommation a supplanté toutes les religions. Le monôme de Nanterre accéléra le règne de la matière. Il liquida l’esprit de résistance. De Gaulle s’effaça des mémoires. On se passionna pour la chienlit et la culture des pissenlits. Les filles des pavés s’alignèrent sur les plages en émeutières dépoitraillées. La contestation toucha l’autorité du soutien-gorge. Mendès-France est embringué à Charléty. Plus tard, la droite s’entichera pour rien d’un grand polytechnicien. La gauche trouvera son tonton de province.
On ne pardonne pas à mai 68 son inculture décomplexée, son mauvais goût terroriste. « Plus jamais Claudel ! » est un cri de bêtise, un slogan vengeur qui fait peur. Le petit bandit à cheveux rouges s’est reconverti dans le catéchisme vert. Geismar a fait carrière de fonctionnaire. Sauvageot n’a pas laissé d’écho. Le triumvirat n’a pas survécu à son bref chef d’œuvre. Malraux parla de mômerie. Avant de s’en aller pour de bon, de Gaulle traduisit le charabia des « enragés » en réforme d’Etat : suppression du Sénat, décentralisation. De Gaulle faisait la révolution à coup de référendum. Le conservatisme de tous les émeutiers et familles de révoltés réunis torpilla l’audace du vieux général. De Gaulle soliloque avec lui-même. « Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi ». On est loin du verbiage d’assemblées générales : deux lignes sublimes. De Gaulle prend ses cliques et ses claques, regagne Colombey, s’invite chez Franco, longe la mer d’Irlande. De Gaulle s’affaisse sur sa table de bridge. Mai 68 a fait son travail de bûcheron. De Gaulle est mort. Malraux écrit Les chênes qu’on abat (Gallimard, 1971).
Dans Un siècle débordé (Grasset, 1970), Bernard Frank regrette que Cohn-Bendit soit un « nom de machine à laver ». Autrement dit, un nom à coucher dehors. Délit de patronyme ? Le talentueux littérateur pressentait un déferlement consommatoire post-soixante-huitard.
Mai 68 ne faisait que commencer. La liberté revendiquée plébiscita l’économie de marché. Un libéralisme décomplexé s’introduisit dans la brèche. Les aspirations libertaires infléchirent l'évolution des moeurs. Macron, deuxième Giscard de la dynastie, se réclame aujourd’hui du modèle autoritaro-centriste. Les start-up se substituent aux sit-in. A sa manière publicitaire, l’auteur de Révolution (XO Editions, 2016) s’approprie une posture, figure « l’imagination au pouvoir ». Comme à l’accoutumée, sensible aux couleurs marketing qui brillent, le petit rouquin des barricades applaudit « Manu » militari. Il est vrai que Dany le Rouge a désormais l’âge de rejoindre « Charlot au musée ». Moi, de Mai, je n’avais de rouge que les joues.

vendredi 27 avril 2018

Carmet et Darroussin

Il a discipliné sa tignasse argentée. Il est habillé pour les caméras. Il est rieur pour deux. Il est confus, désordonné, gouailleur à toute heure. C'est un copain de bistrot, partageur de petits bonheurs, amateur d'ivresse et de paresse.
Borloo griffonne sur la table un projet bâclé comme Picasso dessinait d'un trait sur une nappe de café. Il y croit sur le moment, moyennement, pas vraiment. A d'autres voisins de table, il barbouillera d'autres figures, en géomètre de fantaisie.
Cette fois-ci, c’est un joli rapport, radieux sur les banlieues, pourvoyeur d’amitié dans les quartiers. Notre grand Darroussin fera lire le travail de jeune énarque à d’autres, les siens. Borloo est un alliage joyeux, fait d'une humanité burinée à la Carmet et d'obscurités langagières à la Rocard.

mercredi 25 avril 2018

Imagine-t-on le général de Gaulle ?

Les embrassades sur le perron, le contentement de figure, la satisfaction de soi sont les clichés de propagande d’une diplomatie selfie. Macron se hisse à hauteur de joue de Trump. Les deux présidents se congratulent en signe d’idylle, d’amitié mutuelle, d’actualité rose, malgré l’humanité sanglante, en dépit des colères d’une terre qui explosent.
Le jeune Emmanuel baise le menton de l’oncle d’Amérique. Le milliardaire laisse venir  la démangeaison d’affection du petit père de notre « révolution ».
Mais Trump n’est pas l’oncle Donald. Il est le parrain d’un empire ploutocratique. Imagine-t-on le général de Gaulle se livrer à des accolades de gala, s’abaisser à des petits baisers de starlette de Croisette ?

