samedi 27 juillet 2024

Charles Juliet est mort

Charles Juliet. Je lis des bribes de cahier. Je feuillette. Il cite Colette : « J’appartiens au pays que j’ai quitté. » Le visage de Charles Juliet, je l'ai guetté toute la journée au coin de l'écran carré. Juliet l'émacié est une terre labourée, une mince torche vive, une voix empêchée, à peu près muette. Sa longue patience casse la preste ambiance. Je compulse l'un des tomes du Journal de Charles Juliet. « Avant d'avoir vingt-trois ans, je n'ai guère lu que quatre ou cinq livres. Le second que le hasard m'ait mis entre les mains a été Un Beau Ténébreux. Pendant des jours et des jours, je n'ai cessé de le relire. » A distance d'âge, j'ai partagé cette émotion de feu, cette brûlure de l'imagination. Je suis gracquien, livre deuxième.

Un long fleuve sans style

La laideur fait peur. Je me suis sauvé. Il y a ceux qui croient au ciel et ceux qui communient à l’événementiel. Je hisse mes yeux vers la flèche restaurée de la cathédrale gothique. Elle se tait. Elle se terre dans sa gloire de pierre. Elle observe l’obscène carnaval des bords de Seine. Il fait un temps de voleur. La gaudriole nous cambriole une musique. Les kleptomanes détroussent les mélomanes. L’époque n’a pas hérité des valeurs de splendeur, mais d’une fausse monnaie qui la laisse endettée d’un prestigieux passé. La vulgarité des richesses exhibées est à vomir de l’avenir, de sa culture et de ses bassesses éphémères. Je songe à Jean Vigo, à son film qui fait écho au remuement des flots. « L’Atalante » a quatre-vingt dix ans. Comme dit l’autre, « on en reparlera dans cent ans ». La Seine est un long fleuve sans style. La malle Vuitton est pavoisée sur le ponton. Je lâche au Liechtenstein. Bruit, pluie, ennui. Tous ces rafiots sur l’eau allégorisent les embouteillages de galères dans les gares. Les sublimes monuments de Paris sont aux premières loges, ne disent mot de cet étalage des vanités. La vergogne règne, une lassitude me gagne. Je me remémore l’admirable Godard : « La culture, c’est la règle ; l’art, c’est l’exception » (Je vous salue Sarajevo, 1993). Le jeune Macron et sa ministre pincée nous plongent dans l’événementiel culturel, nous exposent à sa merdique prétention, jusqu’au cou. Je suis nul en anglais. Le « woke » agit en moi comme un soporifique immédiat. Je ne m’éveille pas, je m’endors avant le clap de fin. Je voulais voir une reine, une artiste, une orfèvre des antiques cendrées. Je craque pour Marie-José Pérec. Son aérienne foulée sur le sable vaut tous les baroufs festifs des esquifs de bords de Seine. Bref, j’en ai ma claque de ces produits insincères, sans autre nécessité que le soleil noir de la publicité. J’aime le faste. « Que voici de majesté ! » s’extasie Céline au spectacle de la Néva. Je me souviens des somptueux défilés de John Galliano. J’adorais Dior et ses féeries d’alors. Ce soir, à la sainte Anne, on braille, on se déhanche sur un fond sonore qui hésite entre le crincrin militaire de Prisunic et le bruit d’ambiance de Sheraton. « Musique sale » disait l’inconvenable Michaux. Avec les athlètes, on est parvenu à faire ce qu’on a échoué avec les rejetons des écoles : les habiller d’un uniforme. Aux irréguliers, à l’idiot des sentiers, Nicolas de Staël , du haut de sa peinture effarante, l’ordonne : « Exige l’exception, ce ton-là, sans y toucher comme un gris de Corot ! » Grâce à Marie-José Pérec, championne à nom d’écrivain, je n’ai plus peur des ignobles fanfares et des grands machins alambiqués, je garde intacte la foi en la beauté solitaire, réfractaire, cabocharde de ses folles enjambées. Merci, Madame.

vendredi 26 juillet 2024

Fragments d'un sentiment

Une revue littéraire, digne de cette épithète, est une denrée exotique, devenue rare, une espèce presque disparue, qui a déserté les rues de nos imaginaires. Patrick Wagner, la cheville ouvrière de Livr’arbitres, ne se résigne pas à l’ère glaciaire des belles lettres. Dans son numéro d’été consacré à Raymond Abellio, il propose un somptueux sommaire composé d’un bouquet d’écrivains de fier artisanat : Madame de Sévigné, Céline, Pessoa, Kundera, Descartes, Chesterton, Hermann Hesse, Nicolas Berdiaev, Gustav Roud, Xavier de Maistre, Joseph Kessel, Jacques Lacarrière, Guy Goffette. Je m’honore d’y figurer dans la rubrique « Plaisirs Solittéraires ». Anthony Marinier évoque en une dizaine de lignes « Fragments d’un sentiment », un livre testamentaire sur la littérature vécue comme une fêlure. En peu de mots, il dit l’essentiel, il fait écho à ma définition lapidaire du style : « Une manière d’être seul ».

