samedi 9 décembre 2017

Lien social éphémère

A la fin de sa vie, Sartre confie : « Il y a dans l’espoir même une sorte de nécessité » (L’espoir maintenant, éditions Verdier, 1980, page 21). Or la gloire d’un quidam absorbe le besoin de croire des hommes.  Johnny est une idole qui ne tombe pas du ciel. C’est un fauve aux yeux mauves. Il chante, il danse. C’est un boxeur de ring, rude au mal, dans les cordes vocales. L’artiste est pugiliste. Il compense la désespérance sociale. La star fait croire à l’aurore. Les fidèles de l’arène veulent une vérité charnelle. La ferveur est une demande de bonheur. Au commencement, il y a l’engouement.
Les religions jettent des traits d’union, fabriquent des communions, ouvragent du lien social. Les dieux relient les lieux. La divinité assemble les hommes d’une même piété. Elle les joint comme des mains.
Mais les dieux expriment une fatigue. Ils sortent harassés des siècles passés. Ils désertent les consciences. Au for intérieur s’impose un silence extérieur.
L’idole sans ciel occupe une place vacante. L’idole des jeunes s’est substituée au jeûne divin. L’idole dansante est bien vivante, immanente et chantante. Les dieux étaient cachés. L’idole est dévoilée. C’est un corps de rock star. On veut la toucher. C’est une relique de chair. Elle guérit un désespoir, ajourne une mémoire, gomme une mort. Sa promesse sur terre est une ivresse passagère.
Les hommes, pétris d’humus, se destinent à un pathétique terminus, sous des pelletées de terre. La star est un bellâtre qu’on idolâtre. Elle donne aux hommes un songe à rogner, un rêve à aimer. Johnny est un lien social éphémère. Comme on le dit d’une boutique à murs provisoires. L’émotion d’une communion dure le temps de recueillement de la nation. A bout de souffle, la religion passe le flambeau à d’Ormesson.
Mais la gloire se compte en quarts d’heure, à l’école de Warhol. La société produit beaucoup de prophètes bien formatés. Mais cela ne suffit pas. Elle a besoin d’un surcroît de Johnny(s) pour raviver les liens distordus, recoudre le tissu des fraternités déchirées. Il y a le foot et Johnny, le rock et Messi, et puis rien. C’est le vide. On manque d’idoles qui fassent salle comble.  Leurs affiches se décollent comme des banderoles dont on se fiche. Les foules se foutent des reines d’un jour. Elles ne sont pas rassasiées. La société, chaque matin, doit veiller à multiplier les pains.
Le lien social éphémère est un leurre communautaire. La machine à produire du sacré fonctionne comme une planche à billets démonétisés. La religion est un grand corps malade. On colmate par des artefacts. On rafistole les vieilles idoles.
Bref, la rock star illustre une misère. Faute de mieux. A défaut d’un dieu. Face au vide, Johnny amorce une entraide. C’est le gala des gars du monde. On partage ses photographies comme des fragments d’hostie.
Je me souviens des funérailles moscovites de Vladimir Vissotski, le chanteur de folie des révoltes de Russie. Plus d’un million d’endeuillés, en ce jour de juillet mille neuf cent quatre-vingt, ont déferlé hagards derrière un corps drapé de noir. A l’époque, la rébellion d’un poète rassemblait une nation, réalisait pour de vrai l’union soviétique.
Sur les Champs-Elysées en habits de Johnny, un visage aux yeux rougis, une trogne de pèlerin transi, trouve les mots, lâche un cri : « Là, on perd quelque chose de gros ».
C’est la liesse, avant la messe de kermesse. Les récitants de La Madeleine manquent de souffle, de fièvre, jamais hors d’haleine. Seul Rondeau, mèche à la Malraux, use de mots à juste écho. Il sauve l’honneur du rocker.

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