vendredi 20 avril 2018

Rougir les façades

Lors du sommet de Berd’huis, tenu à l’initiative du président Pernaut, j’avais été impressionné par la virtuosité chromatique des écoliers normands. Ils avaient gribouillé avec opiniâtreté la salle de réunion des deux chefs de gouvernement. Ce primat du graffiti sur l’écrit, dès la petite classe, donne d’excellents résultats d’enseignement.
A l’âge étudiant, l’habileté picturale ne s’est pas dissipée. Nos jeunes gens de Tolbiac en témoignent. L’évacuation musclée de l’université a révélé de splendides décorations murales, une ornementation colorée qui confirment la qualité artistique d’une jeunesse. Notre système éducatif a le souci des beautés convulsives. Inutile pour autant d’en rougir les façades.

lundi 16 avril 2018

Nous sommes bien avancés

Leurs physiques les situent aux antipodes. Mais ils ont les mêmes  manières anachroniques : vieille France pour Giscard, look d’après guerre, Boris Vian, pour Macron.
Tous les deux sont faussement de leur temps. Ils préconisent un même libéralisme avancé, slogan du fringant président auvergnat. Macron martèle sur tous les plateaux, moulinant ses petits bras de bateleur : « J’avance ». C’est un marcheur qui avance.
Les deux monarques républicains sont intelligents, très intelligents. On pense à la tirade de Claudel : « Il n’y a qu’une classe dangereuse, c’est celle des intellectuels, c’est-à-dire des gens qui possèdent un instrument pour lequel il n’y a pas d’emploi »  (Conversations dans le Loir -et-Cher). J’ajouterai : pas plus chef d’Etat qu’un autre.
Or la virtuosité d’esprit réfléchit une image d’arrogance tribale, diffuse un sentiment de privilèges transmis, d’appartenance de naissance à la chefferie rayonnante.
Tous les deux se complaisent dans des mises en scène pompeuses, des décors d’opérette grotesques. Macron aime le théâtre, fait l’acteur, joue le rôle de Giscard dans une mauvaise pièce de Chaillot. C’est un comédien du pouvoir républicain. Il avance ainsi, mal masqué. Nous sommes bien avancés.

vendredi 13 avril 2018

Pernaut consulte

Sur les murs de l’école, les couleurs des marmots font ce qu’elles disent : elles jurent entre elles. A Berd’huis, on s’initie à la peinture à l’huile. On pratique le collage et le graffiti au détriment de l’apprentissage de l’écrit. L’hégémonie chromatique règne sur une classe gribouillée. La République distribue des diplômes en caramel bistouille, pas des certificats en chocolat.
C’est là, dans l’Orne et ses mornes bocages, que le président Pernaut, prince des terroirs, a convoqué son chef de culture, Macron, le géographe de l’île de Guyane. Notre débonnaire président consulte son meilleur régisseur sur l’évolution des derniers chantiers. Il écoute religieusement le déroulé des boniments.
Macron est un technocrate de haut niveau qui parle de son grand-père cheminot. Il est vitaminé à l’excès. Il ressemble à Lance Armstrong, aussi blanc de figure, déterminé à pédaler jusqu’au bout de la grande boucle. C’est un cycliste de contre-la-montre aux jarrets métalliques.
Le président des champs de luzerne ne veut pas passer pour une baderne. Jean-Pierre ne veut pas qu’on lui raconte des histoires. Il peut se fâcher. Mais la maîtresse de l’école l’a prévenu avec délicatesse si l’atmosphère venait à s’envenimer. Elle sait que Macron est un bouillant soldat, qu’il peut faire des éclats si Pernaut l’asticote un peu sur le résultat des courses. En tout cas, le conseil municipal ne tolérera aucune déprédation du local.
Moi qui suis retraité, et bien qu’un peu dur de la feuille, j’ai compris que je ne serai pas traité comme un portefeuille. Qui bene amat castigat bene. S’il me châtie ainsi, c’est qu’il est mon ami. Mieux : le bénévolat des vieux est leur destin, un bâton de maréchal en chocolat. Macron pousse le bouchon jusqu’au fond.
J’aurais mieux fait de m’encorder à une start-up. D’autant qu’il est là pour cinquante ans, le véhément garçon. Il retape les fondations de la grande nation. Le président Pernaut, jadis lobbyist chez Bouygues, écoute sans mot dire l’évocation d’une maison de Macron. Il possède sur le bout des doigts l’argumentaire de la maçonnerie. Ce sera une maison sans taxe d’habitation. Même si l’argent domestique n’est pas magique. J’ai lâché un peu, mais me suis réveillé à cause du mauvais français. J’ai eu l’oreille éraflée. A Berd’huis comme à Paris, on ne dit pas « ce midi », mais « à midi ».  
Je me calque sur ce que disent Macron et les cheminots, sur tous les tons.  Je suis allé jusqu’au bout. Mais, au bout du bout, il y aura trop de monde. Ou pas assez de bouts.