mercredi 3 juillet 2024

Barrage

Non aux extrêmes. Extrême droite, extrême gauche, extrême centre. Point barre. Comme barrage.

mardi 2 juillet 2024

Profession de foi

Je viens d’achever la rédaction de ma profession de foi. Mon programme, le projet que je porte en responsabilité, repose sur six points prioritaires : 1 On change de logiciel 2 On change de paradigme L’ordre entre les deux importe peu. On peut très bien s’atteler au paradigme d’abord. 3 Les dossiers sont sur la table. Ils ont vocation à y rester. 4 Il faut laisser la justice faire son travail. 5 En revanche, on doit entraver l’activité des boulangers et autres corps de métier. 6 Le président ne parle pas de politique intérieure quand il parade à l’étranger Pas besoin d’audit. C’est la profession de foi à moi ou le chaos.

Fin de partie

La cinquième république s’étiole. Elle s’est étirée sur soixante-sept ans, l’âge de son fondateur quand il en promulgua le texte. A cet âge, de Gaulle déclara goguenard qu’il était bien tard pour commencer “ une carrière de dictateur “. Aujourd’hui, la Constitution née du discours de Bayeux est inexorablement obsolète. Or il est un signe, mieux qu’un symbole, qui authentifie la mort de notre charte commune, le grand œuvre de Charles de Gaulle: l’aboutissement fatal de l’extrême centre. La parenthèse du marais triomphal, composé d’un ramassis de politiciens d’eau tiède, a signifié le dépérissement d’un héritage, la fin brutale d’un temps gaullien en déshérence. Le septennat de l’extrême centre, d’une modération baptisée “révolutionnaire”, a scellé le sort de la république, version cinquième. La victoire des gens du milieu annonçait sans coup férir la mort posthume de De Gaulle. Une fois pour toutes. Un homme de pareil format ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval. Le centre était par tradition le parti charnière exemplaire. Il excellait dans les tractations d’appareil, tablait sur son réseau de notables locaux. Il vécut comme un coq en pâte sous la quatrième, zélé par gourmandise à faire et défaire les majorités. Ce sale horizon dont de Gaulle nous a débarbouillés, nous l’entrevoyons désormais comme le legs d’un Monsieur Macron. La boucle est bouclée. La révolution, c’était cela. La cinquième est rétrogradée au rang de quatrième république, voire en pire. Après son funeste méfait, son acte meurtrier, l’extrême centre de Judas se pend dans sa geôle, explose en plein vol. Et après ? Qui saura insuffler une foi, une espérance, une ferveur, un grand dessein bâtisseur à ce merveilleux pays ?

L'homme de croc-Matignon

Les candidats montrent leurs dents. Trois papabile tiennent la corde: Vladimir Poutou, Alexandre Benalla, Nicolas Hulot. Le premier s’impose comme une candidature naturelle. Le deuxième a restitué toute sa collection de passeports, ce qui restaure une légitimité. Le troisième a vendu sa flotte d’hélicoptères. Il est blanchi. Benalla a prouvé sa pugnacité de pugiliste. C’est le favori du Quai d’Orsay. La Bourse jouerait Poutou. Hulot est soutenu par le lobby des photographes. Pas facile de les départager.

Tweet aux électeurs

“Je ne démissionnerai pas. En revanche, je demande instamment à 150 de mes députés étiquetés à mes initiales “En Marche” de s’arrêter maintenant et de se démettre à ma place. Je l’ai dit, j’ai confiance dans le peuple. Je compte sur sa volonté souveraine pour leur signifier d’abandonner leur mandat. Il n’y a pas péril en la demeure puisque que je reste en mon palais. N’ayez pas peur !”

Les burettes

L’extrême centre est une appellation usurpée, mal contrôlée, qui désigne la tiédeur du milieu. Il se situe dans le droit fil de la pateline démocratie chrétienne d’après-guerre. Bayrou, sous Macron, en est le rejeton le plus abouti. Le Général s’est battu contre cette variété de capitulards invertébrés. De Gaulle évoquait « le marais », étiqueté MRP, en ces termes choisis: « Ce sont des enfants de chœur qui auraient bu les burettes. » Macron, toujours plus fort, a même bu le calice. Jusqu’à la lie. Du coup, il est raide pompette.

