jeudi 19 septembre 2024

Le type d'Antibes

C'est un livre jeté à la mer dans la furie d'une rentrée littéraire. "Le type d'Antibes" nous dit "A demain" puisqu'il peint. Je me suis interrogé sur lui. J'ai recueilli des bribes, des pans entiers de la grande querelle de Nicolas de Staël. Qui est « le type d’Antibes » ? « Le type d’Antibes » est une silhouette qui frôle le ciel, qui rase les murs, qui longe la mer, qui peut-être titube à force de fatiguer la peinture, un corps qui explore les ruelles, le ciel, possédé par la lumière, qui hante l’aurore.On l’a trouvé mort sur l’asphalte, gisant au pied de l’atelier. On le disait fils d’un général du tsar, Vladimir de Staël von Holstein. Comment s’est écrit le livre ? Il s’est fait seul, texte autodidacte, dicté par l’étrangeté au monde, à demeure de son auteur, sur l’étendue d’une vie d’homme, sur la longueur de l’énigme. J’ai juxtaposé des bouts, jointoyé des pans d’écriture, procédé à des collages de phrases éparpillées, de divers âges, mais de même qualité de voyelles. Le livre est l’histoire d’une phrase qui jamais ne se satisfait d’elle-même, le récit d’une phrase qui se heurte au récif, qui revient sans fin comme une vague, un geste d’apprenti. A travers l’écriture, cet exercice qui ressemelle le réel, je cherche le lieu d’une prière, l’oraison elle-même dans les mots psalmodiés sur le cahier, je souhaite l’identifier dans sa sauvagerie, la saisir, savoir ce qu’elle est, sans menterie.« Le type d’Antibes » est un bréviaire, un petit missel de curé que j’ai colorié de mon vocabulaire, qui recueille les morceaux d’un choc, les fragments d’un sentiment, qui raconte une rencontre. Bref, c’est un livre d’heures dont l’urgence est la couleur. J’aurais pu l’intituler : « Attention à la peinture ». C’est un livre de première émotion, sur l’attention. Comment avez-vous connu Nicolas de Staël ? A la galerie Jeanne Bucher, entre deux joailliers, place Vendôme. C’était en 1980, Sartre venait de mourir. Je lisais « Les mots » dans un bureau de ministère. J’ai vu des toiles, ma tête s’est enfiévrée. D’instinct, j’ai su, j’ai compris que la fulgurance, l’autorité d’un métier, se situait sur le même chemin que la sainte douceur, la violence de la paix.Toute ma vie depuis, j’ai été ébloui par la révélation des toiles de Staël, l’apparition flagrante, l’épiphanie d’images peintes. Peintes pour de vrai. C’est un phénomène passionnel, proche de la pulsion criminelle. Une peinture effarante. Je suis sorti sonné de la galerie, marabouté par le sorcier. Que représente ce livre de particulier pour vous ? C’est un livre final, presque testamentaire, un exercice d’admiration, un geste d’infinie salutation à l’endroit d’un artiste splendide, le dernier peintre byzantin, à christique destin. C’est un livre, proche des tourments de « La cicatrice du brave », que j’ai partiellement consacré à Flaubert. L’un et l’autre sont des bougres d’artistes, des sortes de renégats, des hommes de pugilat, de grands gars incendiaires quand on attente à l’honneur, à un seul cheveu d’une phrase ou d’une couleur.Staël monte en effet sur ses grands chevaux, se débarrasse d’un chevalet. La beauté est pour lui comme la terreur supportable dont parle Rilke. Staël à chaque toile ponctue sa prière de ses doigts saints maculés de lumière et, comme s’il rompait le pain, d’autorité prononce deux mots : « Je peins ». « Le type d’Antibes » (5 Sens Editions, 2024) est en vente dans toutes les bonnes librairies, à la Fnac et chez l’éditeur à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/.../560-le-type-d...

