lundi 1 août 2022

Une étoile morte

La saignée d’Ukraine mesure l’étendue des renoncements hexagonaux. La guerre à l’Est nous enseigne que l’Europe ne l’a pas rendue obsolète. La nature humaine gouverne en souveraine le destin des peuples. L’irénisme des chantres d’une paix perpétuelle se heurte au réel qui cogne, à la vieille réalité des temps gaulliens. La technicité du pouvoir n’anticipe rien. Ni les Gilets Jaunes, ni le froid de gueux du prochain automne. Un larbinat d’Etat s’est ingénié à dénaturer l’héritage du général de Gaulle. Malraux considérait de Gaulle comme le fondateur d’un ordre, au sens religieux du terme, d’une sorte de règle établie autour de l’indépendance nationale. Ce général visionnaire nous a légué un formidable outil nucléaire, l’arme décisive d’une incomparable souveraineté énergétique. Or de jeunes chefs à mandat réduit ont dilapidé les précieux acquis du grand homme. Nos centrales sont en panne, faute d’investissements, pétrifiées dans nos paysages comme des éoliennes paralytiques, à grand corps malade. Au début des années 70, Malraux rédigea ses “Anti-Mémoires”, soulignant dès la première page le partenariat stratégique avec l’Inde, via la fourniture clés en main de nos prestigieuses centrales nucléaires. C’est tous les jours la tragédie du Petit-Clamart. Avec mort d’homme cette fois. De Gaulle a été poignarde par une petite bande de délinquants politiques aux gabegies impunies. De Gaulle salua le premier la grandeur immémoriale d’un despotisme oriental sous les couleurs d’une Chine communiste. Nixon et Kissinger lui emboîtèrent le pas, reconnurent le continent paria. Le génie géopolitique du Général n’infléchit guère aujourd’hui notre diplomatie. Nous avions pourtant les cartes en main pour développer un partenariat d’envergure et damer le pion à nos rivaux européens. Au lieu de cela, tous ensemble, nous isolons la Russie pour mieux l’adosser à la Chine. Deuxième attentat réussi du grand Charles. De Gaulle est une étoile morte. L’actuelle république se fourvoie dans ses petits mandats de cinq ans et des majorités toutes relatives qui renvoient aux “délices et poisons” du système funeste des apparentements d’avant 1958. Gracq, l’ami de Pompidou, le plus gaullien de nos grands écrivains, témoigne du paysage littéraire de manière lapidaire: “ Entre le quelconque et l’excellent, la distance est stellaire”. La sentence s’applique au théâtre politique. Nous vivons sous une forme insidieuse de tyrannie, de dictature du quelconque, sous une sorte de suffisance du quelconque. À vrai dire, on n’a jamais tué de Gaulle qu’un demi-siècle après sa mort. Non seulement nous avons gâché un capital de fulgurances, mais nous avons durablement altéré le destin d’une nation. Voici venu le temps long de l’insignifiant. La communication n’est qu’une comédie, une fantaisie, une variété de l’imagination. A mille lieues du réel. Simone Weil parle de “l’imagination, combleuse de vide”. Avec l’âge, je sais que de Gaulle demeure la figure exemplaire d’une jeunesse. Au seuil de la vieillesse, je n’ai identifié que le colonel Beltrame dans le sillage du génial général, pareillement inflexible à tout renoncement. Ezra Pound: “Si légère est l’urgence “.

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