Le type d'Antibes

Nicolas de Stael est un peintre absolu, un artiste d’un style qui ne court pas les rues. Il dessine à première vue, colorie la mer, les ciels nus. Il m’a plu d’écrire l’illumination reçue, le choc d’une toile, l’émoi d’un corps, l’éblouissement d’une splendeur sur un mur. Il m’a plu ? Non. Il m’a saisi, agrippé le regard. La phrase est née, s’est emballée sous sa dictée. Le type d’Antibes gît dans l’énigme d’un dernier cri. Il ne trouve pas les mots mais un accord sonore. A défaut d’écho. Il laisse un sillage, une trace blanche trouée de véhémence, un turbulent silence. Au ciel il s’adresse dans un clignement de cil. L’arbre ne se souvient que de ses moments de tremblement. « Le type d’Antibes » vient de paraître en librairie. Il est disponible chez l’éditeur 5 Sens Éditions :

Rue du Cirque

Il saute aux yeux que le jeu de la démocratie s’apparente à une clownerie. Le comique de répétition sature l’espace public. Un président burlesque orchestre une grande gaudriole. Le pays entier loge rue du Cirque, à deux pas de l’Elysee, chez Julie Gayet. Ciotti fait un solo pathétique d’Auguste, ressuscite Achille Zavatta en son chapiteau. Larcher et ses convives de table s’asseyent sur le droit, l’écrabouillent de leur poids politique supposé. Dans pareille sphère, la force prime sur la règle. Zemmour explose en plein vol à la première incartade de son adjointe récidiviste. Raphaël bamboche avec le socialisme frelaté d’un parti grande gueule anti-sémite. Glucksmann accepte une débauche odieuse. Il se terre dans un silence hautain. Macron songe à nommer le maire d’Oradour au poste de premier ministre. Il en connaît un rayon sur l’insécurité de la nation. Mais au palais, le coupe-gorge des rues ne figure pas à l’ordre du jour, les fins de mois impossibles non plus. La bagarre se limite aux ambitions fratricides des ministères. Les politichiens, comme disait de Gaulle, appartiennent à un même panier de crabes. Pour le larbinat d’Etat, servir un pays, c’est s’en servir par le biais de la tromperie, par tous les ressorts de la rouerie. A-t-on retrouvé l’armoire de Benalla ?

Une conférence de hâte

Le président exprime un désappointement, un mordant agacement. C’est pourquoi il mobilise un mot-clé fondateur, emblématique de son juste milieu: le vocable « révolution ». Dans une formule d’une audace effarante, il évoque la double mémoire germanique de Karl Marx et de Nicolas Copernic. Il exhorte un peuple à « une révolution copernicienne de l’action ». Le best-seller d’hier « Révolution » est réimprimé comme un tract distribué à la sauvette. Le président est obsédé par le désir de parfaire son meilleur profil devant l’Histoire. Il se pare d’une belle âme réfractaire aux extrêmes. Sur son cahier de campagne, il note l’émergence de trois blocs qui squattent une nation qui se détricote: le bloc des nostalgiques, le bloc des black blocks, le bloc des tièdes. A l’écouter, il dispose de deux outils majeurs pour satisfaire un prurit d’activisme: le terrain d’abord, la table ensuite. Le terrain d’énarque s’identifie à une poignée de mains, à un selfie démonstratif, au bisou de plouc sur la place du marché d’un patelin de suspecte identité. La table est l’accessoire complémentaire du bâtisseur d’Histoire. On y fourre dessus les dossiers. « Ils sont sur la table ». C’est l’essentiel. Ils coudoient les hypothèses de travail, les logiciels et paradigmes à changer séance tenante, qui encombrent la surface du précieux meuble, saturé de papier. Le réel patibulaire y est converti en rationnel tabulaire. Mais la table ne se résume pas à sa qualité de portage. La table autorise de surcroît le rassemblement des haltérophiles de dossier, des athlétiques spécialistes de « l’épaule et jeté ». Elle permet la rituelle communion des zélés serviteurs d’Etat autour de la vision mystique du chef du combat législatif. Le mot « humilité » est entonné comme un refrain yéyé. Il sied au genre de beauté du capitaine de randonnée. Le guide suprême, le président qui s’aime, apostrophe l’électeur qu’il baptise « Tarte Molle », interpelle un journaliste qu’il qualifie de « Drôle ». Il lance un pathétique ultimatum qu’il signe de « sa pomme ». Cet homme en colère nous rend le piètre Sarkozy moins vulgaire. Conférence de hâte qu’il convient d’oublier.

L'aide à mourir

Il s’est penché une dernière fois sur la constitution de la vieille gueuse. Sa maladie du nombril le démange toujours et encore. Il sait qu’elle est incurable. La grand-mère héritée du Général veille matin et soir sur la santé du petit caporal. Elle a consenti à lui administrer la gélule fatale. Elle donne son feu vert à une fin de vie digne, assortie d’un minimum de confort. L’assemblée du chahut, des banderoles bariolées et des mots d’ordre vociférés s’est éteinte, dissoute sur le champ sans être absoute pour autant. Il était jeune, encore jeune, intelligent, très intelligent, méchant comme une teigne, toujours content de lui-même. « Notre projet » l’a dans l’os. Le peuple a respecté sa dernière volonté. Il est mort sans souffrir.