L'art d'un dieu

Godard est mort. Dieu, la reine. Je ne me sens pas très bien. C’est un coup du sort qui déflore un visage de terreur, qui subtilise à nos regards une impeccable majesté, une manière sur la terre d’exalter la beauté. Godard nous laisse en rade, nous abandonne aux mascarades de la crétinerie, aux torpeurs de la laideur. “Pierrot le fou” est une œuvre géniale, le rêve wagnérien d’un art total. L’art d’un dieu: peinture, musique, danse et poésie. Godard fait des poèmes avec des fenêtres dans le ciel, des découpages de la nature, des profils et des figures, des bribes somptueuses. Rimbaud, Nicolas de Stael étaient ses frères de grande querelle. Godard lègue un testament d’artiste diamantaire: “Soigne ta droite”. Fignole ton petit pan de légitimité jusqu’au bout. Le grand art est une boxe. Godard chiade les encoignures. Il a forgé l’outil d’ouvrier qui lui sied. Le cinéma, son dernier cri, à bout de souffle. Dans un film sur Sarajevo, il énonce tout de go son credo: “La culture, c’est la règle; l’art, c’est l’exception.” C’est ce quartier de soleil, ce fragment de splendeur qui se dérobe aujourd’hui. Je voudrais revoir “Week-end “, revoir la scène de la ferme où les paysans à fourches s’approchent du pianiste mozartien, sur la pointe des pieds. La beauté des films de Godard ne doit pas mourir, se détériorer dans de vagues archives. Au voisinage du maître helvete, on est sur le qui-vive, dans la fulgurance et le grand métier. Il n’y a qu’un seul métier: orfèvre. Tous les autres sont des courbures d’imposteur. Godard chantait la sainteté du coquelicot. Il en restituait l’écho. “Le roi vient quand il veut “. Godard savait la remarque de Michon. La mort est une allégorie des beaux arts. Un de chute. Les temps se hâtent. Faute de vrais rois, on se satisfait de pâles denrées d’hérédité. Le roi d’Angleterre légitime n’est pas le petit Charles au teint rosé. Non, le seul roi d’Angleterre que je reconnaisse est Irlandais. C’est Samuel Beckett. Indiscutablement. Observez les photographies de sa belle tête, de sa longue silhouette. Tant que Beckett régnera, rien d’essentiel ne capitulera. Depuis les statues grecques du “Mépris “, Godard appartient à une lignée de rois, doté du même regard loyal, situé de plain pied dans le sacré.

Paradigme

Je suis dépassé par les événements et ses paradigmes changeants. Partout lesdits paradigmes pullulent comme des sauterelles géantes: il suffit d’ouvrir la fenêtre et de regarder. Et moi je ne vois rien. Je n’observe aucun des paradigmes dont les gens d’esprit dissertent. A ce point d’aveuglement, c’est du gâtisme. Je tourne le dos à la manifestation de la vérité. J’entrave le progrès. Je suis insensible aux vibrations de la beauté paradigmatique. Quand on est vieux, on veut que rien ne change. Or le propre du paradigme, si j’ai bien compris, c’est la métamorphose, c’est de changer comme on change de crémerie, de voiture ou de chemise. Barnier, l’homme des ruptures, rentrerait dans le dur en créant un ministère du changement de paradigme.

Le raillé du sérail

Matignon accueille un nouveau maquignon. D’emblée, un pas de montagnard qui surligne l’intacte énergie malgré l’âge de vieillard. Sur le perron qu’il laisse au père, un jeune homme noiraud se tasse dans l’insignifiance d’un numéro de danseur de tango. Le fils s’épanche. Il m’aime, il nous aime, rue de Varenne. Il s’est amouraché des Français. Le père se penche à peine. Le sortant disserte sur le temps, le bon temps, le beau temps sans la pluie. Le vieil ennuyeux, le vieux tromblon promet l’action d’une voix détimbrée, les bonnes solutions dans une chevrotante diction. Entre le vendeur de cravates à l’œil furibard et le notable compassé d’un siècle antérieur, les sourires feints masquent une antipathie d’instinct. Barnier, le nouvel entrant, le plus haut sous la toise, est bien élevé, taillé pour l’hôtel particulier. Il tend sa main. L’autre se force à l’applaudir, évite ainsi de la lui serrer. Mais le grand dadais est un roué des marchés. Il pose sa paume lentement sur l’épaule du jeunot, les doigts dans ses bravos. En quittant la scène du perron, je songe à Delon. L’effet Barnier, hasard de calendrier, c’est la même nostalgie d’un temps périmé. Un port, une manière. Une élégance à l’ancienne. Barnier était jadis le raillé des bien nés, la risée des énarques, le souffre-douleur des intouchables diplômés de la rue des Saints-Pères. C’est aujourd’hui la revanche d’un “coiffeur”, la minute de célébrité d’un délaissé du banc de touche.