jeudi 12 avril 2018

Palerme et les mots

A Palerme, rien n’alarme sauf une lumière du matin. Je griffonne les menues pages d’un carnet. Je jette sur le papier les fragments désaccordés d’une vie émerveillée. La saisie littéraire d’une sensation est une manœuvre éphémère. C’est un exercice de vérité. Il fait du songe le contraire du mensonge.
Les insoucieux Siciliens considèrent le travail comme une occupazione, sans autre espèce d’émotion. J’aime un large dédain du quotidien.
Via Principe di Belmonte, on observe les ciselures des ombres sur les murs, on paresse à la terrasse du Spinnato. La pasticceria est saturée d’exquisités sucrées. Je commande, non je quémande, un cioccalata calda in tazza.
A toutes les heures d’un malicieux désœuvrement, deux élégants vieillards s’attablent, rigolards et charmants, baskets écarlates. Soudain une jeune fille grimpe au cou du grand-père à chignon gris. L’embrassade démonstrative, vivace, est l’art sicilien des quiétudes apéritives.
C’est un soleil de trois heures qui chauffe le contour des cheveux. Boire d’un trait, c’est comme écrire d’un jet : c’est bon.
Après la collation du matin, j’apprécie le chiffonné du Corriere della Sera. Je m’assieds à lire des histoires. A côté du buste de Wagner, dans le hall marbré du grand hôtel des Palmes, délicieusement décati. Un jour, j’écrirai les sottes cérémonies du travail. Cela s’appellera « La clownerie des lundis ».

lundi 26 mars 2018

Si légère est l'urgence

La page est blanche. Elle est riche de tous les virtuels possibles. L’infini ne joint pas les deux bouts. Rien n’est joué. Rien n’est écrit. Rien n’a de sens d’avance.
Il est téméraire de s’aventurer, en première ligne, en premières phrases, sur une terre littéraire, sur un champ de chair. Il est téméraire de briser la ronde coutumière des jachères.
Tracer les premières lettres, se saisir de l’alphabet éparpillé, composer des mots qui fassent écho, dessiner des fragments de signifié, s’affranchir d’un impérieux désir : écrire comme on libère un cri.
Le lieutenant colonel sait quoi faire, décider sans collégialité, dans l’immédiateté. Le lieutenant colonel a des ailes. La terreur ne lui fait pas peur. C’est un chef de ferveur : il est à l’œuvre. La poésie d’Ezra Pound lui indique la direction du pays : « Si légère est l’urgence ».
Le lieutenant colonel se livre à l’ignoble forcené du mal, arrache la caissière des griffes du furieux animal. Acte anti-économique, par excellence. Acte christique.
Le lieutenant colonel est seul, infiniment seul, premier et dernier de cordée. Avant d’expirer, il prie sa patrie. Il écrit avec son sang le chef d’œuvre d’une vie, le récit fondateur de notre temps. C’est un livre de résistance, le traité d’une grandeur, l’évangile gaullien d’un admirable gendarme.
La rébellion du lieutenant colonel n’est rien d’autre que de servir une nation, d’honorer sa mission. Elle a le style des beautés les plus pures, des fulgurants chants d’amour, insoucieux des périls de bravoure.

dimanche 18 mars 2018

Tête haute

L’honneur est sauf à Cardiff. Certes, il y a une gabegie de points perdus en terre celte. Mais il y a de la joie dans le chaudron gallois. La bouille juvénile de Trinh-Duc pétille, même s’il rate son match, traîne sur la pelouse une nonchalance d’échec.
Le corps de Bastareaud est taggé comme un mur de métro. C’est une histoire sainte, les vitraux d’une église, les fondamentaux du rugby, dessinés sur la peau. Bastareaud grand frère calme Lauret vert de fureur. L’ogre bleu est un capitaine silencieux, exemplaire, responsable pour deux.
Fickou est dans tous les bons coups, ne traverse la défense jamais dans les clous. Il se moque du bête essai casquette, il marque un essai de fête.
On s’est souvenu que ce sport de rue se jouait avec des individus, que le jeu exigeait l’orgueil d’un moi je. Pelissié charge en sanglier. Rien ne l’émeut, n’entame son courage, surtout pas la meute de maillots rouges. Il dynamite le jeu mécanique. Il court droit devant, pas sage comme un garnement, à l’abordage. Nos durs à cuire réhabilitent le morceau de bravoure. Il est suivi par Grosso et ses ruades de costaud. Avant que Tauleigne, flanker téméraire, ne troue la ligne adverse, intouchable émissaire, royal Magne des grands soirs. Fall l’acrobate fait respirer la balle.
On renoue avec la cavalcade qui n’est pas une fanfaronnade. On cède aux foucades et aux incartades qui ne sont pas des gasconnades.
Les retouches à la touche ont fait mouche. Nos talonneurs sont laboureurs et gambadeurs. Même sans Camara, notre meilleur fusil, blessé à l’heure de jeu, la manière est française, le style est d’allégresse. J’absous Brunel car je tiens à ce rugby malchanceux comme à la prunelle de mes yeux. Les carottes sont cuites mais les têtes sont hautes. Il manque un point. Nous ne manquons pas de joueurs d’instinct.

