samedi 26 mars 2016

Cruyff et la sociologie

Le sport exalte la joie du corps. La beauté de geste est d’expression muette. Elle illumine l’abîme d’une discipline.
Amsterdam. Le port. Le port d’un prince sied au sport. Les ruades de Cruyff ont ébloui les stades. La flèche de l’Ajax plante un style, une banderille dans l’espace, un décor pour l’histoire. Elle suit la loi d’un art cabochard.
Le football est alors une religion morose, coincée, cloîtrée dans la peur. L’austère maître de l’Inter, Helenio Herrera, théorise la défensive, condamne l’esprit d’incartade. Le catenaccio fait écho à l’abandon du beau jeu, à la prison du ballon. Il fait école quand Cruyff caracole.
Le football total est une attitude mentale, une sorte de plénitude intellectuelle. Il remue les fondations du jeu comme, à l’époque, le concept d’autogestion bouscule les modes de production. Cruyff chamboule la division du travail sur les terrains de foot. Il libère le joueur de ballon de son identité de plomb. Le séduisant styliste confectionne un habit d’Arlequin, composé d’étoffes rapiécées, mixte d’arrière et d’attaquant. Il introduit la mobilité dans le statut, la métamorphose dans la fonction, la fantaisie dans la stratégie.
Au spontanéisme d’Après-Mai, il ajoute la rigueur d’artisanat de l’homme de métier. Un toucher de balle s’acquiert dans la rudesse au mal. Cruyff est le contemporain sociologique de l’usine Lip. Il est de son temps, et un peu plus. Il est à l’heure d’une aspiration au bonheur, d’un désir de splendeur. En quoi, il est en avance, se joue des circonstances, danse un football d’une rare élégance.

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