La Lanterne

Pour la première fois dans son histoire, les États-Unis d’Amérique vont peut-être confier leur destin à une femme. Mais la France, toujours à la pointe de l’audace, nation révolutionnaire dans le sang, fait mieux, plus fort, pulvérise les records, a remis depuis sept ans les clés de l’Elysee à un enfant. A un sale gosse. A un enfant roi qui fait lanterner le pays au gré de ses caprices, de ses petits calculs de nombril. A l’heure du bilan, on se souviendra du brillantissime concept de son ultime mandat: “La trêve olympique “. Avec un corollaire du tonnerre: “ Le ministre démissionnaire “. A géométrie variable. Dont la durée oscille entre la saint Glinglin et les calendes grecques. Devant pareil génie, le peuple se sent petit. Le fou qui travaille (dixit Bibi) accomplit des prouesses à un rythme étourdissant, exécute ses voltiges à un régime d’altesse.

Kamilya à risques

A Vallauris, dans un atelier de potier, où l’artiste cabossa des visages, où Picasso découpa des corps, questionna le beau selon Pablo, à Vallauris gisait hier sur l’asphalte une petiote éclatée, comme un vieux pneu de caoutchouc, dont le frère de dix ans tenait la menotte. La folie qui se cabre comme un cheval d’une infinie connerie percute la plus innocente des grâces sur la terre: la petiote, la petite patriote de trois pommes, qui traverse la route, qui foule son dernier chemin dans les clous d’un infernal destin. Et pourtant la connerie n’est pas écrite d’avance. Le progrès d’une société est précisément de renoncer à la fatalité. Rien n’autorise un homme, un sombre con de jouer avec sa déraison, de foncer à toute vitesse, tous yeux éteints, sur Kamilya, sept ans, l’âge de raison. L’instant d’avant, la fillette écarquillait ses doigts comme un soleil à l’adresse de l’automobiliste arrêté, respectueux de son passage, en signe de bonjour de reconnaissance, d’adieu définitif. Ce fait de sauvagerie illustre l’étendue des ravages dans la société. Il n’y a pas que les médiocres ministres qui sont démissionnaires sur nos terres ensanglantées. L’autorité est déclarée manquante. L’autorité a rendu son tablier. Vallauris est gravée dans notre mémoire comme la ville dont la reine était une enfant. Elle s’appelait “Kamilya à risques”.

Un Deuxième Ministre

On ne trouve pas de Premier Ministre. L’affaire traîne. Quand Picasso manque de bleu, il prend du rouge. Cherchons un Deuxième Ministre, s’il y a pénurie de Premiers Ministres dans le pays. Dans les pharmacies, on nous fourgue bien des médicaments démarqués. Et puis s’il nous glisse entre les doigts, l’hypothèse d’un Troisième Ministre ne serait pas honteuse. Le poste est très bien rémunéré. La retraite atteint des sommets. Elle est cumulable. Quand on songe à la durée limitée de la besogne, c’est un vrai pactole. Les avantages en nature sont incomparables: voiture, chauffeur, repas, garde du corps. Faute d’autochtones assez motivés, on devrait pouvoir sortir du chapeau un chômeur ou un migrant méritants qui « cochent les cases » de la fonction. Je pense que c’est faisable.