lundi 28 février 2011

Le colonel criminel

L'Amérique et ses alliés s'ingénièrent à débusquer en Irak d'introuvables armes de destruction massive. Une guerre illégitime s'ensuivit. L'exportation de la démocratie en terre hérétique justifia d'avance les morts en nombre d'une population innocente. La Lybie de Khadafi dispose bel et bien d'armes de liquidation à grande échelle. Le fou de Tripoli les expérimente à l'envi. Il exhorte même à leur libre service, jette son peuple dans la guerre civile. En comparaison, l'ancien diable de Bagdad, Saddam Hussein, fait aujourd'hui figure de premier communiant. Les horreurs de Lybie excèdent les exactions de Mésopotamie.
Or l'Occident reste les bras croisés. Il ne délie sa langue que pour prononcer le mot "inacceptable". Le maigre adjectif, utilisé à longueur de déclarations diplomatiques, n'est destiné qu'à exprimer une timide réprobation. L'Onu parle, parlemente, temporise. Pétrole et hordes migratoires bâillonnent la parole de l'Europe. Bref, le colonel criminel ne terrorise pas seulement son peuple. Il braque son arme sur la communauté internationale.

Le clown se meurt

Les beaux mots d'Alexandre Romanès en plein coeur des pages du Monde sont un luxe suprême. Ils réjouissent l'esprit. Ils comblent le manque d'attention à la beauté du monde. Ils réhabilitent le travail d'artiste. L'homme d'une autre culture met les points sur les i des administratives fumisteries. Le directeur de cirque ne prise guère le verbe foireux des complices de la peur. Le poète dit son fait aux chefs des ghettos sédentaires saboteurs de fête. Le forain fait luire au soleil de sa plume la souveraine liberté des tribus nomades. Il sauve l'honneur. Il sauve de l'oubli la poésie des muets, de Genet, Grosjean ou Dattas. Il chemine dans l'espace, un écriteau dans les étoiles: "Dégage, monde encagé !".
Le cirque Romanès est assailli de tracasseries, de chicaneries, de paperasseries. On songe au chant bouleversant de Giani Esposito : "S'accompagnant d'un doigt ou quelques doigts le clown se meurt et par quelques spectateurs sur son petit violon".
Le texte de Romanès nous délivre, nous lave des miasmes de l'actualité gadoue, de la quotidienneté Mam. Il fixe un cap, un cap de Bonne Espérance, l'horizon paradoxal de la hauteur. Il ne lâche rien sur l'essentiel, s'incline devant le ciel, jette à peu près tout. Il est libre comme l'air.
Le clown d'Esposito poursuit son numéro d'artiste: "D'une petit voix comme il n'en avait jamais eue il parle de l'amour, de la joie, sans être cru". Romanès est un pareil saltimbanque, un clown inaudible, sans maquillage exposé à la haine ordinaire. Il nous enseigne le grand art, qu'au commencement il n'y a pas de commencement. Que le vent n'a ni début ni fin. Que la ruade d'un cheval est indomptable, que la liberté ne s'échange pas. Mais il faut élargir son propos. Aux révoltes arabes, il dit mieux que personne, l'Onu ou n'importe quel "machin", ce qu'est l'humanité débarrassée de ses maîtres.

vendredi 25 février 2011

Bougonnerie

Le ciel a les yeux blancs. Il baisse la tête en aveugle. Visage fermé des jours de bougonnerie. Il ne desserre pas les dents, ne lâche rien, ni lumière, ni merci. Le ciel fronce un sourcil dessus nos fronts. Il s'est absenté de la cité. Il s'est affranchi du devoir de gaieté. Le ciel se déplaît au spectacle des corps blêmes. Il boude hors les bleds.

jeudi 24 février 2011

Février

"Février, c'est le mois le plus court, c'est aussi le plus méchant !". Les années s'emmêlent les unes dans les autres. Comme des chiennes emberlificotées dans leurs chaînes. Pour les départager, on les épingle à un bout de soi, à une sensation. Sans quoi, on n'y voit pas clair. Deux mille onze, c'est celle où j'ai récité "Mort à Crédit", à la tombée de la nuit. Lu l'ouvrage d'une traite avec les oreilles. C'est une borne kilométrique, une encoche dans la chair, un pan entier d'imaginaire destinés à m'éviter "un petit lapsus de la mémoire". J'ai un témoin.

