Nos
dirhams datent. Le despote n’a pas la bouille adéquate. On n’a pas le bon roi
sur nos billets de papier froissé. Maria rit du vieux souverain de parchemin.
Personne n’en veut.
Maria
est la reine du palais, la maîtresse de l’Atlas. Elle nous traite aux petits
oignons, dresse une nappe devant l’horizon. La ronde Andalouse sert une soupe
au poivron vert face au soleil du désert. La journée claudique. C’est la soie
du soir qui se pose sur la peau.
Maria
s’applique à sa besogne, chasse les miettes et les mouches, nous interroge d’un
mauvais œil. La cuisinière est cachottière. Son sourcil noir délimite une
frondeuse bouderie. Elle mord sa lèvre, faute d’extraire le mot qui colle à sa
colère. Maria met les pieds dans le plat.
« Il
n’a pas beaucoup de charisme, votre petit caudillo.
Ses yeux sont trop bleus. Des pommes ici, sur les marchés, on dit qu’elles sont
trop vertes ».
La
soupe de Maria me rappelle celle de Nicolas de Staël, le type d’Antibes, les
derniers soirs, comme une prière, un bénédicité, une fixité. Maria, sous le
grand ciel de Chouiter, nous révèle un mystère, confie sa joie, fait du gazpacho le choix de notre écuelle. Maria
s’est retranchée dans ses quartiers.
Elle
dit ce qu’elle pense, je pense à ce qu’elle dit. Je me résume. J’ai voté Lance
Armstrong, un champion cycliste à sourire métallique. M’emballe moyennement le
symbole pyramidal, dans le dos du jeune homme qui pédale. Je songe au mensonge.
Maria est revenue, sert une deuxième louche, ne parle plus. Je récite dans ma
tête : tomate en forme de poire, carotte, poivron, concombre, mie de pain,
huile, vinaigre et basilic. C’est sa profession de foi. C’est son code du
travail.
Les
bougainvillées, ocre, mauve, rose, se sauvent au-delà des murets délabrés. Je
ne sais si j’ai vieilli comme un vin ou un mauvais écrivain. Dans cette
banlieue de Marrakech, aucun homme ne se fâche ni ne se dépêche. Le muezzin
communique à l’abîme sa rumeur de moteur. La lumière dégouline sur la prière.
Je
ne déchiffre pas l’écriture hiéroglyphique des hauts palmiers entaillés. Mes
réminiscences ont des points de tangence. J’étale ma peau au soleil comme je
dispose, pareils, mes mots sur la feuille. Et j’attends. J’attends le moment
meurtrier. Le moment de tuer, de griffer l’éternité.
J’aime
voir la tourterelle s’abreuver à l’eau frivole du bassin. J’ai tout le temps
que je veux vers la mort. J’ai ajusté mes besoins à mon destin. Je suis loin de
vouloir parler après le signal sonore. Le cuicui d’oiseau me suffit.
Azzedine,
le mari, me serre la paume. Il me tient la main en propriétaire terrien. Le
verger des orangers, citronniers et figuiers a nécessité quatre années
d’opiniâtreté. Il me raconte ses jours de petit valet. La Mamounia a été
esquintée. La vieille clientèle a pris la poudre d’escampette. A Noredine,
l’arpète, il tend une cigarette.
Un
blé sauvage, irrégulier, encercle les oliviers concassés. Le regard noir de
Maria ne me dit rien qui vaille. « Pas beaucoup de charisme ». La
grosse Espagnole ne renie pas sa parole. Ses yeux sont impérieux. J’ai voté
pour un pastiche de Jean Moulin, un mauvais comédien, une sorte de Charles
Berling, de Charles de Gaulle de pacotille.
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