samedi 17 mars 2018

Les Demoiselles Coiffées

Il y a des hauts et des bas. Les cols sont fermés comme des bouilles renfrognées. La neige a enseveli les derniers coloris. Le cliquetis des bennes ponctue les étendues souveraines. J’ai passé Les Demoiselles Coiffées, quitté Gap, serpenté, cheminé sur l’asphalte entaillé, derrière une coalition de dos ronds, derrière une dénégation de camions de route Napoléon.
Pas de bêtes féroces au Val d’Allos. A Pra Loup, je gare mes quatre roues avec un zèle ustensilaire. Les mélèzes sont des banderilles grises sur les flancs des massifs. D’abondance, un sang blanc coule vers la Durance.
Notre cellule de moine est d’un merdique patrimoine. Réfectoire braillard de mauvais verres à boire. L’intime intériorité patine dans une gargote sans âme.
J’ouvre une parenthèse, au milieu des mélèzes. Du vaste ratage, je sauve l’instant suave. Je bivouaque au soleil téméraire du Clos du Serre. Je songe à Lagarce, grand gars des lettres françaises, renégat de race : « C’était un peu mélancolique comme toutes les fêtes réussies » (Journal, tome 1, page 280, Les Solitaires Intempestifs, 2007). Il a suffi d’une éclaircie. Fred. C’est le petit nom du livre à faire. Fred for ever. Fred for Rêveur. C’est décidé.

dimanche 11 mars 2018

Maculés d'un sang morose

Les gredins de gradins agitent des fanions aux couleurs de la nation. Camara fend l’invincible armada. Camara reste droit comme un mât. Grosso slalome en desperado. C’est un rugby empêché, entravé, contrarié. Avec nos quinze quintaux, on définit une ligne Maginot, sans magie mais veto, un espace de statu quo.
On n’avance ni ne recule. On pousse, on ne cède pas d’un pouce. Nos touches sont floues. Nos piliers sont pénalisés. Machenaud botte entre les poteaux. Les tribunes à pardessus sont coloriées de faciès rougeauds. On s’exalte des bastonnades de Bastareaud. Notre grande asperge edouard-philipparde cause avec un Laporte goguenard.
Les Anglais marquent un vrai essai. Mais les maillots blancs du Quinze de la Rose sont maculés d’un sang morose. On a gagné à la hache sans le moindre panache. Rien d’historique, mais un rugby qui balbutie, plein de hics.

dimanche 25 février 2018

L'hiver à Pétersbourg

Au bar Lichfield de l’hôtel Astoria, la vodka Beluga ragaillardit la chair, ranime l’esprit. Du sofa, on voit la Moïka. C’est un affluent, un lieutenant influent de la Néva. Elle tournicote, rumine une attente, puis se jette dans le fleuve blanc.
Rien n’est triste, place des décembristes. La neige enlise, alcoolise les grands ciels rouges, enfièvre les joues. La barmaid époussète le comptoir. Une grande fille nue court dans le métro désert. Le serveur est à hauteur du postérieur du poster. On boit comme on se parle à soi.
La maison de Nabokov est à une portée de pierres de là, rue Malaya Morskaya. J’ai lu Lolita. C’est un livre d’eau fraîche, le récit d’une errance, un goût de vodka brut sur les lèvres. J’ai ressenti la liberté et la pureté.
L’orthodoxie apprécie la vie, laisse aux protestants le lent ressentiment. Elle abandonne la morale à sa dégringolade infernale. Elle évite le bon ton, ne touche pas aux rogatons.
Derrière le bosquet blanc et noir de la place des arts, le Musée Russe accueille les gosses des autocars, abreuve de mémoire des classes entières d’écoliers à veste réglementaire. Il enseigne la beauté, l’histoire d’un peuple venu de quelque part, les corps meurtris qui saignent de la patrie.
L’icône mystique est un idiome patriotique. Il est privilégié des hommes de la Baltique. Dans un angle mort du palais, je débusque un cliché volé, des bouts de Pétersbourg, photographiés comme des condamnés en joue. Boris Smelov est un iconographe argentique. La légende précise qu’il se réfère à Barthes.
Mais les musées ne m’amusent qu’à moitié. Imagine-t-on un texte composite qui juxtaposerait une phrase de Balzac, des bribes de Proust, quelques fragments de Chateaubriand, trois mots de Rousseau, des miettes de Gracq et des confettis de Céline ?
Dehors, les gosses se fichent de la neige. On les tanne de Poutine. J’achète le ticheurte du despote. La stratégie nationale s’exhibe sur un poitrail. Il fait un froid de gueux. Le marchand ambulant me parle de Depardieu. Les sableuses sont des machines heureuses. Il fait moins vingt-trois dans la cité ; les véhicules sont les rois de la chaussée. J’ai le respect des somptuosités.