Sous-préfet aux champs

Bruno Le Maire, fringant ministre des verts pâturages, accomplit un parcours sans faute au gouvernement. Son secret ? Ce brillant sujet de la République ne s'embarrasse pas de connaissances inutiles. Il fait l'impasse sur le savoir de terroir. Interrogé à la télévision sur la définition d'un hectare, le blond technocrate a piteusement séché. Mauvaise pioche à l'oral des médias. Réponse pleine d'aplomb du ministre: "Un hectare, c'est un hectare". Faux pas dans la gadoue des campagnes. Les paysans d'une vieille nation agricole ne manqueront pas de se gausser du beau parleur de salon. En souvenir du joli conte d'Alphonse Daudet, ils lui décerneront le bonnet d'âne du "sous-préfet aux champs".

mercredi 23 février 2011

Atone comme Ashton

La Méditerranée délimite l'Europe de l'Afrique. D'une rive à l'autre, les fugitifs du Maghreb nous rappellent le continuum géographique des deux continents. L'Europe en crise ferme sa porte aux mendiants du Sud. Pas de place du pauvre à la table du Vieux Continent. L'Italie joue le rôle du portier de nuit. Berlusconi endosse son costume de videur de night club.
L'Europe droitière s'accommode du postulat rocardien: "On ne peut pas accueillir toute la misère du monde". La machinerie diplomatique européenne est actionnée par une Britannique à la peine. La voix de Mme Ashton est atone. Le boucher de Tripoli revendique ses terribles exactions. Des deux côtés de la Méditerranée, on se complaît dans l'indignité. Cynisme, mensonge et corruption occultent le business des uns et la détresse des autres. Manque de vision de l'Europe ? Myopie sur ses marches ? Pas seulement. L'Europe manque sacrément d'une morale minimale, d'une éthique responsable.

mardi 22 février 2011

Le peuple

Il est des termes dont on ne sait plus très bien ce qu'ils désignent. Le mot "peuple" appartient à ce vocabulaire imprécis, à ce lexique vagabond. Or, à l'occasion des révolutions arabes si pleines de panache, il rompt les approximations d'une signification brouillée. Il se réapproprie un sens éclatant. Le mot "peuple" retrouve ses esprits, redécouvre sa définition. Le peuple, c'est la force d'une rue, qui à mains nues, destitue le tyran. En cela, il est révolutionnaire, il déjoue la répétition du même, il fait bifurquer l'histoire et décide de son avenir.
Le peuple, c'est une foule égarée, un collectif indocile que fédère l'idéal humain de liberté, que métamorphose la colère pour la justice. L'ébullition se change en communion. Le passage à l'acte d'un peuple relève d'un processus éminemment spirituel. Mourir pour la liberté, c'est ne pas céder sur la primauté de l'esprit. Le peuple s'est défini en vraie grandeur, sous nos yeux, au Caire, à Tunis ou Tripoli. C'est bien autre chose qu'un corps électoral. C'est un corps spirituel, plus fort que tous les princes de la matière.

M. DSK

M. DSK est le candidat que la planète entière nous envie. Même la droite française, réputée la plus bête du monde, s'identifie au Don Juan du FMI. Les oracles de M. DSK la rendent moins sotte. M. DSK est intelligent, riche et séduisant. Il a tout pour plaire et d'ailleurs il plaît à tout le monde. Sauf à Mélenchon. A ce cornichon de Mélenchon, mauvais bougre, rabat-joie, gâte-sauce de gauche, allergique à l'unanimisme ambiant.
Week-end césarien. M. DSK est venu, a vu, a convaincu. M. DSK a vu de près la misère européenne, a ressenti "la souffrance sociale" du Vieux Continent, a partagé la colère des déshérités du progrès. Et puis M. DSK est rentré à Washington où il travaille à plein temps, et même au-delà. On attend la prochaine apparition, la prochaine illumination.

