samedi 27 juillet 2024

Un long fleuve sans style

La laideur fait peur. Je me suis sauvé. Il y a ceux qui croient au ciel et ceux qui communient à l’événementiel. Je hisse mes yeux vers la flèche restaurée de la cathédrale gothique. Elle se tait. Elle se terre dans sa gloire de pierre. Elle observe l’obscène carnaval des bords de Seine. Il fait un temps de voleur. La gaudriole nous cambriole une musique. Les kleptomanes détroussent les mélomanes. L’époque n’a pas hérité des valeurs de splendeur, mais d’une fausse monnaie qui la laisse endettée d’un prestigieux passé. La vulgarité des richesses exhibées est à vomir de l’avenir, de sa culture et de ses bassesses éphémères. Je songe à Jean Vigo, à son film qui fait écho au remuement des flots. « L’Atalante » a quatre-vingt dix ans. Comme dit l’autre, « on en reparlera dans cent ans ». La Seine est un long fleuve sans style. La malle Vuitton est pavoisée sur le ponton. Je lâche au Liechtenstein. Bruit, pluie, ennui. Tous ces rafiots sur l’eau allégorisent les embouteillages de galères dans les gares. Les sublimes monuments de Paris sont aux premières loges, ne disent mot de cet étalage des vanités. La vergogne règne, une lassitude me gagne. Je me remémore l’admirable Godard : « La culture, c’est la règle ; l’art, c’est l’exception » (Je vous salue Sarajevo, 1993). Le jeune Macron et sa ministre pincée nous plongent dans l’événementiel culturel, nous exposent à sa merdique prétention, jusqu’au cou. Je suis nul en anglais. Le « woke » agit en moi comme un soporifique immédiat. Je ne m’éveille pas, je m’endors avant le clap de fin. Je voulais voir une reine, une artiste, une orfèvre des antiques cendrées. Je craque pour Marie-José Pérec. Son aérienne foulée sur le sable vaut tous les baroufs festifs des esquifs de bords de Seine. Bref, j’en ai ma claque de ces produits insincères, sans autre nécessité que le soleil noir de la publicité. J’aime le faste. « Que voici de majesté ! » s’extasie Céline au spectacle de la Néva. Je me souviens des somptueux défilés de John Galliano. J’adorais Dior et ses féeries d’alors. Ce soir, à la sainte Anne, on braille, on se déhanche sur un fond sonore qui hésite entre le crincrin militaire de Prisunic et le bruit d’ambiance de Sheraton. « Musique sale » disait l’inconvenable Michaux. Avec les athlètes, on est parvenu à faire ce qu’on a échoué avec les rejetons des écoles : les habiller d’un uniforme. Aux irréguliers, à l’idiot des sentiers, Nicolas de Staël , du haut de sa peinture effarante, l’ordonne : « Exige l’exception, ce ton-là, sans y toucher comme un gris de Corot ! » Grâce à Marie-José Pérec, championne à nom d’écrivain, je n’ai plus peur des ignobles fanfares et des grands machins alambiqués, je garde intacte la foi en la beauté solitaire, réfractaire, cabocharde de ses folles enjambées. Merci, Madame.

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