A la
fin de sa vie, Sartre confie : « Il y a dans l’espoir même une sorte
de nécessité » (L’espoir maintenant,
éditions Verdier, 1980, page 21). Or la gloire d’un quidam absorbe le besoin de
croire des hommes. Johnny est une
idole qui ne tombe pas du ciel. C’est un fauve aux yeux mauves. Il chante, il
danse. C’est un boxeur de ring, rude au mal, dans les cordes vocales. L’artiste
est pugiliste. Il compense la désespérance sociale. La star fait croire à
l’aurore. Les fidèles de l’arène veulent une vérité charnelle. La ferveur est
une demande de bonheur. Au commencement, il y a l’engouement.
Les
religions jettent des traits d’union, fabriquent des communions, ouvragent du
lien social. Les dieux relient les lieux. La divinité assemble les hommes d’une
même piété. Elle les joint comme des mains.
Mais
les dieux expriment une fatigue. Ils sortent harassés des siècles passés. Ils
désertent les consciences. Au for intérieur s’impose un silence extérieur.
L’idole
sans ciel occupe une place vacante. L’idole des jeunes s’est substituée au jeûne
divin. L’idole dansante est bien vivante, immanente et chantante. Les dieux
étaient cachés. L’idole est dévoilée. C’est un corps de rock star. On veut la
toucher. C’est une relique de chair. Elle guérit un désespoir, ajourne une
mémoire, gomme une mort. Sa promesse sur terre est une ivresse passagère.
Les
hommes, pétris d’humus, se destinent à un pathétique terminus, sous des
pelletées de terre. La star est un bellâtre qu’on idolâtre. Elle donne aux
hommes un songe à rogner, un rêve à aimer. Johnny est un lien social éphémère.
Comme on le dit d’une boutique à murs provisoires. L’émotion d’une communion
dure le temps de recueillement de la nation. A bout de souffle, la religion
passe le flambeau à d’Ormesson.
Mais
la gloire se compte en quarts d’heure, à l’école de Warhol. La société produit
beaucoup de prophètes bien formatés. Mais cela ne suffit pas. Elle a besoin
d’un surcroît de Johnny(s) pour raviver les liens distordus, recoudre le tissu
des fraternités déchirées. Il y a le foot et Johnny, le rock et Messi, et puis
rien. C’est le vide. On manque d’idoles qui fassent salle comble. Leurs affiches se décollent comme des
banderoles dont on se fiche. Les foules se foutent des reines d’un jour. Elles
ne sont pas rassasiées. La société, chaque matin, doit veiller à multiplier les
pains.
Le
lien social éphémère est un leurre communautaire. La machine à produire du
sacré fonctionne comme une planche à billets démonétisés. La religion est un
grand corps malade. On colmate par des artefacts. On rafistole les vieilles
idoles.
Bref,
la rock star illustre une misère. Faute de mieux. A défaut d’un dieu. Face au
vide, Johnny amorce une entraide. C’est le gala des gars du monde. On partage
ses photographies comme des fragments d’hostie.
Je
me souviens des funérailles moscovites de Vladimir Vissotski, le chanteur de
folie des révoltes de Russie. Plus d’un million d’endeuillés, en ce jour de
juillet mille neuf cent quatre-vingt, ont déferlé hagards derrière un corps
drapé de noir. A l’époque, la rébellion d’un poète rassemblait une nation,
réalisait pour de vrai l’union soviétique.
Sur
les Champs-Elysées en habits de Johnny, un visage aux yeux rougis, une trogne
de pèlerin transi, trouve les mots, lâche un cri : « Là, on perd
quelque chose de gros ».
C’est
la liesse, avant la messe de kermesse. Les récitants de La Madeleine manquent
de souffle, de fièvre, jamais hors d’haleine. Seul Rondeau, mèche à la Malraux,
use de mots à juste écho. Il sauve l’honneur du rocker.
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