lundi 21 février 2011

Après les retraites, les vacances

Les Etats-Unis n'ont pas déserté la maîtrise du monde. L'hyperpuissance n'est pas morte. L'Amérique n'a pas dit son dernier mot. La Chine, chaussée de bottes de sept lieues, progresse à pas de géant. Les deux champions se sont qualifiés pour la finale du siècle. Le monde est un ring où l'Amérique, tenante du titre, et la Chine, son opiniâtre challenger, boxent d'égal à égal. Le reste de la planète regarde à la télévision. Il s'efface de l'histoire comme l'Europe ou joue dans une autre division comme l'Afrique. Il est interdit de match, exclu du pugilat. Sans pour autant être épargné par les coups meurtriers des deux combattants. Il en prend plein la gueule. C'est un destin d'obligé, d'assisté, de petit allié négligeable.
La France, ce point sur la carte, assiste sans broncher à son inexorable dégringolade, à la chronique annoncée d'un pouvoir défunt. L'Europe ne peut la doter d'une souveraineté de rechange. L'Europe échoue comme plan B au déficit des nations.
Dans ces conditions malheureuses, le modèle social français, construit sur des décennies de croissance insoucieuse, fondée sur une généreuse solidarité, est aujourd'hui ressenti comme un handicap économique insurmontable. Les premières escarmouches de la mondialisation ont entaillé la proue du navire. Nous avons troqué un paquebot pour un frêle esquif qui prend l'eau. Une concurrence tous azimuts frappe d'obsolescence les acquis sociaux d'une "Douce France" chantée à contretemps par sa première dame.
Après le traumatisme des retraites ravalées, l'heure est venue de rogner les sacrosaintes vacances des salariés français. Car on ne peut raisonnablement se frotter aux marchés d'exportation, avec des chances de succès, sans réduire la voilure des congés.
A l'origine, la pensée sociale justifie le temps libre rémunéré comme la légitime compensation de la fatigue au travail. Elle est enracinée sur le préjugé tenace de l'usure au travail. Or je doute d'un pareil postulat, notamment en milieu tertiaire. A mes yeux, la fatigue d'un individu ne résulte pas du travail mais de l'ennui qu'il ressent à l'exercer. La fatigue naît d'un mortel ennui. Une banale observation expérimentale vérifie ce constat psychologique. Elle est notamment illustrée par le collectif des passagers d'un train, en pleine journée. Le spectacle de l'ennui est édifiant. On y voit la grande majorité des voyageurs bailler aux corneilles, somnoler, voire dormir à poings fermés. Les usagers du wagon s'essaient à tromper l'ennui par le truchement de journaux, livres ou casse-croûtes. Avant de succomber à la morsure de l'ennui et aux délices de Morphée. Seul l'écran d'ordinateur semble maintenir l'éveil de rares passagers.
Autrement dit, je prétends que la société fait fausse route à vouloir associer les notions de fatigue et de travail, qu'elle s'est fourvoyée à distribuer sans compter les semaines de congés. Cette tolérance croissante au temps libre ne guérit d'aucune fatigue. Au mieux, elle euphorise dans l'instant de la reconnaissance sociale. Mais en aucun cas, elle n'augmente la productivité des salariés, vite démotivés par l'ennui retrouvé, éreintés dès les premières heures de labeur d'après-congé. Bref, le chemin vertueux de la compétitivité passe par un enrichissement concerté du travail, seul remède au gigantesque ennui, dévastateur de productivité.

jeudi 17 février 2011

Nora

"Mort à crédit" est un ouvrage hurlé à la première personne, jeté par dessus bord, balancé dans l'avenir d'un beau geste pervers. On sent l'haleine, le souffle de Ferdinand sur la joue du papier. Nora m'ensorcelle. Nora est la fée de chair de Rochester. Nora règne sur une centaine de pages comme la plus éperdue des beautés égarées. Céline conte l'histoire par coups de boutoir, alterne l'attente et l'attentat. Il écrit sous la dictée du noir romantisme.
Nora non plus n'était "pas rebutable". Pas remédiable pour un sou. Les femmes de Céline sont d'un seul tenant, fée, guerrière ou sorcière. Elles font trembler les petites lignes qu'il dessine. Nora rompt la cérémonie du mutisme, brise la monotonie de pluie, de vert, de gris hiver d'Angleterre. Nora dégringole vers une mer de givre. Nora se sauve. Jette son corps à la nuit, franchit la ligne d'horizon, va pour de bon derrière ses démons. Céline, qui connaît le pays, n'en revient pas. Céline s'admire écrire, s'émeut à ses souvenirs, se noie violemment, à pleine voix, dans "un sortilège de douceur".

mercredi 16 février 2011

Raymond l'histrion

Le Raymond du ballon rond est sorti de son hibernation. Domenech évoque ses têtes à claques, sa clique de "sales gosses". Au passage, il ne rate pas sa Bachelot. Domenech disserte sur le fiasco tricolore. On est reconnaissant à Laurent Blanc d'avoir élevé le débat et le niveau de jeu. Il nous a délivrés de Raymond l'histrion. L'homme des creuses confidences et des piètres performances a débarrassé le plancher. Il va fouler les planches en survêtement.

