La nation était jadis ressentie comme un lieu d'enracinement. On y naissait - c'est précisément l'étymologie du mot -, on y vivait, souffrait, travaillait avant d'y mourir. La nation alliait le sang de familles ancestrales au sol d'un territoire, théâtre commun de l'aventure humaine de chacun.
Aujourd'hui, le lien sentimental s'est distendu, la relation affective à la nation s'est effilochée. La vie des hommes a changé d'échelle géographique. La nation a rapetissé au point de s'effacer derrière les enjeux de mondialisation. A l'évidence, le réchauffement de la Terre, la guerre de l'eau, les dérèglements économiques, la violence terroriste ou la marchandisation généralisée sont désormais des questions globales qui réclament une expertise mondiale. Dès lors, la nation ne figure plus le cadre hospitalier, le découpage administratif approprié face aux nouvelles grandes peurs du XXIème siècle. Dans la mesure où la nation est disqualifiée en tant que refuge des hommes d'un même voisinage, le débat sur l'identité perd tout à coup de sa pertinence.
On s'interroge à l'infini: "Qu'est-ce qu'être Français ?". Au-delà du respect des mêmes lois de la République, au-delà des regards échangés sur des paysages communs, au-delà d'un attachement ému à des lumières, des monuments ou des styles de vie, c'est sans doute le bonheur de parler, de partager une langue de grande beauté. Cet outil somptueux, bien réel, touche à l'esprit d'un peuple. A lui seul, il répudie toutes les chimères nationales. Car l'identité demeure un abîme. "Je suis celui qui est". Je ne me résume pas aux signes distinctifs répertoriés sur un passeport. La somme de tous les sous-ensembles auxquels j'appartiens échouera toujours à saisir mon identité. Or l'honneur de la condition humaine est d'ignorer sa propre identité. Certes, tout homme peut se prévaloir d'un code génétique unique. Mais il ne sait pas le déchiffrer, en percer le mystère autrement que par la biologie?. C'est cette étrangeté de soi qui fait de l'homme un étranger pour lui-même.
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