vendredi 5 janvier 2018

La plus belle fille du monde

Elle est née le Jour des Rois. J’écris son nom au crayon. Je l’imprime en grand sur l’écran. Olga s’est calée sur la paroi verticale. J’ai envie d’Olga. Resnais en fit une reine. Avant soixante ans, elle s’est jetée dans le néant. Olga Georges-Picot est une brûlure brève, l’actrice d’un film, dont la fugitive beauté ravive l’écho. La star est une diablesse d’une espèce rare. Elle lance des regards, se fiche de l’histoire, s’en tamponne le coquillard.
Je démêle des visages comme on extrait les corps d’un séisme. Je sauve Olga de la nuit mauve. Je préserve Olga des gravats. J’ai ma fille, la plus belle du monde, à domicile.

Au reste, je suis prisonnier de ma prisonnière. Olga est tombée de haut comme Albertine de cheval. Olga est revenue dans la peau de Catrine, l’héroïne du film. Je t’aime, je t’aime se bégaie comme une impossibilité des lèvres. Olga observe la vidéo, la visionne en boucle, telle une altesse dépouillée d’une jeunesse. Il a suffi d’un plan pour qu’elle se lève d’un bond. Elle n’est pas morte en quelque sorte. Elle n’a pas d’âge au fond, ni d’« h » à son prénom. Je me souviens de Claude Rich, entre grisaille et Méditerranée. Deleuze se défenestre avec le même shetland mauve.
Oui. C’était le temps des imperméables en gabardine, des shetlands gris, mauves ou mandarine, de l’odieuse lumière de Méditerranée radieuse. On épinglait Magritte au mur de sa chambre. Entre Pierrot le Fou et Marie pour Mémoire, un petit gars n’a pas froid aux yeux : le roi Resnais filme Olga.
L’actrice sublime, moitié paumée, naturellement sauvage, exhibe sa chair de grande fille animale. Elle parle de Dieu, du monde, des chats. « Je t‘aime, je t’aime ». Vite dit. Lent film impardonnable. Donne des images pour l’hiver, de quoi vivre sous l’empire des yeux noirs d’Olga.

Voir, revoir, rêver la belle Olga. Regarder. Se taire, doigt sur la bouche. Une comédienne, étrangère à la vie comme elle va, révèle en pleine lumière sa féminité de feu. «  La peur, c’est quand on a chaud ; la terreur quand on a froid. » C’est un visage qui griffe la mémoire de jeune homme. A trop regarder son film, à trop aimer Je t’aime, je t’aime, à repasser la vidéo comme un poème de Rimbaud, Olga a changé la vie, elle est morte.
Il y a vingt ans. Un jour avant l’été. Elle était vieille de nos souvenirs. A la lettre, ce maudit film est insupportable. Olga ignore le temps qui froisse. Sa chevelure ensoleille l’oreiller chauve de la terre. Elle repose sur une joue, le derrière en bataille. Claude, le héros lunaire, est prisonnier d’une splendeur éphémère, d’un sourire intérieur, de la blancheur des draps. Olga dort dans l’éternité du cinéma. Encore une minute. De tirée, de filmée. Allez savoir. L’actrice ensommeillée s’est jetée du cinquième étage.

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