mardi 15 février 2011

En attendant l'Amérique

La seule révolution qui vaille, c'est celle de la croissance économique, de la création de richesses, de la folie des grandeurs entrepreneuriales. La rhétorique du "dégage !" divertit les émeutiers. Elle illusionne sur la liberté. Elle ne suffit pas. Car les mots se cognent à l'inertie des choses. Ils rêvent tout haut. Les mots ont besoin de capitaux pour ébranler le statu quo. Or les révolutionnaires du Caire se heurtent à la misère de leur terre.
Le capitalisme à gros cigares attend son heure, celui du dynamisme de l'argent, celui qui rompt avec la tradition des conservatismes, avec la sale manie du despotisme oriental. Il casse la culture ancestrale du temps long, impose le diktat du désir immédiat, élargit le cercle des rassasiés, fabrique une radicale pauvreté. L'Amérique de Barack se substitue à la vieille Egypte de Moubarack. L'Europe s'éloigne de la Méditerranée pour ne pas gêner. Fini les grands récits: elle fait tapisserie.

lundi 14 février 2011

Koltès à l'Atelier

Koltès va sa phrase qui fait texte. Elle charrie le récit d'une vie, la stridence d'un cri sous la pluie. La phrase rase les murs de l'amour. C'est un fleuve où dérive le vieux pneu de la solitude, où tournoient une godasse, les branches mortes des trottoirs. L'homme n'en fait qu'à son texte. La phrase dit tout en un souffle, trois mouvements et soixante feuillets. Koltès entasse les mots: il les jette à la volée par l'embrasure du silence, au premier venu, au coin d'une rue. Il les frotte à la hargne du monde, les cogne contre l'autre, à merci du Nicaragua.
La rumeur court comme la phrase. La rumeur court que Romain Duris hisse haut les couleurs de l'auteur, les beautés du texte, la blessure vive de Koltès. L'écrivain rechigne d'avoir son mot à dire. Il ne vise que la majesté d'une phrase. Avoir sa phrase. Koltès a écrit, haleté sa Nuit, rédigé d'emblée son testament, taillé un diamant. A l'Atelier, l'antre de Jouvet, se joue la vie d'un homme, s'enroue la voix de Koltès, s'écoute la langue française.

M'indigne

M'indigne cette mère suisse qui exhibe au vu de tous les peluches de ses deux fillettes disparues. M'indigne ce désespoir ostentatoire.
M'indigne l'Angleterre qui souhaite saisir les biens d'un ami mal en point, la richesse d'un allié soudainement pestiféré, les avoirs d'un Moubarak aux abois.
M'indigne la ministre à mi-temps, touriste du gouvernement. M'indigne la bonne conscience de Stéphane Hessel. M'indigne la vertueuse leçon d'un homme aux mille décorations.

vendredi 11 février 2011

Il était pas rebutable

Au début de "Mort à crédit", Céline évoque sa grand-mère. "Caroline était pas rebutable, c'était une femme qui craignait rien".
Jeudi, devant des millions de regards, Sarkozy, tout de bleu marine vêtu, partageait la même opiniâtreté que l'aïeule de Destouches. Il persévérait dans ses élans volontaristes, ses syllogismes simplistes, sa dépendance grave à l'efficace bon sens. Le président a laissé ses dents sur l'introuvable croissance. Il ne les découvre que pour parler, marteler, déballer sa camelote de campagne. Chantre de la sécurité, il embarque le pays dans son boniment de porte blindée. Sarkozy mouille le maillot dans les vestiaires des neuf nominés du casting de la France d'en bas. Le coach donne la consigne de jeu pour la fin du mandat. L'optimisme de sa volonté suinte à grosses gouttes. Faut bien s'en convaincre: "il était pas rebutable".

jeudi 10 février 2011

La banane

Finir par un fruit. Papa avait réglé d'avance la conclusion du repas. Une banane. Qu'il épluchait en pétales de fleur. Une banane qu'il mangeait délicatement, sans parler, comme s'il sacrifiait au rituel muet du dessert simplifié. Pas de tarte. Une banale banane, avec ses grains de beauté pigmentés, ses taches noires sur la peau. Un verre de vin par dessus. La serviette à carreaux, mi-pliée, tamponnait sa lèvre mauve. Ita missa est. La fulgurance de l'après, de l'autre chose, torpillait la minutie de la cérémonie. Papa se plaisait au présent, aimait sa vitesse d'oubli. Il était ailleurs sans bouger d'un pouce.

