Paul Meurisse est mort un 19
janvier. Dans « Fred », j’évoquais sa mémoire. Un talent à faire
peur. Un génie de la comédie.
« Fred et Denis composent un
duo de virtuoses. Ils sont emmanchés l’un à l’autre comme le sont Dromard et
Poussin dans L’Oeil du Monocle.
Fred adore Théobald, ce
commandant d’opérette, Paul Meurisse, meilleur histrion de sa génération, à
phrasé sentencieux et rictus de détresse. L’acteur comique est économe de ses
zygomatiques. Il traîne un flegme, trimbale une lassitude, débarde une
insoucieuse nonchalance à longueur d’historiette. Il est flanqué du génial
Dalban, comédien d’instinct à la gouaille gourmande, buriné à coups de verres
dans le nez, champion de la dévotion, docteur honoris causa de l’entourloupe de malfrat. Poussin est un royal
larbin.
Fred a coulissé ses binocles sur
un crâne d’époque. Il est hilare quand il regarde l’inénarrable Dromard,
loustic goguenard de dimanche soir. Son côté voyou, ganache, vieille France
fait mouche. Fred est accoudé à son fauteuil attitré. Il a lâché ses mots
croisés sur le velours jaune. Il s’est installé dans la diagonale de télé. Il
s’octroie la joie, deux heures sans rancœur.
Mais j’y songe maintenant. J’ai
distordu la vérité. L’histoire est destinée à faire croire. J’invente à mesure
que je gravis la pente. J’écris au mépris du respect du récit. Le livre est
dans ma peau. C’est un texte d’épiderme avec les mots sur les os.
Je reprends le fil du film. Il
était une fois. Il était une fois un roi. Fred se voit dans l’amant d’Edith
Piaf. Meurisse est drapé d’un imper mastic, coiffé d’un galurin rustique. Il
tient son pistolet comme une chandelle d’aubergiste. Il trotte sur l’asphalte.
Il maîtrise son geste dans une langue précise. Il cite Shakespeare quand la
situation empire. Rien ne l’étonne, sauf une beauté d’espionne. Rien ne
l’émeut, sauf une beauté de feu. Gaia Germani est une fille d’Italie, une
brunette exquise qui défie la cinématographie d’académie.
Après Carné ou Renoir, Melville
avait senti la fêlure du merveilleux acteur, superstitieux au point de refuser
de mourir sur scène. L’improbable clerc de notaire, natif de Dunkerque, mange
de la vache enragée, croise Pierre Dac qui l’embringue en virée. Il sera
pensionnaire de la maison de Molière. J’ai l’âge de Meurisse quand il meurt du
cœur. Fred lui a survécu trente ans. »
L’ouvrage est publié par 5 Sens Editions. Il est disponible à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes/295-fred.html
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