Ce matin, une enveloppe rectangulaire, couleur des sables, m'était
destiné. Je l'ai accueillie avec cérémonie car elle me désignait pour la
décacheter. Je connais ce livre, me souviens du titre, gravé dans ma tête
depuis si longtemps, me garde de l'approcher de trop près. Je sais que la
vérité d'une phrase peut éclater au visage.
J'identifie son signataire, Guy Dupré, au dernier diamantaire de
la place, au dernier grand écrivain des mystères de la terre. La littérature
n'a pas d'autre but que de fracturer les domiciles. Un soir, d'une traite, elle
a reposé entre mes doigts comme une perdrix solitaire dont la plume brûle
encore.
Publié en 1954, ce livre somptueux - Les fiancées sont froides - donne la fièvre. C'est un récit de
cruelle splendeur qui exige la pleine santé du texte. Il embringue le lecteur
dans la ronde empourprée des vertiges. Ces années passées, l'auteur s'était
terré dans un souverain mutisme. A l'abri des lumières.
Or voici, dans le silence, une langue qui sonne. La récréation est
finie. La réédition de ce petit livre inaugural empoigne la gorge. Inutile de
se disperser dans le culte mélancolique de fausses gloires. Devant l'œuvre
accomplie par Guy Dupré, il faudra bien un jour se décoiffer. Devant pareille
beauté, les choses se décantent : les petits romanciers saisonniers sont priés
de décamper. Avec Les fiancées sont
froides, Dupré préempte l'avenir. Il nous fait signe de le lire.
Le facteur a fléché le
petit cube de métal où gisent mes correspondances. J'ai glissé, sans me couper,
ma main pour les saisir. Les fiancées,
que j'ai vues grandes, et rouges sur les joues, se plantent dans ma chair à
l'heure où je cherche un visage sur une photographie décatie. Mon temps, ces
jours-ci, est haché en menues besognes. Quand j'étais petit, je lisais Un Beau Ténébreux. Tout haut.
Maintenant, l'habitude m'est venue de parler tout bas. La récréation est finie.
Le sublime petit livre m'a empoigné la gorge. Gracq admirait Dupré.
C’était
en septembre mille neuf cent soixante-deux. Roger Nimier de la Perrière clôt sa
« carrière » littéraire. A la hâte sur l’asphalte, l’Aston Martin
calcine deux corps. Nimier, trente-sept ans, Sunsiaré, dix de moins. Je
l’ai connu sur le tard. Je revois son regard à l’évocation d’une même sonorité
princière. Sunsiaré de Larcône mouillait encore les yeux de Guy Dupré, cinquante
ans après.
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