vendredi 16 février 2018

Jouir du pouvoir

Macron flanque Blanquer chef d’escadron, premier adjudant d’éducation. Tout le pays fait corps derrière Blanquer, ministre militaire. C’est une sorte de colonel de Gaulle à la tête de l’école. L’homme à treillis réhabilite un habit dernier cri, le costume indigène des classes à l’ancienne : la blouse grise de laborantin. Il fourre les insup-portables au rebut, au coin, leur interdit d’échanger des bitcoins.
Blanquer ne touche plus terre, crève la stratosphère. Il restaure la docte autorité qui fait taire l’effronté des lycées. Blanquer est réactionnaire, forcément réactionnaire, naturellement, nécessairement populaire. C’est pourquoi il explose les compteurs de satisfaction de la nation. Il a beaucoup, beaucoup d’amis dans le pays, un peu moins dans le cagibi du conseil des ministres. Succès empoisonné, corollaire obligé : Blanquer est jalousé des hiérarques du parti cordonnier. Qu’à cela ne tienne : il ne fera qu’une bouchée du grand échalas du Havre. Car Macron le veut. Matignon sera la juste destination du Duce de l’Education. Mais Macron le veut, pourquoi ?
La stratégie du roi marcheur est fondée sur l’hégémonie totalitaire du parti randonneur. Randonneur, pas donneur. Pour ce faire, il lui faut se défaire des alliés de circonstances, pâles godillots de la prise de pouvoir. L’heure est venue de déblayer les intrus. Exit Bayrou et ses dames du Modem. Malice de sa nomination piégée au ministère de la transparence. Le bégayeur de Pau débarrasse le plancher manu militari.
Reste à dégommer les traîtres du parti néo-gaulliste. Darmanin est déjà bien mal en point. Il ne survivra pas à l’exigence d’exemplarité, à l’idéal de sainteté tonitrué. Lemaire sera la prochaine proie de l’insatiable roi. Dans trois, six ou neuf mois, viendra le tour d’Edouard. Le temps que Blanquer parachève sa loi réactionnaire. Il appartiendra à l’actuel titulaire du brassard de capitaine de ranger ses petites affaires et de regagner le banc de touche, éventuellement sa cité portuaire.
Devant le perron de l‘Elysée, les jardiniers ratisseront les graviers. On aura évacué les gêneurs des premières heures, les étrangers patibulaires, les faux marcheurs de pacotille. La famille du grand Emmanuel sera nettoyée de ses pièces rapportées. Elle sera de sang pur, sans mélange contre nature. Les marcheurs auront enfin quadrillé le territoire. Castaner à Marseille, Griveaux à Paris, Collomb (ou son arrière-petit-fils) à Lyon. Bref, il y aura un zélé marcheur à la tête de toutes les grandes villes, en plus d’un gouvernement cohérent, doté du même uniforme partisan. L’heure de Blanquer aura sonné. Il aura fait le job à l’école. La théorie du ruissellement sera réactivée en matière de popularité. Il aura mission de doper les sourires d’électeurs à l’endroit  du roi des selfies. Philippe, trop mollasson, lui cédera les clés de Matignon.
L’objectif sera atteint pour de bon. Le pays dispose alors d’une nouvelle géographie, redessinée à l’unique couleur de la Macronie. Les pouvoirs sont distribués aux seuls vainqueurs légitimes. Macron va pouvoir jouir du pouvoir sans entraves. Manière à lui de célébrer l’idéologie libertaire de Mai 68.