Il est mort du cœur. Loin de la gloire de l’été,
des lumières de l’enfance, dans la grisaille d’un hiver comme les autres, sous
un ciel au front bas. Chirac ne craint personne sauf Séguin, un diable d’homme.
Sur les photos des journaux, c’est Séguin qui impose le respect, sa légitimité,
qui pose en majesté sa nature de président. La souveraineté est un mot qui
d’abord sied à sa personne. A ses basques, Chirac candidat lui serre la main en
valet de pied, au mieux en lieutenant.
La relation Séguin/Chirac n’est pourtant médiocre,
ni pour l’un, ni pour l’autre. Criblé de mille fêlures, Chirac se tasse auprès
du volcanique et trop humain mangeur de pizzas. Séguin, bardé de tous ses
doutes, use avec coquetterie de sa chatoyante intelligence, admire l’énergie
militaire, la persévérance laborieuse du soldat Chirac. Ils se sentaient, l’un
et l’autre, à demeure au milieu du peuple. On ne sait pourquoi ils se sont
choisis, peut-être pour une commune réserve à l’endroit de l’arrivisme
bourgeois. Le peuple était touché par la pudeur, le secret, le panache des
deux.
Séguin n’avait besoin ni de droiture revendiquée,
ni de bottes pour arpenter le terrain politique. C’était un chêne, d’essence méditerranéenne,
né dans la probité, en pleine tragédie. Il était enraciné dans l’Histoire de
France. Séguin a exercé un charme fou plutôt qu’un vrai pouvoir sur les foules.
Chirac lui doit une fière chandelle, celle d’avoir décroché la timbale
élyséenne. Car Séguin a donné de l’épaisseur intellectuelle, de l’éloquence
enfiévrée, de la gravité sémantique aux pâles idées d’une droite boutiquière.
Mais Séguin a commis l’irréparable. Séguin est mort à son destin le jour où il
a rendu son tablier du parti post-gaulliste. Il a envoyé valdinguer dans les
décors les ors de la République. Les mots de sa démission n’étaient pas les
bons. Il signifiait son congé au sacrifice de ses jours à la vie politique,
qu’elle soit grandiose ou mesquine, au nom de la préservation intime de ses
jardins secrets. Ce jour-là, il a trahi Churchill, il a renié de Gaulle. Il ne
s’est pas donné tout entier à la France. Il a privilégié une sorte de pacte
avec lui-même qui ne pouvait le satisfaire. La République perdait un talent
d’exception.
Ce grand professionnel, si sourcilleux du travail
bien fait, a bâclé sa sortie. Séguin a fini ses jours parmi les grands esprits
aux dons inaboutis. Avec lui disparaît une vraie rareté sur l’échiquier
politique. La mort de Séguin n’efface pas seulement « une certaine idée de
la France », revue et corrigée pour les temps modernes, mais élimine un
style, un caractère, un tempérament apte à dessiner le chemin d’une grandeur à
réinventer. Avec un orgueil sans mesure et une simplicité bénédictine, il sut
se conduire en seigneur d’une République d’Epinal.
Durant l’une de ces festivités obligatoires, dans
les fastes de l’hôtel de Lassay, je me souviens de sa noble stature, de sa
digne rondeur, postée dans l’embrasure de la porte d’entrée, saluant un à un,
jusqu’au dernier des convives, à l’issue du raout. Le style, s’il répugne assez
souvent à embellir l’action des puissants, définit ici à coup sûr l’homme dans
sa vérité. Séguin possédait pleinement la manière d’être maître de son art.
C’est pourquoi sa désertion de la présidence de parti reste une faute
impardonnable, se ressent comme un chagrin qui fait bifurquer un destin. Elle
laisse une profonde estafilade, une large cicatrice sur le front de la nation.
Par la véhémence de ses fulgurances, entre saintes colères et tristes tendresses, Philippe Séguin appartient au cercle des hommes seuls, sans tiédeur, qui sont le sel de la terre. Il était, comme on dit, haut en couleurs. Car toujours à la hauteur voulue, vert de fureur, familier des colères bleues, sans crainte aucune de quoi que ce soit de médiocre, sans peur bleue, mais les joues rouges, écarlates, d’un homme embarrassé par sa timidité. Il nous manque pour lever les yeux, relever le niveau de la chefferie ordinaire.
Paru le 12 janvier 2010 dans Le Monde
Par la véhémence de ses fulgurances, entre saintes colères et tristes tendresses, Philippe Séguin appartient au cercle des hommes seuls, sans tiédeur, qui sont le sel de la terre. Il était, comme on dit, haut en couleurs. Car toujours à la hauteur voulue, vert de fureur, familier des colères bleues, sans crainte aucune de quoi que ce soit de médiocre, sans peur bleue, mais les joues rouges, écarlates, d’un homme embarrassé par sa timidité. Il nous manque pour lever les yeux, relever le niveau de la chefferie ordinaire.
Paru le 12 janvier 2010 dans Le Monde
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