mercredi 6 juin 2012

La conversation du pouvoir

Le culte de la nation se nourrit de pieuse conversation. Elle coudoie les passions ravageuses. Charles de Gaulle cause à la France. Marcel Proust bavarde avec Albertine. L'un et l'autre embastillent leurs désirables proies. De Gaulle fixe un cap. Il balade au grand air la nation millénaire. Proust se recueille au chevet d'une morte. Le poète et le soldat scandent une même prière pour plus tard.
De Gaulle lit Jouve. Correspond avec Le Clézio. Ses pommettes s'empourprent à la lecture de "Paulina". L'artiste est de son temps, pressent les suivants. L'homme du dix-huit juin parle "des gouvernants de rencontre". De Gaulle arrête le regard du hasard.
Proust et le grand Charles ont tué le match. Le juif asthmatique et le catholique gothique ont inscrit la France, ses paysages et sa phrase, au milieu du monde, à son zénith universel.
Aujourd'hui, la politique s'est affranchie des belles lettres. Sarkozy invente l'épilepsie du pouvoir. Il se rue dans le décousu. Il est possédé d'envie, tiraillé des pires désirs. Il soliloque, et du monde se moque.
Giscard prétend écrire avant de lire. Sarkozy tord le cou à "la princesse des contes" et à "la madone aux fresques des murs" (Mémoires de Guerre, L'Appel, page 1). Il s'épargne la corvée des écritures. La sotte vanité de Giscard introduit à l'enfantine brutalité d'un Sarkozy, futile monarque.
Je me souviens d'une photographie de De Gaulle, à son bureau, les yeux dans le vide. De Gaulle voisine avec les vertiges. A l'heure des nouvelles du soir, de Gaulle s'extrait de son travail, ferme l'électricité, laisse craquer dans son sillage le parquet de l'Elysée. Il observe l'humanité dans les yeux d'un vulgaire téléviseur. Il connaît la loi du pouvoir sur le bout des doigts. Il contemple la France. Il songe à "La Prisonnière", le cinquième des sept volumes du grand oeuvre de Proust. Charles courbe sa longue carcasse: "La regarder dormir".

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