mercredi 9 février 2011

Aux frais de la princesse

Les représentants du peuple s'en démarquent. Par définition. Les parlementaires jouissent de privilèges fiscaux, disposent d'avantages sociaux considérables, notamment en matière de retraite. Régime d'exception, mesures de faveur, exorbitantes de la loi commune. Montons d'un cran. Les ministres de la République villégiaturent selon leur bon plaisir aux frais de la princesse, à la remorque de sympathiques despotes négociant leur respectabilité.
N'en déplaise à M. Juppé, la morale n'est pas sauve. L'indépendance nationale, vieux concept gaullien, relique d'un temps glorieux, est jetée aux oubliettes comme une vieille chaussette du Général. Manger dans la main de roitelets autocrates pour profiter de la douceur du climat et des curiosités de l'histoire, en dit long sur la consistance politique des héritiers de Charles de Gaulle.
La France sombre dans un misérable destin d'obligée. Ses dirigeants se vautrent dans une méprisable subordination. La médiocrité de pareilles inconduites blesse la fierté d'un peuple.

mardi 8 février 2011

Dans son rôle

Toute déclaration controversée du chef de l'Etat fait l'objet des mêmes commentaires stéréotypés de ses partisans les plus zélés: "Il est dans son rôle, le président de la République est dans son rôle, Nicolas Sarkozy est dans son rôle". La parole de perroquet sature l'espace public. A la radio et à la télévision, Christian Jacob, Christine Lagarde et Jean-François Copé se sont donnés le mot, ont prononcé sans sourciller la même formule bétonnée. Ils esquivent toute réflexion personnelle, rivalisent de servilité, bottent courageusement en touche. La défense de l'exécutif est assurée de manière mimétique avec une même indigence de vocabulaire.
Jeter l'opprobre sur la magistrature, clouer au pilori une corporation entière, ne relèvent pas des prérogatives du locataire de l'Elysée. C'est un drôle de rôle que de dresser l'opinion publique contre les juges de la nation. Y aurait-il une erreur de casting au sommet de l'Etat ?

lundi 7 février 2011

La fille d'Antonioni

"La fille" du film d'Antonioni a surgi de notre mémoire. Sans crier gare. C'était son jour de sortie.
Reste une vie de pellicule, en boucle, sur un écran de plein hiver. Maria Schneider émeut comme Mozart. Une légèreté, une absence, une gaminerie, comme un soleil troueur d'entrailles. Maria Schneider éblouit par sa beauté boudeuse, ses yeux si noirs d'insoucieuse curiosité, sa nonchalance animale et ses questionnements véhéments, l'espièglerie d'une enfance qui s'attarde dans un corps de femme.
J'ai fouillé en aveugle dans les recoins de l'étagère, remué la poussière, mesuré le temps passé sur mes doigts grisés. J'ai déterré le DVD de "Profession Reporter", "The Passenger", mieux nommé à l'original.
Maria Schneider est vêtue, libre comme l'air, d'une robe à mille petits coloris. Elle s'habille de confettis et des taches des papillons. Elle est joueuse et vive, lumineuse et si brune. Antonioni filme la splendeur de sa chevelure dans le bleu du ciel andalou. Maria Schneider erre dans un dédale de Gaudi, bouquine rêveuse sur un banc, s'échappe de ses doutes comme un cheval fou.
Elle menace de quitter l'histoire si Nicholson abandonne l'aventure. La mort a fixé rendez-vous, hôtel de la gloire. "La fille" d'Antonioni est partie à temps, a obéi à Nicholson. A l'instinct. L'actrice au doux sourire a succombé à ses blessures de tournage. Elle est morte, sauf en bout de rangée, à droite de l'étagère.

