Elle
est née le Jour des Rois. J’écris son nom au crayon. Je l’imprime en grand sur
l’écran. Olga s’est calée sur la paroi verticale. J’ai envie d’Olga. Resnais en
fit une reine. Avant soixante ans, elle s’est jetée dans le néant. Olga
Georges-Picot est une brûlure brève, l’actrice d’un film, dont la fugitive
beauté ravive l’écho. La star est une diablesse d’une espèce rare. Elle lance
des regards, se fiche de l’histoire, s’en tamponne le coquillard.
Je
démêle des visages comme on extrait les corps d’un séisme. Je sauve Olga de la
nuit mauve. Je préserve Olga des gravats. J’ai ma fille, la plus belle du
monde, à domicile.
Au
reste, je suis prisonnier de ma prisonnière. Olga est tombée de haut comme
Albertine de cheval. Olga est revenue dans la peau de Catrine, l’héroïne du
film. Je t’aime, je t’aime se bégaie
comme une impossibilité des lèvres. Olga observe la vidéo, la visionne en
boucle, telle une altesse dépouillée d’une jeunesse. Il a suffi d’un plan pour
qu’elle se lève d’un bond. Elle n’est pas morte en quelque sorte. Elle n’a pas
d’âge au fond, ni d’« h » à son prénom. Je me souviens de Claude
Rich, entre grisaille et Méditerranée. Deleuze se défenestre avec le même shetland mauve.
Oui. C’était
le temps des imperméables en gabardine, des shetlands
gris, mauves ou mandarine, de l’odieuse lumière de Méditerranée radieuse. On
épinglait Magritte au mur de sa chambre. Entre Pierrot le Fou et Marie pour
Mémoire, un petit gars n’a pas froid aux yeux : le roi Resnais filme Olga.
L’actrice
sublime, moitié paumée, naturellement sauvage, exhibe sa chair de grande fille
animale. Elle parle de Dieu, du monde, des chats. « Je t‘aime, je t’aime ».
Vite dit. Lent film impardonnable. Donne des images pour l’hiver, de quoi vivre
sous l’empire des yeux noirs d’Olga.
Voir,
revoir, rêver la belle Olga. Regarder. Se taire, doigt sur la bouche. Une
comédienne, étrangère à la vie comme elle va, révèle en pleine lumière sa
féminité de feu. « La peur, c’est quand on a chaud ; la terreur
quand on a froid. » C’est un visage qui griffe la mémoire de jeune homme. A
trop regarder son film, à trop aimer Je
t’aime, je t’aime, à repasser la
vidéo comme un poème de Rimbaud, Olga a changé la vie, elle est morte.
Il y a vingt ans. Un jour avant l’été. Elle était vieille de nos
souvenirs. A la lettre, ce maudit film est insupportable. Olga ignore le temps
qui froisse. Sa chevelure ensoleille l’oreiller chauve de la terre. Elle repose
sur une joue, le derrière en bataille. Claude, le héros lunaire, est prisonnier
d’une splendeur éphémère, d’un sourire intérieur, de la blancheur des draps.
Olga dort dans l’éternité du cinéma. Encore une
minute. De tirée, de filmée. Allez savoir. L’actrice ensommeillée s’est jetée
du cinquième étage.
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