Voyage en Dordogne

L'escapade tunisienne de MAM fait un ramdam d'enfer. La patronne du Quai d'Orsay était aveuglée par sa soif inextinguible de congé. Au point d'ignorer les dépêches d'ambassade. A Tabarka, puis Tozeur, la ministre, aussi psycho-rigide que Jospin dans sa gloire, s'abandonna sans sourciller aux joies simples du tourisme familial. La révolution de jasmin n'était pas de nature à lui faire rebrousser chemin.
Les voyagistes sont moins têtus que l'acharnée vacancière du gouvernement. Ils sont à la recherche de destinations de substitution. La Tunisie - l'Egypte aussi - n'offre plus toutes les garanties de bronzer idiot en toute sérénité. C'est pourquoi je leur suggère une terre de rêve, mal connue des amateurs d'exotisme: la Dordogne. Nouvelle Djerba la douce, la Dordogne ne semble pas menacée par les révoltes populaires, à l'exception de la fronde de ses magistrats. C'est d'ailleurs le lieu des prochaines villégiatures de MAM qui s'y connaît en séjours d'aventure. La Dordogne figure déjà sur les catalogues de printemps. Reste une inconnue: les crues imprévisibles de son fleuve éponyme.

jeudi 3 février 2011

Mort à crédit

Je lis "Mort à crédit". Avec rien, ces lignes de génie, je suis bien. Je me délecte d'un texte en bataille, scarifié de trouvailles en pagaille. J'y revois papa, calé dans son fauteuil de velours jaune, sourire en douceur et rire de bon coeur. Céline est une gourmandise, une féerie exquise. Il raconte son enfance. Il fonce dans la langue, la défonce, tisse une dentelle délicate. Les mots sont des vitraux de poésie.
Je suis accueilli en seigneur à bord du Folio, pur bonheur d'artiste. Papa me précède dans le rafiot de la mort. Il s'est isolé pour bouquiner tranquille.

mercredi 2 février 2011

Le syndicat des princes

Ils sont dictateurs, ministres de pays libres, amis des puissants ou fortunés du capitalisme. Ils se côtoient au voisinage du luxe le plus criard, se coudoient sur des destinations ruisselantes de pognon. Ils s'apprivoisent d'un regard, se reconnaissent à leur rictus de contentement, s'identifient à l'air blasé des gens bien nés. Ben Ali, Moubarak ? Connaissent pas, perdus de vue.
Ils sont riches en riads, villas et demeures de pachas. Ils jouissent des faveurs d'éphémères gouverneurs. Ils parlent du peuple, en son nom, à sa place, avec superbe et flamboyance. Ils forment une petite communauté solidaire avec les trains de vie d'enfer et les poignes de fer.
Ce syndicat des princes craint le déclassement, la fin des privilèges, comme la peste. C'est pourquoi il se cramponne, se recroqueville sur ses trophées de caste. Le statu quo prévaut sur toute autre considération. On agrémente les mesures d'austérité de jolies fables aux tournures vertueuses. Bref, les pieux discours sur la démocratie n'ont d'autre objet que de divertir la galerie.

La foule, le peuple

Au Caire, la foule sature l'espace public. La rue grouille de ses communautés bigarrées. La foule s'ébroue comme un gros animal, déferle comme une marée cruelle. Troupeau humain sans autre berger que le chant des lendemains. La rue crée la foule comme l'élection produit un peuple. La rue fait peur au pouvoir comme l'élection est redoutée du prince. La peur voyage du trottoir à l'isoloir. Elle a basculé du côté de l'autorité. La fait douter de sa légitimité. La foule montre ses griffes, témoigne par sa clameur. La foule attend l'heure de sa métamorphose, de sa renaissance politique en sa qualité de peuple. De la foule, derrière l'isoloir, sortira l'espoir d'un peuple. Alors, pour le meilleur ou pour le pire, l'Egypte inventera son avenir.

mardi 1 février 2011

Le Pont-Neuf

La vieillesse sonne l'heure des corps qui se déglinguent. On perd l'agilité de gestes et d'esprit. Les vieux en nombre, rangés des voitures, sont guettés par l'ennui. A cet âge, l'imaginaire fait demi-tour et regarde par derrière. L'avenir recule comme une armée vaincue. Il prend peur à se voir sans futur. Il fait machine arrière et revient sur les pas du passé. Les souvenirs seuls peuplent les heures. Cette mélancolie du temps qui ne passe pas ronge le sang d'un ancien président.
Jacques Chirac se porte comme le Pont-Neuf. Il tend l'oreille, marche avec peine, se souvient moins bien. Jacques Chirac sourit volontiers, serre les mains avec une chaleureuse humanité. Il a fini sa tournée présidentielle. L'homme est d'attaque pour la correctionnelle.